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Solution préconisée : la réforme du système éducatif

CLASSIQUES PAÏENS EN FRANCE AU MILIEU

C. Solution préconisée : la réforme du système éducatif

Considérant que l’éducation et l’enseignement sont des lieux de transmission du savoir et des mœurs, Jean-Joseph Gaume recherche dans ces domaines la cause première qui est à l’origine des maux qui rongent l’Église catholique romaine et la société française, et qui a provoqué la rupture entre le christianisme et la société moderne depuis le XVIe siècle. Cette cause générale et permanente du mal au sein de l’éducation, ce "ver rongeur", Jean-Joseph Gaume l’identifie comme étant le "paganisme".83 Ce dernier aurait infecté tout le système éducatif et aurait porté ses conséquences néfastes dans la société française et dans l’Église catholique romaine. Selon Jean-Joseph Gaume, il faut nécessairement agir ; il est impératif de trouver une solution. Quelle action envisageait-il pour rétablir l’éducation dans sa véritable et noble mission à l’égard de la société française et de l’Église chrétienne catholique ?

C. Solution préconisée : la réforme du système éducatif

Puisque de jeunes générations ont été coulées dans le moule du paganisme depuis la fin du XVe siècle et pour éviter que les peuples de l’Europe produisent des générations païennes,84 le Vicaire général de Nevers préconise la réforme du système éducatif. Pour lui, ni les lois sur l’enseignement, ni les talents des enseignants n’auront aucune influence véritable sur la jeunesse si, au préalable, il n’y a pas de véritable réforme du système éducatif.85 Cette réforme qu’il juge d’une importance capitale ne cherche pas simplement à rendre l’enseignement libre, même si le droit à la liberté d’instruction que venait d’octroyer la loi Falloux est importante. Sa réforme a pour objectif de "rendre chrétien" l’enseignement et de donner le monopole de l’éducation à l’Église catholique. Pour cela, le projet de Jean-Joseph Gaume préconise de remplacer le paganisme par le christianisme dans l’éducation.86 Son intention est de rendre la jeunesse dévote et catholique.87 En

83 Jean-Joseph GAUME, Le Ver rongeur, op. cit., p. 22. 29. Pour Jean-Joseph Gaume, le paganisme est la source de tous les maux et dangers de la société. Cependant, il ne donne aucune définition de ce qu’il entend par le paganisme qui selon lui, ronge l’éducation dans la société et au sein de l’Église.

84 Ibidem, p. 25-29.

85 Ibidem, p. 32.

substituant le naturalisme par le surnaturalisme dans les idées et les mœurs, Jean-Joseph Gaume espère sauver non seulement la littérature latine et grecque, mais aussi la religion et la société moderne « par une éducation profondément et

constamment chrétienne » 88. Pour mener à bien ce projet, Jean-Joseph Gaume entreprend d’identifier le lieu où réside le danger.

Dans une lettre du 16 mai 1852, qu’il adressait à Mgr Félix Dupanloup, évêque d’Orléans, Jean-Joseph Gaume souligne le péril des livres des auteurs païens sur les enfants. Il note que le danger des ouvrages païens ne réside pas dans quelques expressions qui peuvent être expurgées, mais plutôt dans l’esprit même de ces livres. Selon lui, les ouvrages classiques sont intrinsèquement païens dans leur esprit.89 Par conséquent, qu’ils soient expurgés ou non, les auteurs païens seront toujours funestes, ce qui est d’un énorme danger pour la jeunesse.90

A partir de cette analyse, il paraît évident que Jean-Joseph Gaume n’envisage pas simplement mener des expurgations ou la suppression sévère des immoralités grossières qu’il aurait identifiées dans des ouvrages des auteurs païens. Il a en perspective d’initier une "révolution" dans l’enseignement littéraire.

