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La procédure proprement dite

Chapitre III : MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE ET

SECTION 1 : CONTEXTE HISTORIQUE DE LA CONDAMNATION DE GALILÉE

B. La procédure proprement dite

travail d’interprétation sur des textes sacrés bibliques en proposant une interprétation des textes sacrés qui soit en adéquation avec les propositions de la théorie copernicienne sur le mouvement de la terre et la centralité du soleil. Cette intuition s’inscrit comme une démarche préventive qui anticiperait des découvertes scientifiques ultérieures. 448 En se basant sur des principes théologiques et physiques bien connus, Antonio Foscarini développe des arguments d’interprétation exégétique démontrant que la doctrine pythagoricienne sur l’immobilité et la centralité du Soleil, s’accorde avec la vérité théologique. Par conséquent, selon ce dernier, cette doctrine n’est pas contraire pas aux saintes Écritures. 449

B. La procédure proprement dite.

Les actes du procès rapportent plusieurs lettres des autorités ecclésiastiques450 et trois dépositions obtenues à partir des interrogatoires effectuées auprès du P. Thomas Caccini, de Fernando Ximenes et de Giannozzi Attavanti. Le Père Thomas Caccini fut interrogé le vendredi 20 mars 1615 à la "aula magna" dans le Palais du Saint Office par le Révérend Père Michaele Angelo Seghizzio, Commissaire général du Saint Office. Le Père Nicolo Lorini est la principale source d’information du témoignage sur la doctrine de Galilée.

Le Père Thomas Caccini, dans sa déposition, affirmait que la position de Copernic est contraire à l’interprétation littérale des textes sacrés451 et à la pensée

448 Il préconise la situation où les scientifiques parviendraient à prouver avec des arguments scientifiques la véracité du système copernicien. Dans ce cas, en adoptant son interprétation, l’Église catholique romaine serait exempte de toute critique. Car, elle aurait admis que le système héliocentrique de Nicolas Copernic pouvait s’accorder avec l’Écriture sainte et la doctrine de la foi catholique. L’Église catholique romaine échapperait ainsi à la critique d’une interprétation erronée des textes sacrés ou à l’affirmation selon laquelle il y a des erreurs dans les textes sacrés.

449 Bellarmin répond à cet argumentaire dans sa Lettre à Foscarini datée du 12 avril 1615.

450 Figurent dans les actes du procès, des lettres de l’Archevêque de Pise, des inquisiteurs de Pise, de Florence et de Milan.

commune de presque tous les philosophes, de tous les théologiens scolastiques et de tous les saints Pères.452

Les témoignages de Ferdinando Ximenes (13 novembre 1615) et de Giannozzi Attavanti (14 novembre 1615) furent recueillis par l’inquisiteur local de Florence. 453 Seul le témoignage du P. Thomas Caccini fût déterminant pour la suite du procès, puisque les propositions à censurer sont issues de sa déposition. Parmi les allégations, Thomas Caccini reproche à Galilée de soutenir la thèse sur le mouvement de la terre et la fixité du soleil véhiculée par la théorie copernicienne. Il note également que la lettre de Galilée contient des propositions contraires aux textes sacrés et à la doctrine des saints Pères et par conséquent à la foi catholique. S’appuyant sur le Concile de Latran V et celui de Trente, il arguait également qu’il n’est de l’autorité de personne d’interpréter les textes sacrés contre le sens unanime contenu dans la doctrine des saints Pères. Selon lui, le Concile du Latran V ordonnait de prêcher et d’expliquer la vérité évangélique et la sainte Écriture d’après le sens, l’interprétation et les développements des docteurs de l’Église catholique romaine. Il affirme que ce concile exigeait l’usage constant qui consistait à ne pas s’écarter du sens propre ou littéral des Écritures, mais sans préciser si le Concile appliquait cette signification à la fois aux matières qui se rapportent à la foi et aux mœurs catholiques et à celles qui relèvent du domaine de la science proprement dite.454 Enfin, Thomas Caccini présente Galilée comme le

452 Voir ce témoignage de Thomas Caccini dans Henri de L’ÉPINOIS, op. cit., p. 20-26. Son affirmation se trouve à la page 21. À la page 22, il précise que la copie de la Lettre de Galilée adressée au P. Benedictus Castelli lui est parvenue par le biais de Nicolo Lorini.

453 Les interrogatoires du dominicain Ferdinando Ximenes et de Giannozzi Attavanti, disciple de Galilée, cités par Thomas Caccini, eurent lieu respectivement le 13 et 14 novembre 1615 et furent conduits par l’inquisiteur local de Florence, et signé par le chancelier inquisitorial Ludovicus Jacobonius. La lettre de l’inquisiteur de Florence est reçue à Rome le 21 novembre 1615. Dans sa déposition…. Voir la lettre de l’inquisiteur de Florence et les deux dépositions dans Ibidem, p. 32-38.

