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32. Le recours à l’écrit pour la conclusion du contrat d’auteur est prévu par le Code de la propriété intellectuelle. Il convient d’étudier les dispositions qui posent cette exigence (§1) et de voir quelle forme doit revêtir l’écrit pour respecter le principe posé par la loi (§2).

§1 – Les exigences du Code de la propriété intellectuelle

33. L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle, en ce qui concerne l’exploitation des droits d’auteur, exige la rédaction d’un écrit. Il dispose en effet :

« Les contrats de représentation, d’édition et de production audiovisuelle (…)

doivent être constatés par écrit. Il en est de même des conventions gratuites d’exécution ».

Cet article constitue le siège principal de l’exigence d’un écrit pour la rédaction des contrats d’auteur. Il n’est toutefois pas le seul texte du Code de la

propriété intellectuelle à mettre en lumière cette nécessité. Nous la retrouvons en effet à l’article L. 132-7 du Code, qui énonce en son premier alinéa que « le

consentement personnel et donné par écrit de l’auteur est obligatoire ». Ce texte se

trouve dans une section du Code consacrée au contrat d’édition. Il lui est donc propre par nature. Cependant, la doctrine comme la jurisprudence étendent bien volontiers l’application de l’article L. 132-7 à l’ensemble des contrats d’auteurs55, à tout le moins à ceux visés par l’article L. 131-2 du code. Les juges et la doctrine considèrent effectivement que l’auteur engage sa personnalité dans le contrat d’édition de la même façon qu’il l’engage dans tous les autres contrats d’auteur56. Il n’y a donc pas lieu selon eux de distinguer entre des situations identiques. Il nous semble qu’il faille approuver cette solution et se féliciter que la jurisprudence et la doctrine soient unanimes sur ce point.

34. L’article L. 132-7 ne concerne que le consentement de l’auteur. Il n’exige pas la rédaction complète du contrat d’auteur sur un support écrit. Il n’impose aucune forme, aucune mention particulière. Il oblige simplement à ce que le consentement de l'auteur soit donné par écrit. Il convient de s'interroger sur la portée exacte de ce texte. L'intérêt de l'article peut en effet paraître limité. Qu'apporte-t-il de plus que l'article L. 131-2 ? La question est légitime, puisque ce dernier requiert la rédaction d'un écrit. Or, dès lors qu'un écrit est rédigé, qu'un contrat (au sens instrumentum) existe, il semble bien qu'il y ait forcément rencontre des consentements, échange de volonté entre les deux parties qui ont conclu le contrat. Quelle est alors l'utilité de venir préciser dans l'article L. 132-7 que le consentement écrit de l'auteur est obligatoire ? Le législateur a-t-il voulu imposer, en plus de l'écrit, d'autres exigences formalistes ? A-t-il voulu imposer la rédaction d'une mention particulière tendant à démontrer l'accord complet de l'auteur avec les termes du contrat ? Ou bien a-t-il souhaité faire de l'apposition de la signature de l'auteur une condition sine

qua non à la validité du contrat ? En réalité, il nous semble qu'il faille lire l'article L. 132-7

alinéa 1er du Code de la propriété intellectuelle, en ce qu’il fait référence à l’écrit, comme une redondance de l'article L. 131-2. Son intérêt est surtout de préciser que le

55 Voir par exemple P.-Y. Gautier, Propriété littéraire et artistique, PUF, 8ème édition, 2012, n° 451 ; C. Caron, Droit

d’auteur et droits voisins, Litec, 2ème édition, 2009, n° 405.

56 Nous aurons largement l’occasion d’y revenir mais notons tout de suite que c’est le juge qui est ici responsable d’une

extension du champ d’application du formalisme, ce qui lui arrive de temps à autre (cf. notamment infra n° 159 et suivants). Nous ne nous en offusquons pas cependant, l’exigence par le législateur du consentement pour le seul contrat d’édition n’ayant pas vraiment de justification recevable. La volonté du juge de traiter, de ce point de vue, tous les contrats sur un pied d’égalité doit être saluée.

consentement doit être personnel57. Cet alinéa aurait pu être simplement rédigé ainsi : « le

consentement personnel de l'auteur est obligatoire ». Le fait de mentionner qu'il doit, de

surcroît, être écrit, n'est qu'une redite de l'article L. 131-2.