La réforme du système éducatif qu’il proposait avait donc pour objectif d’apporter de profonds bouleversements dans les programmes littéraires. D’une part, elle remettait en question la nécessité de fonder ou de promouvoir l’enseignement sur les ouvrages classiques. Dans cette logique, sa réforme préconise également d’inverser le primat accordé aux auteurs païens dans l’enseignement littéraire des collèges et maisons d’éducation chrétienne. D’autre part, elle cherche à promouvoir plus largement les auteurs chrétiens en leur octroyant la première place dans l’enseignement des classiques. Pour cela, Jean-Joseph Gaume recommande que seuls les classiques chrétiens soient enseignés jusqu’en classe de quatrième à l’exclusion des auteurs profanes. En revanche, dès la classe de troisième jusqu’à la classe de rhétorique (ou classe de première), il

87 Idem, La question des classiques, p. 46.

88 Ibidem, p. 48.

89 Idem, Le Ver rongeur …, p. 263-264.

concède l’étude mixte des classiques chrétiens et païens avec un usage très secondaire des auteurs païens. 91

Pour mettre en pratique cette réforme, Jean-Joseph Gaume édita dès 1851, et grâce à l’aide de soutiens collaborateurs, une série de manuels de classiques essentiellement chrétiens qu’il publia sous le titre de Bibliothèque des classiques

chrétiens latins et grecs, pour toutes les classes de l’enseignement secondaire.92

Mais cette réforme pédagogique portait aussi une visée politique comme le précisait son auteur, le vicaire général de Nevers : « Pour changer une forme il faut changer le moule. » 93 Ce qui impliquait également le changement de monopole sur l’éducation. Car, la question de souveraineté est sous-jacente à la réforme des classiques.94 En effet, depuis la loi de 1806, l’État français jouissait du monopole exclusif sur l’éducation bien que la loi Falloux ait instauré les perspectives de partage de compétences entre l’Église catholique romaine et l’État français à cet égard. Jean-Joseph Gaume y voit le risque de maintenir la jeunesse avec un pied dans le paganisme et un pied dans le christianisme. Substituer le christianisme au paganisme exige donc de céder le monopole de l’Université impériale à la souveraineté exclusive de l’Église catholique romaine dans le domaine éducatif.95

Jean-Joseph Gaume résume la pensée de sa réforme par trois exigences : l’expurgation plus sévère des ouvrages païens, une plus grande introduction des auteurs chrétiens et l’enseignement chrétien des auteurs païens. 96 Cependant, comment la thèse soutenue par Jean-Joseph Gaume est-elle accueillie au sein de l’Église catholique romaine ? Les arguments avancés permettaient-ils d’aboutir

91 Idem, Le Ver rongeur…, p. 394-395.

92 Pour les avantages de cette réforme voir, Ibidem, p. 400-413. Ce programme d’éducation élaboré par Jean-Joseph Gaume et ses collaborateurs était composé d’une vingtaine de tomes des auteurs chrétiens latins, de deux tomes d’auteurs chrétiens grecs contre deux tomes d’auteurs païens. L’enseignement de l’Ancien Testament et des actes des martyrs en latin débutait vers l’âge de dix ans. Voir Ivan C. KRALJIC, « La Bibliothèque des classiques chrétiens latins et grecs de Mgr Gaume », in Bibliothèque Saint Libère, 17 avril 2009, p. 2-3 [en ligne], document consulté le 9 mars 2015 à 10 h 30 mn à l’adresse électronique

http://www.liberius.net/articles/La_Bibliotheque_des_classiques_chretiens_latins_et_grecs_de_ Mgr_Gaume.pdf

93 Jean-Joseph GAUME, Le Ver rongeur, op. cit., p. 22.

94 Idem, La question des classiques, op. cit., p. 45.

95 Sur cet aspect Jean-Joseph Gaume devait conjuguer avec le parlement pour réussir sa réforme. Ce qui n’était pas acquis.

logiquement aux conséquences et aux exigences qu’il pose dans sa réforme du système éducatif dans le domaine littéraire ?

§ 2. Objections pédagogiques et canoniques

La position de Jean-Joseph Gaume sur la question de l’enseignement des classiques dans les collèges en France a suscité de nombreuses prises de position, non seulement à l’intérieur de l’Église catholique romaine (de la part des fidèles laïcs, du clergé et de l’épiscopat), mais aussi au sein de la société civile française et dans d’autres pays de l’Europe. Certaines personnalités s’accordent avec Jean-Joseph Gaume sur la prédominance exclusive ou quasi-exclusive de l’étude excessive et dévastatrice des auteurs antiques. D’autres insistent sur la nécessité et l’importance de la formation des enseignants.

