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Les réponses des autorités académiques et ecclésiastiques

CHAPITRE II : MAGISTÈRE CATHOLIQUE CONFRONTÉ À LA CRISE MODERNISTE

SECTION 1 : LES CONTROVERSES BIBLIQUES ET LA CENSURE DIOCÉSAINE

C. Les réponses des autorités académiques et ecclésiastiques

entre parenthèse, à éloigner la science exégétique des fondements doctrinaux de la foi et à vider les concepts théologiques de leur substance. Tel est le reproche qui lui sera adressé. Selon Mgr Alfred Braudillart, la remise en cause du caractère surnaturel de la Bible était en contradiction avec la doctrine de l’Église sur l’inspiration des Livres saints. Elle suscita l’inquiétude du cardinal Richard, archevêque de Paris et des évêques fondateurs de l’Institut catholique de Paris qui motivèrent, comme nous le verrons plus tard, leur décision de retirer aussi l’enseignement des langues orientales à Alfred Loisy.277

C. Les réponses des autorités académiques et ecclésiastiques

Dans son discours d’ouverture de l’année académique 1892-1893, Alfred Loisy établissait la distinction entre le travail du savant, chercheur et celui du professeur au service de la science : « Le rôle du professeur n’est pas le même que celui du savant qui a le droit de choisir sa méthode et son sujet. Le savant prend pour règle l’intérêt de la science. Le professeur doit considérer avant tout l’intérêt de ses auditeurs. » 278

En effet, sur le plan pédagogique, les plaintes de M. Icard posaient la question de la ratio studiorum dans une Faculté ecclésiastique. Que faut-il enseigner dans le cadre de la formation des jeunes clercs destinés au ministère sacerdotal ? Un professeur pouvait-il mettre à disposition de ses élèves des résultats des études des savants que l’autorité magistérielle compétente n’avait pas encore validés ?

Dans une lettre adressée à Mgr d’Hulst, M. Icard explique les raisons de son inquiétude. Il reproche à Alfred Loisy la dangerosité de son enseignement. Sa responsabilité de chargé de formation l’obligeait à rassurer et à protéger ses jeunes

277 Mgr BAUDRILLART, Vie de Mgr d’Hulst, op. cit., p. 487. Mais dans ses Mémoires, Alfred Loisy attribuait la grande partie de la cause et la responsabilité de ce dénouement à Mgr d’Hulst qui avait publié un article sur la Question biblique et l’inspiration. Il reprocha aussi aux évêques de n’avoir pas pris le temps d’examiner son article avant de prendre la sanction de le radier de l’enseignement à l’Institut catholique Paris, le 15 novembre 1893. Voir Alfred LOISY, Mémoires, p. 271. Sur ce sujet, voir la critique de M. –J. LAGRANGE, op. cit., p. 54- 58; 61-65.

clercs qui n’étaient pas suffisamment préparés aux questions pointues de l’exégèse, mais aussi à ne pas « compromettre l’esprit et la doctrine de la Compagnie, en y introduisant des professeurs imbus de ces maximes nouvelles ».279

1. Résolution par voie administrative : la démission de Alfred Loisy

Le 18 août 1893, Mgr d’Hulst adressait une circulaire aux évêques fondateurs et protecteurs de l’Institut catholique Paris, dans le but de trouver une solution au problèmes suscités par de récentes controverses sur les questions d’exégèse biblique touchant l’inspiration des Livres saints. 280 La mesure que le recteur de l’Institut catholique de Paris proposait aux évêques consistait à remplacer Alfred Loisy dans l’enseignement de l’Écriture sainte par Fillion. Cependant, Alfred Loisy assurerait l’enseignement des langues hébraïque, assyrienne, chaldéenne dans la même faculté.281

Cette proposition du Recteur de l’Institut catholique reçût l’adhésion de la grande majorité des évêques fondateurs. Notons cependant les remarques qui accompagnaient certaines réponses épiscopales. Elles démontrent que les positions de l’épiscopat sur la question n’étaient pas unanimes. Nous retenons la proposition de l’évêque de Bayeux qui revendiquait une surveillance plus effective par les évêques fondateurs afin de rendre justice en connaissance de cause et de manière équitable en approuvant ou blâmant l’enseignement des professeurs mais aussi en protégeant ceux-ci contre les détracteurs qui interviennent sans mandat. 282

Mais au final, cette mesure prudente ne fût pas adoptée par les évêques. Le procès-verbal de l’assemblée des évêques fondateurs justifie le changement de la

279 Lettre de "M. Icard à Mgr d’Hulst, Paris, 4 juin 1893" citée par Alfred BAUDRILLART (Mgr), Vie de Mgr D’HULST, op. cit., p. 482-484.