Notons tout de même que, si cet alinéa n'ajoute rien de particulier, en ce qui concerne l’écrit, par rapport aux exigences de l'article L. 131-2, il montre néanmoins l'attachement du législateur à ce que le contrat d'auteur soit rédigé par écrit. Il n'avait pas besoin de le répéter, et pourtant il l’a fait. Aucun doute n'est permis sur ses intentions. Cette redondance nous montre que l'écrit est absolument essentiel dans l’esprit du législateur.

L’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle exige ainsi que l’accord entre l’auteur et son cocontractant soit, en lui même, formalisé dans un écrit. Un simple accord de volontés entre l’auteur et son cocontractant ne saurait suffire. L’article L. 132-7 du même code ne fait que renforcer l’exigence de la constatation écrite de l’accord de volonté entre auteur et cessionnaire des droits. Les deux textes semblent ainsi tendre vers la même exigence : celle de la rédaction d’un écrit qui retracera la cession des droits de l’auteur à son cocontractant, de l’objet du contrat jusqu’au consentement. C’est en ce sens que paraît nous orienter la volonté de protection de l’auteur, inhérente à l’ensemble du droit d’auteur français. Reste à connaître la forme que doit prendre cet écrit.

§2 – La forme de l’écrit

35. Se pose ici la question de savoir quelle forme doit revêtir l’écrit constatant le contrat d’auteur, exigé, comme nous venons de le voir, par le Code de la propriété intellectuelle. La question est relativement récente, puisqu’elle se pose surtout depuis l’avènement de l’écrit électronique58. Il s’agit ainsi de savoir si le contrat d’auteur doit être constaté par un écrit classique ou s’il peut prendre la forme d’un écrit électronique. La réponse à cette interrogation ne fait bien évidemment aucun doute, au vu de l’informatisation de la société en général et du droit en particulier. L’écrit électronique est recevable, au même titre que l’écrit classique. Les conditions de la

57 C’est une exigence tellement importante que l’alinéa 2 de l’article la formule à l’identique pour les incapables. Cela

recevabilité de l’écrit électronique en matière de contrat d’auteur sont exactement les mêmes que celles prescrites par le Code civil depuis la loi du 13 mars 2000 59. L’écrit électronique est traité par les articles 1316-1 à 1316-4 du Code civil. L’article 1316-1 exige que l’écrit électronique permette l’identification de « la personne dont il

émane » et « qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Ainsi, les prescriptions de l’article L. 131-2 du Code de la propriété

intellectuelle (et par là même celles de l’article L. 132-7 relatives à l’exigence d’un écrit) pourront être remplies par la rédaction d’un écrit électronique, à condition de répondre à des exigences strictes d’identification et d’intégrité. Il faudra s’assurer, mais cela n’est en rien spécifique au contrat d’auteur, de l’identité de chaque partie (chacun doit être certain qu’il contracte avec la personne avec laquelle il entend le faire) puisque les fraudes de cet ordre sont évidemment plus simples à mettre en œuvre dans le domaine virtuel. Il faudra aussi s’assurer que le contrat pourra être conservé, sauvegardé, afin que chaque partie puisse s’en prévaloir le cas échéant.

Le dispositif d’intégration de l’écrit électronique dans le droit français a été complété ensuite par la « loi pour la confiance en l’économie numérique » (plus connue sous le nom de LCEN) en date du 21 juin 200460. Cette dernière loi a encore ajouté deux articles au Code civil, notamment l’article 1108-1 qui dispose que « lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique, il peut être établi et

conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1316-1 à 1316-4 (…) ». L’alinéa second de l’article autorise la recevabilité d’une mention sous

forme électronique lorsqu’un texte exige une mention manuscrite, « si les conditions

de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut être effectuée que par lui-même ». Le droit français semble ainsi désormais parfaitement en mesure de

recevoir l’écrit électronique.

