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Chapitre 2 – Contrôler : quelles normes raciales et juridiques pour la

2.1 La Volksgemeinschaft, une notion complexe

Le terme de Volksgemeinschaft n’échappe à aucun germanophone, en particulier s’il s’intéresse à l’histoire du national-socialisme, alors qu’en France il suscite un moindre intérêt. Nous reviendrons donc brièvement sur l’origine et l’évolution de cette notion.

a) Aux origines du terme

Notion-clé du national-socialisme, le terme de Volksgemeinschaft apparaît pourtant bien avant les années 1930, dès le XIXe siècle. Sa construction progressive et son utilisation reflètent les origines de cette idéologie, témoignant que celle-ci a prospéré à partir d’idées qui ont germé durant le siècle antérieur.

Les travaux de l’historien Norbert Götz confirment que le mot Volksgemeinschaft était utilisé dès le XIXe siècle en tant que terme scientifique dans différentes disciplines317. Une de ses premières utilisations en Allemagne est attestée dans un manuscrit de 1809 de Friedrich Schleiermacher, philosophe et théologien protestant, qui fait le lien entre la famille et la société dans une perspective religieuse318. Eloigné du sens que la Volksgemeinschaft aura au XXe siècle, le terme utilisé par Schleiermacher a néanmoins influencé le discours du philosophe Wilhelm Dilthey, qui à la fin du XIXe siècle, l’emploie afin de définir les processus de construction d’une nation sans classe dans une société civile319. Repris ensuite par des juristes, des linguistes, puis des historiens, ce terme prend de l’importance surtout pendant la Première Guerre mondiale320. Michael Wildt évoque l’« esprit de 1914 » (Geist von 1914) qui aurait incité la population allemande à être unie face à l’ennemi321. De même Jeffrey Verhey, qui a travaillé sur le terme de Volksgemeinschaft pour cette même période, se réfère à l’«Augusterlebnis » qui caractérise une vision utopique de l’entrée dans le conflit en 1914, s’accompagnant d’un sentiment d’enthousiasme vis-à-vis de la guerre (Kriegsbegeisterung). Le mot est principalement utilisé par la propagande pour montrer la participation active à la guerre (Kampfbereitschaft) et l’union du peuple322.

À la fin de la Première Guerre mondiale, le terme fait l’objet de débats intellectuels et

317 N. Götz, Ungleiche Geschwister, op. cit.

318 Manuscrit de Friedrich Schleiermacher cité dans: Ibid. p. 84. 319 Ibid. p. 84.

320 Ibid. p. 84-87.

321 M. Wildt, Volk, Volksgemeinschaft, AfD, op. cit. p. 52.

322 Jeffrey Verhey, Der « Geist von 1914 » und die Erfindung der Volksgemeinschaft, Hambourg, Hamburger

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différentes interprétations prennent forme, notamment au sujet de la différence entre inclusion et exclusion. Les uns défendent l’aspect d’unification qui s’opère au sein du peuple dans son ensemble, tandis que les autres s’intéressent à l’exclusion de « l’ennemi intérieur » (Innerer Feind) d’une partie de la population323. La politique s’est ensuite emparée de ces débats et le terme est utilisé par tous les partis politiques, des anarchistes aux libéraux en passant par les sociaux-démocrates. Michael Wildt cite par exemple un article rédigé en novembre 1918 par Hugo Preuß, juriste libéral de confession juive, qui développe l’idée qu’une démocratie moderne ne doit pas passer par le combat entre classes sociales, dont l’une opprimerait l’autre, mais par « l’unité et l’égalité de tous les Volksgenossen ». À l’aube de la République de Weimar, cette union du peuple est interprétée comme la base de la démocratie324. La Volksgemeinschaft devient alors le symbole de l’unité du début de la guerre en 1914, une sorte de mythe, un paradis perdu (goldene Vergangenheit), semblable à un remède qui permettrait de soigner la société allemande325. Néanmoins, si le terme est revendiqué par tous, Janosch Steuwer indique que les différentes définitions qu’il recouvre sont très variables. La diversité des conceptions à son sujet entre les partis d’extrême droite et les démocrates est particulièrement intéressante car elle marque encore plus clairement qu’auparavant la distinction, dans sa définition même, entre l’inclusion et l’exclusion326.

