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Section 2 – Le régime des mentions

1) un piège du consentement

147. Nous l’avons dit, la loi impose, dans un grand nombre de contrats, la présence de mentions obligatoires, à défaut desquelles le contrat est nul. Ces mentions ont pour objet l’information de la partie faible, sa protection. Si l’on sait

bien ce qui se passe en cas d’absence des mentions, l’on peut par contre s’interroger sur ce qu’il advient du contrat lorsque toutes les mentions imposées par la loi y figurent bien, mais que la partie faible s’estime tout de même lésée. Expliquons nous : si les mentions imposées par le législateur figurent bien dans le contrat qui a été présenté à la partie faible et accepté par elle, pour autant, rien ne garantit qu’elle ait bien compris la portée de son engagement, pris conscience de ses droits et de ses obligations. Rien ne garantit qu’elle sache véritablement ce à quoi elle s’est engagée. Si, au cours de l’exécution du contrat, elle se rend compte qu’elle a été trompée, qu’elle ignorait certains éléments de la relation contractuelle, que peut-elle faire ? Dispose-t-elle d’un recours contre le contrat ou bien celui-ci est-il définitivement à l’abri du fait qu’il respecte le formalisme imposé par la loi et que la partie faible en a accepté les termes ?

148. En droit de la consommation, la jurisprudence a répondu à cette question à l’aide de deux décisions importantes rendues par la Cour de cassation. Le premier arrêt date du 14 juin 1989 et a été rendu par la première chambre civile337. La question se posait en matière de crédit mobilier. Le consommateur estimait que le formalisme n’avait pas suffi à l’éclairer sur certains éléments. Il souhaitait alors passer par le droit commun et faire reconnaître que le professionnel l’avait trompé. La réponse des juges est claire :

« Dès lors que le législateur lui-même n’avait pas jugé utile de faire figurer

cet avertissement sur le modèle type qu’il avait lui-même rédigé (…) aucune réticence dolosive ne pouvait être imputée au cocontractant ».

Ainsi selon cet arrêt, en droit de la consommation, lorsque toutes les mentions requises par la loi figurent bien au contrat, ce dernier ne risque absolument rien338. Le respect du formalisme suffit à protéger le cocontractant de la partie faible, qui ne peut plus attaquer le contrat même si elle montre qu’elle ne savait pas à quoi elle s’engageait. Le droit commun ne peut lui être d’aucun secours. En cela, on peut parler de piège du consentement. Dès lors que les mentions figurent au contrat et que le

337 Cass. Civ. 1ère, 14 juin 1989 : JCP, 1991, II, 21632, note G. Virassamy ; Dalloz, 1989, somm., p. 338, obs. J.-L . Aubert ;

RTD Civ., 1989, 742, obs. J. Mestre.

consommateur l’a accepté, il est définitivement et irrémédiablement engagé. Ceci nous semble extrêmement contestable : on voulait protéger la partie faible au rapport contractuel, on en fait finalement une victime. Si le consommateur n’a pas bien compris la portée de son engagement, c’est peut-être parce qu’il n’y a pas fait attention, mais c’est peut-être aussi parce que le législateur l’a perdu à force de vouloir trop en faire339. De surcroît, on lui enlève la possibilité de recourir au droit commun qui aurait sûrement permis de le protéger de manière efficace. Et on se demande bien d’ailleurs pourquoi le droit spécial de la consommation (mais l’interrogation vaut aussi pour les autres droits spéciaux) et le droit commun des obligations seraient incompatibles340.

L’autre arrêt important à noter, toujours en matière de droit de la consommation, est celui rendu le 27 juin 1995 par la première chambre civile de la Cour de cassation341. Cette décision a, incontestablement, assoupli la solution rendue en 1989. Cette fois, le litige était né en matière de crédit immobilier. La question était la même que précédemment, à savoir : le respect du formalisme informatif de la part du professionnel suffit-il à mettre à l’abri le contrat ? Les juges du droit formulent ici une réponse beaucoup plus favorable à la partie faible :

« La présentation d’une offre préalable conforme aux exigences [de la loi] ne

dispense pas l’établissement de crédit de son devoir de conseil à l’égard de l’emprunteur ».

La Cour de cassation vient ici dire que le respect des mentions requises par le législateur n’est pas suffisant, qu’il faut en outre que le professionnel conseille l’emprunteur342. Avec cette solution, il reste un recours à la partie faible qui a donné son consentement à un contrat qu’elle n’avait pas nécessairement compris. En cela, le devoir de conseil du professionnel est une parade à ce que nous avons appelé le piège

339 Cf. supra n° 111.

340 Sur les rapports entre droit commun et droit spécial, cf. notamment : C. Goldie-Genicon, Contribution à l’étude des

rapports entre le droit commun et le droit spécial des contrats, LGDJ, 2009.

341 Cass. Civ. 1ère, 27 juin 1995 : Dalloz, 1995, jurisp., p. 621, note S. Piedelièvre ; RTD Civ., 1996, 384, obs. J. Mestre ;

Cont. Conc. Cons., 1995, n° 211, obs. G. Raymond.