280 Ibidem, p. 484.

281 Cette mesure administrative était considérée comme une voie intermédiaire et prudente qui rassurerait le Supérieur général de Saint-Sulpice, M. Icard et les détracteurs de Alfred Loisy ; elle permettait aussi de conserver l’homme de science au sein de l’Institut et d’éloigner les suspicions d’hétérodoxie qui pesaient sur l’Institut catholique. Ibidem.

décision des évêques fondateurs comme une conséquence liée à la récente publication de Loisy sur la Question biblique et l'inspiration des Écritures.283Par sa remise en question de la doctrine de l’inspiration, l’enseignement de Alfred Loisy « a paru au cardinal-archevêque de Paris engager trop gravement la responsabilité de la Faculté » 284 de théologie de l’Institut catholique de Paris. Malgré la sympathie et la considération que quelques évêques témoignèrent à Loisy, ce dernier fût prié de demander sa démission volontaire à cause de la dangerosité de son enseignement. 285

En décidant de révoquer Alfred Loisy de l’Institut catholique de Paris, les évêques fondateurs optent pour la protection de jeunes clercs en formation et voulaient rassurer ceux qui doutaient de l’intégrité et de l’orthodoxie de l’institution nouvellement créée. Cependant ils n’apportaient pas de solution aux problèmes exégétiques et théologiques que Alfred Loisy venait de mettre en lumière. Cette décision des évêques qui est une mesure disciplinaire et préventive ne permet pas de conclure à l’incompatibilité entre la science exégétique avec la doctrine catholique, ni au rejet de la science. Car sur les questions de fond suscitées par la critique moderne par le biais de Alfred Loisy,286 quelques

283 Nous avons précédemment commenté cet article sur la Question biblique et l’inspiration des Écritures.

284 Alfred BAUDRILLART (Mgr), Vie de Mgr D’HULST, op. cit., p. 487.

285 Ibidem, p. 487.

286 Notons que les œuvres de Alfred Loisy étaient connues des organes de la Curie romaine dès 1891. Ces premières tentatives de dénonciation ne se soldèrent pas par une mise à l’index. La dénonciation portait sur son étude sur les Proverbes de Salomon dans laquelle Alfred Loisy contestait l’attribution de ce livre à Salomon par la tradition. Il soutenait qu’il ne s’agissait pas d’une œuvre personnelle mais d’une compilation dont la phase définitive serait postérieure à la captivité de Babylone. Voir Alfred LOISY, Mémoires, p. 199.

Une autre dénonciation survint en 1893 lors de l'affaire sur la Question biblique initiée par Mgr Alfred Baudrillart. Son article sur le Livre de Job était dénoncé à la Congrégation de l'Index. Cette étude proposait la reconstruction critique du livre de Job. Mais, malgré les avis favorables à la condamnation donné par l’expertise de deux théologiens, Luigi Tripepi (1836-1906) et Rafaele Pierotti (1836-1905), qui lui reprochaient de ruiner ou d’altérer l'autorité de l'Écriture et du magistère, cet article ne fut point mis à l'index. 286 Cependant, l’épisode permit au pape Léon XIII de préciser ou d’établir, dans l'encyclique Providentissimus Deus, les règles à suivre dans l’application de la méthode historique et critique dans les études exégétiques.Voir Claus ARNOLD « Le cas Loisy devant les congrégations romaines de l’Index et de l’Inquisition (1893-1903) [introduction] », in Claus ARNOLD, Giacomo LOSITO (éd.), La censure d’Alfred Loisy ((1893-1903). Les documents des congrégations de l’Index et du Saint Office, Roma, Libreria Editrice Vaticana, 2009, p. 12-13.

orientations vinrent du Pape Léon XIII dans son encyclique Providentissimus comme le souhaitaient les évêques de Vannes et de Limoges. 287

