• Aucun résultat trouvé

L'Arbre-Mère : Scénario original de fiction (long métrage) ; Suivi de l'essai : la représentation symbolique de l'orme d'Amérique dans L'Arbre-Mère

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "L'Arbre-Mère : Scénario original de fiction (long métrage) ; Suivi de l'essai : la représentation symbolique de l'orme d'Amérique dans L'Arbre-Mère"

Copied!
188
0
0

Texte intégral

(1)

L’Arbre-Mère

Scénario original de fiction (long métrage)

Suivi de l’essai

La représentation symbolique de l’orme

d’Amérique dans L’Arbre-Mère

Mémoire

Frédérique Caron-Doucet

Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l’écran

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

(2)
(3)

iii

Résumé

La représentation symbolique de l’orme d’Amérique dans

L’Arbre-Mère

Qu’en est-il de l’image des arbres en création et dans l’imaginaire humain? Qu’en est-il plus précisément de la valeur poétique de l’orme d’Amérique dans notre culture, notre patrimoine? Se pourrait-il qu’il eût été jadis le roi de nos forêts, l’emblème d’un Québec fort et souverain, ayant aussi peuplé les visions de nombre de gens et d’artistes québécois? Ses représentations dans la littérature, la peinture et le cinéma en ont fait une légende qui a pris encore plus d’importance depuis les ravages de la maladie hollandaise de l’orme. Il reste que cet arbre possède en lui toute une histoire tragique, cependant porteuse d’un grand message de vie et d’espoir qui a aussi inspiré le scénario L’Arbre-Mère. En passant par la ville de Québec et le village de Saint-Narcisse-de-Rimouski, l’orme fait l’objet d’une représentation symbolique riche et grandiose propre à tout le déploiement dramatique de L’Arbre-Mère et au devenir-féminin de Mélina.

Cet essai est précédé du scénario :

L’Arbre-Mère

Mélina, une jeune femme sensible et mélancolique, travaille pour Sophia, une herboriste étrange et manipulatrice. Mélina se met alors à fréquenter Éric, un forestier avec qui elle partage un lien spirituel avec les arbres et qui lui redonne une joie de vivre. De mauvais souvenirs finissent toutefois par rattraper Mélina et la rendre malade; elle décide donc d’aller séjourner à la campagne, où elle découvre un grand orme dans une forêt magique. Elle restera mystérieusement prisonnière dans l’arbre pour guérir et affronter des visions de son passé. Une fois libérée, elle retrouve Éric et ils réalisent leur retour à la terre longtemps désiré. Entre-temps, Mélina, enceinte, décide d’aller affronter une dernière fois Sophia, qui n’était qu’un reflet de son propre démon intérieur. Mélina pourra enfin mettre au monde son fils, leur destin étant lié à jamais, avec Éric, à celui de l’orme.

(4)
(5)

v

Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières... v

Remerciements ... ix

Avant-propos ... xi

Note sur le scénario ... xiii

L’Arbre-Mère ... 1

La représentation symbolique de l’orme d’Amérique dans L’Arbre-Mère ... 117

Introduction ... 117

I- Arbres, forêts et territoires modèles ... 119

Le drame de la maladie hollandaise de l’orme ... 122

Le processus de contamination de la graphiose ... 123

Des régions reliées ... 123

L’orme d’Amérique comme emblème ... 125

II- Arbre mythique ou politique? ... 127

L’arbre le plus près de l’homme ... 127

Un individu communautaire... 129

Un refuge pour l’être ... 130

Un arbre masculin ou féminin? ... 131

De l’expression mythique de l’arbre ... 132

Un espace imaginaire ... 134

À la recherche d’un arbre québécois modèle ... 135

L’orme dans l’Histoire ... 138

III- Pour une diversité d’approches artistiques et de significations communes à l’orme d’Amérique ... 139

Marie-Victorin : la Voix de l’arbre et la Voie de l’homme ... 139

L’arbre de prédilection de Marc-Aurèle Fortin ... 146

L’arbre aux multiples poésies ... 150

Catherine Martin : l’arbre des villes ... 155

IV- L’orme d’Amérique comme élément central du récit de l’Arbre-Mère ... 157

Tout est dans la voix ... 157

Le récit dans l’orme et l’orme dans le récit ... 158

Tableau 1 : Plan des trois actes ... 158

Tableau 2 : Types de devenir ... 159

Problème éthique?... 162 Conclusion ... 165 Médiagraphie ... 167 Ouvrages de référence ... 167 Ouvrages divers ... 167 Autres documents ... 168 Sites internet... 168 Documents en ligne ... 169

(6)

Reportages ... 170 Filmographie ... 170

(7)

vii

Fatigué des vains bruits que font les hommes, je me tourne vers l’arbre. Je me pénètre de l’essence de sa forme et je suis sensible à la vie qu’il projette sur moi. Je le vois vivre et agir, lui que l’on dit immobile. Je lui parle, à lui que l’on dit sourd, et j’entends sa réponse, lui que l’on dit muet.

Frère Marie-Victorin

(8)
(9)

ix

Remerciements

Une reconnaissance toute particulière pour mon directeur Jean-Pierre Sirois-Trahan qui m’a accueillie en début de parcours, faisant aussi de lui un bon guide insoupçonné pour la création, avec son savoir lumineux. Merci également aux professeurs et membres du jury Sophie Beauparlant et Neil Bissoondath, qui m’ont éclairée à plusieurs étapes de ma démarche artistique grâce à leurs conseils et encouragements. Une petite pensée aussi pour Richard St-Gelais, mon directeur de programme, qui m'a introduite dans cette aventure, et à Jean-Noël Pontbriand, pour ses visions poétiques plus grandes que nature. Merci à vous tous d’avoir rendu possible la réalisation de ce projet dans un tel cadre universitaire.

Tout au long de ce projet, nombre de gens passionnés m’ont partagé leur savoir et leurs idées, véritables richesses qui ont su nourrir mon imaginaire et renforcer les fils dramatiques de

L’Arbre-Mère, ou encore toute la trame savante de l’essai. Cela m’aura aussi permis de traiter,

par exemple, des notions de foresterie, d’herboristerie et d’agriculture de la manière la plus réaliste possible pour la composition du scénario, même si elles tiennent avant tout de la fiction, tout comme les personnages et la plupart des lieux.

Je salue donc avec gratitude ces forestiers et scientifiques qui ont judicieusement orienté mes recherches; je pense notamment à mon frère Jérôme et à ma tante Andrée pour avoir entre autres partagé leur vision de l’orme d’Amérique, ainsi qu’au professeur Louis Bernier pour ses innombrables connaissances sur cet arbre. Merci également à Marco Bellavance, Charles Tremblay, Stéphane Poirier, Bob Eichenberger et Jean-Sébastien Leduc (pour ne nommer que ceux-là) pour leur aide inspirante. Sans oublier le frère Marie-Victorin, dont la nature et les arbres étaient peut-être sa plus grande religion.

Je songe également à tous ces herboristes, dont Chantal Dufour, qui m’ont tant appris et qui maintiennent vivante cette poésie millénaire, cachée en chaque plante. Et aussi, à ceux qui m’ont guidée dans l’exploration de lieux campagnards : Daniel Bélanger pour le légendaire Fond d’ormes, Réal Bélanger et Lucie Chenard pour leurs magnifiques coins sauvages. Enfin, je remercie grandement Esther Pelletier, Sébastien Gagné et Brigitte Lacasse pour l’élaboration

(10)

de l’histoire et l’écriture scénaristique. Une mention toute spéciale à Pierre-Luc Laganière, qui a lu et relu mes scènes avec tant de patience.

Merci encore une fois à tout le monde de m’avoir guidée grâce à votre expertise, vos critiques et réflexions. Je remercie du fond du cœur toutes ces personnes qui ont aussi contribué de près ou de loin à l’écriture de ce mémoire (ne serait-ce que par leur précieux soutien et enthousiasme): Ann-Amélie Morissette, Charles Laviolette, Alexandre Sheldon, Martin Poirier, Philippe Anthony Jean, Guy Caron, Antoine Richard, Mélina Castonguay, Jean-Michel Robert, Stéphane Roy, Marie-Lou Grenier, Mathieu Simoneau et Christine Gilliet, au risque d’en oublier d’autres…

Pour finir, je témoigne ma profonde reconnaissance à mes parents qui m’ont aidée et soutenue à différents moments, et aussi à Michel Marcheterre et à Nicolas Falcimaigne, sans qui je n’aurais pu poursuivre si loin ce long chemin; grâce à vous, celui-ci a même pu m’apparaître magique par moments.

Merci à l’orme d’Amérique de rester cet acteur rare, discret, et pourtant bien vivant, de nos forêts québécoises. Longue vie à tous ces arbres qui ont bâti notre monde et notre identité.