342 Apparaît alors la distinction entre l’obligation d’information et le devoir de conseil. Selon le Vocabulaire juridique Cornu,

l’obligation d’information renvoie au « devoir imposé par la loi, notamment à certains vendeurs professionnels ou à des sociétés, de fournir des indications sur l’objet du contrat ou l’opération envisagée par les moyens adéquats (mentions informatives, publicité) ». Le devoir de conseil, quant à lui, renvoie au « nom parfois donné à l’obligation accessoire implicite à la charge de l’un des contractants, en raison de sa qualification professionnelle, d’aider l’autre, soit dans ses choix, lors de la phase précontractuelle, soit même dans l’exécution du contrat ». L’information est objective ; le conseil va plus loin, est subjectif, s’adapte aux besoins de la partie faible.

du consentement343. La partie faible n’est pas dépourvue de moyens de se défaire du contrat.

La solution est indiscutablement meilleure que celle de 1989. Une remarque toutefois : en plus du formalisme, le professionnel doit respecter son devoir de conseil. Ne commence-t-on pas à être particulièrement exigeant avec la partie forte ? N’est-on pas en train d’inverser l’équilibre344 ?

Quoi qu’il en soit, la décision de la Cour de cassation montre bien les limites du système d’information et de prévention mis en place par le législateur. En effet, la Cour de cassation ajoute au formalisme pour s’assurer de la bonne compréhension par la partie faible345. La solution serait ainsi caractéristique de la « défiance de la Cour de cassation à l’efficacité des dispositions [législatives], considérant sans doute, que les articles (…) remplissent insuffisamment leur fonction protectrice »346. Cette démarche, qui fait, quoi qu’ils en disent, transparaître les doutes des juges relativement à l’efficacité du formalisme informatif, ne fait qu’ajouter à notre scepticisme quant à la technique contractuelle.

149. La solution que nous venons de présenter vaut en matière de droit de la consommation. Mais en va-t-il de même pour les autres matières, et spécifiquement pour le droit d’auteur ? Existe-t-il un devoir de conseil du professionnel envers l’auteur lors de la signature du contrat ? L’auteur qui s’engage dans une relation contractuelle avec un éditeur, par exemple, a-t-il un moyen de la remettre en cause alors qu’il a accepté les termes de la convention et que toutes les mentions requises par le Code de la propriété intellectuelle sont bien présentes ? Nous l’avons déjà souligné347, il nous semble qu’il faille répondre par la négative ici : aucun devoir de conseil spécifique n’est prévu en la matière. Sauf à considérer que le devoir de conseil est un concept général et devrait, à ce titre, être respecté en tous secteurs et

343 Cf. supra n° 115 et suivants pour un développement sur l’obligation préalable d’information. 344 Cf. infra n° 226 et suivants.

345 Cf. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, op. cit., n° 262 : « La Haute juridiction a entrepris de remédier aux effets pervers

du formalisme informatif en découvrant, à la charge de certains professionnels sur lesquels pèse l’obligation de délivrer des informations réglementées, un devoir de conseil, voire de mise en garde ».

346 S. Piedelièvre, dans son commentaire de l’arrêt du 27 juin 1995, op. cit. L’auteur ajoute que les dispositions revêtent « un

caractère abstrait et standardisé. Certains documents (…) sont parfois difficilement compréhensibles pour des profanes. Le devoir de conseil exigé ici par la Cour de cassation sert, en réalité, à personnaliser l’information et à l’adapter aux besoins de l’emprunteur ». Il termine en estimant que « d’une certaine façon, le professionnel doit assister la réflexion du profane ».

notamment lors de l’opération de cessions des droits d’auteur (ce qui n’a jamais été fait pour l’heure, à notre connaissance), aucune parade au piège du consentement n’existe ici. L’auteur qui s’engage et qui découvre a posteriori qu’il n’a pas été suffisamment informé aura du mal à attaquer le contrat348.

150. Cet aspect « piège du consentement » du formalisme montre bien à quel point la priorité est aujourd’hui, dans un grand nombre de domaines, donnée à la forme davantage qu’au fond349. L’important est que le contrat respecte les formes prescrites par la loi. On se préoccupe finalement assez peu de la bonne compréhension des choses par la partie faible. Le législateur, par le biais du système d’information et de prévention, lui donne les moyens de s’informer, considérant que l’essentiel du problème est ainsi réglé. Mais la question de la réception de l’information ne semble pas faire partie de sa problématique. L’information virtuelle semble être bien plus importante que l’information effective.

La solution passe à nouveau, selon nous, par la marginalisation du formalisme informatif et la généralisation de l’information préalable350. Parce que la seconde est beaucoup moins formelle que le premier, le fond reprendrait l’avantage sur la forme et ainsi le consentement ne serait plus piégé.

Si le formalisme de la mention peut parfois être assimilé à un véritable piège du consentement, il peut également apparaître comme favorisant la mauvaise foi des parties.