2. L’encyclique Providentissimus Deus de Léon XIII

Le pape Léon XIII prît position sur les problèmes liés à l’exégèse historico-critique moderne dans son encyclique Providentissimus Deus, du 18 novembre 1893. 288 En rappelant la doctrine traditionnelle de l’Église, il reprend l’enseignement doctrinal des conciles de Trente, de Florence et Vatican sur l’inspiration et l’inerrance des saintes Écritures. Le pape admet la présence des erreurs liée au travail de transcription effectué par des copistes dans certains passages des Écritures saintes. Il considère aussi qu’il existe des passages ambigus qui nécessitent un travail d’herméneutique exégétique, mais rejette l’idée de réduire l’inspiration à quelques parties de la sainte Écriture ou celle qui admet que l’auteur se serait trompé. Et le pape rejette également l’hypothèse de l’école large de d’étendre l’inspiration uniquement aux questions de foi et de mœurs et d’attribuer les erreurs aux écrivains inspirés. 289 Il réaffirme le caractère canonique et sacré de tous les livres que l’Église a reçus comme étant écrits sous la dictée de l’Esprit Saint. 290

En réaffirmant la doctrine traditionnelle de l’Église, l’intention du pape n’est pas cependant d’arrêter ou de contrarier les recherches exégétiques. Elle vise plutôt à délimiter le cadre favorable pour une exégèse qui est à l’abri de l’erreur et contribue au progrès de la recherche : « [l’exégète] ne doit pas penser pour autant que la route lui est fermée et qu’il ne peut pas, lorsqu’une juste cause existe, aller plus loin dans ses recherches et ses explications, pourvu (…) de ne s’écarter en rien du sens littéral et comme évident, à moins qu’il n’y ait quelque raison qui l’empêche de s’y attacher ou qui rende nécessaire de l’abandonner… » 291

287 Alfred BAUDRILLART (Mgr), Vie de Mgr D’HULST, op. cit., p. 485.

288 LEO PP XIII, « Litterae Encyclicae Providentissimus Deus. De Studiis Scripturae Sacrae », in A.S.S. 26 (1893-1894), 269-292 ; Léon XIII, Acta, Rome, 13, 342-362 ; Denzinger, 3280-3294.

289 Denzinger, 3291.3293.

290 Denzinger, 3292.

En ce qui concerne l’enseignement de l’Écriture sainte, nous trouvons des orientations concrètes dans la ratio studiorum de Pie X, du 16 mars 1906.

3. La ratio studiorum selon Pie X

Par une lettre apostolique du 17 mars 1906, 292 Pie X fixait des règles à suivre dans l’enseignement de l’Écriture sainte adressé aux jeunes clercs destinés au ministère sacerdotal. Ces règles avaient comme finalité d’initier le jeune clerc aux connaissances de base sur les Livres saints, nécessaires pour l’exercice du ministère sacerdotal et pour combattre l’ignorance. Au paragraphe 5 de la ratio, le pape recommandait au professeur qui dispense les cours sur l’Ancien Testament de tirer profit des récentes découvertes et d’établir le rapport qui existerait entre le peuple hébreu et les autres peuples d’Orient. 293

La lettre donne des règles concernant la question de la méthode d’interprétation des textes bibliques : le § 13 posait au professeur l’exigence de ne point s’écarter de la doctrine commune et de la tradition de l’Église dans l’enseignement de la sainte Écriture. Cependant il doit prendre en compte les véritables progrès de la science biblique et toutes les découvertes modernes en excluant tout ce qui possède un caractère téméraire et innovateur. Pie X rappelait les règles élaborées par son prédécesseur Léon XIII dans ce domaine contenues dans l'encyclique Providentissimus. 294

La ratio studiorum distingue deux degrés d’enseignement des Écritures Saintes : Le premier degré concerne ceux qui sont directement destinés au ministère sacerdotal. Le professeur devait les instruire de telle manière qu’ils soient aptes à prêcher l’Évangile au peuple de Dieu (§ 9). Pie X soulignait la nécessité de les initier avec soin à la science des Écritures saintes pour une meilleure acquisition de la force, la raison et la doctrine des livres saints. Cette

292 Lettre apostolique de S. S. PIUS PP X, « De ratione studiorum Sacrae scripturae in seminariis clericorum servanda, [fixant les règles de l’enseignement de l’Écriture Sainte dans les Séminaires, du 17 mars 1906] ».Voir document I en "Appendice" in Albert HOUTIN, La Question biblique au XXe siècle, Paris, Librairie E. Nourry, 1906, p. 282-286.

