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Chapitre 1- Présentation des acteurs : des ennemis sous le IIIème Reich ?

1.1 Le recours au travail des étrangers en Allemagne : contextualisation

Pour couvrir les nouveaux besoins qu’implique la guerre, les autorités du Troisième Reich, alors en pleine expansion, font de l’appel à la main d’œuvre étrangère une nécessité. L’étude majeure d’Ulrich Herbert sur les Fremdarbeiter publiée en 1985 montre que cette situation n’est pas nouvelle. Le pays y a eu déjà recours lors de la Première Guerre mondiale, que ce soit en embauchant des travailleurs saisonniers polonais ou en mettant au travail les prisonniers de guerre173. Cette solution peine à s’imposer cependant, car elle va à l’encontre de l’idéologie national-socialiste.

a) Les origines du recours aux travailleurs étrangers

Ulrich Herbert place les années qui précèdent le début de la guerre sous le signe de la transition. On passe d’une situation marquée par « un manque de travail » à « un manque de main d’œuvre174 ». A la suite de l’année 1929, année de la Grande Dépression, les syndicats se mobilisent afin de tenter de remédier au problème de l’emploi en Allemagne. Ces syndicats sont toutefois démantelés peu de temps après, en 1933, lorsque la crise de l’emploi laisse place à une situation économique plus favorable, du fait surtout de la militarisation du marché du travail. Dès 1934, une loi sur l’organisation du travail national est mise en place (Gesetz zur Ordnung der nationalen Arbeit)175. Cette loi a pour but de remédier au chômage massif, mais aussi d’imposer un nouvel ordre politique et idéologique. De ce fait, le marché du travail s’oriente principalement vers l’économie de guerre, mettant au premier plan l’exploitation agricole et l’industrie métallurgique.

Les différentes formes de recrutement (Arbeitseinsatz) sont systématiquement pensées en fonction de l’idéologie national-socialiste. Jusqu’au début de la guerre, la politique en

173 Ulrich Herbert, Fremdarbeiter : Politik und Praxis des « Ausländer-einsatzes » in der Kriegswirtschaft des dritten Reiches, Berlin, J.HW. Dietz Nachf., 1999. Ici p. 24-33.

174 « Vom Arbeitsmangel zum Arbeitermangel » cité dans : Ibid. p. 40. 175 Ibid. p. 40.

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matière d’emploi est régie par trois grandes caractéristiques, selon Ulrich Herbert : elle tient compte des besoins croissants dans l’industrie d’armement, ce qui pousse le régime à faire des choix stratégiques en matière d’économie176 ; cette politique revient en outre à gérer la pénurie qui concerne d’abord le travail, puis la main d’œuvre, principalement dans le domaine agricole et les industries ; enfin cette nouvelle politique économique est marquée par une emprise accrue de l’administration et du gouvernement politique en matière de gestion177. Les mesures visant à développer l’industrie d’armement retentissent sur l’économie dans son ensemble et incitent les travailleurs à quitter les campagnes et à se mettre en quête de meilleurs salaires. Les exploitations agricoles se vident ainsi de moitié de leurs actifs, entre juin 1933 et juin 1938, créant une crise dans ce domaine178.

Pour pallier cette situation, il est décidé, dans un premier temps, d’intensifier la productivité du travail au maximum. Cet objectif est imposé de force ou en faisant miroiter un meilleur salaire, ce qui s’avère toutefois insuffisant. Une autre tentative vise à mettre les femmes au travail, même si cette orientation va à l’encontre de l’idéologie national-socialiste dont l’idéal reste de cantonner la femme dans l’univers domestique. Avant le début du conflit, les femmes sont donc présentes sur le marché du travail, mais, jusqu’au début de la guerre au moins, leur mise en activité n’est pas suffisante pour remédier au manque de main d’œuvre. Cet échec est considéré cependant comme relatif dans la mesure où le ministère du travail du Reich (Reichsarbeitsministerium) exprime une certaine retenue vis-à-vis de l’emploi féminin179. La solution reste donc d’avoir recours à la main d’œuvre étrangère.

Depuis la Première Guerre mondiale, des travailleurs étrangers sont présents sur le sol allemand. En 1930 Ulrich Herbert estime leur nombre à environ 219 000, donnée qui diminue à 188 000 en 1935. En 1933, une nouvelle ordonnance est adoptée à leur sujet qui permet de les contrôler plus étroitement. Cette ordonnance vise à centraliser l’activité des étrangers dans des bureaux administratifs (Arbeitsämter). Dans un premier temps, le but est de réguler leur arrivée dans un contexte où le chômage est important. Toutefois, cette centralisation reflète aussi le début de la mise en place d’un programme hostile à leur égard180. Dès 1936, le nombre de travailleurs s’élève à 229 000181. Göring en 1937 admet que les travailleurs en provenance

176 Cela implique une gestion concertée des matières premières et de la main d’œuvre et la maîtrise de la production

agricole.

