• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 – Enfreindre la norme, des pratiques risquées

3.3 Les dossiers judiciaires : quel sort pour les accusées allemandes ?

S’il est difficile de quantifier précisément le phénomène, les sources nous permettent en revanche d’effectuer une analyse qualitative presque complète. A partir des dossiers des différentes institutions, nous pouvons reconstituer le cadre juridique, depuis l’arrestation des femmes allemandes accusées de Verbotener Umgang jusqu’à leur sortie de prison, même s’il est rare de posséder tous les éléments pour un même dossier.

a) Qui condamne ?

Les différents tribunaux

En dépit de l’importance du Sondergericht dont on a vu qu’il était en principe en charge des Verbotener Umgang, les délits sont dans la pratique du ressort de nombreuses cours. Cette apparente contradiction témoigne de l’écart entre la norme qui a été fixée et son application. Ainsi si le délit de Verbotener Umgang doit être effectivement traité exclusivement par les Sondergerichte au titre d’une série de nouvelles dispositions mises en place au début de la guerre520, dans les faits d’autres tribunaux sont saisis, compte tenu du nombre de cas advenus. Un autre constat découle des sources étudiées : la gravité des faits conduit à orienter les affaires vers certains tribunaux plutôt que d’autres. Les « petits délits » relèvent par exemple assez souvent de la compétence des Amtsgerichte. On entend par « petits délits » les discussions avec les prisonniers, les échanges de denrées alimentaires (dans une moindre mesure), les échanges de services pratiques (laver du linge, réparer des objets), ou encore des échanges de lettres. La distinction entre les Landgerichte et Sondergerichte est en revanche plus difficile à établir. Les relations impliquant des rapports sexuels, qu’ils aboutissent à une grossesse ou non et qui sont considérés comme des cas plus graves, peuvent aussi bien être traités par un Landgericht qu’un Sondergericht. Cette polyvalence reflète-t-elle la difficulté pour l’administration judiciaire à faire face aux tâches qui incombent aux différentes cours en fonction de leur spécialisation ? C’est ce que la lecture des travaux de Paul Kannmann suggère quand il écrit que le Sondergericht de Halle a dû s’agrandir et s’étendre géographiquement au vu des nombreuses affaires de Verbotener Umgang à traiter. Un courrier du directeur du Landgericht du 6 janvier 1940 va dans ce sens. Il donne l’autorisation aux Landgerichte de Magdeburg d’étendre les

170

fonctions du Sondergericht521. Un autre argument explique que le Sondergericht n’exerce plus le monopole qui lui revient en la matière. Si l’on évoque de nouveau le Sondergericht de Francfort-sur-l’Oder, on se souvient qu’il ne considère plus les relations entre prisonniers de guerre français et femmes allemandes comme des « cas graves ». Cette appréciation qui repose sur une plus grande tolérance manifestée par l’institution judiciaire favorise donc le traitement des situations relevant du Verbotener Umgang par d’autres tribunaux.

Total Acquitt ement

Amende Prison Zuchthaus

Prison pour mineures Données inconnues Amtsgericht 433 2 10 304 14 4 99 Landgericht 614 0 37 295 115 2 165 Sondergericht 549 6 0 123 377 1 42 Jugendkammer 17 0 0 6 0 8 3 Données inconnues 168 3 7 30 65 2 61

Tableau statistique des types de peines selon les différentes cours concernant les dossiers des femmes allemandes pour Verbotener Umgang correspondant aux Wehrkreise III, IV et V522

L’analyse des peines en fonction des instances juridiques révèle par ailleurs que les affaires plaidées devant les Sondergerichte n’aboutissent pas toutes à des peines de Zuchthaus. La moindre sévérité de ce tribunal demeure cependant très relative. En effet, une étude comparée avec les Amtsgerichte et Landgerichte qui jugent des cas « graves » témoigne que les magistrats du Sondergericht sont nettement moins cléments que leurs homologues des autres cours.

70% des peines qu’ils infligent sont des peines de Zuchthaus, s’étalant en moyenne sur 25 mois. Comparativement, les Landgerichte ont attribué dans 50% des cas des peines de prison d’en moyenne 8 mois. On dénombre malgré tout dans leur cas environ 20% de peines de Zuchthaus. Les Amtsgerichte ont, quant à eux, en grande majorité (70%) sanctionné les femmes allemandes par des peines de prison plus légères, en moyenne de 5 mois.

