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Section 2 – Le régime des mentions

3) une fragilisation des parties

155. Le formalisme, et notamment celui des mentions, a pour objectif, nous ne cessons de le répéter, de protéger la partie faible contre les présumées mauvaises intentions

365 Il existe d’autres domaines dans lesquels le juge bénéficie de liberté : il peut ou non prononcer la sanction du formalisme

de la partie forte. Le but est donc de rééquilibrer le rapport, d’améliorer la situation du faible, sans pour autant porter atteinte à celle du fort. Il apparaît cependant que, malgré le noble but de protection qu’il s’est assigné, le formalisme a des effets secondaires qui viennent fragiliser chacune des deux parties.

156. Du côté de la partie faible d’abord, puisqu’il s’agit ici de l’aspect le plus paradoxal. Nous avons déjà dit que le formalisme peut se transformer en un véritable piège du consentement et ainsi se retourner contre la partie à protéger. C’est un élément indéniable de fragilisation. Mais au-delà encore, il est loisible de détecter d’autres facteurs de risque. Ainsi, il nous semble important de souligner le fait que le dispositif de protection et d’information mis en place par le législateur à travers l’exigence de mentions particulières peut amener à une perte de responsabilité de la partie faible. Cette dernière peut en effet considérer que le formalisme est là pour pallier son manque de connaissance, pour éviter que son cocontractant n’abuse de sa position. Elle peut alors en déduire qu’elle n’a pas le moindre effort à fournir pour connaître l’étendue de son engagement, que la loi est là pour voler à son secours en cas de problème. Ce n’est pas, nous semble-t-il, une bonne solution. Assister la partie faible, la sur-protéger peut l’amener à se reposer sur ses lauriers, à ne pas tenter de défendre elle-même ses propres intérêts367. L’excès de formalisme conduit à une déresponsabilisation des individus en position de faiblesse. Ce n’est pas dans ces circonstances que l’on peut s’attendre à un véritable changement de comportement des contractants, qui permettrait peut-être au rapport de force de se rééquilibrer davantage de lui-même. Comme l’écrivent MM. Calais-Auloy et Temple au sujet du droit de la consommation, « il est dangereux de donner aux consommateurs l’impression que la loi les protège en toutes circonstances et de créer ainsi chez eux une mentalité d’assistés, voire d’incapables. La surprotection risque de perpétuer une situation de faiblesse dans laquelle se trouve la plupart des consommateurs »368. M.

366 Cf. par exemple : Cass., Com., 21 juillet 1953, Gaz. Pal., 1953, 2, 316 ; Cass., Com., 10 mai 1982, Bull. Civ. IV, n° 166 ;

Cour d’appel de Caen, 31 mars 2005, JCP E, 2005, n° 31-34, p. 1318.

367 En matière d’assistance et de déresponsabilisation, nous pouvons citer l’article L. 311-5 alinéa 6 du Code de la

consommation qui exige que la mention « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de

remboursement avant de vous engager » figure dans toutes les publicités pour un crédit à la consommation, exceptées celles

qui sont radiodiffusées. Dans la même veine que les célèbres « Fumer tue » et « Pour votre santé, évitez de manger trop

gras, trop salé, trop sucré », cette mention nous montre une nouvelle fois que le législateur n’a rien trouvé de mieux que de

prendre les consommateurs pour des incapables afin de se donner l’impression de régler les problèmes.

Malaurie enfonce le clou : « [La législation consumériste] tend à faire du consommateur un ignorant et un incapable majeur ; l’esprit de sécurité et le refus du risque sont les maladies mortelles des sociétés industrielles contemporaines : la vie n’existe et ne se développe que là où il y a aventure »369. On peut ainsi dire que le formalisme conduit à fragiliser la partie qu’il entend pourtant protéger, en ce qu’il conforte sa position de faiblesse plutôt que de lui donner de véritables moyens de se défendre. Cet écueil serait évité si l’obligation préalable d’information était généralisée : la partie faible, puisqu’elle devrait composer avec ses compétences et capacités personnelles et non plus seulement se reposer sur l’information que la loi estime devoir porter à sa connaissance, serait moins fragilisée, car moins assistée.