177 U. Herbert, Fremdarbeiter, Ed. 1999, op. cit. p. 42.

178 Ibid. p. 44. L’emploi dans les exploitations agricoles passe de 2 494 000 en juin 1933 à 1 981 000 en juin 1938. 179 Ibid. p. 46-49.

180 Ibid. p. 51-52. 181 Ibid. p. 49.

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d’Autriche et des Sudètes pourraient être utilisés comme mesure d’urgence182. On observe en conséquence une augmentation des travailleurs étrangers en Allemagne, atteignant les 375 000 en 1938183.

Néanmoins, l’objectif à atteindre est encore loin. Ainsi à l’aube de la guerre, le régime national-socialiste reste confronté à un problème pragmatique et continue à manquer de main d’œuvre. On mise toujours sur les deux mêmes options pour y remédier : la mise en activité des femmes et/ou des étrangers, chacune d’entre elles comportant des inconvénients. Le travail des femmes risque en effet de remettre en cause l’équilibre de la Volksgemeinschaft, qui leur assigne comme fonction de s’occuper de la sphère privée. Quant au travail des étrangers, il constitue un danger d’ordre racial. Néanmoins face à la situation d’urgence, le régime du Troisième Reich n’a d’autre choix que de mettre entre parenthèses ses principe idéologiques. Avant même la guerre et à la suite de l’intégration de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie dans le « Grand Reich » (Großes Germanisches Reich), des travailleurs rejoignent donc les exploitations agricoles (Landwirtschaften) allemandes, aux côtés des travailleurs polonais, dont beaucoup sont arrivés illégalement. Selon Ulrich Herbert, l’heure n’est pas encore à la mobilisation de travailleurs forcés, le régime national-socialiste n’étant pas préparé à la mise en place d’un programme d’une telle ampleur. Cette solution contrevenait en outre à son idéologie. Néanmoins, le régime finit par se résoudre à cette décision et le recrutement volontaire et forcé s’accélère en conséquence184.

b) Qui sont les « étrangers » au sein du Reich ? Les différentes catégorisations

Les autorités vont tenter de garder le contrôle de la situation en mettant en place une stratégie pour gérer l’arrivée des travailleurs étrangers et profiter au maximum de leur productivité. Avant tout, il importe de définir qui sont les « étrangers » présents sur le sol du Reich pendant la Seconde Guerre mondiale. Le terme allemand « Zwangsarbeiter » (travailleurs forcés) s’est imposé durant ces dernières années pour définir tous les travailleurs étrangers qui ont été contraints de venir travailler au sein du Reich. Le terme utilisé à l’époque, « Fremdarbeiter » (travailleurs étrangers), l’était par euphémisme. On notera que Ulrich Herbert utilise encore ce terme dans les années 1980. Sous cette dénomination, on peut classer

182 Ibid. p. 54.

183 Ibid. p.58.Voir le tableau 5 : « Ausländische Arbeitskräfte in Deutschland nach Staatsangehörigkeit, 1936 bis

1938 ».

79 quatre catégories185 :

1) Travailleurs civils étrangers (Ausländische Zivilisten) : venus travailler en Allemagne sous la contrainte, ils constituent le plus grand groupe.

2) Les prisonniers de guerre étrangers (Ausländische Kriegsgefangene) 3) Les prisonniers des camps de concentration (KZ-Häftlinge)

4) Les juifs européens (Europäische Juden) : avant d’être déportés ou exterminés, ils sont contraints au travail dans les ghettos, camps de concentration ou d’extermination.

Les deux premières catégories sont celles qui intéressent notre étude, car ces travailleurs peuvent être en contact avec la population. Parmi ces catégories, des différences sont repérables toutefois selon les nationalités.

Ainsi, si les prisonniers de guerre étrangers constituent un groupe en apparence homogène (ils se distinguent notamment par l’insigne qu’ils portent correspondant aux lettres « KG »), ils sont pourtant globalement répartis en quatre groupes :

-Le groupe des prisonniers de guerre de l’Ouest ou ressortissants de pays pour lesquels la Convention de Genève a été ratifiée : ce groupe est composé en grande majorité par des Français, suivis des Belges, mais aussi par des Néerlandais, des Britanniques ou des Serbes.

