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Critique formulée par Alfred Loisy et exposé de sa pensée

CHAPITRE II : MAGISTÈRE CATHOLIQUE CONFRONTÉ À LA CRISE MODERNISTE

SECTION 1 : LES CONTROVERSES BIBLIQUES ET LA CENSURE DIOCÉSAINE

B. Mgr d’Hulst et la question biblique à la fin du XIX e siècle

3. Critique formulée par Alfred Loisy et exposé de sa pensée

pour déterminer si elles sont toutes garanties ou pas par l’inspiration.257 Ce travail relève non plus du domaine de l’histoire, mais de celui de la théologie. 258

Et la véritable difficulté se pose à l’échelon des récits primitifs. Comment expliquer des similitudes troublantes avec des documents empruntés à la mythologie des anciens peuples de l’Orient ? La réponse de l’école traditionnelle qui considère tous les récits bibliques, à l’exception de ceux qui ont un caractère de parabole, comme des histoires vraies, en vertu de l’inspiration est insatisfaisante pour la critique historique. Tandis que l’école large procède par le tri selon les méthodes de la critique historique afin de déterminer les récits qui relèvent de l’histoire vraie et ceux qui sont de l’histoire révélée. Elle soutient l’hypothèse selon laquelle l’inspiration des Écritures peut porter sur des récits d’origine humaine sans en garantir l’absolue véracité, mais en y introduisant des vérités dogmatiques ou morales. Selon cette même école, la présence des erreurs dans la Bible aurait un une incidence sur la doctrine de l’inspiration si et seulement si ces erreurs sont imputables au Dieu inspirateur. Mais si elles relèvent de l’auteur inspiré, la doctrine de l’inspiration demeure intacte. Les actions inspirées seraient ciblées et préserveraient de l’erreur ce qui relève de la foi et de la morale. 259

3. Critique formulée par Alfred Loisy et exposé de sa pensée

Alfred Loisy envisage deux orientations possibles sur la question biblique : l’une est théologique, l’autre exégétique et relève de la critique historique.260 Selon lui, l’erreur qu’a commise Mgr d’Hulst en exposant la question biblique consiste à la traiter du point de vue purement théologique. Dans cette perspective, les principes et les arguments développés par les différents systèmes de pensée ne peuvent conduire qu’à des solutions imparfaites des difficultés posées. Sa critique

257 Ibidem, p. 150.

258 Ibidem.

259 Ibidem, p. 153-154.

260 Il développe sa pensée lors de son dernier cours d’Écriture sainte à la Faculté de Théologie et l’expose au public à quelques jours de l’assemblée générale des évêques fondateurs de l’Institut catholique de Paris. Nous soulignerons plus loin l’influence de cette publication sur la décision que prendront les évêques fondateurs sur son avenir à l’Institut catholique de Paris. Alfred LOISY, « La question biblique et l’inspiration des Écritures », in Enseignement biblique, nov.-décembre, 1893.

se résume en ces termes : « (…) La question biblique, si on la pose et la discute uniquement sur le terrain de la théologie, n’est qu’un problème difficile, irritant, auquel on apporte des solutions incomplètement vraies, soit que, se fondant sur la tradition ecclésiastique, on nie qu’il y ait des erreurs dans Bible, soit que partant des faits, on affirme la réalité des erreurs. » 261

Considérée uniquement dans la perspective théologique, l’école traditionnelle qui soutient la thèse de l’inerrance absolue est confrontée à l’évidence des faits observés qu’elle nie. Tandis que l’école dite large qui admet la présence des erreurs éprouve des difficultés à les justifier et cette école développe des hypothèses qui n’ont point de racine dans la tradition, étant donné que l’Église n’a jamais envisagé la présence des erreurs dans la Bible. 262 Or à l’évidence des faits observés, soutient-il, la Bible contient des erreurs qui relèvent de la nature humaine.

Pour qu’elle soit pertinente, Alfred Loisy préconise dans son programme de traiter la question biblique du point de vue de l’histoire et de la critique historique. 263Alfred Loisy résumait ainsi la question biblique du point de vue de l’histoire et de la critique historique : « Il ne s’agit plus de savoir si la Bible contient des erreurs, mais de savoir ce que la Bible contient de vérité… » 264 Cette formulation permet à l’historien de rechercher dans la Bible les connaissances qui se rapportent au passé de la religion. 265 Quelles connaissances la Bible fournit-elle à l’historien sur l’histoire de la religion ? 266 Ceci qui revient à poser la nécessité d’un examen critique des problèmes nouveaux que la critique soulève au sujet des Livres de la Bible et d’appliquer la méthode critique aux études scripturaires. 267

261 Ibidem, p. 42. Idem Mémoires, p. 261.

262 Idem, « La question biblique », loc. cit., p. 42-43. Cf. Idem, Mémoires, p. 260.

263 Idem, « La question biblique », loc. cit., p. 43.

264 Ibidem. Cf. Idem, Mémoires, p. 260.

265 Ibidem, p. 261.

266 Envisager la question biblique dans cette perspective aurait pour conséquence l’émancipation de l’exégèse scientifique vis-à-vis du dogme et de la théologie. Ibidem, p. 261.

