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Le fait de développer une telle métaphore naturaliste basée sur un principe de contamination et d’invasion étrangère dans l’histoire de l’Arbre-Mère aurait pu paraître raciste, dans un monde pourtant ouvert à l’universel. Le désir de se baser sur des phénomènes de la nature paraîtrait-il trop naturaliste, puriste, voire raciste? Songeons à la métaphore de la maladie dans Les Invasions

barbares (2003) de Denys Arcand et au fait que la plupart des histoires hollywoodiennes font

souvent des étrangers les méchants. Tout cela peut paraître redondant, et même soulever une problématique d’ordre politique. Pourtant, si l’on se rapporte à la vision scientifique et

163 naturaliste de l’histoire, force est de constater qu’il existe deux types de contamination dans une forêt : soit l’une mettant en scène des agresseurs indigènes (insectes locaux, caries des arbres, etc.), soit mettant en scène des agresseurs étrangers (insectes, champignons introduits, etc.). Les agresseurs dits indigènes ont essentiellement un rôle de régulation; ils attaquent les arbres malades, ceux ayant subi des stress (coupes forestières) ou ceux présentant une moins bonne génétique au regard de l’évolution. Tout est dans un principe de maximiser le développement et l’évolution des organismes composant ce complexe écosystème qu’est la forêt. À l’inverse, les maladies introduites font bien des ravages et peuvent mettre en péril aussi bien les arbres de bonne constitution que ceux plus faibles. C’est le cas de la maladie hollandaise de l’orme, dont le champignon, contrairement à l’orme, a une capacité d’adaptation dans son nouveau milieu beaucoup plus forte et rapide que son hôte, car cela prend des milliers d’années à un arbre à s’adapter à un pathogène86. Aussi, les arbres étant parmi les

organismes sur terre ayant le plus de difficulté à s’adapter aux rapides changements climatiques, un véritable cercle vicieux s’ensuit de nos jours : en exploitant de plus en plus de peuplements forestiers, on déstabilise le climat, les arbres aussi, et la mondialisation facilite le transport et l’introduction d’organismes étrangers vers de nouveaux milieux…

Force est maintenant de constater de nos jours, vu la rareté des ormes, que l’on peut seulement trouver soit des ormeaux (avant qu’ils ne deviennent proie aux scolytes à l’âge adulte), soit de gros ormes immenses, rares spécimens ayant pu résister à la maladie; entre eux, de très rares cas d’ormes adultes isolés ou à la génétique invincible, obtenus peut-être même par sélection. Dans tous les cas, les grands ormes qui restent sont porteurs d’une mémoire ancienne et d’un bagage génétique exceptionnel qui, espérons-le, saura se perpétuer. En fait, l’orme vient représenter tout un enjeu et une problématique bien préoccupante pour nous, humains : quel sera l’avenir de la planète, de la nature, de l’humanité? L’orme représente ce passé jadis robuste et inviolable de nos forêts d’antan. La venue de l’ère industrielle et de la mondialisation a entraîné des dérangements majeurs au sein des écosystèmes et a contribué à la chute de la biodiversité. Au lieu d’enrichir les cultures, le principe d’uniformité et de standardisation vient à mon avis imposer un nouvel ordre dans le monde qui ne pourra pas toujours avoir de valeur durable. Car ce qui maintient la nature en équilibre, n’est-ce pas la biodiversité? L’orme serait

une voix tragique émergeant de cette évolution post-industrielle appauvrissante… un cri de souffrance, mais aussi d’espoir.

Un peu comme le disait Gatien Lapointe (1967) dans « Le pari de ne pas mourir » (« [l]a poésie c’est d’abord pour moi un homme condamné à mourir et qui dit NON87 »), l’orme magique

dans le scénario qui vainc exceptionnellement la maladie hollandaise et qui ressuscite en produisant un nouveau clone incarne cette force vivace de survie et devient par là un modèle de guérison. Il dit non à cette fatalité de l’existence, qu’a découvert et exploré par Gatien Lapointe dans son cheminement et son œuvre. Et c’est cette volonté qui conduit toute la quête de Mélina (et aussi celle d’Éric). En cela, la citation suivante (tirée du poème « Le premier mot » de Gatien Lapointe (1967)), ressemble, je crois, à ce qu’aurait dit Mélina en voyant l’orme ressuscité à la fin, si les larmes n’avaient pas retenu sa voix :

Ô violent voyage d’un mot ! Je n’ai rien appris,

Je n’ai rien compris que cet arbre Qui s’agrippe à la terre

Et qui dit NON88.

87Gatien Lapointe, Ode au Saint-Laurent, Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2007, p. 107.

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Conclusion

Le but de cet essai n’était pas tant de justifier la pertinence du choix de l’orme d’Amérique comme arbre détenant le plus grand potentiel de créativité et d’affinités avec l’histoire que j’ai voulu créer, tant sur les plans géographique, sociohistorique, scientifique, culturel, poétique, philosophique, que mythique; j’ai surtout espéré en faire un être à part entière, bien vivant et immortalisé en différentes histoires et parties d’imaginaire, réaffirmant ainsi chaque fois sa puissance métaphorique. J’en ai même fait le pilier ou la structure de base de tout mon récit. Il reste que j’ai jugé essentiel de dresser au préalable un portrait le plus juste et diversifié possible de cet arbre rendu plus rare et quasi oublié… un portrait même plus humain, compatissant, voire pacifique. En plus, j’ai pu explorer davantage sa dimension féminine et maternelle, que le scénario met largement en scène. Peut-être que l’orme est-il lui-même un poète, racontant sans cesse son histoire et partageant nombre de visions aux hommes, dans leurs rêves? Peut-être a- t-il d’autres messages à nous transmettre sur notre monde et sur la nature? Et si, comme l’a jadis suggéré Marie-Victorin, l’on s’arrêtait quelque temps pour écouter sa Voix?