454 « …, tenuta et insegnata per quanto dicono dal signore Galileo Galilei matematico, cioè che il sole essendo secondo lui centro del mondo, per conseguenza è immobile di moto locale progressivo, cioè da gravissimi scrittori era tenetu dalla fede cattolica dissonante, perchè contradiceva a molti luoghi della Divina Scrittura, li quali in senso litterale da Santi Padri concordevolmente datogli, suonano et significano il contrario’ come il luogo del Salmo 18, dell’Ecclesiastes primo capitolo’ di Esaia 38, oltra al luogo di Josuè citato et perchè restassero più gl’audienti capaci che tal moi insegnamento non procedeva da moi capriccio, … » Ibidem, p. 21.

maître d’une école dont les disciples nommés "Galiléistes" répandent la fausse théorie copernicienne.455

Dès le mois de février, le Commissaire Général Michael Angelus Segizzi formula en italien, deux propositions à partir de la déposition de Caccini : la première affirme la centralité et l’immobilité du Soleil, tandis que la seconde proposition nie celles de la Terre et affirme le mouvement total et diurne de cette dernière.456

Ces deux propositions furent envoyées aux théologiens qualificateurs le 19 février 1616 et soumises à leur expertise. La censure des Qualificateurs se déroula en deux phases lors des séances : la phase préliminaire se tint le mardi 23 février 1616 tandis que la formulation finale de la censure se fît le 24 février 1616 en présence de onze Qualificateurs457. Chaque proposition était censurée au double motif philosophique ou scientifique et théologique :

Pour la première proposition selon laquelle « le soleil est au centre du monde et entièrement immobile d’un mouvement local », les cardinaux s’étaient prononcés sur un double ordre scientifique et théologique : « Tous ont dit que ladite proposition est insensée (stuta) et absurde (absurda) en philosophie et formellement hérétique, en tant qu’elle contredit expressément aux opinions (sententiæ) de l’Écriture Sacrée en de nombreux passages selon la propriété des termes (proprietas verborum) et selon l’exposition commune et le sens des saints Pères et des docteurs théologiens. » 458

455 Ibidem, p. 26.

456 Les deux propositions retenues pour la censure correspondent aux chefs d’accusation avancés par la déposition de Caccini. « Propositio censuranda :

Che il sole sii centro del mondo et per conseguenza immobile di moto locale :

Che la terra non è centro del mondo nè immobile, ma si move secondo se tutta etiam di moto diurno. » Ibidem, p. 38-39.

457 Petrus Lombardus (Archevêque d’Armagh), Hyacintus Petronius (Maître du sacré Palais apostolique), Raphael Riphoz (théologien et Vicaire général de l’ordre des Dominicains), Michael Angelus Segizzi (théologien et Commissaire du Saint Office), Hieronimus de Casali Majori (consulteur du Saint Office), Thomas de Lemos, Gregorius Nunnius Coronel (augustinien), Benedictus Justinianus (jésuite), Raphael Rastellius (docteur en théologie et prêtre régulier), Michael a Neapoli (bénédictin), Iacobus Tintus ( socius du Commissaire Général du Saint Office). Cf. Ibidem, p. 39.

458 Cette traduction provient de Pierre-Noël MAYAUD, op. cit., p. 271. La version latine des censures se présente ainsi :

Concernant la seconde proposition qui soutient que la terre n’est ni le centre du monde, ni immobile, les cardinaux à l’unanimité « ont dit que cette proposition reçoit la même censure en philosophie et, à l’égard de la vérité théologique, elle est au moins erronée dans la foi.»459

Cette prise de position des autorités ecclésiastiques montre comment l’Église catholique romaine cherche à poser son discernement en présence de nouveaux défis suscités par les recherches scientifiques. Elle est déterminante pour comprendre l’engagement de l’Église catholique romaine vis-à-vis de la science et le statut des tensions qui ont affecté, durant près de quatre siècles, les rapports entre l’Église catholique et le monde des sciences modernes et contemporaines.

Le 25 février 1616 les cardinaux notifiaient à l’Assesseur et au Commissaire du Saint Office la censure prononcée par les théologiens concernant les propositions attribuées à Galilée. Les théologiens avaient sanctionné les deux propositions selon lesquelles "le soleil est le centre du monde et immobile de mouvement local", et "la mobilité de la terre selon un mouvement diurne". Ensuite, et au nom du pape et de tous les membres de la Congrégation du Saint-Office, ils demandèrent au Cardinal Bellarmin de convoquer Galilée afin d’exiger de lui l’abandon de cette théorie. Dans le cas où il refuse, que le Père Commissaire accompagné du Notaire et des témoins lui adresse l’injonction de s’abstenir complètement de cette doctrine, avec la prohibition d’enseigner, de défendre voire d’exposer cette doctrine. Le rejet de cette prescription pourrait conduire à l’emprisonnement. 460

Prima : Sol est centrum mundi et omnino immobilis motu locali.