293 Voir Ibidem. 283.

initiation les préparait ainsi à l’exercice du ministère de la parole sacrée puis à la défense du caractère inspiré des Livres saints en tenant compte de l’intervention divine dans leur rédaction.

Le second degré concerne les étudiants qui aspirent aux grades académiques théologiques. Ils devaient être initiés à l’étude de quelques autres langues sémitiques, comme le syriaque et l’arabe (§ 10). Dans ce cas, la ratio studiorum préconisait l’étude approfondie des "questions générales et spéciales" dans le cadre d’une spécialisation en matières de théologie, d’exégèse et des études connexes telles que l’archéologie et la géographie de la Bible, sa chronologie (§ 11). Le recrutement des professeurs d’Écriture sainte dans les séminaires devait se faire dans cette catégorie d’étudiants (§ 12).

§ 2. Débats théologiques, herméneutique exégétique et censure

diocésaine.

Le départ de Alfred Loisy de l’Institut catholique de Paris lui permet de mieux se consacrer à ses recherches bibliques et d’adopter désormais le statut de chercheur catholique. Ses différentes publications295 allaient nourrir des nombreux

295 De 1890 jusqu’à 1903, il publia plusieurs articles avec son patronyme et ses pseudonymes d’Isidore Després, Alfred Firmin, Étienne Sharp, et Jean Lataix. Parmi les articles parus dans la Revue Anglo-romaine (1896) et dans la Revue du Clergé français (1898-1899) nous pouvons citer : A). Alfred LOISY, « La confession de Pierre et la promesse de Jésus », in Revue Anglo-romaine, t. 2, n. 19, 11 avril 1896 ; Idem, « Ernest Renan, historien d'Israël », in Revue Anglo-romaine, t. 2, n. 26, 30 mai 1896 ; Idem, « Les origines du Nouveau Testament », in Revue du Clergé français, 1er août 1899 ; Idem, « La définition de la religion », in Revue du Clergé français, 1er avril 1899. B). Isidore DESPRÉS, « Opinions catholiques sur l'origine du Pentateuque », in Revue du Clergé français, 13 fév. 1899 ; Idem, « L'histoire du peuple juif au temps de Jésus-Christ », in Revue du Clergé français, 13 mai 1899 ; Idem, « L'évangile selon Saint Jean », in Revue du Clergé français, 1er nov. 1899 ; Idem, « La lettre de Léon XIII au clergé de France et les études d'écriture sainte », in Revue du Clergé français, t. XXIII, p 5-17. C). Alfred FIRMIN, « Le développement chrétien d'après le Cardinal Newman », in Revue du Clergé français, 1er déc. 1898 ; Idem, « La religion d'Israël : les origines », in Revue du Clergé français, t. XXIV, 142, (27 p.) ; Idem, « La théorie individualiste de la religion », in Revue du Clergé français, 1er janv. 1899) ; Idem ; « L'idée de la révélation », 22 p. ; Idem, « Les preuves et l'économie de la révélation », 28 p. ; D). Étienne SHARP, « Consultation d'exégèse », 2 p. ; Idem, « Conférences ecclésiastiques : l'apocalypse de Saint Jean », 5 p. E. Jean LATAIX, « La patrologie », 8 p. Il publie également d’importants ouvrages, résultats de ses recherches : Alfred LOISY, Histoire du Canon de l’Ancien Testament, Macon – Protat Frères (impr.), 1890, in-8, 260 p. ; Idem, Histoire du Canon du

débats théologiques et exégétiques parmi les hommes de science. Les hypothèses qu’il élabore et les conclusions qu’il établit allaient susciter des méfiances, mais aussi attirait l’attention et la vigilance de l’autorité magistérielle diocésaine. Cinq œuvres de Alfred Loisy furent exposées à la censure de l’autorité diocésaine (§ 1) sans pour autant que cela interrompe les débats théologiques et exégétiques alors initiés (§ 2).