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Alfred Loisy et la restauration des études bibliques

CHAPITRE II : MAGISTÈRE CATHOLIQUE CONFRONTÉ À LA CRISE MODERNISTE

SECTION 1 : LES CONTROVERSES BIBLIQUES ET LA CENSURE DIOCÉSAINE

A. Alfred Loisy et la restauration des études bibliques

SECTION 1 : LES CONTROVERSES BIBLIQUES ET

LA CENSURE DIOCÉSAINE.

Dans la première section de ce chapitre, nous allons traiter de la controverse qui est née à partir de l’enseignement de l’Écriture sainte que dispensait Alfred Loisy à l’Institut catholique de Paris. Ensuite nous aborderons la question biblique concernant l’inspiration des livres sacrés. Enfin, nous exposerons les solutions que préconisaient les autorités ecclésiastiques compétentes à cette crise.

§ 1. L’enseignement de l’Écriture sainte et la question biblique.

Dans le premier paragraphe de cette section, nous analyserons les controverses pédagogiques, exégétiques et théologiques qui ont précédé la crise moderniste. A ce stade de notre étude, cette controverse souleva auprès des autorités ecclésiastiques compétentes deux problèmes de natures différentes : Le premier est d’ordre pédagogique et se rapporte à la controverse issue de l’enseignement de l’Écriture sainte que dispensait Alfred Loisy à l’Institut catholique de Paris ; puis le second se rapporte à la querelle sur l’interprétation théologique et exégétique que nous étudierons avec la Question biblique.

A. Alfred Loisy et la restauration des études bibliques.

L’abbé Alfred Loisy233 intègre la Faculté de théologie234 de l’Institut catholique de Paris en 1881 à la demande du recteur Mgr d’Hulst. Dans sa mission

233 Il exerça d’abord comme suppléant au cours d’hébreu de l’abbé Martin. Il fût ensuite nommé maître de conférence en 1883 ; après la soutenance de sa thèse en théologie sur l’Histoire du canon de l’Ancien Testament en 1890, il devînt professeur de l’Écriture sainte. Alfred Loisy, jeune prêtre du diocèse de Châlons avait été nommé professeur de théologie au séminaire de son diocèse, lorsqu’à la demande du recteur Mgr d’Hulst il était sollicité à intégrer l’Institut catholique de Paris en 1881. Il exerça d’abord comme suppléant au cours d’hébreu de l’abbé Martin. Ensuite, il fût nommé maître de conférence en 1883 et professeur de l’Écriture sainte en 1890 après la soutenance de sa thèse en théologie sur "l’Histoire du canon de l’Ancien Testament". Ibidem, p. 474-476.

professorale qu’il assume à partir de 1890, il constate le contraste qui existe entre l’énorme travail critique réalisé par les exégètes non catholiques sur la Bible (chez les protestants allemands) et les lacunes de l’enseignement catholique dans ce domaine des sciences exégétiques. Il postule alors pour la nécessité d’une innovation de l’enseignement de l’Écriture sainte au sein de la Faculté de théologie de Institut catholique de Paris (ICP).235 Selon lui, la refonte qu’il préconise concernant l’enseignement biblique devrait, à la fois, tenir compte des progrès scientifiques réalisés grâce à la méthode de la critique historique et respecter les principes de la foi.236 Pour atteindre cet objectif, Alfred Loisy se dote de deux moyens de transmission : le premier est un exposé des cours magistraux qu’il dispense aux candidats destinés au ministère sacerdotale ; le second moyen est la revue l’Enseignement biblique qu’il fonde en 1892 pour faire bénéficier de ses cours aux jeunes clercs qui exercent déjà un ministère pastoral.

Dans ses cours magistraux, Alfred Loisy entreprend d’appliquer les principes de la méthode historico-critique à l’interprétation des livres bibliques. Dans son exposé sur les récits bibliques de la création et du premier péché des cinq premiers chapitres du livre de la Genèse, il émettait l’hypothèse selon laquelle les récits relatés ne seraient pas des faits historiques. S’il fallait les interpréter littéralement, il y aurait contradiction entre les données bibliques et les faits historiques.237 Une telle démarche herméneutique allait poser des difficultés qu’esquivait l’interprétation traditionnelle et susciter des débats théologiques et exégétiques virulents.

