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l’effet pervers : la longueur des contrats

Section 1 – Des mentions précises

2) l’effet pervers : la longueur des contrats

97. On a vu que le contrat, pour être valable, devait contenir certaines mentions : étendue, destination, lieu, durée218. Ces mentions doivent, au surplus, être reprises pour chacune des prérogatives cédées par l’auteur. On imagine déjà aisément que le nombre de mentions peut rapidement grimper. Et le volume du contrat avec, sachant que pour se conformer le plus possible à l’interprétation que font les juges de l’exigence légale, il faut rédiger ces mentions avec beaucoup d’attention, de minutie219. Le phénomène de « contournement de la mention » exacerbe le problème : les clauses qui se veulent respectueuses du Code de la propriété intellectuelle tout en essayant de dépouiller l’auteur au maximum sont extrêmement longues.

98. Pour rendre le propos plus concret, il nous semble intéressant de reproduire ici la clause relative aux droits cédés qui figure dans le contrat type d’édition d’une œuvre de littérature générale proposé par la SCAM220. Elle est formulée comme suit :

« C – Quant aux droits cédés :

L'auteur cède à l'éditeur, à titre exclusif, pour la durée et le territoire prévus au présent contrat, le droit de reproduire, publier et vendre l'ouvrage X en édition courante, ce qui constitue l’exploitation principale.

L'auteur cède à titre exclusif à l'éditeur le droit d'imprimer, de reproduire, de publier et de vendre dans une édition courante, et d'exploiter, dans les limites définies à l'article I du présent contrat, l'ouvrage de sa composition qui a pour titre :

« ……….. » Toute prérogative d'ordre patrimonial non expressément cédée à l'éditeur dans les conditions et formes prévues à l'article I est réputée demeurer la propriété de l'auteur.

L'auteur garantit l'éditeur contre tous troubles, revendications ou évictions quelconques. De son côté, l'éditeur s'engage à assurer à ses frais la publication en librairie de cet ouvrage, et à lui procurer par une diffusion dans le public et auprès des tiers susceptibles d'être intéressés, les conditions favorables à son exploitation, dans la limite des droits qui lui sont cédés par le présent contrat.

218 Cf. supra n° 74.

219 Voir par exemple P.-Y. Gautier, « Contre Bentham ; l’inutile et le droit », RTD Civ., 1995, p. 825, n° 51, qui parle de

« luxe apporté à la rédaction des clauses ».

Il lui cède également, pour ces mêmes durée et territoire, les droits d'exploitation dérivée ci- après énumérés :

a – Droit de reproduction et d'adaptation graphique

- droit de reproduire l'œuvre sous d'autres présentations que l'édition principale et notamment en édition club, format de poche, illustrée, de luxe ou dans d'autres collections ;

- droit de reproduire tout ou partie de l'œuvre sur support graphique et notamment par voie de presse (y compris en pré ou post-publication), de micro-reproduction, ou de reprographie aux fins de vente (visé à l'article L 122-10 alinéa 3 du Code de la Propriété Intellectuelle) ;

- droit d'adapter tout ou partie de l'œuvre pour tous publics et sous toutes formes modifiées, abrégées ou étendues, et notamment édition condensée ou destinée à un public particulier, roman photo, bande dessinée, pré ou post-publication, et de reproduire ces adaptations sur support graphique.

b – Droit de traduction

- droit de traduire en toutes langues, à l'exception de ………., tout ou partie de l'œuvre et de ses adaptations et de reproduire ces traductions sur tout support graphique, actuel ou futur

c – Droit de reproduction, d'adaptation et de traduction sur support autre que graphique : - droit de reproduire tout ou partie de l'œuvre et de ses adaptations et traductions

visées ci-dessus, sur tout support d'enregistrement phonographique, magnétique, optique, numérique, à l'exception d'une intégration dans un programme interactif, qui est traitée à la rubrique : e) Droit d'exploitation multimédia" ;

- droit d'adapter et de traduire, dans les langues visées au paragraphe b) ci-dessus, tout ou partie de l'œuvre en vue de son exploitation sonore, visuelle, radiophonique à l'exception toutefois des adaptations audiovisuelles, et de reproduire ces adaptations sur un support d'enregistrement phonographique, magnétique, optique, numérique, à l'exception d'une intégration dans un programme interactif, qui est traitée à la rubrique : "e) Droit d'exploitation multimédia".

d – Droit de représentation et de communication

- droit de représenter tout ou partie de l'œuvre et de ses adaptations et traductions, à l'exception des adaptations audiovisuelles, par tout procédé de communication au public, notamment par récitation publique, représentation dramatique, exécution lyrique, transmission radiophonique ou télévisuelle, diffusion par Internet.

e – Droit d'exploitation multimédia

- droit de reproduire tout ou partie de l’œuvre dans un support multimédia et d’apporter à l’œuvre, sous réserve de l’accord de l’auteur, les adaptations nécessaires à son intégration dans une œuvre multimédia.

Cette cession est subordonnée à l'accomplissement des formalités déclaratives et au paiement par l'organisme responsable des actes d'exploitation auprès de SESAM, des redevances en vigueur au jour de la signature de l'acte validant ces formalités.

