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Section 2 – Le régime des mentions

2) une faveur à la mauvaise foi

151. Il s’agit ici du problème inverse à celui que nous venons d’évoquer. En effet, lorsque toutes les mentions sont présentes, mais que pour autant l’information a mal circulé, le contrat est souvent inattaquable et le consentement des parties se retrouve ainsi

347 Cf. supra n° 121. 348 Cf. infra n° 147.

349 Cf. L. Aynès, « Formalisme et prévention », in Le droit du crédit au consommateur, Litec, 1982, p. 70, n° 11 : « par le jeu

de l’écrit et des mentions obligatoires, toute recherche de volonté des parties devient inutile. L’acte – son existence, son contenu, ses effets – dépend de ce qui est écrit, non de ce qui est voulu ».

piégé. Par contre, lorsqu’une mention manque, cela ne signifie pas forcément que la partie faible ignorait l’information. Pour autant, puisque le formalisme prescrit par le législateur n’a pas été respecté, la partie faible peut attaquer le contrat. En cela, l’on peut dire que le formalisme de la mention apparaît parfois comme une faveur donnée à la mauvaise foi.

Expliquons-nous plus longuement. Le législateur a prévu, dans certains contrats, un système d’information et de prévention au bénéfice de la partie faible. Le postulat de départ est celui selon lequel cette partie ne dispose pas des connaissances suffisantes pour lui permettre de contracter sereinement. Elle est totalement profane dans la matière à laquelle est relative le contrat. Mais en réalité, les compétences de la partie présumée faible sont extrêmement variables. Ainsi, là où certains n’auront absolument aucune information préalable, d’autres sauront exactement à quoi s’attendre de par leur expérience personnelle. Par exemple, ce n’est pas tout à fait la même situation lorsqu’un cordonnier va consulter sa banque pour conclure un prêt immobilier que lorsqu’un agent immobilier (qui contracte pour ses besoins personnels, bien entendu) entame la même démarche. Il est ainsi indéniable que derrière l’expression « partie faible » se cachent des individus aux caractéristiques hétérogènes. Il arrive donc parfois que cette partie n’ait aucunement besoin du dispositif d’information prévu par la loi. Que le contrat qu’elle conclut présente bien toutes les mentions requises ou non, cela ne change rien au fait qu’elle sait précisément ce à quoi elle s’engage. Ce qui nous confirme dans l’idée qu’il faudrait, de manière générale, prendre en considération les qualités de cette partie faible : il faudrait apprécier in concreto ses compétences et connaissances afin de lui fournir une information plus appropriée351.

152. Ainsi, et pour revenir à notre problématique, rien n’empêche la partie faible de faire preuve de mauvaise foi352. Imaginons qu’en cours d’exécution du contrat, elle se rende compte qu’elle n’en a plus besoin ou que les conditions ne lui conviennent plus. Si une mention exigée à peine de nullité par la loi manque au contrat, elle aura alors un moyen inespéré de l’attaquer. Et puisque la mention

350 Cf. supra n° 115 et suivants. 351 Cf. supra n° 122 et suivants.

manquante était obligatoire, les juges n’auront d’autre choix que de prononcer la nullité du contrat353, en expliquant que la partie à protéger n’a pas bénéficié d’une information suffisante. Il y aurait alors incontestablement mauvaise foi de la part de la partie faible. Cette situation est difficilement acceptable, puisqu’elle remet en cause la parole donnée pour une bien mauvaise raison354.

Prenons un exemple en droit d’auteur, à partir de faits réels qui ont donné lieu à une action en justice355. Une commune cherche à communiquer sur son attractivité et décide de faire appel à une agence de publicité, afin que celle-ci réalise une campagne. Un logo et un slogan sont réalisés et dévoilés au public. Alors que les relations entre les deux parties ne sont plus au beau fixe, la commune continue à utiliser les créations de l’agence. Cette dernière agit alors contre la commune en contrefaçon. L’agence estime que son ancienne cliente n’est pas titulaire des droits, qu’il n’y a pas eu cession des droits356 à la commune. En réalité, la volonté de céder les droits ne faisait pas beaucoup de doute, l’agence ayant elle-même incité sa cliente à continuer à exploiter les créations « dans l’avenir et sur tout l’espace national ». Mais il n’y avait pas de véritable cession expresse. L’agence a ainsi tenté d’utiliser cet argument, sur le fondement de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, pour se libérer de son engagement et, de ce fait, nuire à la commune avec qui elle avait eu quelques différends. En l’occurrence, la Cour de cassation a rejeté les prétentions de l’agence et conclu que la commune était bel et bien titulaire des droits d’auteurs. Le fait est que l’agence qui demandait la condamnation de la commune pour contrefaçon n’avait pas la qualité d’auteur. Elle n’était en effet que cessionnaire des droits et, en application de la jurisprudence Perrier357, elle ne pouvait pas invoquer les règles du Code de la propriété intellectuelle. C’est ce subterfuge qui a permis à la Cour de cassation d’écarter la demande de l’agence. Mais qu’aurait-elle décidé si l’auteur de l’œuvre litigieuse n’avait pas cédé ses droits à une agence et

352 Sauf évidemment l’article 1134 alinéa 3 du Code civil qui prône le respect de la bonne foi dans l’exécution des contrats.