267 Il s’agit d’un domaine où la pensée catholique accuse un retard par rapport à la critique rationaliste et protestante. Alfred Loisy expose le travail critique réalisé sur la Bible par des exégètes non catholiques dont les résultats sont intégrés dans le patrimoine scientifique: Alfred Loisy souligne les résultats certains obtenue grâce aux progrès scientifiques et que la critique moderne a réalisé dans le monde non catholique depuis le siècle précédent. Au lieu de contester ces conclusions, une exégèse catholique sérieuse devrait plutôt réaliser une analyse approfondie

Ce travail critique doit d’abord porter sur l’histoire du dogme de l’inspiration, celle du canon des Écritures, mais aussi sur l’histoire du texte et des versions biblique, celle de l’exégèse biblique. Ce programme exige aussi une étude des écrits bibliques qui permet de déterminer les éléments nécessaires à l’histoire de la composition des Livres saints, à celle d’Israël, et de la religion israélite et à celle des origines chrétiennes.268

Ainsi, dans l’élaboration de sa pensée sur les dogmes, il propose non pas de les supprimer mais de les réinterpréter269 à la lumière des résultats de la critique historique. Mais en réalité, Alfred Loisy avait perdu toute confiance sur la valeur absolue des dogmes traditionnels et faisait prévaloir la vérité scientifique au détriment de l’orthodoxie théologique. Ce qui, reconnaît-il plus tard, le disqualifiât de l’enseignement d’exégèse dans une Faculté de théologie catholique.270

Concernant l’inerrance biblique, Alfred Loisy rejette la thèse de l’école traditionnelle sur l’inerrance absolue de la Bible, comprise comme l’affirmation de la vérité absolue de tout son contenu et de toutes les propositions. Pour lui, la Bible n’est pas un livre absolument vrai pour tous les temps et dans tous les ordres de vérité. Il existe des défectuosités qui ne peuvent être intelligibles qu’en considérant le contexte de rédaction des livres qui constituent le recueil divin. La Bible demeure un livre ancien rédigé par les hommes et pour eux dans un contexte différent de celui de la science moderne. En tant que livre humain, il possède des imperfections qui font qu’il est vrai pour le temps de sa rédaction et non pour les générations à venir. 271

Quant à la doctrine de l’inspiration biblique, Alfred Loisy affirme « qu’elle était presque en contradiction avec le principe du catholicisme, la primauté de la

de ces données, préciser leur portée et déterminer plus précisément l’historicité de la composition des Saintes Écritures. Voir Ibidem, p. 261. Il attirait l’attention des catholiques concernant la défiance vis-à-vis d’une critique sérieuse et sincère des questions bibliques. Selon lui, le danger consisterait à ne pas tenir compte des avancées de la science et d’opter une posture d’immobilisme intellectuel en matières d’exégèse. Ibidem, p. 262. Idem, « La question biblique », loc. cit., p. 43-45.

268 Ibidem, p. 47.

269 Alfred LOISY, Mémoires, p. 262.

270 Ibidem, p. 175.

tradition à l’égard de l’Écriture. Car la Bible n’est vraie que dans la mesure où elle est interprétée par le Magistère infaillible de l‘Église de manière infaillible par le Magistère l’Église. 272 Alfred Loisy reconnaît que son article dénonçait (ruinait) la conception traditionnelle de l’inspiration biblique qu’il considérait périmée ; ce même article affirmait l’impossibilité de maintenir ce concept cher à la théologie et à la doctrine catholique. Il revendiquait aussi l’indépendance de la critique historique vis-à-vis de la théologie. 273

À priori, en posant la nécessité d’un examen critique de la Bible, dans son assertion initiale, Alfred Loisy n’entend pas abandonner la doctrine traditionnelle. L’examen critique qu’il préconisait ne remet pas en cause le dogme, et ne fait pas de concession à une vérité. Il ne s’agit pas au nom de la science, de vider la foi de sa substance. En même temps, il pense que l’ignorance de récentes acquisitions scientifiques et des problèmes que soulève la critique moderne seraient dommageables pour la foi catholique. Alfred Loisy pense que les conclusions d’un tel travail critique approfondi devraient se faire à la lumière de la vraie tradition catholique et sous contrôle du Magistère.274

Cependant, Alfred Loisy admettra plus tard que dans les préliminaires de sa pensée, son projet, et plus précisément son enseignement sur la question biblique et

l’inspiration des Écritures cherchait à ruiner les concepts de l’inspiration et de vérité bibliques et à diminuer ou à réduire tout le prestige mystique et le caractère surnaturel que l’Église accordait aux Écritures. 275

Une telle orientation ne pouvait que susciter des suspicions, dans la mesure où Alfred Loisy reconnait avoir dit davantage pendant sa dernière leçon du 17 juin 1892 que ce qu’il avait publié dans la Revue de l’Enseignement biblique. 276

Au lieu que l’exégèse biblique s’enracine dans la foi et s’exerce dans un dialogue avec la théologie, le projet de Alfred Loisy visait plutôt à mettre la foi

272 Ibidem, p. 263.

273 Ibidem, p. 265-266.

274 Idem, « La question biblique », loc. cit., p. 49. Idem, Mémoires, p. 262.

275 Ibidem, p. 219. 263. Et Jean-Marie Lagrange lui reproche la « prudente dissimulation » de sa pensée dès le départ. Voir Marie–Joseph LAGRANGE, M. Loisy et le modernisme, op. cit., p. 45-46.

276 Alfred LOISY, Mémoires, op. cit., p. 207. Voir à ce sujet, la critique de Marie-Joseph LAGRANGE, M. Loisy et le modernisme, op. cit., p. 49-50.

entre parenthèse, à éloigner la science exégétique des fondements doctrinaux de la foi et à vider les concepts théologiques de leur substance. Tel est le reproche qui lui sera adressé. Selon Mgr Alfred Braudillart, la remise en cause du caractère surnaturel de la Bible était en contradiction avec la doctrine de l’Église sur l’inspiration des Livres saints. Elle suscita l’inquiétude du cardinal Richard, archevêque de Paris et des évêques fondateurs de l’Institut catholique de Paris qui motivèrent, comme nous le verrons plus tard, leur décision de retirer aussi l’enseignement des langues orientales à Alfred Loisy.277