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Médiagraphie

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Annexe I

« La chanson des ormes » (1920) de frère Marie-Victorin

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- I -

Peintres et poètes, fidèles de l’huile, dévots de l’encre, pourquoi donc dédaignez-vous nos ormes, nos beaux ormes, ces grands arbres profus et magnifiques qui partout, protègent nos toits de bois, ombragent les roulières de nos chemins, se forment en bosquets clairs ou vont, s’égrenant à l’infini dans la plaine, debout et immobiles des siècles durant, au milieu des passantes générations des trèfles et des avoines. Les ormes ne sont-ils pas le don prodigieux d’une Providence artiste au Nouveau-Monde ?...

Viens, mon ami ! Allons ensemble voir les ormes.

- II -

Tout l’hiver, les ormes ont dessiné sur nos ciels pâles, la courbe émouvante de leurs têtes d’ancêtres, les unes dressées en palmes, les autres retombant en bouquet, les unes mutilées et difformes, les autres saines et entières, imposants témoins de la puissance génératrice de la terre garrottée par l’hiver, gardant presque seuls, au milieu de la blancheur universelle, les droits jamais abolis du noir !

Viens, mon ami ! Allons ensemble voir lutter les ormes.

- III -

Avril ! Avril ! Victoire ! La neige disparaît, marmottant effrontément un air gamin ! Les corneilles reviennent « du fond du gouffre noir saluer le pays » ! Les premiers merles promènent à pas rapides sur les gazons fanés, leur plastron roux ! Les ormes, alors, tout d’un coup, se mettent à fleurir par toutes les cicatrices de leurs milliers de ramuscules : par millions éclatent les petites fleurs à qui le soleil suffit et qui n’ont pas besoin des bons offices du vent pour accomplir leur rite hyménal. Fleurs invisibles d’en bas, faites pour d’autres yeux que les nôtres, pour les petits yeux vifs des orioles et des pinsons, des fauvettes et des jaseurs, pour toute la troupe follette qui vole en éclaireur en avant du printemps.

Viens, mon ami ! Allons ensemble voir fleurir les ormes.

- IV -

Quelques jours passent. Voyez maintenant la fine mousseline jetée sur les royales épaules; les ormes s’habillent pour la saison. Chaque ramille porte, telle une goutte d’or, un gros bourgeon en amande qui se déplisse à mesure que le soleil devient plus pressant et l’air plus chargé de rumeurs de vie... Et voilà l’arbre superbe bientôt paré pour l’été. Le noir titan dont les bras ployaient cet hiver sous un faix invisible, est devenu, sous la baguette du printemps, une énorme corbeille débordante de feuillages neufs, une puissante fontaine de verdure qui, semble-t-il, vient de jaillir du sol, tout d’une pièce !

Viens, mon ami ! Allons ensemble voir feuiller les ormes.

- V -

Dans la vallée laurentienne, religieusement, on a respecté les grands ormes qui règnent sur les grands champs. Et ils sont merveilleux à voir du sommet des collines, promener au rythme lent du soleil, sur le feutre vert des prés, sur le tapis fauve des champs moissonnés, de grands disques d’ombre, rousselés par le pelage des vaches à la sieste. Et quels superbes pied-à-terre ils offrent, les beaux ormes, pour reposer un instant les oiseaux pèlerins ! Semés dans la plaine parmi les clochers des églises, ne sont-ils pas eux aussi, des cathédrales d’autre sorte, ajourées pour la prière menue du peuple des oiseaux?...

Viens, mon ami ! Allons ensemble voir régner les ormes.

- VI -

Qui le croirait ? Cet arbre-roi se fait volontiers histrion, s’appropriant tantôt la carrure du chêne, tantôt la déliquescence un peu mièvre du bouleau. Sous la pluie de rayons, il aime à déployer un immense parasol ou à dessiner sur nos horizons si souvent rectilignes, des profils gracieux de vases antiques !

Viens, mon ami ! Allons ensemble voir parader les ormes.

- VII -

Les ormes ne sont pas muets comme on le pourrait penser. S’ils n’ont pas de langage, ils ont une voix, une voix douce et murmurante nourrie aux souffles de passage, harmonisée au chant des oiseaux nichés dans leurs ramures. Mais les ciels de tempête éveillent en eux des rugissements de colère : la voix courroucée de la terre, fouillée au coeur par leurs racines serpentesques !

173 - VIII -

Quand la pluie a flagellé de ses verges de cristal la joue rude des feuilles de l’orme, quand la foudre l’a frappé au front et marqué du feu, quand l’orage a passé, et que le feuillage ruisselant et victorieux fait risette au soleil retrouvé, alors souvent, pour sceller la paix toujours rompue du ciel et de la terre, une invisible main déroule autour de la tête de nos grands ormes, l’orbe septicolore de l’arc-en-ciel !...