Qu’en est-il de la signature du contrat par l’auteur et par son cocontractant ? L’apposition de la signature manuscrite sur papier est-elle la seule recevable ? C’est ici à

58 Sur l’écrit électronique, voir par exemple : P.-Y. Gautier et X. Linant de Bellefonds, « De l’écrit électronique et des

signatures qui s’y attachent », JCP G, 2000, I, 236.

59 Loi qui transpose la directive communautaire n° 1999/93/CE du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les

l’article 1316-4 du Code civil qu’il faut se référer, article qui valide le principe de la signature électronique, en pose la définition et en encadre l’utilisation. L’article énonce en effet que la signature électronique « consiste en l’usage d’un procédé fiable

d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache ». La suite de

l’article pose le principe d’une présomption de fiabilité de la signature électronique. Pour plus de précisions, il faut se référer au décret en Conseil d’Etat adopté en 200161, qui précise les conditions dans lesquelles un prestataire de services de certification (c’est à dire un fournisseur de moyens de signature électronique) peut se prévaloir de la présomption de fiabilité. Ces exigences sont très fortes, à tel point qu’elles ne sont jamais atteintes en pratique62. Ceci étant dit, le principe de la signature électronique est bien validé par le droit français. Elle peut alors être utilisée dans le cadre des contrats d’auteur.

Il n’est, au regard de tout ce que nous venons d’énoncer, pas nécessaire que l’auteur et son cocontractant soient en présence l’un de l’autre pour conclure le contrat. Le Code de la propriété intellectuelle n’a bien évidemment jamais rien exigé de tel et la conclusion de contrats à distance n’est pas un phénomène nouveau63. A ce sujet, par exemple, l’article L. 131-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle fait référence à la possibilité de conclure le contrat d’auteur par « télégramme »64. Ce moyen de passer un contrat existait bien avant l’apparition de l’informatique et n’était pas le seul. Cependant, ces hypothèses sont absolument incomparables à l’engouement suscité par l’informatique et les « contrats e-mail ». La conclusion de contrats à distance sans recours à l’informatique n’était pas toujours des plus aisées. Il n’était pas rare que, pour des raisons parfaitement pratiques, les deux parties préféraient se rencontrer lorsqu’elles envisageaient de conclure leur accord

60 Loi n° 2004-575 pour la confiance en l’économie numérique, qui transpose la directive 2000/31/CE du Parlement européen

et du Conseil du 8 juin 2000, dite « directive sur le commerce électronique ».

61 Décret en Conseil d’Etat n° 2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l’application de l’article 1316-4 du Code civil et relatif à

la signature électronique.

62 Par exemple, l’article 6 du décret exige qu’un certificat électronique ne peut être qualifié que s’il comporte : la mention

indiquant que c’est un certificat délivré à titre de certificat électronique qualifié, l’identité du prestataire, le nom du signataire, la qualité du signataire, les données de vérification de signature électronique, la période de validité du certificat, le code d’identité du certificat, la signature électronique sécurisée du prestataire et les conditions d’utilisation du certificat. Très simple !

63 La conclusion de contrats à distance existait déjà au Moyen-Age, lorsque les parties étaient trop loin l’une de l’autre pour

se rencontrer et qu’elles concluaient leurs accords par l’intermédiaire d’un messager.

64 Notons au passage que le terme « télégramme » présent dans l’article L. 131-3 alinéa 2 apparaît quelque peu désuet. Il

n’est pas certain que le télégramme soit encore un moyen de correspondance très utilisé… Peut-être que le législateur aura la bonne idée de supprimer ce terme lors d’une prochaine réforme législative. M. Pollaud-Dulian écrit d’ailleurs à ce sujet que « le procédé télégraphique étant aujourd’hui abandonné, cette disposition est privée d’utilité et, de lege ferenda, pourrait être remplacée par des dispositions sur l’écrit électronique et la télécopie… ». (F. Pollaud-Dulian, Droit d’auteur, Economica, 2005, n° 948).

par un écrit « classique », un écrit papier. Aujourd’hui, si elles optent pour l’écrit électronique, elles ne rencontrent plus les mêmes contraintes. Le contrat peut être passé à distance sans aucune difficulté pratique, et notamment dans des délais très brefs, ce que ne permettait pas toujours le recours au courrier postal par exemple.

