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l’information préalable en droit d’auteur

Section 1 – Des mentions précises

2) l’information préalable en droit d’auteur

120. D’abord, et parce que nous venons juste de l’aborder, intéressons-nous à l’acte contresigné par avocat. Il y a fort à parier que les instigateurs de cette réforme, quand ils ont réfléchi aux domaines dans lesquels cet acte pourrait s’avérer utile, n’ont pas pensé aux cessions de droit d’auteur. Pour autant, la technique est la bienvenue en la matière. On peut tout à fait penser à faire intervenir un avocat lors de la conclusion du contrat, afin qu’il s’assure que l’auteur comprend les implications de la cession et qu’il veille à l’équilibre de l’opération. L’acte ainsi validé ne pourrait plus être attaqué quant au fond : l’auteur ne pourrait pas se saisir de la moindre imperfection de rédaction pour tenter de se défaire du contrat ; le cessionnaire des droits ne pourrait plus tenter de dépasser le cadre de ce qui a été contractuellement prévu. Ainsi, l’acte contresigné par l’avocat, s’il a été pensé en contemplation de difficultés étrangères à notre matière (on pense au droit des affaires et aux cessions d’entreprises notamment) s’avère tout à fait « transposable » en droit d’auteur.

268 Ainsi, le nouvel article 1317-1 du Code civil est rédigé en ces termes : « l’acte reçu en la forme authentique par un notaire

est, sauf dispositions dérogeant particulières expressément au présent article, dispensé de toute mention manuscrite exigée par la loi ».

Si, en théorie, l’acte contresigné par avocat apparaît être une technique intéressante, permettant tout à la fois de faire reculer le formalisme et d’assurer une information efficace des parties, en pratique les choses, sans doute, sont moins réjouissantes. Ainsi, il va sans dire que le gros inconvénient de cette technique réside dans son coût. En effet, il est évident que la conclusion d’un contrat validé par le contreseing d’un avocat est onéreuse, les services et les conseils du professionnel ayant un prix. La grande majorité des auteurs n’a pas les moyens de recourir à ces services. Et on ne voit pas pourquoi le cocontractant de l’auteur mettrait la main à la poche pour financer cet acte, alors que la conclusion du même contrat, mais sans intervention de l’avocat, reste possible et qu’elle est, pour le coup, totalement gratuite. A moins de vouloir se mettre à l’abri de toute forme d’irrégularité et de contestation ultérieure de la part de l’auteur. Mais la pratique et l’état d’esprit actuels ne nous invitent pas à penser que le cessionnaire des droits sera incité à raisonner de la sorte269. L’acte contresigné par l’avocat est une bonne idée, mais l’on doute de son succès.

121. C’est donc sur le terrain de l’obligation d’information telle qu’imaginée par la jurisprudence qu’il semble falloir se placer. Cette dernière n’a jamais été clairement transposée en droit d’auteur. Cela peut apparaître regrettable : au regard de la construction importante réalisée par les juges en matière d’obligation d’information270, il nous semble qu’une obligation de même nature pourrait être reconnue par les magistrats à la charge du cocontractant de l’auteur. Comment se matérialiserait-elle ? M. Gautier, qui explique que « peut-être une voie médiane pourrait-elle passer par l’information préalable et sérieuse de l’auteur »271, surtout si l’on considère que « les modèles de contrats deviennent de plus en plus illisibles pour le profane, ce qu’est la plupart du temps le créateur »272, évoque la possibilité de remettre à l’auteur, lors de la signature du contrat de cession, une sorte de notice explicative273. Elle lui indiquerait clairement quels sont ses droits et quelles sont les situations dans lesquelles il est susceptible de pouvoir se plaindre en justice. M. Gautier considère en effet que le cessionnaire des droits doit assurer « une

269 Cf. infra. n° 233 sur l’absence de procès en droit d’auteur.

270 Sur la question, cf. par exemple : F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit. , n° 455. 271 P.-Y. Gautier, op. cit., n° 272.

272 P.-Y. Gautier, op. cit., n° 272. 273 P.-Y. Gautier, op. cit., n° 272 et 485.

transparence à son offre, spécialement en éclairant le consentement de [l’auteur] par une information appropriée sur les clauses importantes et sensibles »274. C’est une piste de réflexion qui nous apparaît intéressante. On pourrait ainsi imaginer, lors de la conclusion du contrat de cession, que le rédacteur soit obligé de remettre à l’auteur une notice qui reprendrait, de manière claire, concise, lisible, et compréhensible pour un non juriste, les droits essentiels des auteurs. Cela nous semble parfaitement envisageable : il faudrait indiquer à l’auteur que ses droits ne sont cédés que pour un territoire et un temps donné ; qu’il ne donne pas un blanc-seing au cessionnaire, c’est à dire qu’il n’autorise que certaines exploitations et qu’il peut se plaindre si son cocontractant dépasse ce cadre ; qu’il dispose de droits moraux, inaliénables, et qu’il peut à tout moment se plaindre du fait que son nom ne serait plus attaché à son œuvre ou que son partenaire viendrait à manquer de respect à son œuvre. Il ne s’agirait pas nécessairement de rechercher l’exhaustivité : l’on retomberait alors dans les travers que nous dénonçons. Il s’agirait d’attirer l’attention de l’auteur sur ses droits en général, sur le fait que le Code de la propriété intellectuelle existe et qu’il est essentiellement dédié à la défense de ses intérêts. Il ne s’agirait pas de faire de l’auteur un assisté, mais simplement d’éveiller sa conscience. Quelques phrases, quelques exemples concrets correctement mis en forme sur un dépliant assez court suffiraient nous semble-t-il à atteindre cet objectif.