Michael Wildt, qui s’est intéressé de près à ce concept, explique que les autorités politiques pendant la République de Weimar ont mis l’accent sur un vivre-ensemble harmonieux (harmonisches Zusammenleben), tandis que les partis de droite valorisent au contraire les frontières, l’exclusion327. L’utilisation du terme de Volksgemeinschaft chez les socialistes est donnée en exemple par Michael Wildt. Il cite notamment Friedrich Ebert, premier Président de la République de Weimar, qui aurait évoqué la nécessité de la Volksgemeinschaft afin de garantir l’unité, la cohérence et l’auto-affirmation du peuple (Selbstbehauptung). Ce sont cependant surtout les démocrates libéraux, dont Hugo Preuß, qui utilisent ce terme. Le slogan du Parti démocrate allemand (Deutsche Demokratische Partei, DDP) en témoigne : « La démocratie signifie le dépassement du concept de lutte des classes grâce à la Volksgemeinschaft328 ». La politique de ce parti vise à effacer les différences entre « les

323 Steffen Bruendel, Volksgemeinschaft oder Volksstaat. Die « Ideen von 1914 » und die Neuordnung Deutschlands im Ersten Weltkrieg, Berlin, Akademie Verlag, 2003. Ici p. 102.

324 M. Wildt, Volk, Volksgemeinschaft, AfD, op. cit. p. 54.

325 Janosch Steuwer, « Was meint und nützt das Sprechen von der “Volksgemeinschaft” ? Neuere Literatur zur

Gesellschaftsgeschichte des Nationalsozialismus », Archiv für Sozialgeschichte, 2013, vol. 53. p. 497.

326 Ibid.

327 Frank Bajohr et Michael Wildt, Volksgemeinschaft : neue Forschungen zur Gesellschaft des Nationalsozialismus, Francfort-sur-le-Main, Fischer-Taschenbuch-Verl., 2009. Ici p. 36.

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nationaux et les marxistes, entre la ville et la campagne, entre les races, les confessions et les classes329 ». Néanmoins, ce concept a été très vite approprié par les partis de droite. Theodor Heuss, élu député au DDP en 1919, met en garde dès 1920 contre l’ambiguïté du terme330 : « On trouve désormais dans nos discussions politiques un mot qui résonne bien : celui de "Volksgemeinschaft". […] Mais nous voyons, à quel point ce mot est détourné de son sens premier, et devient ou tend à devenir, un instrument qui se retourne contre la démocratie ». En effet, pour les conservateurs ce terme prend une autre signification. Tout d’abord le Parti populaire national allemand (Deutschnationale Volkspartei, DNVP) émet l’idée que la Volksgemeinschaft n’est pas définie par un Etat, mais par un peuple, car : « la Volksgemeinschaft unit tous les Allemands à l’étranger331 ». Le DNVP s’associera avec le NSDAP pour fonder le « Harzburger Front » en octobre 1931 afin de s’opposer au cabinet Brüning, en revendiquant la suprématie d’un État national fort, qui lui seul serait bénéfique pour la Volksgemeinschaft. Il est ainsi attendu des membres de la communauté, les Volksgenossen, qu’ils remplissent leurs devoirs en acceptant le pouvoir étatique. Dans ce contexte, la Volksgemeinschaft était pour les nationaux-socialistes un moyen de lutte contre la démocratie de Weimar 332.