Lorsque l’auteur doit lui-même procéder à des adaptations de l’œuvre en vue de son adaptation sous forme multimédia, un avenant au présent contrat fixe les conditions de cette adaptation.

Ce droit ne comprend pas celui d’adapter l’œuvre sous forme audio-visuelle, c’est-à- dire de séquences animées d’images sonorisées ou non.

L'éditeur est habilité à exploiter les droits dérivés ci-dessus énumérés, soit directement, soit par voie de cession à des tiers. Il devra informer régulièrement l'auteur, dans les trois mois, de toute cession consentie à un tiers.

Il est rappelé que tous les droits non énumérés ci-dessus demeurent la propriété de l'auteur. Si l'auteur souhaite céder lesdits droits, ou certains d'entre eux à l'éditeur (ou à des tiers), cette cession ne pourra avoir lieu que par acte distinct pour chacune de ces autres exploitations.

Notamment le droit d'exploitation audiovisuelle fera l'objet d'un contrat séparé conformément aux dispositions de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle. »

Pour s’assurer que le phénomène n’est pas limité à l’édition littéraire, reproduisons ici la même clause relative à la cession des droits, présente dans un contrat de production audiovisuelle cette fois221. Il s’agit de l’article 2 du contrat :

« L’auteur cède irrévocablement au Producteur (…) les droits d’exploitation ci-après définis :

I – Exploitations primaires

Les droits d’exploitation primaires cédés au Producteur comprennent : A. Le droit de reproduction

Le droit de reproduction comporte :

1. Le droit de faire réaliser, distribuer, diffuser le Film en version originale de langue française et/ou étrangère, de la sous-titrer et/ou de la doubler en toutes langues. 2. Le droit d’enregistrer ou de faire enregistrer par tous procédés techniques connus ou

inconnus à ce jour, sur tous supports, en tous formats, en utilisant tous rapports de cadrage, les images en noir et blanc ou en couleurs, les sons originaux et doublages (paroles, musique, bruits, etc.), les titres ou sous-titres du Film, ainsi que des photographies fixes représentant des scènes du Film.

3. Le droit de numériser, moduler, compresser et décompresser, digitaliser ou reproduire le Film, éventuellement adapté sous forme d’une œuvre multimédia, par les procédés ci-dessus, ainsi que de la stocker, en vue de son transfert ou sa diffusion.

221 Contrat de production audiovisuelle conclu entre Olivier Nakache et la société Yume – Quad Films, relativement à la

4. Le droit d’établir ou de faire établir en tel nombre qu’il plaira au Producteur ou à ses ayants droit, tous originaux, doubles ou copies, sur tous supports, notamment pellicule film, vidéo, numérique ou tout autre support connu ou inconnu à ce jour, en tous formats et par tous procédés connus ou inconnus à ce jour, à partir des enregistrements ci-dessus.

5. Le droit de mettre ou de faire mettre en circulation ces originaux, doubles ou copies, pour l’exploitation cinématographique du Film ainsi que pour les exploitations secondaires ci-après définies.

6. Le droit d’enregistrer et de synchroniser avec les images toutes les compositions musicales avec ou sans paroles, originales et/ou préexistantes.

7. Le droit d’établir ou de faire établir toutes bandes-annonces, teaser, promo real, etc… du Film et d’y intégrer tout commentaire ou slogan publicitaire.

B. Le droit de représentation

Le droit de représentation comporte notamment :

1. Le droit de représenter et/ou de faire représenter publiquement le Film dans le monde entier, en version originale, doublée ou sous-titrée, et ce dans toutes les salles d’exploitation cinématographique, payantes ou non-payantes, tant dans le secteur commercial que dans le secteur dit « non-commercial ».

2. Le droit d’exploiter le Film, en version originale doublée ou sous-titrée, par télédiffusion, c’est-à-dire par un éditeur de services de télévision dont le programme principal est composé d’une suite ordonnée d’émissions comportant des images et des sons, en version originale, en version doublée ou en version sous-titrée, par voie hertzienne terrestre, en mode analogique ou numérique (chaines TNT, etc.), par satellite, par câble, par voie électronique notamment les chaines gratuites ou payantes (chaines à péage, pay per view), ou par tous autres moyens de diffusion, notamment par tous moyens de communications électroniques tels que les réseaux satellitaires, les réseaux fixes ou mobiles, les réseaux de fibre optique, le réseau ADSL, le réseau Internet, le réseau WIFI, les réseaux 3G ou 3.5G indépendamment des technologies ou normes de diffusion utilisées pour se connecter aux réseaux (notamment GPRS, EDGE, UMTS, HSDPA), en vue de sa communication au public intégralement ou par extrait, en simultanée ou en différée, par l’intermédiaire d’un service de télévision de rattrapage (ou catch up TV) ou non, à titre gratuit ou contre paiement d’un abonnement forfaitaire ou d’un prix individualisé, tant aux fins de réception individuelle que collective, et pour visualisation sur tout terminal de réception, fixes ou mobiles (…).