(11)

xi

Avant-propos

Avant même de franchir les premières lignes du scénario, je savais que j’allais atteindre de très lointains horizons de mon imaginaire. Bien avant de visualiser cette histoire, je savais que je touchais des parties de ma vie et que je traduisais celles d’une Voix plus forte que moi. Même si je voyais déjà un film dans ma tête, je ne pensais pas encore à un tournage possible, ni à des acteurs précis… J’ai alors décidé de suivre mon imaginaire, en dehors de toutes contraintes techniques et budgétaires, comme peut trop souvent l’imposer l’industrie du cinéma. Je me suis donc permis de décrire le film de mes rêves, que j’aurais fait si j’en avais eu les moyens (illimités), et ce, tout en restant dans un cadre académique plus savant et intellectuel.

Certes, la possibilité de produire un mémoire en recherche-création et de développer des techniques et des habiletés en écriture scénaristique m’a motivée à mener ce projet personnel de manière rigoureuse et documentée, dans un domaine d’études que j’avais envie d’explorer davantage. Le fait d’élaborer ce projet sous forme de maîtrise m’aura aussi amenée à nourrir une démarche artistique sérieuse, un discours, une philosophie. Je ne suis pas fermée à l’éventuelle possibilité de présenter ce scénario à des réalisateurs et de modifier l’histoire selon les besoins du milieu et de la production. Même si l’objectif a été de produire une structure narrative, une histoire, un message destinés au cinéma, ce drame fantastique pourrait aussi faire l’objet d’une adaptation et prendre une forme artistique autre, en servant par exemple de trame de fond à l’écriture d’un roman ou à l’illustration d’une bande dessinée.

Ce mémoire se fait donc le porteur et le fruit de toute une démarche créative, mais aussi réflexive, comme en témoigne plus particulièrement l’essai. J’ai pour cela tenu à explorer l’image de l’orme d’Amérique, entre autres dans ses aspects historiques, culturels, mythiques, et ce tant dans mon oeuvre que chez d’autres auteurs. Ce topos a en fait inspiré une grande partie de l’histoire de L’Arbre-Mère et forgé la charpente dramatique du récit. Toute la poésie qui en ressort contribuera, je l’espère, à faire émerger plus fortement celle que le scénario a voulu mettre en mots, et même en balbutiements de sons et d’images. Les deux parties créative et réflexive s’imbriquent finalement pour devenir profondément complémentaires l’une à l’autre, dans une recherche perpétuelle de visions et d’émotions…

(12)
(13)

xiii

Note sur le scénario

Le lecteur-spectateur s’apercevra sans doute que les descriptions musicales sont absentes du scénario. Cela a été fait afin d’alléger la forme du récit et d’en rendre la lecture plus fluide, sans brouiller le défilement des actions, mais aussi pour donner une plus grande liberté dans la réception de l’histoire. Cependant, la présence de musique ou de sonorités mélodiques est tout de même mentionnée à quelques endroits significatifs du scénario par les indications suivantes : [MUSIQUE] et VOIX. Plus précisément, la musique (composée de sons d’orchestre) apparaît pour ajouter une ambiance dramatique aux scènes, alors que les voix (chants) expriment les voix des arbres. Il s’agira pour la plupart du temps de mélodies oniriques, fantomatiques, obscures, voire tragiques, mais qui pourront aussi laisser place à des sonorités teintées d’euphorie, lors d’événements plus heureux ou exaltants du scénario, par exemple. Je songe pour cela à un instrument de musique moderne simple, mais produisant des notes riches et intenses : le mellotron. Cet instrument, qui a été très utilisé dans le rock progressif, peut en effet produire à lui seul des sons d’orchestre et des sons de voix (choral) tout en créant des ambiances et mélodies très aériennes et atmosphériques, tantôt épiques, tantôt émouvantes, ou même cacophoniques. Il pourrait alors très bien se marier à l’esthétique de ce drame fantastique et ainsi créer une bande sonore pour le moins originale.

(14)
(15)

1

L’Arbre-Mère

Scénario de long métrage Écrit par Frédérique Caron-Doucet Version définitive pour le dépôt final

Décembre 2013

1. FOND NOIR

L’exergue suivant apparaît pendant quelques secondes (les écrits sont centrés dans l’écran) : « Les ormes ne sont pas muets comme on le pourrait penser. S’ils n’ont pas de langage, ils ont une voix, une voix douce et murmurante nourrie aux souffles de passage, harmonisée au chant des oiseaux nichés dans leurs ramures. / Extrait de « La chanson des ormes » / Frère Marie-Victorin ».

Les écrits disparaissent et le fond noir reste toujours présent. MÉLINA (22 ans, VOIX OFF (V. O.))

Loin, loin dans la Terre noire / Mes yeux repoussent Nature / Et Nature repousse en moi / Au plus obscur des chemins / Ma voix sème des vents bleus / Et j’apprends à nous voir dans le Matin.

2. EXT. FORÊT MAGIQUE (SAINT-NARCISSE-DE-RIMOUSKI) Ŕ JOUR

Fondu en ouverture [CAUCHEMAR] (comme dans tous les rêves ou cauchemars de Mélina, ces derniers paraissent réalistes, sans esthétique particulière) : la main de MÉLINA est posée sur le tronc d’un gros orme. Elle approche son visage et son oreille; celle-ci se colle contre l’écorce pour mieux entendre les petites VOIX MÉLODIEUSES (CHANTS DE FEMME) qui s’échappent de l’arbre. Mélina est mince, a de longs cheveux brun foncé et le teint légèrement basané, mais ce sont surtout ses grands yeux verts intrigants qui captivent l’attention, qu’elle ferme doucement pour mieux entendre l’arbre.

Mais aussitôt l’oreille posée, des CRIS DE FEMMES STRIDENTS sortent de l’arbre et font sursauter Mélina. Tout en se détachant de lui, elle se fait aussi surprendre par une tempête violente qui s’élève soudainement, avec de grands vents froids et le ciel qui s’assombrit au-dessus d’elle. Mélina se retourne de nouveau vers l’arbre et constate avec horreur qu’il est en décrépitude : il devient tout noir, comme s’il était en train de moisir de façon accélérée.

Horrifiée, Mélina recule de l’arbre et le voit prendre soudainement en feu sous la foudre (COUPS DE TONNERRE). Elle court ensuite pour s’éloigner, toute paniquée, en lançant des CRIS d’horreur et en se tenant le ventre qui la fait souffrir.

Elle s’effondre à genoux sur le sol et relève son regard implorant vers les arbres autour d’elle, mais la nature environnante se désagrège elle aussi à un rythme accéléré, jusqu’à devenir

(16)

sombre, froide, moribonde. Pendant la scène, on a eu l’impression de passer d’un été vivifiant à la fin incendiaire d’un automne glauque.

[MUSIQUE] : En avant-plan de l’orme en feu, les lettres suivantes apparaissent pendant quelques secondes, avant de disparaître (avec la MUSIQUE) : L’ARBRE-MÈRE.

3. INT. CHAMBRE DE MÉLINA (QUÉBEC) Ŕ NUIT

(POINT DE VUE (P.V.) DE MÉLINA) : Les murs blancs intérieurs de la chambre apparaissent progressivement pour se superposer à la vision morbide de l’orme. Dans l’obscurité, on distingue ensuite le visage tout en sueur de Mélina qui, les yeux effrayés, émet de grandes respirations. Son corps reste immobile dans le lit, comme s’il était paralysé.

4. INT. SALON DE MÉLINA Ŕ NUIT

Mélina est debout, une couverture sur ses épaules et une tasse de tisane entre ses mains. Elle affiche un air épuisé et mélancolique. Elle regarde les arbres sur les Plaines au loin se balancer dans le vent automnal qui emporte leurs feuilles. On voit pendant ce temps le reflet de son corps et de son visage miroiter dans la vitre et se superposer à l’image des arbres.

En fixant longuement les arbres, Mélina finit par entrer dans une sorte d’état onirique et voit les branches et les ombres des arbres bouger et s’agrandir de manière surnaturelle. Troublée, elle reste figée un instant devant cette scène et s’en va prestement. Dans la fenêtre, on voit toujours les arbres, revenus cependant à leur aspect naturel d’avant.

5. EXT. VIEUX-QUÉBEC (DIFFÉRENTS SECTEURS) Ŕ JOUR

Nous sommes à la fin septembre : des images des quartiers Montcalm et Saint-Jean-Baptiste défilent. Mélina, le visage cerné, parcourt les rues à bicyclette pour se rendre à son lieu de travail, situé dans la côte d’Abraham. Le temps est nuageux et les rues sont pleines de trafic. Arrêtée à une intersection où les feux deviennent verts, Mélina se fait klaxonner par une automobile qui attendait derrière elle; elle sursaute et se dépêche de se faufiler dans une petite ruelle où un gros camion occupe toute la largeur de la route. Elle descend de son vélo pour contourner le camion et poursuivre son chemin sur un étroit trottoir. Elle court pour s’éloigner du BRUIT et de l’odeur désagréables du camion demeuré en marche.

6. INT. BOUTIQUE DE SOPHIA Ŕ JOUR

Mélina passe prestement à travers le rideau à billes qui sépare le couloir de la boutique et se dirige vers le comptoir. Alors qu’elle se dépêche d’ouvrir la caisse, elle trouve sur le coin du comptoir une liste de tâches laborieuses à faire pour la journée et semble découragée.