Le NSDAP se définit en effet comme un parti du peuple qui transcende les classes. Michael Wildt illustre cette idée à travers un exemple de participation locale du NSDAP dans le Sud-Ouest de l’Allemagne : le parti veut intégrer « tous les "Volksgenossinnen et Volksgenossen", qu’ils soient catholiques ou protestants, agriculteurs ou artisans, commerçants ou ouvriers, hommes ou femmes333 ». Néanmoins dès 1920 dans son programme, on peut lire explicitement que : « Ne peut être citoyen, qu’un "Volksgenosse". Ne peut être "Volksgenosse", que celui qui est de sang allemand, sans considérer sa religion. Aucun juif ne peut donc être Volksgenosse334 ». A la différence du cadre de réflexion établi en 1914 pendant le Augusterlebnis qui englobait tous les Allemands, juifs et sociaux-démocrates compris, l’attention se porte désormais sur ceux qui ne peuvent pas faire partie de la Volksgemeinschaft,

Volk, Volksgemeinschaft, AfD, op. cit. p. 61. 329 Ibid. p. 61.

330 « Nun ist in unsere politische Diskussion hineingekommen ein Wort mit schönem Klang:

« Volksgemeinschaft ». […] Aber wir sehen, wie dieses Wort « Volksgemeinschaft », kaum dass es seinen Weg aufnahm, nun ein Instrument werden soll oder will, das man gegen die Demokratie ausspielt » Discours de Theodor Heuss au Nürnberger Parteitag du Parti Démocrate Allemand, 1920 cité dans : Ibid. p.64.

331 « Denn enge Volksgemeinschaft verbindet uns mit allen Deutschen im Auslande » cité dans : N. Götz, Ungleiche Geschwister, op. cit. p. 98.

332 « Die Volksgemeinschaft war bei den Nationalsozialisten gerade ein Kampfbegriff gegen die Weimarer

Demokratie » dans : Ibid. p. 100.

333 « Allen « Volksgenossinnen und Volksgenossen », ob Katholik oder Protestant, Bauer oder Handwerker,

Kaufmann oder Arbeiter, Mann oder Frau, die Einladung zur Mitwirkung eröffneten » dans : M. Wildt, Volk,

Volksgemeinschaft, AfD, op. cit. p. 66.

334 « Staatsbürger kann nur sein, wer Volksgenosse ist. Volksgenosse kann nur sein, wer deutschen Blutes ist ohne

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plutôt que de savoir qui appartient à la communauté. En ce sens, les historiens s’accordent sur le fait que le terme de Volksgemeinschaft n’était pas seulement utilisé dans un sens démocratique335. Si l’orientation de ce mot est surtout définie selon le parti qui l’utilise, il porte en son sein cette dualité entre inclusion et exclusion, car s’unir signifie le plus souvent s’unir contre.

A l’aube de la prise du pouvoir par les nationaux-socialistes en 1933, la Volksgemeinschaft est donc déjà populaire et n’appartient pas aux seules formations de droite. Bien au contraire, ce terme est employé de façon positive et est alimenté par la volonté de se rassembler et de former une communauté unie. La popularité du mot s’étend jusque dans les sphères étudiantes. S’insurgeant contre la politique, l’un de ses représentants déclare ainsi que ce ne sont pas les mots qui « peuvent [les] sauver », mais seulement « la volonté d’être un peuple, la volonté de marcher sur le chemin de l’amour, l’entraide et l’honnêteté336 ». Ce qui se cache sous cette notion de Volksgemeinschaft au temps du national-socialisme est pourtant bien loin des valeurs précédemment mentionnées.

b) Utilisation du terme au temps du national-socialisme

Norbert Götz montre que les nationaux-socialistes se sont emparés du terme Volksgemeinschaft au point de falsifier ses origines et d’affirmer ouvertement que ce mot n’existait pas dans « l’ancienne Allemagne » (im alten Deutschland), qu’il était absent des dictionnaires. Fritz Reinhardt, secrétaire d’Etat au Ministère du Reich des finances, affirme ainsi que la notion de Volksgemeinschaft « aurait été forgée et que l’esprit contenu dans ce mot, […] [aurait été] instillé dans le cerveau et le cœur des Allemands [seulement] grâce à l’homme, qui est [le] Führer de tous : Adolf Hitler ». Pour Norbert Götz il s’agit là d’une tentative d’appropriation qui passe sous silence les différentes acceptions du mot, répandu notamment sous la République de Weimar alors que presque tous les partis le revendiquaient pour défendre des idées politiques très éloignées du national-socialisme337.

