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Importance et évaluation de l’encyclique "Pascendi dominici

CHAPITRE II : MAGISTÈRE CATHOLIQUE CONFRONTÉ À LA CRISE MODERNISTE

SECTION 2 : LES CONGRÉGATIONS ROMAINES ET LA PRISE DE POSITION DE PIE X

C. Importance et évaluation de l’encyclique "Pascendi dominici

C. Importance et évaluation de l’encyclique "Pascendi dominici

gregris"

Étant donné que l’encyclique Pascendi dominici gregris s’adressait à tous les prélats en communion avec la hiérarchie suprême de l’Église catholique romaine, elle possède un caractère universel. Cependant, l’analyse des archives par Arnold Claus démontre que l’objectif premier de Joseph Lemius consistait essentiellement à dénoncer le système théologique et philosophique que véhicule l’exégèse scientifique de Alfred Loisy puis le danger qu’un tel système représente pour la foi et la doctrine de l’Église.402

L’analyse des archives par Claus Arnold et surtout la conférence donnée par Joseph Lemius en mai 1907 à l’Académie de saint Thomas permettent de cerner les problématiques qui sont soulevées. En exposant les fondements philosophiques du système loisyste, Joseph Lemius évoque une guerre d’écoles théologiques au sein de l’Église catholique romaine. Il ne s’agit pas simplement d’un refus de la critique biblique mais, selon Joseph Lemius, de dénoncer les pires erreurs qui sont véhiculées par le biais d’un véritable mouvement philosophique moderne qui, au sein même de l’Église, combat la vieille dogmatique et le système métaphysicien d’Aristote et de saint Thomas. Ce mouvement promeut l’agnosticisme, l’immanentisme, le psychologisme et le symbolisme. Nous sommes donc en présence d’une crise conflictuelle entre différentes écoles ou systèmes philosophico-théologiques, une crise qui est perçue à tort comme un conflit entre religion et science, entre foi et raison. Telle est l’idée de base de la partie doctrinale.403

Dans cette même étude, les annotations manuscrites de Lemius dans la forme dactylographiée de Pascendi dominici gregis confirment l’hypothèse (de Alfred Loisy) selon laquelle la critique de la Bible et des origines chrétiennes puis le système philosophique de l’immanence vitale constituaient les deux principales sources à partir desquelles fût élaborée la compilation du système moderniste

402 Claus ARNOLD, « Antimodernismo e magistero romano : La redazione della Pascendi », loc. cit., p. 358.

contenue l’encyclique pontificale.404 Ces mêmes annotations présentent les écrits concernés ou les personnes ciblées par l’encyclique Pascendi. Il s’agissait surtout des ouvrages mis à l’index depuis 1903 de Alfred Loisy: L’Évangile et l’Église,

Autour d’un petit livre, puis des Études évangéliques.405 Il était également question des Essais de philosophie religieuse de Lucien Laberthonnière et de l’histoire des

dogmes de Mgr Batiffol. Une lettre anonyme adressée au pape par un groupe de jeune prêtres italiens en 1907 affermît le sentiment d’une "conspiration moderniste" contre les autorités de l’Église. Et de manière générale, Joseph Lemius voulait dénoncer l’influence de la philosophie kantienne, mais aussi l’interprétation évolutive de la religion du sociologue Herbert Spencer ou encore la phénoménologie religieuse de William James. 406

De cette étude, apparaît clairement que la matière première de l’encyclique est très limitée, circonscrite à quelques personnes et quelques écrits malgré le caractère abstrait et général que revêt la version finale de l’encyclique pontifical. 407

Cette analyse nous permet de situer le document pontifical dans son contexte d’élaboration pour mieux comprendre sa nature, son autorité et la réponse demandée aux fidèles mais aussi de déterminer le degré d’engagement de l’autorité suprême de l’Église catholique romaine.

404 Alfred LOISY, Simples réflexions sur le Décret du Saint-Office Lamentabili sane exitu et sur l’Encyclique Pascendi Domini gregris, 2e édition, Ceffonds, Chez l’Auteur, 1908, p. 16-17.

405 Alfred Loisy avait déjà signalé que l’essentiel des opinions sur la Bible, la fondation du christianisme et son développement, et les positions des réformateurs du catholicisme, que l’encyclique attribuait à des modernistes, étaient tirés de ses ouvrages. Et il reconnaissait que plusieurs conclusions, notamment celles qui concernent l’enseignement de Jésus, et l’institution de l’Église lui étaient personnelles. Ibidem, p. 17-18.