Après avoir regardé sa montre (indiquant huit heures cinquante-huit), Mélina va tourner l’affiche dans la porte, à la grande satisfaction d’une CLIENTE (30 ans), qui attendait devant la vitrine de la boutique en tenant son PETIT GARÇON (1 an et demi), dans ses bras. Mélina ouvre la porte et accueille la femme tout en esquissant son sourire naturel et bienveillant, malgré la fatigue qui transparaît sur son visage.

(17)

3 MÉLINA

Bonjour !

La cliente acquiesce timidement de la tête et se met à explorer un peu la boutique. CLIENTE

Avez-vous des produits qui aident à dormir ?

Mélina acquiesce et montre une tablette où sont entreposées diverses sortes de tisanes relaxantes. Tandis que la cliente examine les produits, le petit garçon regarde Mélina; cette dernière croise aussi son regard et lui sourit, et cela la rend songeuse, voire même un peu triste. Après avoir entendu une porte ouvrir au loin, Mélina tourne la tête et voit, à travers le rideau à billes, une JEUNE FEMME (20 ans), entrer dans l’arrière-boutique, toute en pleurs. SOPHIA (55 ans), que l’on voit seulement de dos, s’empresse d’aller la réconforter. Mélina a soudain le visage plus triste et, voyant que le petit garçon la regarde toujours, essaie de lui sourire à nouveau.

CLIENTE Vous faites pas d’concentrés ?

La voix de la cliente tire tout d’un coup Mélina de ses pensées. MÉLINA

Non, désolée… on peut faire des commandes spéciales pour certains clients des fois, mais on prend p’us d’nouvelles inscriptions…

CLIENTE

Ah… et est-ce que ça serait possible de parler à propriétaire ? MÉLINA

(mal à l’aise en entendant les sanglots de la femme au loin) Euh… malheureusement, est pas mal occupée c’matin.

CLIENTE

OK, d’abord… quelle tisane vous me conseillez ? MÉLINA

La valériane… c’est la meilleure.

Elle fait signe à la cliente de ne pas faire de bruit et de la suivre jusqu’au comptoir. Mélina sort de sa sacoche un pot rempli d’un liquide brun foncé et en remplit un autre petit pot vide.

(18)

MÉLINA

C’est mieux en teinture, mais moi j’préfère en jus frais… vous pouvez essayer quelques jours, pour commencer… mais avec modération !

Elle écrit la posologie sur un petit papier, puis le donne à la cliente. MÉLINA

En plus, la valériane fait faire des beaux rêves… à condition de pas prendre d’autres médicaments en même temps...

La cliente, contente, s’apprête à sortir de l’argent, mais Mélina lui fait signe de laisser faire après avoir retourné la tête pour s’assurer que Sophia ne l’a pas vue.

7. INT. ARRIÈRE-BOUTIQUE DE SOPHIA Ŕ JOUR

En entrant dans l’atelier, Mélina s’arrête subitement en découvrant Sophia en train de sommeiller dans son fauteuil. Derrière un maquillage épais se cache le visage d’une femme de grande beauté aux traits saillants, avec ses cheveux frisés teints en noir et soigneusement remontés en chignon. Elle porte une longue robe noire, un grand châle d’un style un peu vieillot, mais qui fait très chic en même temps, et de longues manches noires qui recouvrent le dessus de ses mains. Sophia pourrait facilement paraître encore plus jeune et belle, mais son style trop sombre et recherché la trahit. Après avoir observé un peu Sophia, Mélina regarde la vieille horloge au mur qui indique neuf heures quarante-six. Mélina s’avance en prenant soin de ne pas faire de bruit pour aller fermer une fenêtre au fond de la pièce, d’où s’échappe un air froid qui la fait grelotter.

Entre-temps, une bouilloire qui chauffait sur la cuisinette commence à SIFFLER LÉGÈREMENT. Sophia dort toujours; l’expression de son visage semble indiquer qu’elle fait un rêve plutôt tourmenté. Mélina se dirige en direction de la cuisinette, mais s’arrête en cours de chemin : son regard est porté vers la trappe, sur le plancher, située dans un coin plus obscur de la pièce. Elle reste ainsi à l’observer pendant un certain temps, avec crainte.

C’est alors que la bouilloire se met à SIFFLER TRÈS FORT, ce qui fait sortir Mélina de la lune; elle s’en va la retirer du feu. Toute cette agitation finit par réveiller Sophia qui affiche un air déstabilisé. Elle fixe gravement la jeune femme, comme si cette dernière violait son intimité. Elle émet ensuite un grand soupir de soulagement, qui laisse toutefois entrevoir un certain découragement. Tandis qu’elle parle, on s’aperçoit qu’elle a un parler impeccable et un accent français, avec des notes plus étranges rappelant les pays d’Europe de l’Est :

SOPHIA

Je t’ai pas déjà dit de jamais me réveiller pendant que je suis en train de rêver ?

(19)

5 SOPHIA

J’étais prise dans un arbre… un homme est arrivé et s’est mis à le scier. Il pouvait pas me voir, j’étais en haut dans les branches. Même si je hurlais, il m’entendait pas. Quel rêve étrange… Habituellement, j’arrive toujours à trouver la signification, mais là…

(elle regarde Mélina) Et toi, tu aurais pas une idée, par hasard ?

Mélina ne répond pas et affiche un air plutôt misérable et mélancolique. Curieuse, Sophia se lève et s’approche d’elle pour lui prendre le menton et examiner son visage.

SOPHIA

Que tu es blême ! Quelle sorte de nuit tu as passée ? Mélina détourne son visage pour échapper au regard de Sophia.

SOPHIA Tu as encore fait un rêve éveillé ? Mélina hésite, puis acquiesce subtilement.

SOPHIA

Oh, Mélina, c’est pas une coïncidence tout ça… je te l’avais dit que tu avais un don pour...

MÉLINA

J’aime pas ça parler d’ces choses-là ! Pis en passant, ça s’appelle la « paralysie du sommeil », j’ai vérifié…

Surprise de la réaction de Mélina, Sophia se contente de sourire, face au raisonnement naïf de Mélina. Elle s’approche de la cuisinette pour aller préparer sa tisane.

SOPHIA

J’ai vu que tu avais fouillé dans mes teintures… qu’est-ce que tu cherchais ?

MÉLINA J’ai un problème de peau…

SOPHIA Depuis quand ? Tu m’as pas parlée de ça !

Sophia se dirige vers Mélina tout en soupirant de manière sévère. SOPHIA

Ah, toi.. !

(20)

Si tu veux guérir, tu dois essayer de te rappeler à quel moment ça a commencé. Tu le sais, ça !

Mélina acquiesce sans grande conviction sous le ton de reproche de sa maîtresse, tandis que cette dernière examine le torse de Mélina. À la vue de la plaie rosâtre, ses yeux expriment un grand trouble, mais elle parvient tout de même à cacher subtilement sa réaction.

MÉLINA

(elle désigne avec ses mains le haut de son corps, à partir des cuisses)

La dermatologue a dit qu’c’est un champignon qui vit partout sur moi.

(elle arrête de parler un instant) J’ai suivi un traitement, mais ça l’a empiré…

SOPHIA

En plus, tu vas voir des médecins, maintenant ? Et tu prends des médicaments chimiques ?

Mélina ne sait quoi répondre; elle lève son regard vers sa maîtresse, dans le but de trouver un peu de compassion.

MÉLINA

Après, j’me suis fabriqué une lotion pour la peau, mais ça a pas marché non plus…

Sophia réfléchit un temps, puis :

SOPHIA Bon… je vais te préparer quelque chose…

Mélina sourit avec soulagement et Sophia lui ouvre ses bras pour qu’elles se fassent une accolade. Mélina hésite un peu, puis l’enveloppe de ses bras. En sentant les mains réconfortantes de Sophia passer dans son dos, les yeux de Mélina deviennent humides et elle se retient pour ne pas exprimer sa détresse refoulée.

Sophia se détache doucement de Mélina pour s’emparer de sa tasse; elle avale une bonne rasade de la boisson avec enthousiasme et satisfaction. La sonnerie de la boutique retentit, au loin. Mélina s’apprête à aller rejoindre son poste, mais Sophia la retient avec son bras.

SOPHIA

Laisse… Prends le reste de la semaine pour te reposer.

(21)

7 8. EXT. RUE SAINT-JEAN Ŕ SOIR

Mélina remonte lentement la rue Saint-Jean en traînant son vélo à côté d’elle. Il règne une ambiance fébrile et décontractée de vendredi soir. Des hommes passent près de Mélina; un peu embarrassée, elle leur renvoie timidement leur sourire en baissant ses yeux.

9. EXT. RUE SAINT-JEAN (PLUS LOIN) Ŕ SOIR

Un peu plus tard, Mélina sort d’une boutique de livres usagés, avec des bouquins de médecine traditionnelle et amérindienne en mains. Tout en se dirigeant vers son vélo, des livres de contes et légendes folkloriques dans la vitrine attirent son attention, dont un du frère Marie-Victorin orné d’une vieille couverture en carton : Récits et croquis laurentiens. Elle reste hypnotisée devant ce livre, bloquant la voie à des passants qui la contournent. Mélina les regarde entrer dans la boutique et observe de nouveau le livre avec hésitation.