Si la Volksgemeinschaft n’est pas née avec le Führer, il est vrai néanmoins que sa signification a pris un tournant nouveau après 1933. En effet à partir de cette date, la

335 Sur ce point, voir N. Götz, Ungleiche Geschwister, op. cit. p.100. et J. Steuwer, « Was meint und nützt das

Sprechen von der „Volksgemeinschaft“? », art. cit. p. 499.

336 « Nicht Worte können uns retten, sondern nur der Wille zur Volksgemeinschaft, der Wille, den Weg der Liebe,

des Dienens und der Ehrlichkeit zu gehen » dans : N. Götz, Ungleiche Geschwister, op. cit. p. 104.

337 « Der Begriff sei erst « geprägt worden und der Geist, den dieses Wort in sich schließt, […] in die Hirne und

Herzen der Deutschen geträufelt worden durch den Mann, der unser aller Führer ist : durch Adolf Hitler » » Fritz Reinhardt cité dans : Ibid. p. 110.

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Volksgemeinschaft ne fait plus seulement partie de la sphère politique mais recouvre différents aspects, qui touchent notamment à la sphère privée, ce qui a son importance pour notre étude.

Forme d’intégration sociale

Un des aspects revendiqués par les nationaux-socialistes est le caractère « socialiste » de la nouvelle société à édifier : tous ses membres peuvent et doivent être actifs au sein de la Volksgemeinschaft, sans distinction de sexe, de classe, ou d’environnement social. Les frontières ne font désormais plus forcément sens, puisque la Volksgemeinschaft englobe également les « Allemands d’origine » résidant sur d’autres territoires. Cette idée justifie la politique d’expansion qui sera menée pendant la Seconde Guerre mondiale. Les membres de cette société, qui se sont éparpillés, doivent se rassembler pour reformer un ensemble fondé sur une ascendance raciale pure. De là découle le « Grand Reich germanique » qui désigne le territoire du Reich allemand ainsi que les territoires conquis, mais également les territoires à conquérir dans le futur pour disposer d’un « espace vital » (Lebensraum)338. Pour entretenir ce « Grand Reich germanique », la propagande axe notamment ses propos vers l’idée d’un « corps du peuple » (Volkskörper) à entretenir. Michael Wildt écrit à ce sujet :

« Les "Volksgenossen" n’étaient pas des citoyens avec des droits de liberté garantis, il ne s’agissait pas de l’égalité des individus. Bien au contraire le peuple constituait le centre de la Volksgemeinschaft, et cela en tant que "Corps du peuple" [Volkskörper] en termes organiques et biologiques. "Tu n’es rien, ton peuple est tout" revendiquait la pensée fondamentale du régime. La Volksgemeinschaft ne se caractérisait pas par un arrêt égalitaire, mais par une mobilisation raciste, non pas par un socialisme national, mais plutôt par une amélioration des performances en faveur du développement du « corps du peuple » allemand339».

La communauté forme donc un tout et n’est plus pensée en termes d’individus réunis en

338 Voir entre autres : Hans-Adolf Jacobsen, « Kampf um Lebensraum. Zur Rolle des Geopolitikers Karl Haushofer

im Dritten Reich », German Studies Review, 1981, vol. 4 ; Peter Jahn, Florian Weiler et Daniel Ziemer, Der

deutsche Krieg um « Lebensraum im Osten » 1939–1945, Berlin, Metropol, 2017 ; Olivier Le Cour

Grandmaison, Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial, Paris, Fayard, 2005.

