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[MUSIQUE] : Tout en marchant dans la forêt et en suivant le pic, Mélina est assaillie par une étrange vision : elle voit un souvenir d’elle et d’Éric marchant dans une forêt semblable à celle- ci (dans le coin de Québec), au début de l’hiver passé. C’est comme si cette scène avait été

59 reconstituée au milieu de la sapinière, avec en plus de la neige. Apeurée, elle s’arrête et va se cacher derrière un bouleau jaune, le même que celui où s’est posé le pic. Mélina réalise alors que les personnages de la scène, qui ne sont nuls autres qu’Éric et elle, ne peuvent la voir, et elle finit donc par s’approcher un peu plus de la scène. [La MUSIQUE finit par s’estomper]. [VISION] : Éric marche en raquettes, son fusil en mains, à la recherche de lièvres cachés dans les sapins. Soudain, il entend non loin de là la douce voix de Mélina percer le silence de la forêt. Elle est assise sur une grosse pierre, à une vingtaine de mètres de lui. Elle parle toute seule en regardant les arbres autour d’elle et en notant quelques mots dans un petit calepin. Éric abaisse alors le canon de son fusil et se dirige vers elle en faisant le moins de bruits possible.

MÉLINA

Si je suis ce corps dans la pluie forte / Je pourrai recevoir la neige de demain / Je pourrai ensevelie de nuages / Retrouver les saisons volées…

ÉRIC Depuis quand tu composes d’la poésie ?

Mélina sursaute et se retourne aussitôt pour dévisager Éric, non contente d’être dérangée dans son intimité. Elle se ressaisit et recentre son regard sur son poème.

MÉLINA Depuis qu’j’suis p’tite…

Mélina ne désire pas en dire plus sur sa vie ni son enfance. Éric comprend cela de façon implicite, et reste immobile un certain temps, le regard évasif.

[RETOUR À LA RÉALITÉ] : Mélina regarde la vision disparaître. Elle cligne des yeux, pour voir si elle ne reviendrait pas, mais en vain. Elle se retourne et remarque le pic qui est toujours perché sur le bouleau. Mélina reste sans voix et poursuit la marche; le pic se met à la suivre. 77. EXT. ÉRABLIÈRE Ŕ JOUR

Plus tard, Mélina et le pic arrivent dans l’érablière familiale, peuplée d’érables centenaires. Le pic, heureux de retrouver son territoire de prédilection, se pose sur un des gros érables, et émet quelques SONS. Mélina avance toujours et voit au loin une autre scène du passé (le lundi de Pâques du printemps passé, dans la même érablière) prendre forme. Mélina dépose ses affaires par terre et s’approche un peu plus du mirage.

[VISION] : Mélina et son père se promènent en motoneige (on entend le BRUIT DU MOTEUR) dans l’érablière. Mélina est assise à l’arrière de la motoneige, l’air mélancolique et pensive, en regardant Éric, à raquettes, en train de récolter des chaudières d’eau de bouleau derrière eux. Lionel arrête la motoneige; lui et sa fille descendent pour mettre leurs raquettes et vont eux aussi récolter des chaudières.

Le temps est doux, le soleil chauffe les branches d’érable et de bouleau dégoulinantes de sève (on entend des PÉPIEMENTS D’OISEAUX). Sentant sa copine plutôt réservée, Éric tente de l’accrocher quand il passe près d’elle, mais elle reste toujours absorbée par ses pensées. Il lui donne alors quelques poussées, sans que cela la dérange, mais elle finit par accrocher ses raquettes dans celles d’Éric et plonge dans la neige. Éric se met à rire, alors que Mélina se contente de sourire bêtement.

Il l’aide à se relever et à enlever la neige de son visage, mais elle saisit le bras de son copain pour qu’il reste près d’elle. Elle semble triste, mais sourit en sentant la main d’Éric lui caresser la joue. Éric finit par se relever pour aller reprendre son seau, laissant sa copine gésir par terre. Mélina lui lance alors une balle de neige; il se retourne et se met à lui en lancer lui aussi.

Lionel sourit en entendant le couple rigoler pendant qu’il vide son seau dans le réservoir rattaché à la motoneige. Il décide ensuite d’arrêter quelques instants pour déboutonner sa veste et admirer le paysage.

LIONEL

Ouais, les jeunesses, j’espère ben qu’ça va marcher, votre affaire !

ÉRIC

Inquiétez-vous pas, Monsieur Desormeaux ! R’gardez comme les chaudières sont pleines ! Ça coule pas mal plus qu’les érables !

LIONEL

J’espère ben, si ça prend deux fois plus d’eau pour faire du sirop...!

Lionel enlève son manteau et va le ranger dans la boîte derrière la motoneige. LIONEL

J’aurais jamais pensé r’ssortir ces vieux instruments-là ! Ça doit ben faire 35 ans que ça a pas servi. Depuis qu’la mère à Mélina est décédée…

(il reste un moment, pensif)

C’tait avec elle que j’ramassais l’eau d’érable… elle aimait tellement ça… on y allait à ch’val en plus… comme dans l’ancien temps…

MÉLINA

Pis là, pour oublier, tu t’es mis sur les tuyaux...! LIONEL

Ah, Mélina, tu vas pas r’commencer ! (il se tourne vers Éric)

61 Quand elle était p’tite, elle pensait qu’les tuyaux allaient tout

vider la sève des arbres ! Même qu’elle allait s’coller après eux autres pour les consoler…

ÉRIC

(regardant Mélina du coin de l’oeil)

Ouais, ça a pas ben ben changé depuis c’temps-là, mettons…! Mélina, lance une balle de neige à Éric, tandis que Lionel demeure pensif. 78. EXT. ÉRABLIÈRE Ŕ JOUR

[SUITE DE LA VISION] : Quelque temps plus tard, Mélina et son père sont en train de vider une chaudière dans le seau de Mélina. Alors qu’ils s’en vont remettre les chaudières sur les bouleaux, Mélina dit :

MÉLINA

P’pa, tu t’souviens-tu quand grand-m’man te d’mandait d’entailler un bouleau à tous les printemps ?

