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Après avoir franchi la trappe, Mélina descend dans les escaliers de la vieille cave de terre. Elle promène son regard au fur et à mesure qu’elle avance dans la pièce, faiblement éclairée par des chandelles. On voit un grand chaudron bouillonner au-dessus d’un vieux poêle. Sur la table, près du poêle, gisent de vieux bouquins, des outils de cuisine anciens et quelques morceaux de plantes bouillies, reposant dans une passoire. Bref, l’atmosphère est plutôt sombre et inquiétante.

Curieuse, Mélina se dirige vers l’une des armoires, au fond de la pièce, et tente d’ouvrir les panneaux, mais ceux-ci sont barrés. Elle s’en va ouvrir les panneaux d’une autre armoire et y découvre avec horreur des pots de cultures d’insectes et de champignons. Des scolytes s’échappent de l’un des pots et parviennent à sauter sur Mélina avant qu’elle ne puisse fermer les panneaux. Apeurée, elle secoue ses vêtements et les insectes finissent par tomber par terre.

33 SOPHIA (V.O.)

(qui s’était approchée d’elle sans faire de bruit) Que fais-tu là ?

Mélina émet un CRI et se retourne vers Sophia. Sa respiration est très forte; ses yeux tremblent de peur. Voyant le malaise de Mélina, Sophia se met à rire très fort.

SOPHIA

Tu as enfin osé revenir ici toute seule… c’est bien. Tu es prête.

Elle se dirige vers la marmite pour en humer les odeurs qui s’échappent. Elle tourne la tête vers Mélina et pointe un meuble avec son doigt.

SOPHIA

Tu peux aller me chercher le miel et l’alcool, là-bas ?

Mélina, encore sous le choc, se met à respirer plus calmement et se dirige vers le vieux meuble en bois. Elle ouvre les panneaux, voit des pots remplis d’alcool et de plantes en train de macérer, puis attrape une des bouteilles d’alcool et le pot de miel dans le bas du meuble, qu’elle va donner à sa maîtresse.

Pendant que Sophia verse et remue le liquide dans la marmite fumante, Mélina observe les mains de cette dernière (dont il est rare de les voir dépourvues de gants) : elles sont longues et semblent abîmées par le temps et le travail.

SOPHIA

(elle relève ses yeux vers Mélina)

Tu te rappelles le rêve que j’ai fait, à l’automne ? C’était au forestier que j’avais rêvé.

Mélina regarde Sophia dans les yeux, confuse et n’osant rien répondre. Elle remarque son maquillage en train de fondre à cause des vapeurs chaudes qui émanent de la potion, laissant paraître ses marques de vieillesse. Mélina se détache de Sophia en marchant lentement, tout en la regardant étrangement du coin de l’œil.

SOPHIA

Il voudrait que tu fasses partie de sa vie. Mais moi, je sais que tu pourrais avoir un meilleur destin.

Mélina arrête de marcher et se tourne vers Sophia, qui la fixe intensément de ses yeux. Elle s’éloigne de son chaudron tout en gardant la louche dans sa main et s’approche de Mélina, le regard de plus en plus enflammé.

SOPHIA

Oui… tu seras une grande guérisseuse, comme moi... Tu sauras tout. Tous les secrets de la nature, de la vie, de la mort. Plus rien ni personne ne te fera peur.

Son emportement effraie quelque peu Mélina, qui affiche à la fois de la méfiance et de la répugnance. Sophia revient vers le chaudron pour y tremper sa louche.

SOPHIA

(elle tend la louche vers Mélina) Bois, maintenant.

Mélina hésite un peu et finit par prendre la louche tout en regardant intensément sa maîtresse. Elle hume le liquide foncé et son visage semble envahi par le doute.

SOPHIA

N’aie pas peur. C’est un antifongique. Ça sert à rien de traiter à l’extérieur. Tout vient de l’intérieur.

Mélina hésite un peu et en boit quelques gorgées, sous le regard ardent de Sophia. Cette dernière sourit de manière inquiétante.

36. INT. ARRIÈRE-BOUTIQUE DE SOPHIA Ŕ JOUR

Alors que Sophia est en train de refermer la trappe, Mélina s’en va vers la table pour ranger ses affaires, ainsi que le petit pot renfermant la potion antifongique. La jeune femme semble émotive et atterrée. À son bureau, Sophia en profite pour se poudrer le visage devant un petit miroir, replacer un peu sa coiffure et mettre ses longs gants noirs. Après avoir rangé son maquillage, elle se retourne vers la jeune femme, qui émet discrètement quelques sanglots.

SOPHIA Mélina, viens ici.

Mélina hésite un peu, puis vient retrouver Sophia en marchant lentement, les yeux pleins d’eau. Cette dernière se lève, s’approche d’elle et la prend dans ses bras; Mélina la serre aussi, malgré le malaise.

SOPHIA

Ma petite Mélina, tu peux pas savoir à quel point je tiens à toi… Tu représentes beaucoup pour moi.

MÉLINA

(en se détachant de Sophia) Je l’sais.

Sophia, surprise de la réaction froide de Mélina, remarque aussi que cette dernière n’a pas l’air de bien aller.

SOPHIA Mais tu es toute blême, pauvre chérie…

Elle va vers la cuisinette pour remplir un verre d’eau. Elle revient ensuite pour lui donner, puis lui avance une chaise, près de son bureau. Mélina essuie la sueur qui couvre son front.