406 Claus ARNOLD, « Antimodernismo e magistero romano : La redazione della Pascendi », loc. cit., p. 359-360.

CONCLUSION.

En ce qui concerne la valeur de l’encyclique pontificale, l’autorité engagée et la réponse exigée aux fidèles catholiques, il est communément admis que tous les enseignements du pape n’ont pas la même autorité et ne nécessitent pas la même forme d’adhésion. D’où l’importance d’un travail d’herméneutique canonique qui s’impose pour déterminer l’autorité canonique du document et surtout pour savoir si le pape avait l’intention d’engager son autorité magistérielle au suprême degré.

Selon la doctrine canonique, la hiérarchie suprême catholique peut engager son autorité magistérielle suivant deux modalités : Elle peut intervenir en impliquant le caractère infaillible soit par son magistère solennelle et universelle à travers l’expression ordinaire et extraordinaire. Il s’agit des cas où le pape ou le Collèges des évêques en communion avec lui de l’Église catholique romaine promulguent des définitions dogmatiques marquées d’un caractère définitif et absolument irréformable. La deuxième modalité concerne le Magistère authentique par lequel le pape, comme pasteur et docteur de l’Église universelle, ou les évêques individuellement ou en conférence entend préciser un ou plusieurs points doctrinaux, indiquer une orientation obligatoire pour la sauvegarde, la protection de la doctrine sur la foi et les mœurs, sans pour autant avoir l’intention d’enseigner de manière absolument définitive, infaillible.408

Par sa nature, l’encyclique Pascendi dominici gregris est un acte proprement magistériel qui émane directement du pape Pie X comme autorité suprême, compétente en matière de foi et de mœurs au sein de l’Église catholique romaine.

À la lecture de l’encyclique Pascendi dominici gregris, nous pensons que ce dernier cas s’applique raisonnablement au document pontifical que nous étudions. Le Pape avait manifesté clairement l’intention de donner une direction, un enseignement obligatoire et universelle concernant les erreurs des modernistes.

En effet, la direction pontificale et l’interprétation de l’encyclique doivent être replacées dans le contexte de rédaction du document : L’encyclique est promulguée dans une situation de tension avec la modernité. Ce contexte est marqué par une mutation culturelle profonde et complexe, où la théologie, l’exégèse et la métaphysique sont confrontées aux nouveaux défis et systèmes de pensée de la modernité. L’encyclique pontificale voulait répondre à des circonstances de crise dans laquelle elle tire sa genèse et comme en témoignent son style polémique et ses expressions virulentes.

Par ailleurs, dans l’encyclique Pascendi dominici gregis, Pie X traite des problèmes très graves que les doctrines modernistes posent aux fondements de la foi et les mœurs. Il dénonce les erreurs du modernisme et des modernistes en précisant les points doctrinaux qui sont contraires au Magistère authentique de l’Église catholique romaine. Il indique également les principes, les règles qui doivent orienter les jugements et la conduite des fidèles dans les circonstances précises de la crise moderniste. Pour autant, est-il fondé d’en déduire que l’encyclique Pascendi dominici gregris relève du Magistère ordinaire pontifical ?

Toutefois, la volonté du pape Pie X de se prononcer de manière définitive sur les questions traitées n’est pas clairement déterminée. Aucune caractéristique de l’encyclique ne permet d’affirmer qu’il s’agit d’une sentence définitive, absolue, irréformable et donc infaillible. Telle est également la pensée de l’archevêque de Strasbourg, Mgr Jean Julien Weber, qui affirme qu’aucune indication ne permet de soutenir que ce document pontifical rentre dans le domaine de l’infaillibilité du Souverain Pontife.409

En tant qu’émanant du pape, cette encyclique a certes une influence supérieure à celle du décret Lamentabili sane exitu que nous avons précédemment étudié du fait qu’il s’agit d’un document pontifical promulgué par l’autorité suprême de l’Église catholique romaine. Toutefois, nous soutenons que l’enseignement contenu dans cette encyclique n’appartient pas au dépôt de la foi et ne revêt pas un caractère d’enseignement irréformable. Ce Magistère

409 Jean Julien WEBER, « Du bon usage des documents pontificaux. La crise moderniste et la situation présente de l’Église », in DC, 1971, n. 1583, p. 343. Il fût évêque de Strasbourg de 1945-1966 avant de se retirer au couvent de Ribeauvillé le 1er janvier 1967. Il décède le 13 février 1981.

