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Section 2 – Le régime des mentions

1) solutions en droit d’auteur

139. La question de la nature des mentions requises en droit d’auteur reçoit une réponse claire et précise : les mentions imposées par l’alinéa premier de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle le sont à titre de validité, ad

validitatem. Si une des mentions fait défaut, l’acte ne saurait être valable. Pour

produire ses effets, le contrat d’auteur devra donc impérativement préciser l’étendue des droits cédés, leur destination, le lieu et la durée de l’exploitation envisagée. Cette constatation découle du texte de l’article L. 131-3 alinéa 1er lui-même, qui précise que « la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que

chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte ». Le terme

« subordonnée » laisse peu de place au doute sur les intentions du législateur. S’il n’y a pas de mentions précises, il n’y a pas de transmission. C’est donc de manière certaine une condition de validité. Autre façon de dire les choses : les règles de l’article L. 131-3 alinéa 1er sont d’ordre public312. Ce qui signifie encore qu’elles sont impératives et que les parties ne peuvent pas décider d’y déroger. Si l’auteur et son cocontractant veulent conclure un contrat de cession des droits, ils devront nécessairement passer par la rédaction de ces mentions précises.

311 Cf. supra n° 55 et suivants, pour une présentation et une approche critique de la règle des écrits requis ad validitatem ou

ad probationem.

312 L’ordre public se définit, selon le Vocabulaire Juridique Cornu, comme une « norme impérative dont les individus ne

peuvent s’écarter ni dans leur comportement, ni dans leurs conventions ; norme qui, exprimée ou non dans une loi, correspond à l’ensemble des exigences fondamentales considérées comme essentielles au fonctionnement des services publics, au maintien de la sécurité ou de la moralité, à la marche de l’économie ou même à la sauvegarde de certains intérêts particuliers primordiaux ».

140. Conséquence logique de tout ce qui précède : en cas d’absence d’une mention, la sanction applicable est la nullité313. Reste à en déterminer le régime : il faut notamment rechercher si la nullité est partielle ou totale, et si elle est relative ou absolue.

La nullité en cas d’absence des mentions dans le contrat d’auteur est-elle partielle ou totale ? Autrement dit, ne concerne-t-elle que la stipulation lacunaire ou bien touche-t-elle l’intégralité de l’acte ? La question n’admet pas de réponse unique314. En réalité, tout dépend des circonstances. Si la stipulation en cause est trop importante, est essentielle dans le contrat, la nullité prononcée concernera l’acte en son entier315. Par contre, si la stipulation est marginale, si elle n’est pas essentielle, la nullité ne touchera que la stipulation lacunaire et le reste de l’acte survivra316. Si le juge hésite à prononcer la nullité parce que la clause existe, mais qu’elle n’est pas très claire, il procédera alors à une interprétation en faveur de l’auteur317.

Autre question : la nullité est-elle relative ou absolue ? Il s’agit ici de savoir si l’auteur est le seul à pouvoir invoquer la nullité ou bien si elle peut l’être par tout un chacun. Nous avons dit que les règles posées par l’article L. 131-3 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle étaient d’ordre public. Mais, conformément à l’idée de Ripert, il faut distinguer l’ordre public de direction et l’ordre public de protection318. L’ordre public de direction intéresse la société dans sa globalité : il apparaît logique qu’en cas de violation de cet ordre public, chaque individu puisse demander la nullité de l’acte litigieux. Par contre, l’ordre public de protection n’intéresse qu’une catégorie de personnes : ce n’est donc que la personne protégée qui peut, en cas de violation de cet ordre public, demander à la justice de prononcer la nullité de l’acte319. La question qui se pose alors à nous est celle de savoir de quel ordre public

313 A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter , op. cit, n° 645. 314 C. Caron, op. cit., n° 408.

315 La jurisprudence considère que lorsque la stipulation est « substantielle et essentielle », la nullité doit être totale. Cf. pour

un exemple : Cour d’appel de Paris, 9 octobre 1995, RIDA, 1996, n° 168, p. 311.

