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Première Partie : VERS UN RESPECT

CATHOLIQUE ROMAIN DES CULTURES

ET DES SCIENCES

INTRODUCTION

À la suite des mouvements révolutionnaires qui ont marqué l’histoire de certains peuples, se sont parfois développées des conceptions dualistes de la société. La tradition de l’Église catholique romaine n’échappe pas à cette conceptualisation bipolaire. Ainsi, depuis la révolution française par exemple, au sein de cette Église catholique romaine, deux visions sociétales se confrontent : le catholicisme « transigeant » et le catholicisme « intransigeant » ; la vision traditionnaliste du monde et la vision moderniste, le socialisme et du libéralisme ainsi que du capitalisme que nous rencontrons chez des historiens et sociologues.27

Nous sommes conscient de l’utilité d’une telle catégorisation à des finalités historiennes et sociologiques. Cependant, en tant que juriste, l’étude de quelques crises qui ont marqué d’une empreinte indélébile la vie de l’Église catholique romaine et que nous proposons dans cette première partie n’envisage pas de juger les divergences entre les courants opposés 28 ou de légitimer une tendance du catholicisme au dépend de l’autre, l’établissant ainsi comme représentant du véritable catholicisme.

Notre visée est tout autre : dans les situations où l’Église catholique romaine, dans ses rapports avec la culture, a été confrontée aux faits de cultures, notamment aux faits scientifiques, les attitudes de la hiérarchie ecclésiale n’ont pas toujours été en faveur de la promotion des cultures et des sciences. Ces attitudes ont souvent suscité des rapports distendus entre les sciences et le monde catholique. Face à ces réactions canoniques, certains penseurs en sont parvenus à

27 Cf. Émile POULAT, Intégrisme et catholicisme intégral : un secret international antimoderniste. La "Sapinière" 1909-1921, Paris, Casterman, 1969. Idem, La crise moderniste, Casterman, 1962. Jean-Marie MAYEUR (dir.), L’Histoire religieuse de la France (XIXe – XXe siècle). Problèmes et méthodes, Paris, Beauchesne, 1975. Gilles KEPEL, Michel WINOCK, Jean-Christophe ATTIAS, et al., Les intégristes : juifs, musulmans, chrétiens, Paris, L’Histoire éditions, 2013, 96 p. Bernard M. G. REARDON, Liberalism and Tradition. Aspect of Catholic Thought in Nineteenth century France, Cambridge, CUP, 1975, VIII-308 p.

28 Cf. Jean-Marie MAYEUR, « Catholicisme intransigeant, catholicisme social, démocratie chrétienne », in Annales, 1972, n. 2, p. 483-499.

la conclusion selon laquelle, la position de l’Église catholique romaine serait antithétique à l’égard des cultures et constituerait un obstacle à la science ainsi qu’aux progrès scientifiques.

Le canoniste, en tant que juriste, est appelé à travailler à partir des faits qu’il analyse à la lumière des principes canoniques pour déterminer des implications juridiques dans la vie de l’Église catholique romaine. Dans cette étude, nous partirons de quelques situations de faits où l’Église catholique romaine ad intra était confrontée aux défis culturels et scientifiques. À partir de ces crises de la scientificité, nous cherchons à répondre au questionnement suivant :

Suite à l’évolution culturelle, éducative et scientifique, quel est le positionnement de la canonicité, de la hiérarchie catholique lorsqu’elle est confrontée aux défis de la modernité qu’ils soient culturels, éducatifs et scientifiques ? Quelle est sa rationalité, sa cohérence théologique et canonique lorsque cette canonicité rencontre les phénomènes éducatifs et scientifiques ?

Cette première partie de notre thèse porte donc sur le degré d’engagement de l’Église catholique romaine lorsqu’elle fait face aux défis de cultures et des sciences. L’analyse des données juridiques permettra de déterminer quelques réponses ou des attitudes du Magistère ecclésiastique suprême. Elle montrera que le respect catholique romain des cultures et des sciences n’est pas une donnée définitivement acquise. Ce respect est le fruit d’une confrontation émanant du processus de maturation dans le dialogue et la confrontation. En rendant compte ainsi de la réponse canonique, nous abordons, ici, la question de la canonicité à partir des défis culturels et scientifiques en s’appuyant sur quelques cas. Et nous nous interrogerons sur la thèse d’une éventuelle incompatibilité entre les positions doctrinales de l’Église catholique romaine et le développement des cultures et des sciences afin de déterminer, si le droit canonique, qui régit et organise la vie de l’Église ad intra et ad extra, peut apporter sa contribution dans les rapports que cette Église entretient avec le monde de la culture et des sciences.