36. L’écrit électronique a donc permis un recours plus aisé et plus systématique aux contrats à distance, même si ces derniers existaient sans lui. Il nous semble que cela constitue un plus grand progrès qu’il n’y paraît. En effet, la conclusion d’un contrat à distance apparaît être davantage garante d’un consentement plus éclairé. L’auteur pourra peut-être porter une attention plus grande aux obligations auxquelles il s’engage, il pourra s’assurer que ses droits sont bien respectés, que le contrat est bien construit, et ce, par exemple, en contactant un « homme du métier » parfaitement neutre. Il s’agit là de progrès certains, mais il y a encore plus concluant : l’auteur pourra acquiescer bien plus sereinement, c’est à dire sans aucune pression de la part de son cocontractant. A ce sujet, il a d’ailleurs été écrit qu’ « il est parfois plus facile de dire non à distance qu’en face d’une personne aguerrie à l’art de la séduction »65. Du moins théoriquement.

Sans aller jusqu’à proclamer la supériorité de l’écrit électronique, d’autres auteurs considèrent qu’il n’est, en tous les cas, pas moins protecteur qu’un écrit classique. Il a par exemple été écrit, non sans une certaine prudence, que « rien ne permet d’affirmer que l’admission de l’écrit électronique signé ouvrirait la porte à des engagements irréfléchis de la part des consommateurs. Une suite de « clics », manifestant chacun le souhait de poursuivre le processus devant conduire à l’acceptation, après qu’a été imposée le cas échéant la lecture des conditions du contrat, est certainement tout autant de nature à permettre au consommateur de se déterminer en connaissance de cause que la signature d’un document écrit »66. Le même auteur ajoute, pour conclure son propos qu’ « il est donc loin d’être certain que l’admission de l’écrit électronique (…) affaiblisse la protection du consommateur »67. L’écrit électronique offrirait ainsi à l’auteur, comme au consommateur, les moyens de réfléchir à son engagement.

65 Y. Picod et H. Davo, Droit de la consommation, Sirey, 2ème édition, 2010, n° 208. 66 J. Passa, « Commerce électronique et protection du consommateur », Dalloz, 2002, p. 555. 67 J. Passa, op. cit.

N’exagérons rien cependant. L’auteur reste, quoiqu’il arrive, dans la position de la partie faible. Prenons l’exemple d’un romancier qui serait sur le point de signer un contrat d’édition avec un grand éditeur : même si ses droits ne sont pas parfaitement respectés et qu’il en a conscience, même s’il aurait voulu signer dans d’autres circonstances, il y a fort à parier que notre romancier donnera tout de même son accord au contrat. Les maisons d’édition n’attendent pas après les romanciers ; la réciproque n’est pas vraie pour la grande majorité des auteurs.

Notons que certains ne se contentent pas de souligner cette réserve et vont jusqu’à émettre quelques doutes sur l’intérêt pratique de l’écrit électronique. On a, par exemple, pu lire qu’il était possible de « se demander si l’efficacité du formalisme n’est pas là quelque peu entamée : le défilement d’une succession de clauses sur un écran ainsi que la signification psychologique du clic ne remplaceront pas la lecture minutieuse du papier et la signature manuscrite »68. Nous sommes davantage séduits par les arguments des auteurs qui considèrent que l’écrit électronique peut être une chance pour tenter de pallier le déséquilibre du contrat. En cela, nous rejoignons ceux qui plaident en faveur du recours à l’écrit électronique en particulier et au contrat conclu à distance en général. Ce sont les années d’utilisation de l’écrit électronique qui nous offriront le recul nécessaire pour savoir si nous avions raison d’être optimiste.

Maintenant que nous avons étudié le principe du recours à l’écrit posé par le Code de la propriété intellectuelle, il convient de s’intéresser au champ d’application de cette règle.