10. INT. CHAMBRE DE MÉLINA (QUÉBEC) Ŕ SOIR

Mélina est à son bureau, où brûle du genévrier dans une petite coquille d’ormeau, laissant échapper un filet de fumée qui se dissipe partout dans la chambre. Elle observe le livre de Marie-Victorin dans ses mains : sa vieille couverture lui donne une allure mystérieuse, amplifiée par la fumée de l’encens qui l’entoure. Mélina l’ouvre et feuillette les belles vieilles pages de contes, de poèmes, de chansons et d’illustrations. Elle sourit et s’en va le ranger dans sa bibliothèque, parmi d’autres vieux bouquins de poésie et de contes.

Mélina s’en va ensuite fouiller dans son armoire; elle y trouve un petit capteur de rêves amérindien. Elle se dirige vers la fenêtre, légèrement ouverte, et monte sur une chaise pour faire suspendre le capteur devant la fenêtre. Elle observe pendant un moment les plumes de l’objet balancer dans le vent, au milieu des vapeurs de l’encens.

11. INT. CUISINE DE MÉLINA Ŕ SOIR

Un peu plus tard, Mélina mange seule à la table de la cuisine, tout en regardant l’écran de son ordinateur portable posé devant elle. On voit une page présentant un début de poème, avec le curseur au bout attendant de tracer la suite : « Si je suis ce corps dans la pluie forte / Et si ce corps me restera toujours / Ton empreinte gravée dans mon sang ». Mélina reste pensive en regardant ses écrits, son menton posé sur sa main.

LAURE (22 ans), son amie avec qui elle habite, entre dans l’appartement et dépose son manteau dans le couloir. On remarque qu’elle a un accent parisien :

LAURE (V.O.) Salut !

Mélina sort de sa torpeur et se dépêche à fermer la fenêtre de son document pour ouvrir une page d’un site décrivant des cours d’herboristerie. Laure entre dans la cuisine.

LAURE Eh, ça va ?

(22)

MÉLINA Mh mh.

Laure reste immobile, surprise du ton peu convaincant de Mélina. MÉLINA

J’ai pas pu r’joindre personne pour faire de quoi à soir… LAURE

Ah… j’sortirais bien avec toi, mais j’me sens pas très bien… (elle se frotte le ventre)

D’ailleurs, t’aurais pas quelque chose pour les crampes ? MÉLINA

R’garde sur le comptoir, i’ a du framboisier… pis i’ reste de l’eau dans bouilloire.

LAURE (V.O.)

(tout en s’affairant dans la cuisine)

J’aurais jamais dû arrêter d’prendre la pilule. On dirait qu’mes douleurs sont rendues pires que les tiennes ! Ça m’donne envie de vomir…

(versant l’eau bouillante dans sa tasse) Si mes camarades de classe me voyaient !

MÉLINA

Justement ! Si au moins dans vos cours de soins vous appreniez à utiliser des plantes plutôt que d’donner des pilules !

LAURE

Ah, Mélina, j’t’ai déjà expliqué qu’les infirmières ne peuvent rien décider ! C’est les médecins qui…

MÉLINA Avant, c’était les femmes, les guérisseuses.

LAURE

Bon, bon, toi pis tes histoires de chasse aux sorcières...! Elle rejoint Mélina à la table, tasse en main.

LAURE

(elle se penche vers l’écran) Dis donc, t’as enfin décidé d’quitter ton emploi ?!

MÉLINA

(23)

9 LAURE

(avec une pointe de déception) Ah…

Elles restent silencieuses un moment. Laure se tire une chaise et s’assied à côté d’elle; elle se frotte le bas du dos et laisse échapper un soupir de soulagement.

LAURE

Tu devrais aller faire un tour au bar ce soir… MÉLINA

Faut-tu absolument aller dans les bars ici pour voir du monde? LAURE

Ben non… mais ça t’ferait du bien d’rencontrer des gars… (elle met sa main dans le dos de Mélina) Hein ?

Mélina la regarde avec ses yeux mélancoliques. LAURE Mélina… ça va faire quoi, six mois ?

MÉLINA Cinq.

LAURE

I’ va vraiment falloir que tu passes à autre chose !

Elle lui donne de petites tapes affectueuses sur l’épaule et se lève ensuite en se frottant encore le bas du dos. Elle s’en va dans le couloir avec sa tasse tout en regardant Mélina avec compassion.

Mélina reste un moment perdue dans ses pensées et se frotte les yeux. Sur son écran, elle rouvre la page présentant le début du poème de tout à l’heure, auquel s’ajoutent les vers (au fur et à mesure qu’elle écrit): « Me reconnaîtrai-je en ce Monde / En ces traits de femme et de bois / Suants sous un soleil mûr d’été ». Après avoir hésité un moment, elle se met à rédiger une nouvelle strophe, qu’elle récite tout en tapant :

MÉLINA

Si ce cœur s’agrandit toujours en moi / Me reviendras-tu toi qui a habité ce corps / Me reconnaîtras-tu

Elle n’arrive pas à trouver les mots pour finir le poème, comme si elle était prise dans un souvenir douloureux. Lasse, elle décide de fermer son document, puis l’écran de son portable.

(24)

12. EXT. BOISÉ DES PLAINES D’ABRAHAM (PRÈS DE LA FALAISE) Ŕ NUIT

Mélina est agenouillée sur le sol de la forêt, en face du fleuve. Devant ses genoux, des feuilles de cèdre, des fruits d’églantier séchés et d’autres morceaux de branches et de racines brûlent dans une coquille d’ormeau. Mélina s’imprègne de la fumée tout en l’amenant vers elle, avec ses bras et ses mains. Elle regarde ensuite devant elle.

MÉLINA (ton ferme et sérieux)

Tu me reconnaîtras entre mille corps d’arbres / Tu me trouveras parmi les femmes

Elle se lève, sort un petit canif des poches de sa veste et coupe une mèche de ses cheveux. Elle en souffle quelques-uns en direction des quatre points cardinaux, en partant de l’est jusqu’au nord. Puis, elle s’immobilise et ferme les yeux.

MÉLINA

(de manière plus lente et posée, à voix basse) Tu me nommeras comme le premier Monde.

Elle sent tout à coup le vent se lever; elle referme ses bras sur elle et couvre ses épaules de ses mains, en imaginant quelqu’un venant l’enlacer dans son dos, pour la réconforter. Mélina recule ensuite vers un arbre pour s’appuyer dos à lui. Ses bras, de chaque côté, enlacent le tronc. Elle se laisse bercer par le vent et la fumée de l’encens tout en regardant les lumières de la Rive-Sud miroiter sur le fleuve.

13. INT. CHAMBRE DE MÉLINA (QUÉBEC) Ŕ JOUR

Mélina se réveille et regarde les rayons filtrer à travers le capteur de rêves devant la fenêtre, rayons qui éclairent aussi son visage. Elle semble revenir d’un long et profond sommeil réparateur. Elle prend une grande respiration.

14. EXT. BOISÉ DES PLAINES D’ABRAHAM Ŕ JOUR

Le temps est doux et ensoleillé. Mélina remonte un petit sentier tout en observant certaines plantes. Elle finit par trouver de la bardane, à son grand ravissement. Voyant qu’il n’y a personne dans les environs, elle enlève sa veste, sort de sa grande sacoche des outils de travail et un sac en toile. À l’aide d’une petite pelle, elle se dépêche de déraciner les plantes en tirant très fort sur elles.

Une grande bourrasque quasi surnaturelle arrive soudainement derrière Mélina. Prise par surprise, elle tente de retenir ses affaires, en vain. Alors qu’elle s’est relevée pour aller les récupérer un peu plus loin, Mélina sent une présence derrière elle. Elle se retourne et sursaute à la vue d’ÉRIC MARCHETERRE (27 ans), un grand homme bien bâti et légèrement trapu, dont le visage semble plutôt chaleureux et apaisant. Ils restent quelques secondes à s’observer dans les yeux, captivés l’un par l’autre, ne sachant quoi dire. Le vent finit par s’estomper; Mélina détourne son regard pour aller à nouveau repêcher ses affaires.

(25)

11 Pendant qu’elle se penche pour ramasser ses racines, son sac et sa veste, elle se risque à tourner la tête pour observer l’inconnu. Ce dernier se promène, occupé à observer les plantes et les champignons environnants.

Mélina revient à son lieu de cueillette avec ses affaires. Près de là, Éric l’observe en mangeant quelques baies de sureau blanc qui pendent sur un arbre à côté de lui. Il lui fait un salut de la tête, en lui souriant. Gênée, elle se met à ranger rapidement ses affaires dans sa sacoche et à enlever les inflorescences de bardane prises dans son gilet. Entre-temps, Éric s’est rapproché d’elle :

ÉRIC

(pointant la poitrine de Mélina) I’ t’en reste encore, là !