Dès le départ, l’orientation pédagogique adoptée n’est pas très appréciée par les autorités hiérarchiques qui confiaient la formation théologique de leurs candidats à l’Institut catholique de Paris. Ce fut le cas du supérieur général de Saint-Sulpice, M. Icard. Selon ce dernier, les leçons de Bible que dispensait Alfred

234 Cette faculté, avant son institution canonique, s’ouvrit en tant qu’École supérieure de théologie le 7 novembre 1878 grâce à l’engagement personnel de Mgr Richard, alors évêque coadjuteur de Paris. Idem, L’Enseignement Catholique dans la France contemporaine. Op. cit., p. 442.

235 Alfred Loisy parle même d’une "révolution", dans un contexte français où les conséquences de la Révolution de 1789 sont encore palpables. Pour son orientation pédagogique et les six questions qui articulaient son enseignement. Cf. Alfred LOISY, Mémoires. Op. cit., p. 172-174.

236 Ibidem, p. 224-225.

Loisy étaient dangereuses pour ses candidats qui n’étaient pas suffisamment préparés à entendre un tel discours. Il doutait de la garantie de prudence et d’orthodoxie des cours dispensés aux candidats à la cléricature.

Dans la revue l’Enseignement biblique que Alfred Loisy avait fondé en janvier 1892, il décidait de mettre à la disposition des prêtres qui voulaient approfondir leurs connaissances de la Bible, certains enseignements qu’il dispensait aux auditeurs à la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris. Il comptait ainsi divulguer les résultats récemment acquis par les travaux des savants dans le domaine de la science biblique et partager les avancées dans ce domaine.238 À travers son programme d’études, il envisageait non seulement de réconcilier l’histoire et la théologie mais aussi d’œuvrer dans l’intérêt de l’Église catholique romaine.239

L’article qu’Alfred Loisy publia sous le titre les Mythes chaldéens de la création

et du déluge confirmait sa démarche scientifique et renforçait des craintes provoquées par ses cours oraux. Dans cette étude, Alfred Loisy expose les difficultés que présente l’interprétation historique des premiers chapitres du livre de la Genèse et il affiche sa préférence pour l’interprétation scientifique en vue d’une meilleure cohérence avec les données de l’histoire. 240

Dès la rentrée académique 1892-1893, le Supérieur général de la Congrégation Saint-Sulpice, M. Icard interdît à ses novices d’assister aux cours d’Écriture sainte dispensé par Alfred Loisy.241

Sur la forme et au plan pédagogique, l’interdiction du supérieur général de Saint-Sulpice M. Icard soulevait le problème de la ratio studiorum dans les facultés

238 Ibidem, p. 204.

239 Ibidem, p. 231.

240 Cf. Alfred LOISY, Les mythes chaldéens de la création et du déluge, Amiens, Rousseau-Leroy, 1892, in 8-95 p.

241 M. Icard avait déjà auparavant interdit aux jeunes clercs d’assister aux cours de l’abbé Duchesne qu’il jugeait également dangereux. Dans la lettre du 4 juin 1893 que M. Icard adressait à Mgr d’Hulst, il évoque les motifs de cette interdiction. Cf. Alfred BAUDRILLART (Mgr), Vie de Mgr D’HULST, op. cit., p. 482-484 : Il jugeait que les cours d’Alfred Loisy étaient dangereux pour les jeunes clercs qui n’était pas initiés aux questions exégétiques et se méfiait des nouvelles tendances de l’enseignement du professeur de l’Écriture sainte. Cette méfiance s’accompagnait d’un profond doute sur sa prudence et son orthodoxie. Enfin il lui reprochait de contester l’historicité des premiers chapitres de la Genèse.Pour ce dernier point, voir Alfred LOISY, Mémoires, op. cit., p. 206.

ecclésiastiques catholiques. Était-il approprié, opportun et prudent d’exposer des jeunes clercs en formation en vue du sacerdoce sur des questions bibliques complexes qui n’étaient pas encore validées par l’autorité ecclésiastique compétente ? Sur le fond, l’initiative de Alfred Loisy avait pour objectif de préparer les jeunes clercs aux problématiques théologiques et aux débats exégétiques que pose la critique historique. Il soulevait aussi la problématique de la place de la critique historique dans la pensée théologique catholique. Mgr d’Hulst exposait ce débat dans l’article qu’il intitulait La Question biblique.