339 « « Volksgenossen » waren keine Bürger mit verbrieften Freiheitsrechten, es ging nicht um Gleichheit von

Individuen. Vielmehr bildete das Volk, und zwar im organisch-biologistischen Sinn als « Volkskörper », das Zentrum der Volksgemeinschaft. « Du bist nichts, dein Volk ist alles » lautete der Kernsatz des Regimes. Nicht egalitärer Stillstand, sondern rassistische Mobilisierung kennzeichnete die Volksgemeinschaft, nicht nationaler Sozialismus als vielmehr Leistungssteigerung zugunsten der Entwicklung des deutschen « Volkskörpers » » dans : M. Wildt, Volk, Volksgemeinschaft, AfD, op. cit. p.76.

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groupe, mais comme un groupe devenant individualité. Ce Volkskörper est vivant, et comme un corps organique, il doit être entretenu et « soigné » pour produire le meilleur de lui-même et de ses capacités.

Cette notion conduit donc à une forme d’intégration sociale, les « bons éléments » étant jugés essentiels au fonctionnement de cette entité. La Volksgemeinschaft doit protéger et unir les membres qui la composent. Elle s’apparente à un ensemble qui doit laisser à l’extérieur ceux qui pourraient s’avérer nocifs pour elle. Son bon fonctionnement justifie les aides sociales accordées aux femmes qui ont des enfants en grand nombre et en bonne santé. Ces aides accordées aux familles nombreuses, aux couples qui se marient, et aux femmes prêtes à rester dans leur foyer au lieu d’aller travailler sont un instrument politique qui permet de « produire » des Allemands sains340. En somme, ces actions concrètes d’intégration sociale permettent en réalité d’entretenir la Volksgemeinschaft. Le corps des femmes allemandes a donc une fonction explicite dans l’organisation de la société. A contrario, pour garder une Volksgemeinschaft saine, il faut en éliminer les « mauvais éléments ».

Exclusion

La Volksgemeinschaft est construite avant tout en opposition à ceux qui en sont exclus. Un des problèmes de définition de cette notion est en effet que ce terme est donné comme s’il signifiait de façon évidente qui en « fait partie », alors que ce sont les nombreuses réglementations et restrictions qui en interdisent l’accès à certains groupes qui permettent d’en comprendre le fonctionnement. En ce sens, la Volksgemeinschaft constituerait tout ce qui reste une fois retranchée la somme de toutes les personnes à exclure selon l’idéologie national- socialiste. Les mécanismes d’inclusion/exclusion sont considérés comme la clé du système de la Volksgemeinschaft. Les théories raciales issues du XIXe siècle, tout comme le terme de Volksgemeinschaft, structurent l’idéologie national-socialiste en établissant une catégorisation de valeurs. Les individus qui ne font pas partie du haut du panier sont à exclure et/ou éliminer. C’est le cas des Juifs qui seront exterminés dans le cadre de la Shoah, mais aussi des tziganes, homosexuels, handicapés mentaux, communistes, asociaux ou Fremdvölkische341. Avant d’unir,

340 B. Kundrus, Kriegerfrauen, op. cit.

341 Se référer entre autres à : Hans Mommsen, Das NS-Regime und die Auslöschung des Judentums in Europa,

Göttingen, Wallstein, 2014 ; Georges Bensoussan, Histoire de la Shoah, Paris, Presses universitaires de France, 2006 ; Emmanuel Filhol, La mémoire et l’oubli : L’internement des Tsiganes en France, 1940-1946, Paris, L’Harmattan, 2004 ; Régis Schlagdenhauffen, Triangle rose : La persécution nazie des homosexuels et sa

mémoire, Paris, Autrement, 2011 ; Alexander Zinn, « Aus dem Volkskörper entfernt » ? Homosexuelle Männer im Nationalsozialismus, Francfort-sur-le-Main, Campus, 2018.