Elle se dépêche de détacher les inflorescences sous le regard curieux et amusé d’Éric, qu’elle cherche à éviter. Mélina essaie de demeurer insensible à son charme et de garder une certaine méfiance. Après s’être gratté un peu la barbe tout en examinant la belle jeune femme, Éric prend un ton sérieux (tout en gardant un sourire dans la voix), dans le but de la déstabiliser un peu :

ÉRIC

Tu sais qu’c’est interdit d’ramasser des plantes, ici ?

Prise en infraction, Mélina éprouve alors une grande gêne, mais aussi un grand malaise. Elle scrute l’habit de travailleur du forestier, à la recherche d’un indice quelconque, à savoir si cet homme serait un employé des Plaines, mais il n’a aucun insigne. De plus, malgré son attitude rigide, il dégage une énergie plutôt chaleureuse et sympathique, qui la met aussi en confiance. Elle prend alors une chance en osant l’affronter pour se défendre.

MÉLINA Ouais, mais je mange pas d’sureau, moi !

ÉRIC

Moi, au moins, j’fais pas d’mal aux plantes !

Se sentant attaquée, Mélina regarde de manière un peu hargneuse le forestier, qui arbore un sourire déplaisant.

ÉRIC

C’est bon, j’te dénoncerai pas… mais j’aimerais ben savoir c’que tu vas faire avec ces plantes-là !

MÉLINA C’t’un secret.

ÉRIC

Ah ouais ? Pis ça t’arrive souvent, de v’nir voler des plants d’toques, comme ça ?

(26)

Gênée et intimidée, elle n’ose pas répondre et se dépêche de remettre son veston. MÉLINA

(en enfilant sa sacoche) Désolée… i’ faut que j’parte…

Mélina lui jette un dernier regard timide et s’en va prestement en boutonnant sa veste. Éric reste un moment à la regarder partir, toujours avec son sourire en coin.

15. INT. ARRIÈRE-BOUTIQUE DE SOPHIA Ŕ JOUR

Mélina place dans le déshydrateur ses plateaux de racines de bardane coupées, puis referme la porte de la machine. Tout en s’affairant, elle s’aperçoit qu’il reste encore des toques pris dans son gilet et les enlève. Cela lui fait repenser avec nostalgie à sa rencontre sur les Plaines, et la fait sourire.

Alors qu’elle s’est déplacée pour aller jeter les toques dans la chaudière de compost, Mélina pose son regard sur la trappe, au fond de la pièce. Elle reste ainsi pendant un instant, l’air troublée. Des BRUITS DE PAS et de VOIX DE FEMMES à l’étage supérieur la font sortir de la lune. Elle regarde l’heure sur la vieille horloge au mur et se dépêche à ramasser ses affaires. 16. INT. ENTRÉE Ŕ MAISON DE SOPHIA (HAUT DE LA BOUTIQUE) Ŕ SOIR

Mélina pénètre dans l’entrée et referme la porte. On entend le brouhaha des conversations de femmes de tous âges dans le salon adjacent. Sophia vient à sa rencontre pour l’aider à enlever son veston.

SOPHIA

Oh, Mélina, je suis contente que tu aies pu venir ! (en regardant Mélina dans les yeux) Tu as l’air reposée !

Mélina acquiesce de la tête.

SOPHIA

Viens, je m’apprêtais à commencer la cérémonie. Tu vas pouvoir m’aider ?

Mélina acquiesce de nouveau de la tête, en souriant légèrement. 17. INT. SALON DE SOPHIA Ŕ SOIR

Des chandelles éclairent faiblement la salle où sont disposés en cercle une dizaine de sièges. Au centre du cercle se tient une petite table, sur laquelle luit une petite torche qui brûle. Sophia, debout devant son siège, est habillée dans sa grande tunique sombre de maîtresse de cérémonie. La fumée de l’encens qui brûle à ses pieds lui donne un air mystique.

(27)

13 Les femmes entrent ensuite une à une dans la pièce, vêtues d’une grande tunique ample, et vont s’allonger sur leur siège. Peu après, Mélina arrive avec un grand bol contenant une boisson chaude et fumante, qu’elle verse dans chaque petit verre en grès que tend vers elle chacune des participantes. Après, Mélina va vers la table pour remplir son propre verre, pour ensuite reposer le bol près de la torche, avant d’aller rejoindre son siège.

Sophia prend l’encens dans ses mains et va au-devant des femmes tout en distribuant de la fumée sur elles. Ces dernières prennent toutes de grandes respirations.

SOPHIA

Plusieurs d’entre vous ne veulent pas d’enfant, et vous ne voulez pas avoir recours aux moyens de contraception artificiels. C’est votre droit et c’est pourquoi vous avez décidé de venir ici, ce soir.

Tout en parlant, Sophia se déplace entre les sièges, en fixant les yeux de chaque femme. SOPHIA

Vous avez le pouvoir, en tant que femme, de pratiquer des méthodes de guérison et de purification naturelles. Vous n’avez pas à vous sentir coupable, au contraire…

Près de Mélina, une jeune femme d’une vingtaine d’années (la même que Mélina avait déjà vu dans l’arrière-boutique) émet quelques sanglots tout en touchant son ventre, tant elle semble nerveuse et mal à l’aise. Sophia, tellement prise par ses paroles, ne remarque pas les souffrances de cette femme et poursuit son discours :

SOPHIA

L’élixir que vous allez boire vous permettra de contrôler la vie et la mort en vous, de vous affranchir des hommes et de leur semence. C’est possible, avec de la volonté et l’aide des plantes, qui sont les amies de la Terre, amies des femmes depuis la nuit des temps.

Sophia revient à son siège et se positionne devant lui, en regardant les femmes : SOPHIA

Buvez, mes sœurs… buvez !

Les femmes se mettent toutes à boire leur verre, alors que Mélina hésite un certain moment avant de le faire : elle fixe gravement le liquide obscur dans le verre, puis fait semblant d’en prendre une gorgée.

SOPHIA

Un grand flot sera déclenché. Il lavera vos tourments et vous libérera de vos chaînes. Demain, à la même heure et à la pleine lune, vous boirez votre sang et vous vous nourrirez de l’âme de cette petite lumière qui germe peut-être déjà en vous. Vous

(28)

redeviendrez pleine de vie, vous rajeunirez, et vous sentirez une force nouvelle grandir en vous.

Mélina ouvre les yeux, se met à avoir chaud et à suer; elle desserre un peu sa tunique pour être plus à l’aise.

SOPHIA Une force pure, originelle…

Sophia entend les gestes de Mélina, l’observe du coin de l’œil et se lève. Elle continue de parler tout en s’approchant d’elle. Pendant ce temps, Mélina, mal à l’aise, essaie de maintenir son regard loin de celui de Sophia.

SOPHIA (rendue près de Mélina) … comme celle de la grande Matrice.

Embarrassée par le regard intimidant de Sophia, Mélina ferme les yeux, alors que les femmes continuent de regarder Sophia avec des yeux pleins de respect et d’admiration, même si elles semblent craintives et ne pas tout bien comprendre ce qu’elle leur enseigne.

18. EXT. BOISÉ DES PLAINES D’ABRAHAM Ŕ JOUR

Au petit matin, Mélina retourne chez elle tout en faisant un détour par son sentier habituel. Elle semble épuisée par la nuit qu’elle vient de passer. Le soleil qui vient de se lever brille faiblement et un léger vent froid souffle dans son dos; elle se tient les bras pour garder sa chaleur. Soudain, elle entend un SIFFLEMENT D’OISEAU percer le silence du boisé. Elle s’arrête un temps pour tendre l’oreille et pour observer d’où proviennent les sons, mais ne voit rien et s’enfonce plus profondément dans le boisé.

Guidée par les bruits de l’oiseau, Mélina sursaute en voyant Éric : il est monté dans un arbre, en train de siffler pour attirer l’attention du volatile, perché dans un autre arbre non loin de là. Mais la venue de Mélina fait peur à l’oiseau, qui s’envole aussitôt. Éric tourne la tête et s’exclame avec joie en voyant Mélina :

ÉRIC Eh, salut !

Mélina s’avance près de lui tout en essayant en vain de dissimuler sa joie de le revoir. Elle est si éberluée qu’elle ne pense même pas à le saluer à son tour.

ÉRIC

J’ai r’péré que’ques champignons hier, fait que… j’me suis permis d’revenir saccager ton jardin secret !

La jeune femme, décontenancée par cette attitude espiègle d’Éric, si contraire à celle plus sérieuse de la veille, se contente de froncer les sourcils pour essayer de comprendre le jeu qu’il essaie peut-être encore de jouer.

(29)

15 ÉRIC

T’en veux ?

MÉLINA

Ben… j’aime pas beaucoup les champignons, mais… j’pourrais toujours en offrir à ma maître herboriste.

Il met quelques champignons dans un sac, qu’il donne à Mélina. ÉRIC

Tu travailles en herboristerie ? Il la voit faire oui de la tête.