- Le groupe des prisonniers de guerre polonais, qui sont en réalité, très peu nombreux, car une grande majorité d’entre eux ont été transformés en civils rapidement, et de ce fait, ont perdu la protection assurée par la Convention de Genève.

-Le groupe des prisonniers de guerre russes, qui ne relève pas de la convention de Genève que l’URSS n’a pas ratifiée.

-Enfin le cas des Italiens constitue une exception : considérés au début de la guerre comme des alliés, ils sont à partir de 1943 perçus comme des traitres et considérés comme des « internés militaires » (Militärinternierte). Ils ne disposent également d’aucune protection de droit international.

Cette diversité se retrouve parmi les travailleurs civils étrangers. Les nationaux-socialistes

80 distinguent en leur sein :

- les travailleurs de l’Ouest (Westarbeiter) qui incluent les Français (soit les travailleurs volontaires, les requis du S.T.O, les prisonniers « transformés »), les Belges ou encore les Néerlandais.

- les travailleurs de l’Est (Ostarbeiter) qui doivent porter un insigne visible correspondant aux lettres « OST » ; ce groupe inclut des travailleurs venant des pays de l’est : les territoires soviétiques, la Biélorussie, l’Ukraine, etc…

- les travailleurs venant de Pologne, qui constituent un groupe particulier à eux seuls, et doivent être visibles distinctement par l’insigne « P ».

Au-delà de l’élaboration de ces catégories, l’origine ethnique joue un rôle dans le traitement qui est réservé à ces hommes. Selon une échelle raciale (excluant les Juifs qui ne font pas partie des catégories de travailleurs étudiés186), les Slaves occupent la position la plus inférieure, suivis des « peuples non-germaniques alliés ou liés [au Reich] du fait de leur importance culturelle et européenne187 » tels que les Français, les Belges wallons, les Slovaques, les Croates, etc…Viennent ensuite tout en haut de la hiérarchie, les Belges flamands, les Néerlandais, les Danois et les Norvégiens188. Cette énumération permet de situer les prisonniers de guerre français dans la nébuleuse des autres groupes de captifs.

Les prisonniers de guerre de l’Est

En octobre 1939, Ulrich Herbert estime les prisonniers polonais présents sur le territoire du Reich à 213 115, puis à 287 348 en avril 1940. Ce nombre reste néanmoins limité, alors que le Reich a besoin de plus de main d’œuvre189. C’est pourquoi la plupart des prisonniers de guerre polonais sont transformés en civils. On ne dénombre plus que 34 691 prisonniers polonais à la fin de la guerre pour un total de 1 600 000 travailleurs civils de cette nationalité190.

186 A l’exception des prisonniers de guerre français (ou intégrés à l’armée française) juifs, « sauvés » par leur statut

avant tout de prisonnier de guerre, dont Georges Scapini a défendu la cause. Durand affirme que la Wehrmacht respecta effectivement cette disposition. Voir Y. Durand, La vie quotidienne, op. cit. p. 199.

187 « Angehörige nicht-germanischer Völker, mit denen wir verbündet oder mit denen wir auf Grund ihrer

kulturellen und gesamteuropäischen Bedeutung verbunden sind (Slowaken, Kroaten, Rumänen, Bulgaren, Ungarn, Spanier, Franzosen, Belgier). » cité dans : S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 204.

188 Gaby Flemnitz, "Verschleppt, entrechtet, ausgebeutet”- Zwangsarbeit und Kriegsgefangenschaft im Kreis Warendorf im Zweiten Weltkrieg, Warendorf, Kreisgeschichtsverein Beckum-Warendorf e.V., 2009. Ici p. 20-

21.

189 U. Herbert, Fremdarbeiter, Ed. 1999, op. cit. p. 68-69. 190 M. Spoerer, Zwangsarbeit, op. cit. p. 221-222.

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Leurs conditions de vie et de travail sont déterminées par les Polenerlasse (décrets sur les Polonais), valables pour les prisonniers comme pour les travailleurs et travailleuses civils, qui sont mis en place dès mars 1940, ainsi que par le Polenstrafrechtsverordnung (règlement sur le droit pénal polonais) de décembre 1941. Ces textes ont différentes conséquences. Les Polonais doivent être visibles pour la population allemande et repérables par un signe distinctif. Leur liberté de mouvement est réduite au maximum par l’imposition d’horaires de travail stricts avec obligation de rester sur le lieu où ils sont employés, durant de très longues plages horaires. Ils sont aussi placés dans la nécessité de se faire recenser continuellement, soumis à l’interdiction d’accéder aux lieux publics : transports en communs, lieux de détentes, lieux de pratiques cultuelles, etc191.