Mais alors il faudra prouver cette mauvaise foi, ce qui n’est jamais très aisé…

353 Nullité dans certains cas (notamment en droit d’auteur), mais aussi d’autres sanctions comme la déchéance du droit aux

intérêts en droit de la consommation.

354 Cf. par exemple : J. Calais-Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, Dalloz, 8ème édition, 2010, n° 22 : « [La

surprotection] risque aussi d’être abusivement utilisée par les consommateurs les plus malins ».

355 Cass. Civ. 1ère, 19 février 2002, Prop. Intell., octobre 2002, n° 5, p. 53, obs. A. Lucas ; RIDA, 2002, 399. 356 Cf. infra n° 319 pour une étude de la cession des droits dans le cadre publicitaire.

avait agi directement en son nom ? Les juges du droit auraient sans doute rendu une solution différente et certainement conclu à la contrefaçon. Et pourtant, nul doute ici que cet auteur se serait servi d’un manquement au formalisme prescrit par le législateur pour tenter d’échapper à ses obligations. La mauvaise foi aurait été on ne peut plus évidente. C’est une véritable solution de facilité que de recourir à pareil argument. Il s’agit d’une méthode qui va contre le principe de respect des engagements, pourtant prescrit avec force par le Code civil en son article 1134. M. Lucas écrit d’ailleurs dans son commentaire de l’arrêt visé que « la vérité est que l’application stricte du formalisme des cessions de droits d’auteur offre trop d’échappatoires à des cédants peu respectueux de la parole donnée ».

On voit bien, à travers cet exemple, la tentation qui peut exister à instrumentaliser le formalisme à des fins pour le moins regrettables. Il s’agit là d’une démarche parfaitement opportuniste, visant à se défaire d’un engagement pourtant contracté en toute conscience.

Autre exemple, toujours en droit d’auteur : un photographe spécialisé dans le cliché de musiciens passe un contrat avec un éditeur afin que ses œuvres servent à l’illustration d’une encyclopédie. Le document signé par les parties précise que les photographies ne peuvent être reproduites que sur « des fascicules, jaquettes et livres de cassettes et de CD ». Le photographe se rend compte que ses clichés sont reproduits sur des couvertures cartonnées de livres (en réalité, compilations de plusieurs fascicules). Il n’a pas autorisé ce type d’exploitation. Il assigne l’éditeur en contrefaçon. A nouveau, il semble que la mauvaise foi ne soit pas loin : il a autorisé la reproduction sur des fascicules, mais l’utilisation de son œuvre sur un livre rassemblant plusieurs fascicules lui poserait problème… Les juges ont d’ailleurs ici noté la singularité de la demande puisqu’ils ont considéré que « ces livres cartonnés sont des volumes reprenant à l’identique lesdits fascicules ». Ils ont, fort logiquement, débouté le photographe de sa demande358. M. Lucas, écrit, au sujet d’une autre affaire parfaitement similaire, qu’ « il ne faut pas que la règle d’interprétation stricte serve à cantonner systématiquement la portée de la cession au mépris de la bonne foi contractuelle »359.

153. C’est ainsi qu’il est possible de dénoncer l’automaticité de la sanction. Nous l’avons déjà dit, rendre la sanction, en l’occurrence la nullité, systématique dès lors que le formalisme informatif n’a pas été respecté à la lettre, revient à faire prévaloir, de manière indéniable et plutôt contestable, la forme sur le fond. La nullité vient sanctionner le non respect de prescriptions législatives, sans chercher à savoir si la partie faible que l’on tente ici de protéger a véritablement souffert de ce prétendu manque d’information ou si elle cherche simplement à se défaire d’un engagement devenu inutile par le biais d’une irrégularité de forme particulièrement bienvenue. La sanction est, en quelque sorte, aveugle. A vouloir être trop générale, elle finit par s’appliquer à des situations pourtant parfaitement équilibrées, dans lesquelles les droits de chacune des parties ont été respectés. Cela nous paraît complètement absurde. Si le formalisme ne sert pas à réparer une situation réellement préjudiciable, il tourne à vide.