authentique du pape n’est pas garanti par le caractère d’infaillibilité. Par la promulgation de l’encyclique, le pape Pie X a engagé son autorité souveraine mais à un échelon inférieur, et non pas au suprême degré. Dès lors, les fidèles doivent adhérer à son enseignement par une révérence qui est un assentiment religieux et intérieur. La formulation du serment antimoderniste permet de comprendre le type de réponse que l’autorité exige des fidèles : « Je me soumets aussi, avec la révérence voulue, et j’adhère de tout mon cœur à toutes les condamnations, déclarations, prescriptions, qui se trouvent dans l’encyclique Pascendi et dans le décret Lamentabili, notamment sur ce qu’on appelle l’histoire des dogmes. » 410

Notre accueil de ce document pontifical en 2019 doit tenir compte de plusieurs développements de la pensée catholique et des positions doctrinales du Magistère ultérieur sur certains aspects de la vie de l’Église jadis contestés.411 Nous pouvons constater avec Mgr Jean Julien Weber que, depuis sa publication en 1907, la pensée catholique a progressé sur plusieurs aspects : La philosophie scolastique ne s’est pas exclusivement imposée, au contraire, plusieurs courants philosophiques se sont développés au sein de l’Église. Déjà sous Pie X, le néo-thomisme ne s’est pas imposé de manière absolue et d’autres écoles théologiques jouissent de la liberté de soutenir des conceptions relevant de leurs traditions. Il n’est plus nécessaire d’adhérer au système doctrinal de saint Thomas dans sa totalité.412 Aussi, Avec l’encyclique Divino afflante Spiritu de Pie XII et à la Constitution conciliaire sur la Révélation, la science exégétique s’est considérablement développée et a acquis une certaine autonomie par rapport à la science théologique. Certaines propositions jadis condamnées par la Commission biblique sont admises et il n’est plus interdit de chercher et de discuter les sources du Pentateuque voire des Évangiles, suivant les nouvelles règles

410 PIE X, « Motu proprio "Sacrorum antistitum", 1er septembre 1910 » in Denzinger, n. 3543, p. 760. L’obligation de prêter le serment antimoderniste prescrit dans le Motu proprio "Sacrorum antistitum" du 1er septembre 1910 fût suspendue en 1967. Cf. Jean Julien WEBER, loc. cit., p. 343.

411 Voir des documents magistériels ultérieurs : Providentissimus Deus de Léon XIII ; Divino afflante Spiritu du Pape Pie XII ; Constitution conciliaire Dei Verbum, n. 12 ; Jean-Paul II, « Discours à l’occasion du 100e anniversaire de Providentissimus Deus et du 50e anniversaire de Divino afflante Spiritu (23 avril 1993) », in AAS, 1994, 86, p. 232-243 ; in DC 1993, n. 2073. Cf. COMMISSION PONTIFICALE BIBLIQUE, « De charactere historico trium priorum capitum Geneseos, Sul carattere storico dei tre primi capitoli della Genesi (30 giugno 1909) » in AAS 1, 1909, p. 567-569.

412 Voir les thèses approuvées de philosophie thomiste du « Décret de la Sacrée Congrégation des études, 27 juillet 1914 », in Denzinger, n. 3601-3624.

d’interprétation.413 Il suffit d’évoquer les récents développements sur la question de l’herméneutique de l’Écriture sainte dans l’Église catholique romaine en s’appuyant sur Verbum Domini de Benoît XVI, ou encore les questions du "développement de la recherche biblique et le Magistère ecclésial", "le danger du dualisme et d’une herméneutique sécularisée", le rapport entre "Foi et raison dans l’approche de l’Écriture", le "sens littéral et sens spirituel" enfin "le nécessaire dépassement de la lettre".414 La place et le rôle des laïcs dans l’Église catholique a été largement discutée lors du Concile Vatican II et le Code de droit canonique de 1983 a défini leurs statuts, avec leurs droits et devoirs au sein du peuple de Dieu sans que cela ne puisse remettre en cause le sacerdoce ministériel. Cette perspective d’ouverture a permis de réexaminer une autre crise qui, plus de trois siècles auparavant opposait le laïc Galilée et les autorités ecclésiastiques.

413 Voir COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la Bible dans l’Église, Paris, Cerf, 2010.

414 Cf. DC, 2011, n. 2460, p. 69-73. Voir aussi COMMISSION BIBLIQUE PONTIFICALE, L’interprétation de la Bible dans l’Église (15 avril 1993), in DC, 2004, n. 2085.

Chapitre III : MAGISTÈRE DE L’ÉGLISE