Les prisonniers de guerre soviétiques arrivent plus tardivement sur le territoire du Reich, à la fin de l’année 1941192. Les autorités les utilisent seulement en dernier recours, car dans leur cas la menace raciale s’accompagne de la crainte d’une contamination idéologique propre au « bolchevisme ». Les « Ostarbeitererlasse » (décret sur les travailleurs de l’est) mises en place en février 1942, définissent de manière encore plus drastique que dans les « Polenerlasse » les conditions de vie de ces prisonniers. L’objectif visant à les séparer de la population allemande est rappelé avec force. Leur isolement conduit également à les mettre à l’écart des autres étrangers. Ils ne sont donc que très rarement affectés dans des fermes ou à des postes de travail isolés193 et réunis en grande majorité dans des camps de prisonniers où ils vivent dans des conditions désastreuses. Selon Ulrich Herbert, dans les faits, entre la fin de l’année 1941 et fin mars 1942, seulement 166 881 d’entre eux ont été affectés au travail, sur les 3 350 000 prisonniers soviétiques194. Les historiens parlent de mort de masse en ce qui les concerne, sur plus de 5,7 millions de prisonniers de guerre soviétiques capturés, 3,3 millions ont perdu la vie195.

Ces réglementations spécifiques aux prisonniers de guerre de l’Est ne sont pas anodines pour notre recherche. Elles permettent en effet de comprendre les différences statistiques que l’on retrouve dans les condamnations relevant du Verbotener Umgang qui, majoritairement concernent des ressortissants des pays d’Europe occidentale. Le tableau ci-dessous récapitule

191 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 191-197. 192 M. Spoerer, Zwangsarbeit, op. cit. p. 72.

193 S. Schneider, Verbotener Umgang, op. cit. p. 207-209. 194 U. Herbert, Fremdarbeiter, Ed. 1999, op. cit. p. 147-149. 195 M. Spoerer, Zwangsarbeit, op. cit. p.72.

82 les différentes données que l’on vient d’exposer :

Les prisonniers de guerre présents sur le territoire du Reich (1939-1945)197

Les prisonniers de guerre de l’Ouest

Des prisonniers de guerre originaires de différents pays de l’Ouest arrivent rapidement dans le Reich pour être affectés, pour la moitié d’entre eux, dans l’agriculture198. Ils bénéficient tous de la protection de la Convention de Genève, même si les Serbes, en tant que slaves, seront dans les faits moins bien traités, pour des raisons raciales, que les Français par exemple. De nombreux prisonniers vont être rapidement « transformés » en travailleurs civils. Cette manœuvre permet aux autorités de s’affranchir du principe de protection contenu dans la Convention de Genève, et d’affecter les prisonniers à l’industrie d’armement. Deux voies conduisent à ce changement de statut : certains groupes de prisonniers y sont forcés, d’autres au contraire le font volontairement, dans l’espoir d’obtenir un meilleur salaire et une certaine « liberté » puisqu’ainsi ils échappent au contrôle de la Wehrmacht. Un cas de figure particulier parmi les prisonniers dits de l’« ouest » est celui des internés militaires italiens qui rejoignent

196 Ibid. p.106 : la catégorie « autres » inclut notamment les prisonniers norvégiens, néerlandais, flamands, croates

et grecs qui ont été pour la plupart rapidement transformés en civils.

197 Tableau réalisé à partir des estimations de Mark Spoerer dans : Ibid. p. 221. 198 U. Herbert, Fremdarbeiter, Ed. 1999, op. cit. p. 96-97.

Nationalités Nombre total (1939-1945)

Prisonniers de l’Ouest :

Français 1.285.000

Britanniques 105.000

Serbes 110.000

Belges 65.000

Italiens (internés militaires) 495.000

Autres196 275.000

Prisonniers de l’Est :

Russes 1.950.000

Polonais 300.000

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le territoire allemand à partir de septembre 1943, après la chute de Mussolini. Ce renversement de situation inattendue fait qu’ils ne peuvent être considérés comme des prisonniers de guerre à part entière et bénéficient donc d’un statut particulier. Etant perçus comme des traitres par les Allemands, ils pâtissent d’un traitement qui n’est, de fait, pas réglementé. Leur sort est donc peu enviable199.