122. Sous la forme d’une notice explicative ou sous une autre forme, il paraît évident qu’il faut développer l’obligation d’information en droit d’auteur. En tout état de cause, il nous semble difficile de poursuivre dans le même sens, de continuer à imposer des lourdeurs inutiles et inefficaces pour les deux parties. Cependant, l’information préalable ne doit pas, ici comme ailleurs, être aveugle aux réalités pratiques, aux capacités de la supposée partie faible. Ainsi, il nous semble important de se servir en droit d’auteur de la récente classification pratiquée en matière de crédit à la consommation : l’averti et le non averti275.

L’information préalable apparaît comme un moyen de protéger l’auteur, perçu comme la partie faible au rapport contractuel. Pour autant, la catégorie des auteurs n’est pas homogène. En cela, nous considérons qu’il ne faut pas appliquer le dispositif de

protection de l’auteur de manière mécanique et aveugle. Il nous semble, en effet, que tous les auteurs n’ont pas besoin du même degré d’information, de protection. Il existe une vraie différence entre la situation de quelques auteurs célèbres, à l’apogée de leur carrière, et la grande majorité des auteurs, inconnus ou presque. Les premiers ne signent jamais un contrat sans que leur agent ou plusieurs avocats brillants l’aient étudié sous toutes les coutures. Il n’y a ainsi pour eux aucun risque d’incompréhension ou de manque d’information. Les seconds, quant à eux, sont parfaitement isolés et ne bénéficient le plus souvent d’aucun soutien. D’où un risque évident d’incompréhension des termes du contrat et de la portée de l’engagement. Là où les premiers sont dans une situation de force par rapport à leurs cocontractants (puisque n’importe quelle maison de disque ou d’édition serait prête à conclure avec eux), les seconds se retrouvent dans une situation de dépendance totale. Ainsi, là où les premiers peuvent façonner le contrat en fonction de leurs intérêts et en négocier chaque clause, les seconds n’ont absolument aucune marge de manœuvre et n’ont d’autre choix, s’ils veulent exister, que de signer le contrat qui leur est présenté, même s’il ne leur est pas franchement favorable.

Devant cette situation, force est de constater que tous les auteurs ne sont pas égaux face au rapport contractuel. Certains sont mieux armés que d’autres pour affronter les maisons de disques ou d’édition. Par conséquent, les contrats signés par des auteurs conseillés, entourés, qui ont bénéficié de l’intervention d’un professionnel ne doivent pas être regardés comme ceux conclus par des auteurs isolés, qui n’ont bénéficié d’aucune aide. Il s’agit de prendre en considération les caractéristiques précises de la « partie faible ». Il nous semble qu’il faut faire une appréciation in

concreto de la partie présumée faible qui signe ledit contrat276. Ici, il faut vérifier les

circonstances dans lesquelles l’auteur donne son consentement à l’opération. S’il est entouré d’un agent ou d’un avocat, on devrait considérer qu’il est averti. De ce fait, l’information préalable ne doit pas trouver à s’appliquer ici et, surtout, il ne faut pas reprocher au cocontractant de l’auteur de ne pas y avoir satisfait. En effet, il nous semble quelque peu exagéré pour un auteur conseillé et entouré de venir se plaindre d’un défaut d’information. Si les professionnels qui l’entourent ont laissé l’opération

se conclure en l’état, c’est bien qu’a priori elle était plutôt conforme à ses intérêts277. L’intervention d’un professionnel ne doit pas pour autant prémunir de manière générale le contrat contre la nullité, auquel cas cette intervention bénéficierait en premier lieu au cessionnaire des droits, ce qui serait pour le moins paradoxal. Mais il nous semble qu’il faut, dans de telles hypothèses, être moins exigeant avec le professionnel, qui n’est plus tout à fait la partie forte.

En revanche, si l’auteur est isolé, s’il n’est pas conseillé, il faut le faire bénéficier pleinement du dispositif de protection. Il n’a pas nécessairement les moyens de comprendre ce à quoi il s’engage, n’est pas toujours en position de mesurer les conséquences de l’opération projetée. Dès lors, l’information préalable aurait vocation à jouer tout son rôle.

Il s’agit donc, pour conclure, de faire une application circonstanciée, adaptée de l’information préalable en droit d’auteur. La philosophie de notre matière est toute tournée vers la protection de l’auteur partie faible : il faut faire en sorte de conserver les intérêts des auteurs effectivement en position de faiblesse. Heureusement pour eux, tous ne le sont pas.

123. Nous avons donc fait le constat de l’inutilité et de l’inefficacité du formalisme de la mention en droit d’auteur. Les mentions, censées informer l’auteur, sont facilement contournables et leur présence n’améliore pas la connaissance par l’auteur de ses droits. Face à ces difficultés, nous avons avancé deux pistes de solution : la rédaction de clauses synthétiques et le développement de l’information préalable. Les deux solutions sont parfaitement conciliables : si l’auteur reçoit une information appropriée avant la conclusion du contrat, il n’est pas besoin de faire preuve d’un luxe de détails dans le document contractuel et ainsi la rédaction de clauses simples et courtes suffit largement.

276 A ce propos, la distinction mise en place en matière de prêt entre l’emprunteur averti et l’emprunteur non averti nous

semble tout à fait intéressante. Voir, par exemple : A. Bénabent, Les contrats spéciaux civils et commerciaux, Montchrestien, 9ème édition, 2011, n° 1156.

Pour l’heure, notre droit d’auteur n’en est pas là et le formalisme de la mention est toujours la solution plébiscitée par le Code de la propriété intellectuelle. Il convient donc maintenant de s’intéresser au régime des mentions imposées par le législateur, afin de connaître l’ampleur du formalisme. Nous verrons que de ce régime découle certains effets pervers importants.