Pour ce faire, nous partons d’un positionnement canonique dans la mesure où le Magistère de l’Église catholique romaine a effectivement pris position dans

de situation de crise, un positionnement qui engage cette Église dans ses rapports avec des cultures et des sciences. Notre intention première ne consiste pas à interroger l’histoire de chaque crise puisque nous ne pouvons pas rendre compte de la causalité en amont. Toutefois, nous appuyant sur des sources et des travaux des historiens, nous allons indiquer, dans la mesure du possible, cette causalité. Nous faisons une analyse de la réaction canonique et une analyse ou un bilan de la crise pour déterminer quelles ont été des attitudes de la hiérarchie ecclésiastique et si à partir de celles-ci la source canonique a éventuellement bougé.

Dans cette étude de quelques crises, nous analyserons quelques situations de faits où en son sein, l’Église était confrontée aux faits scientifiques. A partir de ces crises de la scientificité, nous analyserons les données magistérielles pour déterminer la réponse théorique de la hiérarchie catholique. Et les cas que nous traitons se situent dans la période allant de la moitié du XIXe siècle jusqu’à la quasi-fin du XXe siècle (1850-2000). Dans cette période de l’histoire des attitudes de l’Église catholique romaine confrontée aux crises culturelles et scientifiques, nous nous intéressons à trois domaines d’étude qui structurent cette première partie de notre thèse. Il s’agit des sciences éducatives et les sciences humaines, ensuite des sciences historiques et exégétiques, enfin Sciences naturelles en l’occurrence de l’astronomie.

Le premier chapitre traitera de la crise soulevée par Mgr Jean-Joseph Gaume au milieu du XIXe siècle en France sur l’affaire dite "des classiques" avec le latin considérée comme la langue officielle de l’Église catholique romaine. Quelle est la position de Pie IX dans la querelle concernant l’enseignement des humanités latines dans les collèges et maisons d’éducation chrétienne ?

Le deuxième chapitre aborde la question de la crise moderniste avec la condamnation de Alfred Loisy. Les questions exégétiques abordées se rapportent au dépôt de la foi. L’analyse de l’Encyclique « Pascendi dominici gregis » apportera la réponse à la crise qui a marqué la vie de l’Église catholique romaine au début de XXe siècle.

Dans le troisième chapitre, nous avons opté d’analyser la crise qui porte sur la condamnation de l’astrophysicien Galilée au XVIIe siècle puisqu’elle met en

relief le conflit entre astronomie et théologie. L’astronomie est, de toutes les sciences naturelles, celle qui est très proche de la théologie, comme science avec son objet d’étude portant sur les corps célestes presque considérés comme des êtres divins. 29 Au cours des siècles, cette crise est devenue un fait symptomatique des tensions qui ont marqué les rapports entre l’Église catholique romaine et le monde des cultures et des sciences. L’examen de ce cas à la demande du pape Jean-Paul nous permettra de déterminer le nouveau positionnement de l’Église catholique dans cette affaire.

Dans l’étude de certains cas, nous travaillerons à partir des sources qui étaient à notre dispositions.30 Dans d’autres, nous consulterons des ouvrages fiables, notamment ceux des d’historiens et historiennes pour notre démonstration.

Nous n’allons pas aborder des questions qui se rapportent à la bioéthique non pas parce qu’elles manquent d’intérêt pour ce travail de thèse. Au contraire, ces questions font parties des problèmes auxquels sont confrontées les autorités civiles et religieuses et que celles-ci suivent avec une attention particulière.31

29 Pierre-Noël MAYAUD, « Deux textes au cœur du conflit : entre l’Astronomie Nouvelle et l’Écriture Sainte : la lettre de Bellarmin à Foscarini et la lettre de Galilée à Christine de Lorraine », in Paul POUPARD (card.), L’affaire Galilée, Paris, Éditions de Paris, 2005, p. 32.