Les prisonniers de guerre sont placés sous le contrôle de la Werhmacht jusqu’au 1er octobre 1944, date à laquelle Hitler donne pouvoir sur eux à la SS en chargeant Himmler de la captivité (Kriegsgefangenenwesen). Selon Mark Spoerer, cela ne modifie probablement pas le traitement réservé aux prisonniers, car l’évolution du conflit étant alors très préoccupante pour le Reich, les structures majeures qui les gèrent n’auraient pas été réellement affectées200.

c) Mesures préventives de l’Etat ou comment protéger la population

Les mesures qui conduisent à la présence de nombreux étrangers de nationalités différentes au sein du Reich sont prises sous la pression de la nécessité par le régime national- socialiste. La venue en masse au sein même de l’« espace vital » (Lebensraum) de ces étrangers n’est pas souhaitée, du fait du contact direct avec la population, la Volksgemeinschaft, que cela entraîne. C’est pourquoi, dès l’arrivée des travailleurs civils et prisonniers de guerre, des dispositions préventives sont mises en place. Les Polonais étant les premiers à s’implanter sur le territoire du Reich, ces dispositions se sont appliquées à eux en premier lieu, s’étendant par la suite à d’autres nationalités.

Essentielles à notre étude sont les mesures qui concernent les rapports avec les prisonniers de guerre. Un ensemble de textes, qui se répondent les uns les autres, participent progressivement à la construction de ce dispositif. Le premier d’entre eux renvoie au décret interdisant à la population allemande d'avoir des contacts avec les prisonniers de guerre, le Verbotener Umgang mit Kriegsgefangenen ou décret relatif aux relations avec les prisonniers de guerre, publié le 25 novembre 1939 dans le bulletin législatif du Reich allemand (Reichsgesetzblatt)201. Ce décret s’applique strictement à la population allemande et à ce titre peuvent être condamnés par les tribunaux civils. Les prisonniers de guerre, quant à eux, sont condamnés pour « désobéissance » (Ungehorsam). Le pendant de ce décret correspond donc

199 M. Spoerer, Zwangsarbeit, op. cit. p. 104. Pour aller plus loin, se référer à : Gerhard Schreiber, Die italienischen Militärinternierten im deutschen Machtbereich. 1943–1945. Verraten – verachtet – vergessen, Munich,

Oldenbourg-Verlag, 1990.

200 M. Spoerer, Zwangsarbeit, op. cit. p. 107. 201 Voir note 50.

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dans leur cas à l’amendement §92 du Militärstrafgesetzbuch (MStGB, code pénal de guerre), qui condamne tout acte de désobéissance à un ordre militaire202.

Dans la mesure où cette réglementation est valable seulement pour les contacts avec les prisonniers de guerre, qu’en est-il des nombreux étrangers vivant sur le territoire du Reich qui sont des travailleurs civils, ou bénéficient d’un statut de transformés après être arrivés en Allemagne ? Il y a en ce domaine une distorsion entre l’objectif de l’Etat - séparer la population allemande des étrangers - et la réalité. En théorie en effet, il n’y a aucune interdiction légale édictée qui empêche la fréquentation de la population allemande par des travailleurs civils. Ces contacts sont cependant proscrits dans les faits et les travailleurs étrangers sont informés constamment de cette « interdiction », ou du moins de cette volonté de l’Etat de dissocier les uns des autres. Ce phénomène pose surtout problème pour les travailleurs de l’Ouest, car pour les autres, au-delà du « statut » de travailleur qui est le leur, la classification raciale joue un rôle primordial. Ainsi s’il n’y a pas d’interdiction légale condamnant les relations entre un travailleur civil et une femme allemande, en revanche, il y a bien une interdiction raciale qui s’applique aux Polonais ou travailleurs de l’Est : le Rassenschande. Beaucoup de travailleurs polonais sont ainsi concernés par ce délit, alors qu’il ne s’applique pas aux travailleurs de l’Ouest. Il n’est pas possible de s’appuyer sur des statistiques précises à ce sujet, mais on peut aisément avancer que nombre de travailleurs de l’Est ou polonais qui ont pu avoir des relations avec des femmes allemandes ont été soumis à la Schutzhaft, et exécutés ou envoyés en camp de concentration, sans autre forme de procès203. Ces distinctions sont importantes à saisir dans le cadre d’une étude qui se concentre sur les prisonniers de guerre français. Si peu de femmes sont condamnées pour Verbotener Umgang avec des Polonais ou des Soviétiques, cela s’explique en partie pour ces raisons.

L’étude des sources composant notre corpus ne nous permet donc pas d’avoir une approche globale des relations entre femmes allemandes et étrangers en général, d’une part car d’autres cadres juridico-légaux s’appliquent à ces étrangers, d’autre part car la pluralité des cas