ÉRIC

Moi, les plantes médicinales, j’crois pas trop à ça. Tu peux pas vraiment savoir tous les effets qu’ça peut faire, les mélanges, les dosages pis tout ça… Pis i’ m’semble que c’est pas avec que’ques feuilles de thé du Labrador qu’on peut guérir une grippe, ou ben un mal de tête !

MÉLINA Ah ouais, c’est ça qu’tu penses ?

Non convaincu par la jeune femme, Éric s’en va un peu plus loin cueillir des champignons tout en poursuivant la conversation; Mélina le suit.

ÉRIC

Mais c’est pas parce que ça pousse pis qu’c’est naturel que c’est bon ! R’garde, juste ici, on est entouré d’milliers de substances toxiques pis de pathogènes. Les plantes luttent entre elles constamment pour survivre…

Il se penche et cueille un gros champignon qu’il observe, tandis que Mélina réplique : MÉLINA

Elles font ça pour atteindre un équilibre, une harmonie !

Éric fait une moue sceptique face au raisonnement naïf de Mélina, pour qu’elle prenne le jeu au sérieux. Elle est tellement passionnée par les plantes qu’elle ne s’aperçoit pas qu’Éric ne cesse de la reluquer depuis tout à l’heure et que, tout ce qu’il veut, c’est apprendre à la connaître. Elle s’approche de lui, pour continuer à défendre son point de vue.

MÉLINA (insistante)

Mais les plantes peuvent nous aider à guérir ! Juste ici, i’ a toute une pharmacie naturelle à portée d’main…

(30)

Éric acquiesce gentiment de la tête tout en ouvrant ses yeux de manière exagérée, comme pour lui montrer qu’elle-même exagère peut-être un peu, et qu’elle est trop idéaliste :

ÉRIC Mmh Mmh !

Il se lève et s’approche d’elle; il accote ses mains sur ses hanches et la fixe droit dans les yeux. : ÉRIC

Tu sais d’où vient l’mot pharmacie ?

Mélina dévie son regard, gênée de ne pas connaître la réponse. ÉRIC

Ça vient du grec pharmakôn, qui veut dire : drogue, poison.

Mélina reste pensive pendant un moment en regardant les arbres autour d’elle puis, déterminée, tourne la tête vers Éric qui maintient toujours son regard rivé sur elle.

MÉLINA

Mais… tout ce qui peut tuer peut aussi… nous guérir.

Éric baisse la tête et sourit légèrement, comme pour admettre qu’elle vient de marquer un point. Mélina détourne alors son regard d’Éric et s’avance vers les arbres.

MÉLINA (devenant plus pensive)

Des fois, ici, on dirait qu’c’est comme une vraie forêt... Pis c’est l’meilleur endroit pour venir marcher la nuit, quand on peut p’us rêver…

Étonné d’une telle réponse mystérieuse, Éric regarde plus attentivement la jeune femme, elle-même surprise de lui confier si ouvertement ses tourments. Ce dernier lui sourit :

ÉRIC

Toi, tu viens sûrement pas d’ici pour parler comme ça !

Mélina tarde un peu à répondre à l’homme qui se fait de plus en plus indiscret, même si sa personnalité plutôt bienveillante a tendance à la rassurer, voire à devenir attachante.

MÉLINA

Non, j’viens d’Saint-Narcisse, dans l’Bas-du-Fleuve.

Elle reste silencieuse pendant un temps, puis baisse son regard, trop timide : MÉLINA

(31)

17 ÉRIC

J’viens d’la Gaspésie.

19. EXT. BOISÉ DES PLAINES D’ABRAHAM Ŕ JOUR

Ils marchent un peu plus loin, dans le sentier principal. Éric traîne son vélo à côté de lui et observe les arbres qui bordent le sentier. Fasciné, il porte son attention sur l’un d’eux.

ÉRIC

R’garde, c’t’un orme d’Amérique ! « Le plus bel arbre de l’Amérique septentrionale », d’après Marie-Victorin. Moi aussi, c’est mon arbre préféré.

MÉLINA

(soudainement émerveillée) Hein, tu connais l’Frère Marie-Victorin ?

Au même moment, une GRANDE BOURRASQUE magique arrive soudain, ce qui fait CRAQUER une grosse branche dans l’arbre. Éric réagit juste à temps pour tasser Mélina qui tombe sur les fesses en émettant un LÉGER CRI en même temps que la branche tombe à leurs pieds. Le vent est redevenu beaucoup plus calme et Éric, trop captivé par le phénomène, se penche aussitôt pour examiner la branche marbrée de lignes brun foncé.

ÉRIC

Des stries brunes… Ça r’ssemble à maladie hollandaise, ça !

Il se relève et examine l’arbre, dont on voit quelques branches qui semblent mortes dans la canopée presque tout effeuillée. Mélina se relève elle aussi tout en observant l’arbre.

ÉRIC

C’est bizarre qu’elle a pas été détectée. I’ faut avertir la Société des Plaines. Nous autres, à l’université, on peut pas intervenir ici…

MÉLINA

(en tapant sur sa longue jupe pour enlever la terre) Tu t’occupes des arbres malades ?

ÉRIC

Ouais, dans mon stage, on traite les ormes sur presque tout le territoire d’la ville…

(en montrant les parties de l’arbre)

Si la cime est pas trop touchée, comme là, on coupe les branches malades. Pis après, on les fait brûler pour pas qu’les insectes aillent contaminer les autres arbres.

(32)

Mélina reste pensive pendant un moment, puis regarde sa main gauche qu’elle s’est grafignée lors de sa chute.

ÉRIC Eh… ça va ? T’es blessée ?

Éric se sent un peu mal en voyant la plaie légèrement sanguinolente et attrape son sac à dos pour essayer de trouver quelque chose pour panser.

MÉLINA

(elle pose sa main sur le bras d’Éric) Laisse faire, ça va aller.

Elle s’en va à la recherche d’un sapin dans les environs. Après en avoir trouvé un, elle récolte un peu de résine en crevant une bulle dans l’écorce à l’aide d’un bout de branche et applique l’onguent sur la plaie, sur laquelle elle enroule un petit mouchoir en tissu et un élastique qu’elle sort de son sac. Éric, qui l’a rejoint, semble charmé par son savoir-faire. Ils se regardent dans les yeux et sourient timidement. Ils reviennent ensuite vers l’orme.

MÉLINA

C’est quelle sorte d’insecte qui contamine les ormes ? ÉRIC

(il prend son air sérieux de scientifique pour expliquer) Des scolytes… des genres de coléoptères. C’est eux autres qui transportent le champignon qui cause la maladie.

Pendant qu’Éric parle, Mélina se promène autour de l’orme et l’examine, tout en le touchant. À chaque fois qu’elle pose sa main sur l’arbre, elle entend de FAIBLES CHANTS DE FEMME émaner de l’écorce et trouve cela très étrange.

ÉRIC

I’ creusent des cavités dans l’écorce pis i’ introduisent le champignon dans les canaux qui transportent la sève…

Éric monte dans l’arbre en direction d’une autre petite branche contaminée, armé de son canif qu’il sort de ses poches; Mélina le regarde, à la fois apeurée et impressionnée.

ÉRIC

Pis, l’arbre, pour éviter qu’le champignon s’propage, (il coupe la branche, ce qui irrite Mélina)

…coupe sa propre circulation, donc ça fait mourir ses branches pis ses feuilles.

(il recasse la branche en petits morceaux)

C’est comme si l’arbre, par sa propre réaction trop intense, se détruisait lui-même pour empêcher qu’la maladie l’envahisse encore plus…

(33)

19 Mélina, à la fois troublée par le récit et les gestes d’Éric, s’avance vers l’orme pour le serrer dans ses bras. Elle entend des CHANTS DE FEMME TRAGIQUES et TRÈS FORTS émaner de l’arbre. Éric sourit en la voyant ainsi et s’en va attacher les bouts de branche sur le support situé au-dessus de la roue arrière de son vélo.

MÉLINA (à voix basse)

I’ a des esprits dans l’arbre. J’entends des voix… comme dans mon rêve…

Éric fronce les sourcils en entendant murmurer Mélina, les yeux fermés et en pleine concentration. Il se relève et reste un moment à observer cette jeune femme mystérieuse avec un respect troublant, indéfinissable. Ils demeurent ainsi en silence pendant quelque temps. Des passants arrivent dans le sentier et les tirent de leurs pensées. Mélina se détache de l’arbre, tout en continuant de le regarder, captivée et intriguée. Mélina et Éric sourient et saluent les gens qui les interrogent du regard. Éric regarde ensuite Mélina :

ÉRIC Comment tu t’appelles ?

MÉLINA

(elle prend le temps de le regarder avant de lui répondre) Mélina.

20. EXT. EN FACE DE L’APPARTEMENT DE MÉLINA Ŕ JOUR

Mélina arrête de marcher devant l’un des bâtiments qui donnent sur Grande-Allée en face des Plaines. Ayant l’air un peu embarrassée, la jeune femme fait comprendre à Éric qu’ils sont arrivés chez elle. Ils s’échangent quelques regards, n’osant pas parler. Éric, pour briser le malaise, saisit son sac et en sort un livre.