30 Ces sources consultées figurent dans les annexes de notre travail de thèse.

31 Sur les fondements, les principes qui gouvernent la bioéthique, cf. Emmanuel HIRSCH (dir.), Jean LEONETTI, Traité de bioéthique. I. Fondements, principes, repères, préface de Jean Leonetti, Toulouse, Ed. Erès, 2010, 764 p. En ce qui concerne les repères chrétiens, cf. Françoise NIESSEN, Olivier DINECHIN, Repères chrétiens en bioéthique : la vie humaine, du début à la fin. Préface de Patrick Verspieren, Paris, Salvator, 2015, 505 p.

En France, la Conférence épiscopale française s’est intéressée à cette problématique comme en témoignent les réflexions menées par un groupe de travail sur la bioéthique. Cf. Pierre d'ORNELLAS (Mgr), Henri BRINCARD (Mgr), Gérard DEFOIS (Mgr), [et al.], Bioéthique, propos pour un dialogue : une contribution de l'Église catholique à la réflexion en vue de la révision de la loi relative à la bioéthique, Paris, Desclée de Brouwer : Lethielleux, 2009, 53 p. ; Pierre d'ORNELLAS (Mgr), Henri BRINCARD (Mgr), Gérard DEFOIS (Mgr), [et al.], Bioéthique, questions pour un discernement, 2e édition, Paris, Desclée de Brouwer : Lethielleux, 2010, 141 p. Sur la même question, cf. Hugues PUEL, « Caritas in Veritate. Une lettre encyclique de Benoît XVI sur le développement humain intégral dans la charité et la vérité », in RETM "Le Supplément", 2010, n. 258, p. 79-97 [voir surtout l’hommage appuyé à Paul VI notamment au sujet de Rerum Novarum (1971) §4 et § 50].

Nous pouvons également évoquer quelques travaux plus anciens qui soulignent l’intérêt de l’Église catholique dans le domaine de la bioéthique :

- En France, « Avis du Comité national d’éthique sur l’utilisation des fœtus et notes du P. de Dinechin », in DC, 1984, n. 1879, p. 805-807 ; « Avis du Comité national d’éthique sur les mères de substitution », in DC, 1984, n. 1885, p. 1130-1131 ; COMMISSION SOCIALE DE L’ÉPISCOPAT, « Vie et mort sur commande », in DC, 1984, 1885, p. 1126-1130 ; Article de la Croix, « L’éthique et la modernité », in DC, 1985, n. 1893, p. 401-403 ; « Communiquer de Mgr Jullien : M. le Ministre

Toutefois, en ce qui concerne la hiérarchie de l’Église catholique romaine, elle les considère comme des « problèmes difficiles et complexes »32. Compte tenu de cette complexité, cette autorité ecclésiastique n’a pas encore élaboré un corpus doctrinal dans ce domaine. Elle a en revanche adopté un positionnement prudentiel qui vise à accompagner le discernement moral 33 à partir de quelques principes fondamentaux34 tout en précisant dans quel cadre cette Église catholique romaine

(Badinter), plaidez pour l’enfant à venir, in DC, 1985, n. 1904, p. 981 ; Jean-Marie LUSTIGER (card.), « Lettre aux responsables des établissements hospitaliers et cliniques catholiques de Paris », in DC, 1987, n. 1932, p. 88-91.

- Aux États-Unis d’Amérique : Témoignages du Père Richard A. McCormick, sj, (de l’Institut d’éthique Kennedy, Université de Georgetown) et du Père Donald McCarthy (du Centre Jean XXIII pour la recherche médico-morale, Saint Louis) devant le Comité pour la science et la technologie de la Chambre des représentants des USA, in DC, 1984, n. 1883, p. 1024-1029. Deux conférences du Cardinal Bernardin, archevêque de Chicago, sur « l’éthique cohérente de la vie », publiés in DC, 1984, n. 1872, p. 443-447 et DC, 1986, n. 1919, p. 569-572.