35 SOPHIA

Viens t’asseoir un peu, ça va te faire du bien. Le processus de guérison est entamé. Laisse-le agir sans craintes.

Sophia s’assoit dans son siège, prend un paquet de cartes anciennes, les brasse et en sort trois. SOPHIA

(Pendant qu’elle parle, on voit les cartes)

La carte du ciel, du chaos et de la terre. Il va y avoir un grand orage... Le ciel va se déchaîner… au-dessus de toi... Et je vois, en dessous, une terre ravagée… stérile. Les hommes ont fait beaucoup de mal à la terre. Il faudra que tu apprennes à te protéger, à être plus forte. Tu devras développer tes dons avec les plantes pour ta survie et ta guérison… et celle des autres.

(elle la regarde dans les yeux)

Il est temps pour toi de devenir une vraie femme, comme ta mère aurait voulu… une femme forte, sage, indépendante. Mélina se met à trembler et à avoir chaud; sa respiration devient tendue.

SOPHIA

Les hommes ne méritent pas ton amour, Mélina. Regarde ce qu’ils ont fait à ton corps… Et tu voudrais te rendre malade à leur faire des enfants ? Comme l’a fait ta mère, en mourant en couches ?

Mélina la regarde avec des yeux tristes et désespérés. Après un moment, Sophia se lève et, sous l’emportement et l’indignation, continue son discours tout en circulant dans la pièce :

SOPHIA

De toute façon, ça sert à rien de faire des enfants dans un monde comme aujourd’hui. Il y a beaucoup trop de désordre. L’humanité aura besoin de femmes comme nous pour guérir.

Elle voit Mélina qui semble étourdie et qui a du mal à rester debout, et va la retrouver. SOPHIA

Ça va, tu as un trop-plein d’émotions. Détends-toi. Viens t’étendre un peu…

MÉLINA

(elle panique de plus en plus, a des sueurs)

J’suis toute étourdie… j’sens que j’vas être malade ! Oh… mais… qu’est-ce que tu m’as encore fait ?

SOPHIA

(avec émotion, désespoir)

Ce que je te fais ? Je te guéris de ta folie des hommes ! Je guéris le mal en toi, dans ton cœur, dans ton corps et ton â…

MÉLINA

Mais c’est pas le forestier, le problème ! Tu sais c’est qui. SOPHIA

(elle fronce les sourcils)

Mais… c’est une veille histoire, ça ! C’est du passé maintenant. Tout a été nettoyé…

(de plus en plus mal à l’aise, comme si le souvenir était tout aussi douloureux pour elle que pour Mélina) Je veux plus qu’on en parle.

MÉLINA

(elle s’agenouille par terre, paralysée par la douleur) Mais…. comment tu peux penser que j’pourrais oublier tout ça ?

(elle sent soudain un grand mal dans son ventre) Oh non... j’pense que j’vas vomir... !

Elle se dirige vers Mélina avec empressement, s’agenouille près d’elle et lui caresse le dos. SOPHIA

Calme-toi, calme-toi… ce sont les mauvais souvenirs qui sortent. Tu dois avoir confiance en nous si tu veux guérir. Rappelle-toi, je t’ai toujours aidée. Tu serais perdue aujourd’hui si je t’avais pas sauvée des hommes.

(elle regarde au loin, perdue dans ses visions)

Moi, si je suis devenue ce que je suis, c’est parce que j’ai compris tout le pouvoir qu’il y avait en nous. Tu dois apprendre à te contrôler… à tout contrôler.

La crise de Mélina s’atténue; sa respiration devient moins tendue et elle éprouve quelques frissons. Elle se met à pleurer; Sophia, elle aussi émue, l’enlace de ses bras pour la réconforter.

37. EXT. FORÊT MAGIQUE (SAINT-NARCISSE), DÉBUT ÉTÉ Ŕ NUIT

[SUITE DU DERNIER CAUCHEMAR DE MÉLINA] : On voit Sophia, vieille et morte, gisant sur le sol forestier. Un Grand Pic se pose sur elle et se met à picorer les insectes qui la tapissent : des fourmis, des scarabées, des coléoptères, etc. Mélina reste figée non loin de là, troublée par la vision d’horreur du cadavre et du pic avec son bec qui dégouline de sang.

MÉLINA (hurlant) Maman ! MAMAN !

37 38. INT. CHAMBRE D’ÉRIC Ŕ JOUR

Des mois ont passé et nous sommes maintenant rendus au début du mois d’avril. Mélina est couchée dans le lit avec Éric; celui-ci la réveille en la brassant doucement.

ÉRIC Réveille-toi, t’es en retard !

Elle ouvre les yeux, toute en sueurs, et se relève à l’aide de ses bras. Elle semble inquiète et confuse. Éric, n’ayant pas remarqué la détresse dans ses yeux, lui donne un baiser sur l’épaule, lui caresse les cheveux et se lève du lit pour se dépêcher de s’habiller. Elle tente d’émettre quelques sons, mais a mal à la gorge et cela la fait tousser. Épuisée, elle se laisse retomber sur le dos et remarque tout à coup une marque rouge sur son thorax, que les draps du lit ont découvert, ce qui la dégoûte et la décourage encore plus.