ÉRIC

Avant d’partir, j’vas t’montrer que’qu’ chose qui pourrait t’intéresser...

Il lui donne un petit guide d’identification des arbres et des plantes indigènes du Québec. Elle prend le livre, regarde Éric, puis se met à le feuilleter avec des yeux émerveillés.

ÉRIC J’peux te l’prêter pour un bout… Mélina ne sait pas quoi répondre pour le remercier.

ÉRIC

(en embarquant sur son vélo) Bon ben, salut, à prochaine ! Pis bonnes récoltes !

(34)

Il se met à pédaler et salue Mélina de sa main tout en regardant dans sa direction. Perdue dans des pensées euphoriques, elle le salue machinalement de la main, puis s’exclame :

MÉLINA Eh, attends ! C’est quoi ton numéro ?

Éric, déjà rendu trop loin pour l’entendre et ayant retourné sa tête, poursuit sa route. Mélina s’assied dans l’escalier de l’entrée et reste un temps à rêvasser doucement en regardant le jeune homme s’éloigner. Puis, elle ouvre le livre et tombe sur la première page où il est écrit « Éric Marcheterre », avec un numéro de téléphone en dessous.

21. INT. CHAMBRE DE MÉLINA (QUÉBEC) Ŕ NUIT

Mélina, couchée sur son lit et éclairée par une petite lampe de chevet, tombe constamment dans la lune et a du mal à se concentrer pour lire. Elle se lève pour aller ranger le livre d’Éric dans sa bibliothèque et voit le bouquin de Marie-Victorin reposer tout près. Elle s’en empare et caresse sa vieille couverture avant de l’ouvrir. Les pages sont belles et illustrées; elle feuillette le livre, captivée, et tombe avec surprise sur « La chanson des ormes ». Elle se met à parcourir rapidement le vocabulaire extravagant du texte, dont on voit quelques bribes, et qui la fait sourire. Arrivée au dernier couplet, elle devient plus sérieuse :

MÉLINA

« Quand la pluie a flagellé de ses verges de cristal la joue rude des feuilles de l’orme… quand la foudre l’a frappé au front et marqué du feu, quand l’orage a passé, et que le feuillage ruisselant et victorieux fait risette au soleil retrouvé… »

22. EXT. BOISÉ DES PLAINES D’ABRAHAM Ŕ JOUR

[FONDU ENCHAÎNÉ] : On est rendu à la fin octobre (on le devine d’après la végétation qui a changé et les arbres qui sont plus colorés et dégarnis). Mélina est en face de l’orme malade (le même que l’autre jour) et continue de réciter le texte, son livre en mains :

MÉLINA

« …alors souvent, pour sceller la paix toujours rompue du ciel et de la terre, une invisible main déroule autour de la tête de nos grands ormes, l’orbe septicolore de l’arc-en-ciel !.. »

Mélina ferme le livre et regarde la cime de l’orme, presque tout dénudé de ses feuilles. Elle s’avance lentement vers lui en tendant sa main pour écouter les sons de voix comme la dernière fois, mais, à son grand étonnement, elle n’entend rien. Elle remarque curieusement l’allure desséchée et moribonde des plantes environnantes et le temps gris, maussade du ciel. 23. EXT. BOISÉ DES PLAINES D’ABRAHAM Ŕ JOUR

Un peu plus loin, Mélina est couchée par terre, en train de sommeiller. Un léger vent commence à se lever et le ciel à se dégager. Mélina ouvre les yeux et observe au-dessus d’elle

(35)

21 les branches presque nues des arbres qui la surplombent et qui laissent filtrer les rayons du soleil. Peu à peu, le temps devient plus beau, plus vivant; on entend le VENT et les ARBRES qui CRAQUENT et des PÉPIEMENTS D’OISEAUX. Mélina sourit légèrement tout en se laissant bercer par les sons.

24. EXT. FORÊT MAGIQUE (SAINT-NARCISSE), ÉTÉ Ŕ JOUR

[RÊVE DE MÉLINA] : la main de Mélina se pose doucement contre le tronc du gros orme de la forêt magique (le même que celui dans le cauchemar d’il y a quelques jours).

MÉLINA Je suis en toi.

Alors qu’elle s’apprête à poser sa tête contre l’arbre, elle entend un BRUIT derrière elle et se retourne. [MUSIQUE] : Éric est là devant elle et s’approche lentement. Ils se regardent intensément dans les yeux, Mélina étant accotée dos à l’arbre. Il pose ses mains sur ses hanches et les remonte tout au long de son corps, jusqu’à les promener sur son visage, puis approche ses lèvres des siennes. Mélina se laisse embrasser par lui tout en fermant les yeux. Des SONS D’ORAGE, au loin, apparaissent. [La MUSIQUE finit par s’estomper].

25. INT. ARRIÈRE-BOUTIQUE DE SOPHIA Ŕ JOUR

Dans la fenêtre, on voit la pluie tomber et on entend les GRONDEMENTS DE L’ORAGE faire rage. Mélina, assise à la table, griffonne sur un bout de papier le dernier vers d’un poème : « tu me vois tu me recouvres de ta lumière / en recomptant chaque îlot de pleurs / en remontant mon torse effiloché ». Elle prend une pause, puis, en entendant arriver Sophia dans le couloir, cache aussitôt son papier sous le livre d’Éric. Elle se met alors à regarder les images d’orme dans le livre tout en mangeant tranquillement son dîner, composé entre autres de racines de bardane.

Sophia entre dans la pièce et renifle l’odeur des restes du repas de Mélina dans la casserole sur la cuisinette. Elle regarde Mélina et son livre d’un air sceptique, puis va à son bureau préparer un concentré d’herbes pour une commande. Elle tourne la tête vers Mélina :

SOPHIA Depuis quand tu étudies les arbres, toi ?

Mélina range le livre dans son sac et lance un regard de mépris à Sophia. Au moment où cette dernière s’apprête à retourner dans la boutique, Mélina lui déclare sèchement :

MÉLINA

J’t’ai parlé l’autre jour que j’voulais p’t’être suivre une formation plus complète… J’ai trouvé une naturopathe qui s’rait prête à m’donner des cours à distance.

(36)

SOPHIA

(gravement désappointée)

Quoi, tu me laisserais toute seule ? Mais j’ai besoin de toi, tu le sais !

L’obstination de Sophia fâche Mélina qui reste sans voix. Après s’être calmée, Sophia vient derrière la jeune femme pour poser doucement ses mains sur ses épaules.

SOPHIA (voix mielleuse)

Tu apprendras bien plus en restant avec moi… MÉLINA

Mais tu m’montres jamais tes recettes ! Tu fais toujours tout en secret, la nuit…

SOPHIA

Si t’habitais ici, je t’en montrerais plus, c’est certain… mais c’est toi qui veut pas.

Mélina ne répond pas et semble encore plus en colère. SOPHIA Tu as rencontré un homme, c’est ça ? Mélina, furieuse, se lève et se dépêche de ranger son lunch.

SOPHIA

J’aurais dû m’en douter. La bardane séduit… elle réveille les pulsions du corps…

(elle se tourne vers Mélina, qui est en train de mâcher sa dernière bouchée)

Fais bien attention à toi. Tu sais que les hommes sont mauvais. Ils vont te détruire. Je l’ai vu dans les cartes.

(elle retient le bras de Mélina qui s’est levée)

Mélina ! Attends… je veux juste pas qu’il t’arrive la même chose que ta mère…

Mélina jette un regard plein d’étonnement et de colère vers Sophia et s’en va dans la boutique, laissant cette dernière sous le choc de ses émotions.

26. INT. BOUTIQUE DE SOPHIA Ŕ JOUR

Alors que Mélina arrive au comptoir, les yeux humides sous l’émotion, la sonnette de la porte retentit et elle voit Éric entrer, à son grand ravissement.

ÉRIC Eh, salut!

(37)

23 Mélina court vers lui et le serre dans ses bras. Éric est un peu surpris de la voir si affectueuse et la serre lui aussi très fort.

ÉRIC Euh, ça va ?

Mélina acquiesce timidement de la tête.

ÉRIC

(il lui tend un sac de papier)

Tiens, j’t’ai amené des branches pis d’l’écorce d’orme comme tu voulais…

Au même moment, Sophia arrive dans la boutique et interrompt Éric en l’examinant d’un air hautain. En la voyant, il lui sourit poliment, alors que Mélina cesse de sourire et baisse son regard pour cacher son malaise et son mécontentement de voir sa maîtresse.

SOPHIA

C’est moi qui en ai de besoin. C’est pas la meilleure saison pour récolter, mais… ça va aller.

(elle prend le sac des mains d’Éric) C’est très aimable à vous, monsieur.. ?

ÉRIC Marcheterre ! Enchanté…

Il lui tend sa main, que Sophia serre froidement et avec hésitation, sous le regard méfiant de Mélina. Éric se retourne vers son amie :

ÉRIC

Ah, Mélina, j’voulais t’dire aussi que samedi prochain, j’vais à chasse, pis après, moi pis mes colocs on organise un souper. Ça t’tenterait-tu d’venir ?