521 P. Kannmann, Der Stalag XI A, op. cit. p. 371.

171 Les juges

Les jugements rendus par les magistrats dans les procès pour Verbotener Umgang sont plus ou moins sévères. Certes le type d’instance devant laquelle une femme doit répondre de ses actes donne d’emblée une indication sur le type de peine qu’elle peut encourir, puisque, les peines attribuées par exemple par les Amtsgerichte sont moins lourdes. Reste que la variabilité des sanctions, si l’on se situe au niveau des Landgerichte et des Sondergerichte, incite à conclure qu’il n’y a pas d’automaticité dans les peines infligées. Si certains cas similaires ne donnent pas lieu à la même issue, c’est en partie en raison des juges à qui incombe l’affaire et de la marge de manœuvre dont ils disposent. Rappelons que la définition, somme toute floue, du terme de gesundes Volksempfinden octroie aux magistrats la possibilité et même le devoir d’analyser eux-mêmes ce qui est bon et ce qui ne l’est pas pour le bien-être de la communauté. A ce titre, ils ont un rôle crucial. Les Richterbriefe rappellent également que le juge est invité à évaluer chaque cas de Verbotener Umgang en son âme et conscience. L’appréciation de la gravité d’un cas, la prise en compte des circonstances atténuantes diffèrent donc en fonction des juges. Ce constat fait écho à l’analyse quantitative remarquable de Claire Zalc portant sur la loi de naturalisation de 1940 en France qui montre que les résultats des commissions varient en grande partie selon les différents juges concernés523.

Dans le cadre de notre étude, mener la même démarche n’a pas été possible, car les informations dont nous disposons sur les juges sont trop partielles. Néanmoins, des ouvrages qui se sont intéressés à ces questions révèlent certains éléments importants. Ainsi Karl-Heinz Keldungs présente les juges qui reviennent le plus souvent dans les affaires instruites par le Sondergericht de Duisburg. Ils sont tous membres du NSDAP, décrits comme des professionnels particulièrement brillants et en accord avec l’idéologie national-socialiste524. Christine Schoenmakers a réalisé une analyse précise des pratiques judiciaires des juges sous le Troisième Reich à Brême. Elle montre notamment dans sa deuxième partie l’influence de l’idéologie national-socialiste sur le recrutement et l’usage que les juges font du droit525. Cette influence se renforce au moment de la guerre. Elle développe l’exemple d’une affaire dans laquelle Hitler en personne est intervenu. Jugeant la peine attribuée trop clémente au regard de l’acte commis, le führer déclare qu’il se réserverait désormais le droit de s’immiscer dans le champ de la justice et qu’il n’hésiterait pas à révoquer les juges qui se révéleraient inaptes à

523 C. Zalc, Dénaturalisés, op. cit. Voir le chapitre 5.

524 K.-H. Keldungs, Das Duisburger Sondergericht 1942-1945, op. cit. p. 10-14. 525 C. Schoenmakers, Die Belange der Volksgemeinschaft, op. cit.

172

exercer leurs fonctions526. En effet, il convient de distinguer les juges des Sondergerichte, fortement imprégnés par l’idéologie du régime et les consignes du NSDAP, et les juges des autres tribunaux, qui ne suivent pas inévitablement les mêmes directives. Signalons enfin que la nomination de Thierack par Hitler en tant que ministre de la justice du Reich a accéléré le processus de mise sous tutelle de cette institution, comme en atteste la publication des Richterbriefe.

b) Déroulement d’un procès

Dépôt de plainte

La première étape qui entraîne les femmes dans l’engrenage judiciaire découle soit d’une arrestation directe, quand la fautive est prise sur le fait, soit du dépôt d’une plainte (Strafanzeige). Dans le cas de Klara K. par exemple, une plainte a été déposée par le gardien du camp de prisonniers de guerre. C’est une photographie détenue par son amant qui a servi à la démasquer. La plainte est déposée auprès du service des enquêtes criminelles de Stuttgart avant d’être transmise aux services de la Gestapo de cette ville527. Dans le cas d’Hermus P. la plainte est déposée directement à la Gestapo de Stuttgart528. Il arrive également que les plaintes soient enregistrées dans de petits postes de polices locaux, et soient ensuite transférées vers d’autres institutions529. Dans quelques cas, l’arrestation est directe lorsqu’il y a un témoin visuel faisant autorité : gardiens, police locale, ou membres de la Gestapo. Les femmes sont donc en général placées en détention provisoire (Untersuchungshaft) jusqu’au procès.