157. De l’autre côté, celui de la partie forte, l’exigence de mentions particulières dans les contrats entraîne également son lot d’effets fragilisant. On pourrait prétendre que cela est davantage normal puisque le formalisme n’est pas dédié à sa protection. Certes, mais là où la chose nous paraît moins normale, c’est quand le formalisme ne se contente pas de lutter contre les « abus de position dominante » de la partie forte, mais qu’il va jusqu’à inverser le déséquilibre au profit de la partie faible. En effet, certains aspects du formalisme ont pour conséquence de mettre la partie forte en situation de faiblesse vis à vis de son contractant. Le constat apparaît clairement lorsqu’on examine de près le lot d’obligations de forme qui pèse sur la partie forte. La moindre inattention, le moindre oubli peut être fatal, alors même que le consentement de la partie faible pouvait être conscient et entier lors de la conclusion du contrat. Cela renvoie à notre développement sur les risques de voir apparaître des comportements de mauvaise foi370. Plus largement, la rédaction de certains contrats peut s’avérer extrêmement difficile371. Le législateur et le juge sont devenus excessivement exigeants avec la partie forte alors qu’ils ne le sont absolument pas avec la partie faible. La partie forte doit tout prévoir, ne rien oublier, donner le maximum d’informations précises à la partie faible, alors que cette dernière n’a pas le moindre effort à fournir pour défendre ses propres intérêts. En cela, il y a une véritable inversion du déséquilibre : la partie forte n’est peut-être plus celle que

369 P. Malaurie, L’effet pervers des lois, Ecrits en hommage à G. Cornu, PUF, 1994, p. 309, n° 7. 370 Cf. supra n° 151.

l’on croit372. La généralisation de l’information préalable, à nouveau, permettrait de gommer cet écueil : tout ne reposerait pas sur les épaules du professionnel qui, s’il devrait transmettre une information appropriée à la partie faible, n’aurait pas à aller au-delà des connaissances de cette dernière et ne risquerait pas de subir son éventuelle mauvaise foi.

Ajoutons à cela le coût que le respect du formalisme engendre pour la partie forte373 : les exigences législatives et jurisprudentielles sont tellement importantes qu’il paraît improbable de se passer des services d’un juriste pour la rédaction des contrats. Ce qui coûte forcément cher. Notons que cet aspect est aussi une chose négative pour la partie faible, puisque, de manière certaine, c’est sur elle que la partie forte va répercuter ce coût (en augmentant le prix de l’opération du côté du droit de la consommation ou en abaissant la part revenant à l’auteur en droit d’auteur par exemple).

Le formalisme de la mention apparaît donc comme étant un moyen de fragilisation, tant de la partie faible que de la partie forte. Nouvel effet pervers qui, s’ajoutant à tous ceux déjà étudiés, ne fait que renforcer nos doutes quant à la pertinence du choix de la technique contractuelle en droit d’auteur.

158. Finalement, nous avons montré que le formalisme de la mention mis en place par le législateur concernant la détermination de l’objet du contrat d’auteur n’est pas efficace. L’objectif assigné de protection de la partie faible n’est pas atteint puisque l’auteur ne comprend pas mieux la portée de son engagement et que l’équilibre contractuel n’est pas restauré. Mais cet échec n’est pas le plus grave. Il existe, en outre, des risques à exiger la présence de certaines mentions dans un contrat : piège du consentement, faveur à la mauvaise foi, fragilisation des parties. Puisque l’objectif est manqué et que les effets pervers sont nombreux, il faut conclure que le bilan de la loi n’est pas très positif. A ce stade, le seul élément susceptible de nuancer le constat réside dans les prédictions de Flour : si la loi présente trop d’effets

372 A. Lepage, op. cit., écrit à propos du droit de la consommation qu’il « permet dans certains cas qu’un autre déséquilibre

s’instaure, au détriment du professionnel. Comme souvent en présence d’un régime protecteur, celui qui était considéré comme faible devient à son tour puissant ».

indésirables, le juge est censé tempérer les choses en faisant preuve de pragmatisme dans l’application des dispositions législatives. Nous allons vite constater (nous avons d’ailleurs déjà un peu commencé) que les juges font mentir Flour en droit d’auteur, tant il est vrai que la plupart des magistrats font une application pour le moins littérale des exigences posées par le Code de la propriété intellectuelle, ce qui contribue à exacerber les effets pervers dénoncés.