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la Volksgemeinschaft élimine donc, et cette exclusion nourrit probablement encore plus ce sentiment d’appartenance à la communauté. Jochen Oltmer écrit dans cette perspective que l’exclusion dépeint le revers inévitable de l’inclusion342. Pour reprendre le concept de Volkskörper, pour que cette entité fonctionne au mieux en termes de productivité (concept de Leistungsgemeinschaft), il faut qu’elle soit débarrassée des éléments non-sains.

Dans le même sens, Birthe Kundrus illustre les mécanismes d’inclusion/exclusion à l’aide de l’exemple concret de la politique de l’ethnisme (Volkstumspolitische) dans le Gau du pays de la Warta et dans le Gouvernement général de Pologne343. L’auteure montre que l’appartenance à la Volksgemeinschaft dépend d’une hiérarchie ethnique et non pas de la nationalité. Ces données posent du même coup des problèmes dans la constitution de la Volksgemeinschaft. Alors que la haine envers le « Polonais » est propagée, certains « Polonais », non slaves, sont pourtant acceptés au sein de la Volksgemeinschaft car ils correspondent aux critères raciaux du Reich344.

Relations entre la société et le système politique

Une des grandes problématiques du national-socialisme se concentre sur la participation, active ou non, du peuple au système politique. Michael Wildt montre que la pratique d’exclusion, voulue par le régime, n’a pu être menée à bien que par le changement en amont de la société non-juive. Pour lui, l’application de pratiques de violences extrêmes au niveau local est toute aussi essentielle à la Volksgemeinschaft que les mesures officielles prises par l’État345. Parmi les formes de participation active à la société national-socialiste, on citera, pour rappel, les Hitlerjugend, le BDM, la NSF ou encore le DFW pour les femmes, mais également l’intégration à des partis politiques : DAF ou NSDAP.

La société est donc constamment stimulée pour faire partie de la communauté et la question de l’approbation (Zustimmung) du régime par la société en découle. Peter Fritzsche a analysé la Volksgemeinschaft sous l’angle de cette notion d’approbation, en mettant en avant le fait que si elle a été aussi populaire sous le régime national-socialiste, c’est parce que ce n’était pas une idée spécialement nazie, qu’elle n’était pas perçue comme quelque chose de nouveau346. 342 « Exklusion bildete die unabdingbare Kehrseite der Inklusion » dans : J. Oltmer, Nationalsozialistisches

Migrationsregime und « Volksgemeinschaft », op. cit. p.19.

343 Birthe Kundrus, « Regime der Differenz : volkstumspolitische Inklusionen und Exklusionen im Warthegau und

im Generalgouvernement 1939-1944 » dans Volksgemeinschaft : neue Forschungen zur Gesellschaft des

Nationalsozialismus, Francfort-sur-le-Main, Fischer-Taschenbuch-Verl., 2009, p. 105-123. 344 Ibid. p. 116.

345 M. Wildt, Volk, Volksgemeinschaft, AfD, op. cit. p.78-79.

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Frank Bajohr, quant à lui, analyse ce phénomène en parlant d’un « mélange spécifique de contrainte et d’approbation » qui aurait permis au régime national-socialiste de s’imposer. « La base de sa légitimité est la "Volksgemeinschaft" » et ce processus aurait ainsi mené la société allemande à être partie prenante du pouvoir national-socialiste347. L’omniprésence de cette notion se fait donc sentir au quotidien. L’écrivain allemand Victor Kemplerer écrit ainsi dans son journal de bord en 1933 :

« L’utilisation du terme Volk à l’oral et à l’écrit est de nos jours aussi banale qu’ajouter du sel quand on mange, il y a une pincée de Volk pour tout : Volksfest, Volksgenosse,