Dénonciation

Bien plus souvent, l’arrestation fait suite à une plainte déposée au préalable par quelqu’un. Si la pratique de la dénonciation n’est évidemment pas propre au régime national- socialiste, elle devient alors monnaie courante530. Maren Büttner explique que la dénonciation

526 « Ich werde von jetzt ab in diesen Fällen eingreifen und Richter, die ersichtlich das Gebot der Stunde nicht

erkennen, ihres Amtes entheben. » cité dans : Ibid. p. 195.

527 StAL E 352/Bü 6784, procès de Klara K., le 09/03/1944, Landgericht d’Ulm.

528 StAS Wü 30/12 T4/37, procès de Petronella H., le 23/10/1942, Amtsgericht d’Oberndorf.

529 La jeune femme et le prisonnier de guerre français ont été surprise par un gardien de police qui les a emmenés

directement au poste de police local (Polizeirevier) ; StAL E 323 II/459, procès de Margarete R., le 12/02/1945,

Landgericht de Stuttgart.

530 Le lecteur pourra se référer à une littérature abondante sur les pratiques de dénonciation à l’époque nazie. Voir

173

ne devient légalement un devoir qu’à l’été 1944. Avant cette date, elle relève d’un devoir moral, attendu des citoyens. Visiblement les autorités ne pensaient pas avoir besoin d’imposer ce devoir légalement. Thierack écrit à ce sujet que chaque « Volksgenossen » a le devoir moral de contribuer à la sécurité interne du Reich et d’agir activement contre tout ce qui pourrait lui nuire531. Dans ces cas précis, les formes de dénonciation qui reviennent le plus souvent sont celles faites sur le lieu de travail. Ce n’est pas pour surprendre, dans la mesure où la première prise de contact se fait très souvent sur le lieu de l’activité professionnelle. Les délateurs sont des collègues de travail ou des représentants de l’entreprise. L’entreprise Telefunken à Berlin envoie ainsi un courrier au poste de police de Berlin n°23, transmis à la suite à la Gestapo, pour dénoncer une employée qui a tenté de transmettre un paquet contenant des denrées alimentaires à un prisonnier de guerre français532.

Les dénonciations sont également en grande partie déposées par l’entourage des femmes, que ce soient les voisins ou les membres de leur famille. Dans ces cas, la frontière est poreuse qui sépare la motivation visant à « faire son devoir de citoyen » et le règlement de compte. L’exemple d’un procès au Landgericht de Karlsruhe le 14 juillet 1942 est éclairant à ce sujet. Les inculpées (plusieurs femmes condamnées conjointement pour avoir eu des relations à Bruchsal avec des prisonniers de guerre français, dont plusieurs avec le même prisonnier) sont en même temps les délatrices. Leurs histoires se recoupent en effet, les unes disant avoir été entraînées par les autres, et inversement. L’une d’entre elles, Marzela B. est enceinte. Elle est identifiée par une autre inculpée comme ayant été la première femme à Bruchsal à avoir retrouvé régulièrement un prisonnier de guerre. Le reste du groupe aurait inscrit ses pas dans les siens. Porter de telles accusations contre Marzela revient à alourdir la durée et le type de peine que cette dernière peut encourir. Dans ce procès collectif, on s’aperçoit donc que les femmes essaient en fait de tirer leur épingle du jeu, de minimiser leur responsabilité afin d’échapper à une peine sévère533. De même, Ingeborg Z., condamnée au Sondergericht de Francfort-sur-l’Oder, a été dénoncée par un témoin qui affirme qu’un prisonnier de guerre aurait passé du temps avec elle « dans des buissons ». Les deux accusés nient en bloc, et le peu de

1933 - 1945, Paderborn, Schöningh, 1993 ; Gisela Diewald-Kerkmann, Politische Denunziation im NS-Regime oder die kleine Macht der " Volksgenossen ", Bonn, Dietz, 1995 ; Bernward Dörner, « NS-Herrschaft und

Denunziation : Anmerkungen zu Defiziten in der Denunziationsforschung », Historical Social Research, 2001, vol. 26, no 2/3, p. 55‑69 ; Stephanie Abke, Sichtbare Zeichen unsichtbare Kräfte. Denunziationsmuster und Denunziationsverhalten 1933 -1949, Tübingen, Diskord, 2003 ; G. Schwarze, Es war wie Hexenjagd… Die vergessene Verfolgung ganz normaler Frauen im Zweiten Weltkrieg, op. cit.

