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d’Amérique dans L’Arbre-Mère

Introduction

L’orme d’Amérique a-t-il une âme? Les chamans et artistes illuminés diront que oui, les scientifiques ou forestiers plus terre-à-terre reconnaîtront d’abord la noblesse de ses traits et ses propriétés. Mais au-delà de tous cultes, études ou utilisations pratiques de cet arbre, est-il possible d’en dégager une certaine force mystique et créatrice? Peut-on intégrer de façon pertinente et inusitée cet arbre dans un long processus artistique, où il pourra nourrir les images et les émotions du créateur (et même du scénariste)? Peut-on, sinon, en récupérer quelques bribes en puisant dans l’inconscient collectif, dont les racines primitives remontent bien au-delà d’une époque coloniale où il y avait encore des forêts anciennes? Comment créer une force imaginaire et symbolique, une poésie extraordinaire qui puisse directement émaner de l’orme d’Amérique, et ce, dans le cadre d’une création personnelle? Tel a été mon questionnement de départ pour l’écriture de mon scénario et aussi pour le sujet d’une réflexion qui peut à lui seul drageonner sans fin et offrir tout un univers de possibilités.

Cet arbre, qui a marqué l’imaginaire du frère Marie-Victorin, n’avait pourtant pas habité le mien encore, puisque, du rang chez moi dans les hautes terres de Rimouski et aux environs du chalet familial à Saint-Narcisse, je n’avais jamais rencontré cet arbre. Et encore, j’étais loin de savoir que j’habitais un territoire où jadis ce géant avait côtoyé les grands résineux qui peuplaient majoritairement les grandes forêts du Bas-Saint-Laurent au XIXe siècle, avant les

premiers développements de la colonisation suivis de près par le déploiement de l’industrie forestière et navale. Peut-être, justement, qu’il restait un arbre d’une autre époque, que je n’avais pas à rencontrer dans ma vie actuelle. Mais aujourd’hui revient de plus en plus, malgré nous, à hier; un nouveau mouvement de retour à la terre dans les régions et la montée de courants écologistes nous forcent à réétudier d’anciennes réalités, à déterrer certains savoirs, voire certains mythes, pour mieux remodeler le monde de demain. Cela m’a aussi encouragée à chercher un arbre auquel le Québécois ou le souverainiste d’aujourd’hui pouvait s’identifier le mieux, dans la mesure où il pourrait y retrouver une image ou un écho de ses racines profondes, et sentir celles d’un pays d’antan, d’une Nature encore forte et présente, malgré

toutes les modifications entraînées par l’homme. Un arbre d’un autre temps, mais aussi porteur d’une grandeur et d’une sagesse uniques, en lien avec toute son histoire.

Parce que les arbres en général possèdent en eux des attributs à la fois masculins et féminins, cet essai saura aussi, je crois, démythifier le sens du titre de mon scénario L’Arbre-Mère, qui suggère de rechercher en l’arbre une dimension féminine ancienne et cachée, qui aurait été perdue ou délaissée au fil du temps, au détriment d’attributs plus masculins. Sans m’attarder sur les multiples images maternelles du nid et de la cabane (développées entre autres par Gaston Bachelard) que peut aussi inspirer l’arbre, images dont il n’est pas le but de développer davantage dans cet essai, j’ai surtout concentré mon attention sur le lien étroit qu’il entretient avec la Terre-Mère, ce mythe culturel qu’a étudié entre autres Mircea Eliade. Il me fallait en plus trouver une essence d’arbre particulièrement inspirante à laquelle une femme, plus précisément, pourrait lier son destin, puiser sa force et mieux comprendre son rôle.

Au fil de mes réflexions et de mes découvertes, j’ai donc pu établir nombre de reculs ou de remises en question de l’orme d’Amérique, figure qui s’était imposée à moi un peu par magie. En me documentant sur la maladie hollandaise de l’orme, j’ai en plus découvert des signes et un lyrisme si fort, si intimement lié aux actions et aux émotions que je voulais exprimer dans le scénario et même aux messages que je voulais véhiculer au départ, que je ne crois pas qu’une autre essence d’arbre aurait pu mieux servir le déploiement dramatique de mon histoire. Chaque fois, l’orme s’est avéré être un lieu poétique d’une très grande richesse, redonnant un peu plus de sens et de justesse à chacun des éléments de mon récit et de mon cheminement. Et tout ça au point d’en faire finalement l’élément central et le moteur dramatique de mon histoire. D’en faire même un personnage-mère primordial, antérieur à celui de Mélina, le personnage principal dont on suit la quête.

Si mon scénario propose une sorte de rêverie initiatique à travers tout un processus de guérison et de transformation identitaire, je propose ici une méditation un peu plus réflexive à partir de l’orme, en tant qu’objet naturel, historique et culturel, pour y découvrir aussi, en parallèle, toute sa force poétique. Ainsi, peut-être qu’un portrait plus vaste, plus universel pourra émerger de cet arbre aux multiples dimensions et puissances métaphoriques, au-delà d’une simple histoire fictive dont il a coloré si spectaculairement la rédaction, destinée à être visualisée comme un rêve cinématographique.

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