LIONEL

Ouais, elle en buvait des grands verres, comme ta mère. E’ disait qu’ça faisait sortir le mauvais.

Lionel prend une autre chaudière pleine d’eau et va la vider dans son seau, un peu plus loin. MÉLINA

Elle avait trop de tristesse en elle ? LIONEL

Je l’sais pas, Mélina… c’est du passé, tout ça...

Mélina reste silencieuse à regarder travailler son père, puis s’empare de son seau pour aller le vider dans le réservoir. Elle s’en va ensuite rejoindre Éric, qui travaillait non loin de là.

Mélina prend la chaudière qu’il s’apprêtait à verser dans son seau et se met à en boire quelques gorgées. Elle le regarde ensuite dans les yeux en lui tendant la chaudière. Éric en prend une gorgée. Mélina reprend la chaudière pour boire encore un coup, tandis que son père, au loin, la surveille du coin de l’œil.

LIONEL

‘Tention ma fille, tu vas être malade si t’en bois trop ! Inquiet, Éric observe Mélina en train de boire goulûment.

MÉLINA (elle arrête de boire)

Il ne répond pas, un peu fâché.

MÉLINA

Si tout l’monde en ville pouvait boire ça… ça les préparerait mieux à l’été.

ÉRIC Pourquoi tu dis ça ?

MÉLINA

Ben, là-bas, i’ a pas vraiment de printemps pour aider à faire la transition. C’est comme si à chaque fois on passait d’l’hiver à l’été. Ça fait trop brusque…

Soudain, des PIOCHEMENTS D’UN GRAND PIC se font entendre, avec une telle CACOPHONIE D’ÉCHOS dans la forêt que cela crée une ambiance presque fantastique. Mélina et Éric se regardent; Lionel leur fait signe de rester silencieux et de s’approcher doucement vers l’endroit d’où proviennent les bruits. Ils laissent leur chaudière là et le suivent. 79. EXT. ÉRABLIÈRE (ZONE PLUS RECULÉE) Ŕ JOUR

[SUITE DE LA VISION] : Lionel, Éric et Mélina arrivent dans un endroit plus reculé de l’érablière, où il y a d’immenses érables qu’Éric et Mélina observent avec émerveillement. Au moment où Éric s’en allait émettre un commentaire, Lionel lui fait signe de ne pas faire de bruit et ils continuent d’avancer vers les SONS. À une trentaine de mètres, ils finissent par repérer un vieil érable en train de se faire ronger par le Grand Pic (le même que celui qui a jusqu’à maintenant guidé Mélina dans la forêt). Ce dernier crée toute une pluie de copeaux de bois par terre.

ÉRIC Heille, r’gardez, c’t’un Grand Pic !

LIONEL

Vous êtes chanceux, il s’montre pas souvent, d’habitude ! MÉLINA

Est-ce que l’arbre est mort ? ÉRIC

(voyant que Mélina est triste de voir dépérir l’arbre) I’ était probablement trop vieux… les insectes avaient déjà commencé à l’gruger.

Ils s’approchent tous un peu plus pour mieux voir. Mélina est déconcertée à la vue de ce spectacle. Elle se croise les bras, comme si elle avait froid.

63 ÉRIC

(il baisse le ton de la voix, pour ne pas effrayer l’oiseau) En tout cas, s’i’ y avait pas autant d’arbres morts ici, i’ aurait pas d’grands pics… La plupart des gens paniquent quand i’ voient du bois mort dans une forêt. I’ pensent que c’est du bois qui s’perd. Mais c’t’important d’en laisser. Ça nourrit l’sol pis la faune. Pis ça permet à la nouvelle génération de mieux pousser.

MÉLINA

Mais… est-ce qu’on pourrait vraiment exploiter une forêt sans toute la déséquilibrer ? Est-ce qu’on peut l’aider à s’régénérer ?

ÉRIC Quand c’est ben fait, c’est possible.

(il touche à l’un des gros arbres)

Avec un peu de chance, on peut arriver à des résultats qui r’ssemblent à ça !

LIONEL

Pour ça, i’ faut r’mercier la mère à Mélina. J’avais fait pas mal de coupes dans l’temps, mais elle a jamais voulu que j’touche à ces arbres-là, en souvenir de ses parents…

MÉLINA

(elle observe toujours le pic, émerveillée) R’gardez les grands copeaux qu’i’ fait !

(elle se tourne vers Éric) C’est beau, hein ?

Captivés, Éric et Mélina restent là un certain temps, le regard perdu, à observer l’oiseau.

[RETOUR À LA RÉALITÉ] : la vision disparaît progressivement, sauf le même Grand Pic, qui reste toujours là à PICORER, exactement comme dans le souvenir. Puis, Mélina tourne la tête et voit la petite cabane à sucre, en haut de la côte, d’où il s’échappe de la fumée de la cheminée. Tout en s’approchant, elle voit de la neige apparaître et entourer la cabane : une autre vision prend place.