Face à ce constat, certains auteurs proposent, au lieu de prononcer une nullité systématique, de recourir à un adage bien connu de la procédure civile, « pas de nullité sans grief ». L’objectif est de ne sanctionner par la nullité que si l’absence d’information (et donc le manquement au formalisme informatif) a réellement vicié le consentement de la partie faible et lui a effectivement causé un préjudice. Autrement dit, on vérifie, par l’intermédiaire du droit commun et de sa théorie des vices du consentement, que l’approbation de la partie à protéger a été donnée dans des conditions douteuses et que cela lui a causé un dommage360, avant, devant ce constat, de prononcer la nullité. La sanction n’est alors plus aveugle et automatique, mais consciente et raisonnée. M. Lagarde, notamment, est favorable au recours à cet adage pour l’application de la sanction en cas de manquement au formalisme informatif. Il écrit qu’ « ainsi les règles de forme seraient-elles sanctionnées sans que la sanction constitue une faveur à l’esprit de chicane »361. De même, M. Mazeaud estime que « plutôt qu’une sanction automatique, on peut se demander s’il ne serait pas opportun de prévoir (…) une sanction (…) dont le prononcé serait subordonné à la preuve par le consommateur que son consentement a été altéré, en raison de

359 Cour d’appel de Paris, 4ème chambre, 17 septembre 2004, op. cit.

360 Par exemple, elle aurait pu bénéficier d’une meilleure opération dans le cadre d’un autre contrat si elle n’avait pas été

l’omission de la mention informative » 362. D’autres auteurs partagent ce point de vue. On peut lire par exemple qu’ « avant de prononcer [la nullité], il serait (…) préférable de vérifier que le consentement de celui qui devait bénéficier de l’information a été vicié. Facultative pour le juge, la nullité ne serait prononcée que si l’omission d’une information a effectivement trompé le cocontractant »363. Il a également été écrit que : « s’il apparaît, en cas de manquement véniel de forme, que le consommateur n’en a pas souffert, n’est-il pas plus raisonnable de ne pas prononcer cette [sanction], ou bien seulement dans une mesure modeste ? (…) Le juge doit rechercher si l’omission des mentions a eu pour effet de vicier le consentement de l’acquéreur »364.

Nous partageons assez largement ce point de vue. Il nous semble qu’une sanction n’est jamais mieux perçue, ni mieux acceptée, que lorsqu’elle est appliquée de manière adaptée et opportune. En cela, la sanction du manquement au formalisme informatif ne doit être que facultative. Il ne faut prononcer la nullité (puisque c’est ici la sanction classique) que si le manquement à la forme prescrite par le législateur a véritablement provoqué un vice du consentement chez la partie faible. Il ne faut pas se contenter de constater que le formalisme informatif n’a pas été respecté. Il faut rechercher si ce non respect a eu une incidence sur le consentement de la partie à protéger. Si, et seulement si, son consentement a été vicié (par une erreur ou un dol principalement), il faudra alors que le juge prenne la décision de prononcer la nullité. En droit d’auteur, cela revient à s’assurer que l’auteur qui demande la nullité du contrat a bien été trompé et que cela lui a causé un préjudice. Par exemple, un écrivain a signé un contrat d’édition qui lui a été présenté de manière faussement avantageuse et a dû, par conséquent, refuser d’autres propositions finalement plus intéressantes pour lui. Dans ce cas, l’auteur a bien été trompé et cela lui cause un dommage (perte de chance).

361 X. Lagarde, « Observations critiques sur la renaissance du formalisme », JCP G, 1999, I, 170, n° 19.

362 D. Mazeaud, dans son commentaire d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation : Dalloz, 2002, 71. 363 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n° 262.

154. Fort heureusement, il existe déjà certaines exceptions à l’automaticité de la sanction, au rang desquelles on compte la vente du fonds de commerce365. L’article L. 141-1 du Code de commerce présente les mentions que doit contenir l’acte de vente du fonds de commerce. Le texte précise que « l’omission des énonciations (…)

prescrites peut, sur la demande de l’acquéreur formée dans l’année, entraîner la nullité de l’acte de vente ». La jurisprudence a déjà eu l’occasion à plusieurs reprises

de préciser que pour obtenir la nullité, l’acquéreur devait prouver que son consentement avait été vicié et qu’il avait subi un préjudice366. Ainsi, la sanction n’est pas ici automatique, elle est conditionnée à la constatation d’un vice du consentement et d’un préjudice pour l’acquéreur. Ce qui nous paraît opportun.

Il faut donc, selon nous, généraliser cette exception et faire de la sanction en cas de manquement au formalisme informatif, une sanction facultative et subordonnée à la constatation d’un vice du consentement. Il s’agit ainsi de rendre toute sa place au droit commun, notamment à travers la théorie des vices du consentement, qui doit servir à raisonner la sanction. Ainsi, il faut redonner l’avantage au fond sur la forme. En appliquant l’adage « pas de nullité sans grief », on évite les risques de mauvaise foi et donc les utilisations abusives, les instrumentalisations du dispositif de protection de la partie faible.

Un nouvel effet pervers est donc caractérisé. Nous ne pouvons que regretter ces risques de mauvaise foi et nous interroger sur la réelle valeur d’un dispositif qui entraîne de tels effets pervers. Peut-on, sous prétexte de vouloir protéger la partie faible, fermer les yeux sur des conséquences aussi malheureuses ? Nous n’en sommes pas convaincus. D’autant plus qu’une nouvelle « externalité » négative est à noter : le formalisme de la mention conduit à une fragilisation des parties.