La critique d’irréligion et d’immoralité au sein de l’éducation et de la société était largement partagée par le clergé et des laïcs. Plusieurs intervenants déploraient la décadence de la tradition et de l’autorité sur les plans religieux, politiques et sociaux. Jean-Baptiste Landriot constatait que depuis un siècle, en effet, l’éducation n’avait pas été généralement chrétienne.97 R. P. D. Pitra attribuait cette décadence au panthéisme, à l’anarchie et au communisme issus du protestantisme allemand, du déisme anglais et de la philosophie des Lumière en France.98 Mais les prises de position parfois opposées des uns et des autres par rapport à la thèse du Vicaire général de Nevers, dépendaient de plusieurs facteurs.

97 Jean-Baptiste LANDRIOT, Examen critique, op. cit., p. 452-453.

98 Il écrit : « Il ne serait pas moins injuste de demander compte aux écoles chrétiennes de tout le mal accompli depuis trois cens ans. La triste généalogie de nos malheurs n’est que trop connue. Le principe dissolvant du libre examen devait aboutir et nous a menés droit à la ruine de la tradition ou de l’autorité dans l’ordre religieux, politique et social. De là, le protestantisme allemand, le déisme anglais, la philosophie française, qui devaient avoir pour triple corollaire le panthéisme dans la doctrine, l’anarchie dans la société, le communisme dans le mœurs. Si quelque chose a retardé le développement de cette logique du mal, c’est principalement l’apostolat des écoles chrétiennes, et en première ligne, les nombreux et florissants collèges de la Compagnie de Jésus. »Voir « l’Article du R. P. D. Pitra, publié par l’Ami de la Religion (29 janvier 1852) », in Ibidem, Examen critique, p. xlv-xlvi.

Certains lui reprochaient son style, sa méthode, des arguments avancés ou encore la solution envisagée.

Les objections et critiques à l’encontre de la thèse de Jean-Joseph Gaume prennent surtout en compte des arguments contenus dans ses deux principaux ouvrages qui traitent de la question des classiques païens : Le Ver rongeur des

sociétés modernes et ses Lettres à Mgr Dupanloup. La brochure sur La question des

classiques ramenée à sa simple expression, qu’il publiait en octobre 1852 comme synthèse de sa pensée, est différente dans le style et sa vigueur en comparaison avec des propositions modestes, orientées vers une pédagogie constructive.99

Nous distinguerons une double dimension de la querelle des classiques : la dimension pédagogique et la dimension canonique.

Nous allons présenter les points de trois positions différentes de la thèse de Jean-Joseph Gaume. Nous nous intéresserons aux arguments de Jean-Baptiste François Pitra (Dom Pitra) qui jugeait sa réforme inappropriée et inefficace (A), à la position de Charles Daniel qui proposait d’adapter le choix des livres suivant le but de l’instruction, et enfin celle de Jean-Baptiste Landriot qui insistait sur les conséquences pédagogiques et canoniques de la réforme.100

99 Cf. Daniel MOULINET, op. cit., p. 192-193.

100 Nous n’allons pas exposer tous les différents points de vue des protagonistes du débat sur cette querelle des classiques. Daniel Moulinet dans sa thèse présente les différentes prises de position souvent très nuancées à propos de la question des classiques. Voir Ibidem, p. 102s. Parmi les défenseurs des auteurs des classiques païens, figurent l’ancien supérieur du Petit-séminaire d’Autun l’abbé Jean-Baptiste Landriot avec ses ouvrages déjà évoqués et que nous rappelons ici les titres : Jean-Baptiste LANDRIOT, Recherches historiques sur les écoles littéraires du christianisme…, et Jean-Baptiste LANDRIOT, l’Examen critique des lettres de M. l’abbé Gaume sur le paganisme dans l’éducation ; – l’abbé Charles MARTIN, De l’usage des auteurs profanes dans l’enseignement chrétien. – l’abbé Henri-Joseph LEBLANC, Essai historique et critique sur l’étude et l’enseignement des lettres profanes dans les premiers siècles de l’Église, – l’abbé H. Valroger, chanoine de Bayeux et directeur au séminaire de Sommervieu avec son ouvrage H.VALROGER, Du christianisme et du paganisme dans l’enseignement, – Arsène CAHOUR (s.j.), Des études classiques et des études professionnelles, etc. Ces données viennent de Charles DANIEL (s.j.), Des études classiques dans la société chrétienne, Paris, Julien, Lanier et Cie, 1853, p. 5.

A. Jean-Baptiste François Pitra : À propos de la nature du débat