531 Thierack cité dans : Maren Büttner, " Zersetzung und Zivilcourage “. Die Verfolgung des Unmuts von Frauen im nationalsozialistischen Deutschland während des Krieges 1939 – 1945, Thèse de doctorat, Universität

Erfurt, Erfurt, 2011. p. 67.

532 LAB A Rep 358-02/2053/3871, dossier de la Gestapo Berlin, de Marta L., le 13/06/1941. 533 GLAK 309/2166, procès de Marzela B., le 14/07/1942, Landgericht de Karlsruhe.

174

crédibilité de la parole du témoin est souligné lors du jugement, ce qui aura un impact sur l’issue du procès534.

La tendance à se défausser sur d’autres est donc assez commune. Helen S. affirme ainsi qu’une amie à elle l’aurait incitée à franchir le pas en déclarant que ce type de relation « n’était pas si grave et qu’[elles] ne viv[aient] qu’une fois535 ». Parallèlement la jeune Johanna, lors de son audition en 1943, affirme que son cas n’est pas isolé. Elle fait référence à d’autres relations entre des prisonniers de guerre français et des femmes allemandes en citant des noms précis536. Ce type de pratiques relève-t-il de « règlements de compte » peu glorieux ? Il faudrait pouvoir mener une enquête approfondie pour pouvoir l’affirmer. On ne peut pas négliger non plus le fait que ces dénonciations s’inscrivent dans des stratégies judiciaires permettant aux autorités d’obtenir le plus de noms possibles et aux inculpées d’amoindrir leur responsabilité individuelle.

Plus rare est le cas d’une jeune femme qui se rend d’elle-même à la police. Après avoir entretenu une relation pendant plus d’un an avec le prisonnier de guerre français qui était affecté à l’entretien des terrains de ses parents, Elisabeth tombe enceinte. Son père l’envoie accoucher dans un établissement religieux à Überlingen (Wurtemberg). C’est à ce moment qu’elle dépose une plainte (Selbstanzeige) dénonçant sa relation avec le prisonnier. Elle est ensuite arrêtée par la Gestapo537.

534 BLHA Rep. 12C Sg Frankfurt/Oder 1670, procès de Ingeborg Z., en 1943, Sondergericht de Francfort-sur-

l’Oder.

535 « Dass es nicht so schlimm sei und wir nur einmal leben » cité dans : BLHA, Rep. 12C Frankfurt/Oder 103,

procès de Helen S., en 1942, Sondergericht de Berlin.

536 BLHA Rep. 12C Sg Frankfurt/Oder 428/2, procès de Johanna G., le 26/05/1943, Sondergericht de Francfort-

sur- l’Oder.

175

Lettre de dénonciation anonyme contre Magdalena S. déposée à la gendarmerie d’Oberkirch538

Le procès de Magdalena S. offre un autre exemple de la diversité des situations menant à l’inculpation des femmes allemandes. Son arrestation a lieu à la suite de l’envoi d’une lettre anonyme à la gendarmerie d’Oberkirch (Bade) l’accusant d’avoir eu un enfant d’un prisonnier de guerre français539. Cette dénonciation entraîne l’ouverture d’une enquête, la lettre anonyme générant une demande d’information auprès du Jugendamt (services sociaux pour la jeunesse). Celui-ci confirme qu’elle a accouché d’une petite fille le 2 juin 1941. Les investigations menées révèlent l’origine déclarée de l’enfant qui a été présentée, à l’époque, comme née d’un soldat allemand inconnu540.