SOPHIA

(voyant les yeux de Mélina tout émerveillés) On a déjà une soirée de prévue, samedi prochain… Mélina et Sophia se fusillent du regard.

ÉRIC

(voulant détendre un peu l’atmosphère)

Ah ouais, est-ce que vous allez faire un rituel magique pour l’Halloween avec les morceaux d’orme ?

(38)

Il ricane gentiment, même s’il réalise que sa blague n’est pas très bonne et qu’il vient en fait d’accentuer la hargne et la froideur de Sophia à son égard. Cette dernière le regarde d’un air plutôt grave; un lourd silence plane.

SOPHIA

Malheureusement, les hommes ont pas l’esprit assez pur pour assister à ça... ! Même si des fois, je sais faire quelques exceptions…

Éric et Sophia se dévisagent subtilement.

MÉLINA

(elle prend un ton doux et conciliant)

Euh… j’pense pas qu’t’aimerais ce genre de soirée-là, Éric… viens, j’vais te faire visiter l’atelier !

Mélina entraîne Éric, qui regarde toujours Sophia, dans le couloir en lui tirant le bras. Ils disparaissent derrière le rideau à billes sous le regard malveillant de Sophia.

27. INT. SOUS-SOL DE SOPHIA Ŕ NUIT

[MUSIQUE] : le soir même, tard dans la veillée, Sophia est agenouillée devant la porte entrouverte du poêle, où brûlent des morceaux de racines. Elle saisit un morceau d’écorce d’orme, sur lequel est inscrit « Marcheterre ». Après avoir médité un certain temps les yeux fermés et en récitant des mots dans sa tête que ses lèvres parviennent à peine à formuler, Sophia jette l’écorce dans le feu, ce qui fait jaillir une grande flamme, qu’elle observe de son regard hypnotique et inquiétant.

28. INT. SALON D’ÉRIC Ŕ SOIR

Le samedi suivant, des amis d’Éric sont au salon en train d’écouter quelques musiciens improviser des airs traditionnels à la GUITARE et au VIOLON. Certains invités sont déguisés pour l’Halloween, ajoutant ainsi une ambiance festive. La plupart des gens PARLENT, tandis que d’autres CLAQUENT DES MAINS en RIANT ou encore, dansent avec entrain.

Puis arrive Éric, affublé de sa tunique blanche et ses lunettes de laboratoire, poussé par ses deux colocataires, FRANCIS (23 ans) et JULIEN (21 ans). À son arrivée, des amis dans le salon se mettent à éclater de rire et à lancer des SIFFLEMENTS et des CRIS D’ENTHOUSIASME à sa vue. Éric essaie de donner de la résistance à ses colocataires qui, trop saouls, finissent par s’écraser sur le divan avec Éric, après que ce dernier soit parvenu à les entraîner et à les faire trébucher avec lui. Ils se tordent de rire.

MARC (23 ans), un des amis d’Éric, qui discutait pendant ce temps dans un coin avec Mélina, porte son regard vers Éric, qu’il interpelle, attirant ainsi l’attention de ce dernier vers eux. Marc est plutôt drôle à voir avec son habit de prêtre, à côté de Mélina qui est vêtue d’une longue robe de style bohème, voire hippie, mais chic.

(39)

25 MARC

(en levant sa chope de bière vers Éric) Bon, enfin ! Ça, c’est d’la classe !

Éric se lève, enlève son habillement et le lance sur le divan, agacé. Il saisit ensuite sa chope de bière qui traînait sur la table du salon et va rejoindre Marc et Mélina.

ÉRIC (arrivé près d’eux)

Ah, j’haïs ça les déguisements... on a passé l’âge de ça, i’ m’semble !

SIMON

Ben quoi, ton amie elle, au moins, elle fait un effort ! MÉLINA

Mais j’suis même pas déguisée ! C’est mon nouveau linge…

Éric reluque plus attentivement son amie qui a l’air beaucoup plus féminine que les premières fois qu’il l’a vue; la robe met en valeur sa fine silhouette, et la manière dont elle a remonté ses cheveux rehausse aussi son visage, lui donnant ainsi plus de classe et de maturité.

ÉRIC

Ça te va ben… T’as l’air d’une vraie p’tite sorcière !

Mélina sourit à cette blague, plutôt que de s’en offusquer. On sent alors qu’elle est plus attachée à Éric et qu’elle aime lui plaire.

MARC

(tout en montrant son costume de prêtre)

Une sorcière ? Ah ouais ? On est pas faits pour aller ensemble, d’abord !

Mélina et Éric continuent de s’observer, comme entrés dans leur bulle amoureuse, et ne sont plus attentifs aux paroles de Marc. Ce dernier fait un petit sourire en coin et s’écarte un peu d’eux; il observe les musiciens tout en prenant une gorgée de bière. La MUSIQUE prend aussitôt fin, la foule APPLAUDIT et les musiciens se lèvent pour prendre une pause et aller se réapprovisionner en alcool. Le reste des invités s’éparpille dans l’appartement.

Éric entraîne Mélina vers la bibliothèque du salon, où il y a des livres de foresterie : ÉRIC

Viens, j’veux t’montrer quelqu’ chose…

Il sort une brochure sur la maladie hollandaise de l’orme, sur laquelle on voit des images de scolytes et d’ormes entièrement contaminés. Mélina regarde les images du document tout en levant des yeux horrifiés vers Éric après avoir vu une photo d’un grand orme mort.

(40)

ÉRIC

Quand c’est rendu là, i’ faut les couper au complet pis les faire brûler. On fait un gros bûcher avec…

(il pose affectueusement sa main sur son bras) Mais toi, fais-toi z’en pas, y a pas d’danger qu’ça t’arrive !

Mélina le regarde avec de grands yeux craintifs, ne comprenant pas trop la blague. ÉRIC

Si tu restes avec moi, t’as pas à avoir peur… de toutes façons, les p’tites femmes comme toi pourraient pas rester toutes seules dans l’bois…

Échaudée par les paroles du forestier, elle le regarde droit dans les yeux. MÉLINA

Ah ouais, tu penses ? Mon rêve, c’est d’avoir mon atelier dans l’bois, pis un jour, j’vas y arriver, pis i’ a personne qui va m’empêcher de l’réaliser !

Éric demeure sans voix devant tant de détermination de Mélina; ils restent à se regarder dans les yeux quelque temps. C’est alors que SIMON (23 ans), l’ami et collègue d’Éric, vient les rejoindre, une grosse pinte de bière en main :

SIMON

(en tapant dans le dos d’Éric)

Ça a l’air que t’as fait toute une chasse aujourd’hui ! Deux lièvres pis une poule ! T’es en feu !

Simon lance un regard non subtil à Éric, puis à Mélina. ÉRIC (confus et hésitant) Euh… ouais, ouais !

Mélina, intimidée, baisse son regard et passe froidement entre les deux hommes pour se diriger vers le couloir et aller mettre sa veste. Éric suit Mélina des yeux, l’air désolé et déçu. Tout en s’en allant, Mélina a un souvenir troublant de HUGUES (30 ans), son ancien copain.

[VISION DE MÉLINA] : On voit Hugues entouré de ses amis dans un bar bruyant et bondé. Mélina est assise seule au comptoir et regarde du coin de l’œil ce grand homme élancé, qui a l’air doux et charmant; elle semble s’ennuyer et avoir hâte qu’il vienne la rejoindre. Les amis de Hugues, tous saouls, lui font des signes pas subtils vers Mélina. Cette dernière, mal à l’aise, détourne la tête. Un autre GARS (25 ans) vient près de Mélina pour commander une bière et se met à la reluquer et à l’aborder, mais elle ne prête pas attention à lui et continue de boire sa bière, triste et résignée.

Figure

Tableau 1 : Plan des trois actes

Références

Documents relatifs

Elles sont un peu jalouses d’elle : elles aimeraient bien tout savoir et faire

la vache la poule le cheval la cane le cerf l’âne la lapine le sanglier la truie la biche le taureau le chien l’ânesse la laie le bélier le chat la chatte le coq

Film à la gloire de ceux qui ont fait la Révolution en 1917, c'est aussi le portrait d'une mère que la douleur de la perte de son enfant transcende au point de la plonger dans la

Problème au sens de problématique scientifique et didactique, problématique scolaire, problème au sens d’énigme, problème reformulé par l’élève dans un

L’énoncé [dxelt kursi] (U.C 6) marque un dysfonctionnement au niveau de la fonction du contexte, parce que l'expression est étrangère au thème abordé, ce qui reflète

Exit, voice and loyalty a ainsi pour objectif d’étudier les conditions de développement, conjoint ou non, des deux modes d’action, leur efficacité respective dans

En effet, non seulement l’”Essai sur les éléments de philosophie” n’est pas un ouvrage à proprement parler, puisqu’il constitue le quatrième volume

Les systèmes agroforestiers dont les haies peuvent prendre de multiples formes en fonction des objectifs de l’agriculteur (production de bois d’œuvre, diversification,