- En Angleterre, « Déclaration du cardinal Hume lors de la publication du "rapport Warnock" », in DC, 1984, n. 1883, p. 1020-1021. « Réponse au "rapport Warnock" du Comité conjoint pour les problèmes bioéthiques de l’épiscopat de Grande-Bretagne », in DC, 1985, n. 1893, p. 392-401. - En Allemagne : « Communiqué de la Conférence épiscopale sur une journée d’étude de l’Assemblée plénière sur la fécondation in vitro », in DC, 1985, n. 1908, p. 1163-1164. « Document de l’Église évangélique en Allemagne sur les questions de bioéthique », in DC, 1986, n. 1914, p. 325-328.

- En Australie : « Lettre des évêques de la province de Victoria (Melbourne) au "Comité sur la fécondation in vitro" du ministère de la Justice », in DC, 1984, n. 1883, p. 1021-1024.

Pour les Églises chrétiennes orthodoxes, ces questions bioéthiques ne manquent pas d’intérêt. Nous renvoyons ici aux travaux menés lors du congrès scientifique sur la bioéthique organisé du 11-15 septembre 2002 à Chambésy en Suisse par le CENTRE ORTHODOXE DU PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE, Église et bioéthique : la raison de la science et la raison de la religion -- Congrès scientifique de bioéthique, Chambésy, Genève, 11-15 septembre 2002 = Ekklīsía kaí vioīthikī : HO lógos tīs epistīmīs kaí ho lógos tīs thrīskeías -- Epistīmonikón synedríon vioīthikīs, Sambezý Geneúīs 11-15 Septemvríou 2002, Chambésy, Centre orthodoxe du Patriarcat œcuménique, 2008, 328 p.

32 BENOÎT XVI, « Éclairer les consciences de tous. Discours aux participants à l’Assemblée plénière de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, 31 janvier 2008 », in DC, 2008, n. 2399, p. 308-310.

33 À ce propos, pape Benoît XVI écrit : « En effet, les nouvelles technologies biomédicales concernent non seulement certains médecins et chercheurs spécialisés, mais elles sont divulguées à travers les moyens de communication sociale modernes, suscitant des attentes et des interrogations dans des secteurs toujours plus vastes de la société. Le Magistère de l’Église ne peut certainement pas et ne doit pas intervenir sur chaque nouveauté de la science, mais il a pour tâche de réaffirmer les grandes valeurs en jeu et de proposer aux fidèles et à tous les hommes de bonne volonté des principes et des orientations éthiques et moraux au sujet des nouvelles questions importantes. » Ibidem, p. 309.

34 Pour accompagner son jugement moral le Magistère ecclésiastique donne deux critères fondamentaux qui portent sur le respect sans condition de la personne humaine dès sa conception jusqu’à sa mort naturelle et sur le respect de la spécificité de la transmission de la vie humaine par le biais des actes propres aux conjoints. Ibidem. Voir aussi, CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI, « Le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation. Réponses à quelques questions d’actualité. Instruction Donum vitae (22 février 1987) », in DC, 1987, n. 1937, p. 351.

apporte son soutien à la promotion des progrès scientifiques concernant le domaine de la bioéthique. 35

Par ailleurs, un traitement de ces questions nécessiterait de leur consacrer des moyens et des études approfondies puis un investissement qui est au-delà du cadre que nous avons assigné à ce travail de thèse.

35 Benoît XVI affirme : « L’Église apprécie et encourage bien évidemment le progrès des sciences biomédicales qui ouvrent des perspectives thérapeutiques jusqu’à présent inconnues, à travers, par exemple, l’utilisation de cellules souches somatiques ou bien à travers des thérapies en vue de rendre la fertilité ou de soigner les maladies génétiques. Dans le même temps, elle ressent le devoir d’éclairer les consciences de tous, afin que le progrès scientifique soit véritablement respectueux de chaque être humain, à qui doit être reconnue la dignité de la personne, étant créé à l’image de Dieu, sinon il ne s’agit pas de véritable progrès. » Cf. BENOÎT XVI, « Éclairer les consciences de tous. Discours aux participants à l’Assemblée plénière de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, 31 janvier 2008 », loc. cit., p. 309.

Chapitre I : LA HIÉRARCHIE CATHOLIQUE