3. Le droit d’exploiter le Film sous forme de vidéogrammes (vidéocassettes, vidéodisques, DVD, DVD-HD, Blu ray, DVD Rom, ou tous autres supports audiovisuels connus ou à venir) destinés à la vente ou à la location pour l’usage privé du public.

4. Le droit d’exploiter le Film en vidéo à la demande (VoD) c’est-à-dire de le mettre à la disposition du consommateur final, à sa demande et à l’heure de son choix, par tous réseaux de communications électroniques connus ou inconnus à ce jour, et notamment, sans que cette liste soit limitative les réseaux satellitaires, les réseaux fixes ou mobiles, les réseaux de fibre optique, le réseau ADSL, le réseau Internet, le réseau WIFI, les réseaux 3G ou 3.5G indépendamment des technologies ou normes de diffusion utilisées pour se connecter aux réseaux (notamment GPRS, EDGE, UMTS, HSDPA), par voie hertzienne terrestre, par câble, par satellite, par tous procédés de diffusion, par tous moyens ou procédés, connus ou inconnus à ce jour, incluant notamment le « streaming » (diffusion linéaire) ou « downloading » (téléchargement) ainsi que le procédé technique défini sous le terme « Electronic Sell Through » ou « E.S.T. », sur des récepteurs de télévision, sur tout support fixe (télévision, ordinateur, etc.) ou portatif (téléphone, ordinateur portable, agenda électronique, assistants personnels électroniques, console de Jeu [PSP, etc.] et ce

que le Film soit accessible au consommateur final à titre gratuit (free VOD, etc.) ou onéreux (SVOD, offres groupées de films, paiement à l’acte, etc.). »

99. Nous avions vu juste : l’article est long. Et cela dans quel but pour le cocontractant de l’auteur ? Se faire céder tous les droits, en tentant de se conformer aux exigences de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle et à l’interprétation qu’en font les juges, tout en contournant son objectif. Si nous utilisons le verbe « tenter », cela n’est pas par hasard. Parce que, certes, l’article est long et à sa lecture l’on a l’impression que toutes les situations ont été envisagées et que, par conséquent, l’éditeur est à l’abri. Pour autant, l’utilisation récurrente du terme « notamment » est révélatrice des appréhensions du cessionnaire des droits : il tente de couvrir le maximum d’hypothèses et notamment les exploitations non envisagées222. On sent bien la peur de l’imprévu, la peur du vide dont font preuve les exploitants. Cette crainte, s’il est possible de la comprendre, n’empêche pas le danger pour autant : les rédacteurs des contrats ont beau vouloir tout prévoir, tout écrire, il y aura toujours des situations qui ne pourront pas être prévues. Cette peur du vide, ce besoin de rédiger, d’écrire, le professionnel la partage avec le législateur, qui lui aussi tente de prévoir toutes les situations, de régir chaque hypothèse. Mais pour lui aussi cela est vain : il y a toujours des impondérables. Il a d’ailleurs été écrit que « le formalisme pèche parfois par défaut. Les prévisions du législateur ne sont pas infaillibles et une information utile pour le contractant peut avoir été omise par la loi »223. C’est d’autant plus regrettable que le reproche de cette omission est très simple à adresser au législateur, puisqu’il s’est lui-même donné la mission de tout prévoir.

Autre élément à souligner concernant ces clauses : l’utilisation de l’adverbe n’est pas censée être satisfaisante au regard des exigences du droit d’auteur. Cela doit nous suggérer une remarque. La clause que nous avons présentée paraît déjà excessivement longue. Et pourtant, elle n’est pas irréprochable. En cas de litige, si l’auteur se plaint en justice d’une exploitation non formellement visée dans le contrat, le cessionnaire n’est pas à l’abri de la sanction, alors même qu’il pensait cette

222 Cf. infra n° 224.

exploitation couverte par un « notamment » ou un « par exemple ». Ainsi, on peut se demander si les prescriptions de l’article L. 131-3, à tout le moins tel qu’interprété par les juges, sont raisonnables : un cessionnaire des droits qui chercherait à contourner son objectif en dressant une liste complète de tous les droits existant n’est même pas certain d’être complètement protégé. C’est dire si en pratique le respect de l’article s’avère compliqué. Il semble presque qu’il soit mission impossible de rédiger un contrat parfaitement exhaustif au sens de l’article L. 131-3.

100. Quoi qu’il en soit, nous avons montré que le rédacteur de clauses qui veut se mettre en conformité avec les dispositions du Code de la propriété intellectuelle224, sans se soucier pour autant de l’esprit du texte et de l’objectif de protection de l’auteur, aura une tendance certaine à détailler avec une extrême minutie l’objet de la cession. Ce qui génère des clauses extrêmement longues, souvent parfaitement inutiles, et qui produisent exactement le même effet qu’une clause prévoyant une cession « tous droits compris », clause contre laquelle lutte pourtant notre droit d’auteur. A l’inutilité du dispositif, illustré par le phénomène du « contournement de la mention », s’ajoute donc un effet pervers important : la longueur des contrats de cession des droits d’auteur. Le bilan du recours au formalisme s’avère ici négatif. Il nous faut proposer une solution alternative : la rédaction de clauses synthétiques.