Censura : Omnes dixerunt dictam propositionem esse stultam et absurdam in philosophia et formaliter hereticam, quatenus contradicit expresse sententiis sacræ scripturæ in multis locis secundum proprietatem verborum et secundum communem expositionem et sensum Sanctorum Patrum et Theologorum doctorum. » Cf. Henri de L’ÉPINOIS, op. cit., p. 39.

459 Cette traduction provient de Pierre-Noël MAYAUD, op. cit., p. 271. La version latine des censures se présente ainsi :

« Secunda : Terra non est centrum mundi nec immobilis, sed secundum se totam movetur, etiam motu diurno.

Censura : omnes dixerunt hanc propositionem recipere eandem censuram in philosophia et spectando veritatem theologicam ad minus esse in fide erroneam. » Ibidem.

460 Le rapport souligne que ces recommandations et la mise en garde des juges du Saint Office furent mises en exécution le lendemain vendredi 26 février 1616 dans le palais résidentiel du Cardinal Bellarmin en présence des témoins cités dans le document. Le rapport souligne ainsi la soumission (ou la réponse positive) de Galilée à l’injonction du Saint Office en des termes de mise

Le décret de l’Index publié le 5 mars 1616 par la Congrégation de l’Index interdisait ou suspendait des écrits qui contenaient la doctrine sur l’héliocentrisme.461 Le double motif de la condamnation apparaît clairement dans le décret de la Congrégation de l’Index. Selon les cardinaux, la doctrine de Pythagore est fausse et contraire à la divine Écriture concernant le mouvement de la terre et l’immobilité du soleil.462

Nous constatons qu’il n’y a aucune référence directe ni aux œuvres, ni à la personnalité de Galilée dans la sentence finale de ce premier procès. Le décret de 1616 ne mentionne pas directement la doctrine de Galilée et ne prononce la condamnation d’aucun de ses ouvrages. Il se trouvait pour ainsi dire condamné de manière générale. Cependant les éléments du dossier montrent que Galilée et sa thèse sur l’héliocentrisme étaient principalement visés tout au long de ce procès.

Lors de la qualification des propositions, nous avons constaté que les théologiens avaient déclaré que la première proposition sur l’immobilité et la centralité du Soleil était absurde. Or dans le décret, les juges la déclarent simplement fausse sur le domaine scientifique et contraire aux saintes Écritures sur le plan théologique.

Selon les termes du décret de 1616, ce sont les points doctrinaux pythagoriciens et coperniciens qui sont condamnés. Mais l’étude du procès de 1633 auquel nous allons procéder, montrera que les opinions de Galilée avaient indirectement été condamnées lors de ce procès.

Nous émettons l’hypothèse selon laquelle les autorités ecclésiastiques, inquiètes des risques que de nouvelles découvertes scientifiques en astronomie pouvaient causer à la doctrine de la foi catholique, crurent nécessaire d’intervenir pour protéger la foi catholique en prohibant les données scientifiques qu’elles jugeaient dès lors fausses sur le plan scientifique et contraires ou non conformes en garde : « … ; cui precepto idem Galileus acquievit et parero promisit, super quibus ... » Ibidem, p. 40-41. Voir aussi l’extrait du texte notifié chez Émile NAMER, op. cit., p. 134-135.

461 Parmi les écrits interdits ou suspendus figuraient : La Révolution des orbes célestes de Nicolas Copernic, l’ouvrage de Diego de Zuniga sur Job, la « Lettre du R. P. Paulo-Antonio Foscarini, carme, sur l’opinion des Pythagoriciens et de Copernic, touchant le mouvement de la Terre et la stabilité du Soleil, et le nouveau Système pythagoricien du Monde » imprimé à Naples par Lazzaro Scorigio en 1615.

462 « Falsam illam doctrinam Pithagoricam, divinae ; scipturæ omnino adversantem, de mobilitate terrae, et immobilitate solis, … » Voir Henri de L’ÉPINOIS, op. cit., p. 42.

aux saintes Écritures. Raison pour laquelle elles prohibèrent expressément des écrits susceptibles de mettre en péril la foi catholique.463 La sanction prononcée par la Congrégation de l’Index apparaît ainsi comme une mesure préventive. Elle visait à protéger la vérité catholique contre une doctrine que les cardinaux jugeaient pernicieuse.464

§ 2. Procès de 1633 : la condamnation de Galilée