538 StAF A43/1 1111, procès de Magdalena S., le 07/11/1941, Landgericht d’Offenburg. 539 Ibid.

176 La comparution des témoins

La comparution des témoins est une étape importante du déroulement du procès. Cette phase constitue également une des recommandations du Richterbrief sur le Verbotener Umgang : afin de pouvoir juger au mieux les différentes affaires, les juges doivent scrupuleusement analyser « toutes les causes, tous les liens et toutes les conséquences de l’action541 ». Les quelques dossiers complets dont nous disposons éclairent les différents témoignages recueillis : celui de la femme accusée, le témoin visuel ou la personne qui a dénoncé la relation, l’entourage (famille, voisins), les collègues de travail, complétés parfois par la déposition du prisonnier de guerre lui-même. Les acteurs qui comparaissent sont donc divers d’autant plus lorsque l’accusation repose sur un témoin visuel qui n’est pas une figure de l’autorité. C’est le cas par exemple d’une femme accusée d’avoir eu une relation avec un prisonnier dans une ferme à Ferbitz (Brandebourg) en 1944. Un témoin affirme les avoir vus ensemble dans la grange en train de ranger du bois. Cette simple scène suffit à alimenter le soupçon d’un rapport sexuel542. Il s’ensuit alors l’audition de nombreux autres témoins car, dans le cas présent, la femme allemande et le prisonnier nient tous deux les faits qu’on leur reproche. Lorsqu’au moins l’un des deux avoue, l’enquête est en général plus courte. Il est toujours très intéressant d’avoir la déposition de la femme accusée, car ses aveux peuvent être comparés avec le jugement. Néanmoins ces aveux figurent rarement dans les procès. Lorsque déposition il y a, elle commence toujours par une présentation (plus ou moins longue) du parcours de vie de la personne concernée : lieu de naissance, identité des parents, lieu où l’accusée a grandi, ses résultats scolaires, sa formation professionnelle, sa situation maritale, si elle a déjà eu affaire à la justice. Cette partie est extrêmement importante, permettant aux juges, indépendamment de l’acte d’accusation, de catégoriser la personne, d’avoir une idée globale de sa « moralité », notion à laquelle l’idéologie national-socialiste attache beaucoup de crédit. Il s’ensuit un procès-verbal des autorités judiciaires qui résume ce qui a été dit. Parfois, lorsque la femme nie, ou qu’il y a des éléments contradictoires dans le dossier, l’accusée est entendue plusieurs fois. C’est souvent lors de cette deuxième ou troisième audition que les inculpées finissent par avouer ou ajouter des éléments nouveaux. C’est le cas par exemple pour Magdalena qui reconnaît dans un second temps que le père de l’enfant qu’elle a eu est bien un prisonnier de guerre français, alors qu’elle a caché son identité au Jugendamt543. Le cas de Kreszentia K. est également

541 « Richterbriefe – Mitteilungen des Reichsministers der Justiz – Nr. 6 vom 1. März 1943 » dans Richterbriefe. Dokumente zur Beeinflussung der deutschen Rechtsprechung 1942-1944, art cit. p. 88.

542 LAB A Rep 358-02/2076/4590.

177

intéressant car il montre le déroulé des auditions. Le prisonnier de guerre français concerné nie tout en bloc, jusqu’à ce qu’il soit confronté à la jeune femme. Kreszentia lui demande alors personnellement d’avouer leurs rapports sexuels pour essayer de minimiser sa peine. Il consent à sa demande et aurait alors « en larmes avoué qu’il a eu depuis cinq semaines des relations sexuelles avec Mme K544 ». Cette anecdote montre que les femmes sont vraisemblablement soumises à une pression psychologique très forte de la part des juges. Certaines disent lors de l’audience finale avoir avoué leur faute car les juges ne les ont pas crues lors des auditions. C’est le cas d’une femme accusée à Marburg : face à la Gestapo, elle déclare avoir avoué son acte seulement sous la pression545. Dans son étude sur la justice militaire à Marburg, Michael Eberlein pour sa part écrit que les sources ne nous permettent pas de savoir si la torture physique était pratiquée par la Gestapo pour intimider les accusées de Verbotener Umgang. Connaissant les méthodes de ce corps, l’hypothèse n’est pas exclue546. Julia Albert, ayant travaillé sur les travailleurs civils français face aux tribunaux berlinois, confirme cette piste. Les propos recueillis des travailleurs civils le sont parfois sous la pression ou en exerçant une violence physique. Le procès-verbal s’éloignerait de la déposition orale initiale en dissimulant ce type de pratiques547.

Le jugement

A l’issue du procès, le jugement est transcrit. Ce document est conservé dans les archives et une copie est envoyée aux différentes institutions partie prenante de la procédure. Il comporte les informations pratiques sur le procès, le type de cour qui l’a instruit (Amtsgericht, Landgericht, Sondergericht), le lieu, l’identité de la personne accusée, les juges présents, le