316 Les juges estiment cette fois que lorsque la stipulation « n’a pas altéré profondément l’équilibre des obligations

réciproques », la nullité ne doit être que partielle. Cf. pour un exemple : Cour d’appel de Paris, 28 février 2003, Com. com.

élect. 2003, comm. 68, note C. Caron.

317 Interprétation in favorem auctoris. V. par exemple : P.-Y. Gautier, op. cit., n° 466.

318 G. Ripert, « L’ordre économique et la liberté contractuelle », in Mélanges Gény, 1934, T2, p. 347 et s.

319 Voir par exemple J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, Les obligations, l’acte juridique, Sirey, 15ème édition, 2012, n° 297,

qui mettent bien en lumière la distinction : « Les mesures relatives aux contrats où il existe une inégalité marquée de puissance économique entre les parties tendent à protéger le contractant le plus faible, contre le plus fort ; elles sont prises au profit d’un intérêt particulier (…) contre un autre intérêt particulier. Pour les désigner, les termes les plus usuels sont : ordre public de protection ou ordre public social (…). D’autres mesures (…) tendent à réaliser une organisation et un équilibre

ressortent les dispositions de l’article L. 131-3 alinéa 1er. Il suffit de s’intéresser à la philosophie du texte (qui est conforme à l’esprit général du droit d’auteur français) pour obtenir la réponse. Nous l’avons déjà dit à plusieurs reprises, l’objectif de cette disposition est bien de protéger l’auteur, présumé partie faible. Le texte cherche donc à protéger une catégorie de personnes en particulier. Par conséquent, seuls les auteurs peuvent agir en justice pour demander la nullité de l’acte, en l’occurrence du contrat de cession qui violerait le texte320. L’absence des mentions requises par l’article L. 131-3 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle est donc sanctionnée par une nullité relative.

141. Ainsi, les mentions requises par l’article L. 131-3 alinéa 1er le sont à titre de validité et en cas d’absence de ces mentions, l’auteur peut demander en justice la nullité du contrat. A ce stade, une observation s’impose à nous : comment peut-on prétendre que l’écrit, lorsqu’il est requis, ne l’est qu’à titre de preuve (qu’il n’est donc en rien une condition de validité du contrat d’auteur) alors que les mentions (qui, nous l’avons dit, requièrent nécessairement un écrit) sont elles bel et bien exigées à titre de validité ? Le raisonnement nous semble pour le moins obscur ! Le fait d’exiger des mentions précises, nécessairement écrites, à titre de validité du contrat revient à dire que l’écrit lui-même est une condition sine qua non à la validité de l’acte. Pourquoi nier cet état de fait ? Certains auteurs le reconnaissent tout de même à mi-mots. Citons par exemple Mme Maffre-Baugé qui écrit que « sans les mentions écrites, l’acte de cession encourt la nullité [ce qui] conduit à nuancer [le] rôle exclusivement probatoire assigné à l’écrit par l’article L. 131-2 »321. De même, M. Gautier écrit que « la sanction sera normalement la nullité. L’on voit bien la liaison avec la nécessité d’un écrit (pourtant requis, au départ, à titre probatoire) »322. On a également pu lire que « l’exigence d’écrit associé à la cession de droit d’auteur est interprétée comme une formalité simplement probatoire, mais la nécessité de préciser dans celui-ci chacune des prérogatives cédées à peine de nullité relative économique, que la liberté n’assure pas ; elles sont édictées dans l’intérêt général, au besoin contre les intérêts particuliers, même concordants, des parties. (…) D’où l’appellation d’ordre public de direction ».

320 V. par exemple : P.-Y. Gautier, op. cit., n° 518 et suivants ; A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas-Schloetter, op. cit., n° 645. 321 A. Maffre-Baugé, Les grands arrêts de la propriété intellectuelle, Dalloz, 2004, n° 14.

revient indirectement à poser [une] exigence solennelle »323. Il serait temps de clarifier les choses et de dire une fois pour toutes que l’écrit est requis à titre de validité en droit d’auteur.

A travers le domaine et la sanction de l’article L. 131-3 alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, nous sommes parvenus à dresser un état des lieux du régime de la disposition. Voyons ce qu’il en est en matière de cautionnement.