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Autorités, natures, statuts canoniques des décrets du Saint- Saint-Office et réponses canoniques

CHAPITRE II : MAGISTÈRE CATHOLIQUE CONFRONTÉ À LA CRISE MODERNISTE

SECTION 2 : LES CONGRÉGATIONS ROMAINES ET LA PRISE DE POSITION DE PIE X

C. Autorités, natures, statuts canoniques des décrets du Saint- Saint-Office et réponses canoniques

de la Congrégation romaine du Saint-Office en rapport avec l’autorité suprême de l’Église catholique romaine ?

C. Autorités, natures, statuts canoniques des décrets du Saint-Office et réponses canoniques.

La mission première et fondamentale de la Congrégation du Saint-Office consistait à préserver, à conserver et à défendre la foi et la discipline ecclésiastique. Mais, en tant que Tribunal suprême de l’Église, le Saint office jouissait aussi d’un véritable pouvoir judiciaire qui lui permettait de juger toutes les causes liées aux hérésies et aux erreurs contraires à la foi. Ce pouvoir était accompagné des moyens coactifs. 372 cette double compétence en matières doctrinales et disciplinaires lui octroyait le pouvoir d’émettre les décrets dogmatiques et disciplinaires : La mise à l’index des œuvres littéraires de Alfred Loisy et la promulgation du décret Lamentabili sane exitu relèvent donc de ces prérogatives.

Par ailleurs, le cardinal Adolphe Perraud affirmait dans une instruction adressée aux fidèles de son diocèse que le Saint-Office représente l’autorité du Chef de l’Église. 373 Considérant que, depuis son érection en 1542 par le pape Paul III, les papes ont toujours assuré la préfecture du Saint-Office contrairement aux autres congrégations romaines qui étaient présidées par des cardinaux, quelles sont la nature et de le statut canonique des décisions émanant de la Congrégation du Saint-Office ? Pouvons-nous affirmer que la mise à l’index des œuvres de Alfred Loisy et le décret Lamentabili sane exitu sont des actes proprement pontificaux, autrement dit, engagent-ils l’autorité pontificale ? Si oui, à quel degré ?

Le Saint office jouissait d’un pouvoir administratif et d’un pouvoir judiciaire qui lui octroyaient double compétence dans les domaines dogmatique et

372 Lucien CHOUPIN (sj), Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège. Syllabus ; Index ; Saint-Office ; Galilée. Congrégations romaines. L’Inquisition au moyen âge, 3e édition, Paris, Gabriel Beauchesne (éd.), 1913, p. 59.

disciplinaire. En tant que tribunal ecclésiastique, il était capable de juger toutes les questions qui se rapportent à la doctrine catholique et c’est à ce titre qu’elle pouvait porter des décrets dogmatiques, qualifier des propositions doctrinales ou encore définir ou clarifier un point de doctrine concernant la foi et les mœurs. Il était aussi compétent pour juger et condamner les livres qui mettent la foi en péril. Et dans ce cas, il revient à la Congrégation de l’Index de les inscrire à l’index et de les rendre publique.374

Le décret de la sentence sur la mise à l’index des œuvres de Alfred Loisy constitue donc un acte propre du Saint-Office. Il est de nature disciplinaire. Ce décret fût sanctionné par le souverain Pontife et enregistré selon les dispositions canoniques de la Cour de Rome comme l’affirmait le cardinal Adolphe Perraud. 375

Dans une instruction que le cardinal Adolphe Perraud adressait aux fidèles catholiques de son Diocèse pour dénoncer les erreurs de l’abbé Alfred Loisy, le prélat esquisse quelques éléments de réponse concernant la portée du décret de mise à l’Index. Selon l’évêque d’Autun, la sentence s’applique à « tous les catholiques, quels que soient leur rang et leur dignité »376. Ce qui suppose qu’il s’agit d’un décret formellement général ou universel. Or selon Lucien Choupin, un tel décret a force de loi dans toute l’Église. 377 En effet, la constitution Licet de Paul III de 1542 conférait aux décrets de la Congrégation du Saint-Office le pouvoir d’obliger tous les fidèles du monde entier. Ceux-ci devaient respecter les sentences de prohibition ou de condamnation des livres prononcées par le Tribunal suprême. La tradition canonique a constamment confirmé cette disposition canonique. Cette dernière est renouvelée au canon 1396 du Code de 1917 : « Les livres condamnés par le Siège apostolique sont considérés comme condamnés partout et dans quelque langue qu’ils soient traduits. »378

374 Lucien CHOUPIN (sj), op. cit., p. 62-66.

375 Adolphe PERRAUD (card.), op. cit., p. 10.

376 Ibidem, p. 11.

377 Lucien CHOUPIN (sj), op. cit., p. 99-100.

378 Selon le canon 7 du code de 1917, le Siège apostolique désigne dans ce cas, la Sacré Congrégation du Saint-Office. Voir aussi dans le même Code de 1917, les canons (1384-1405) du Titre 23 qui traitent « de la censure préalable des livres et de leur prohibition ».

Dans le cas du Décret Lamentabili sane exitu (4 juillet 1907) nous sommes en présence d’un acte d’autorité propre de la Congrégation du Saint-Office. Il relève du Magistère authentique de l’Église, puisque le Saint-Office exerçait la fonction d’enseignement par une autorité qui lui fût propre et ordinaire. Bien plus, sur le plan théologique, nous avons noté la difficulté à laquelle les cardinaux se sont confrontés quant à la qualification des propositions. En renonçant à déterminer la nature et le caractère des propositions condamnées, les cardinaux n’avaient pas l’intention de déterminer le degré de certitude théologique des propositions. Ce qui permettait d’éviter toute fixation théologique et favorisait les débats sur des questions non élucidées.

Nous soulignons aussi que le décret fût approuvé par le pape in forma

communi en non pas in forma specifica. Une approbation en forme commune ne transforme pas la nature du décret Lamentabili. Cependant, comme souligne Lucien Choupin (sj), elle octroie à la sentence une force morale puis sur le plan canonique et juridique, une plus grande autorité et fermeté, à cause du soutien papal. Mais en aucun cas il n’est transformé en "acte strictement pontifical".379

De ce raisonnement canonique résulte une conséquence juridique importante : L’approbation papale est une approbation conditionnelle, c’est-à-dire que si l’acte posé par la sacré Congrégation du Saint-Office est entaché d’un vice de forme ou de fond qui le rend nul, cet acte est canoniquement et juridiquement invalide malgré son approbation par le souverain Pontife. 380

Par conséquent, la Congrégation du Saint-Office demeure la cause efficiente de la sentence prononcée par le décret. Le décret Lamentabili sane exitu est donc un document qui possède un degré d’autorité inférieure aux actes du pape et n’engage pas directement l’autorité pontificale. Ce document garde cependant son statut propre que le pape Pie X réaffirmait dans le Serment antimoderniste prescrit aux ordinands et aux enseignants dans le Motu proprio Sacrorum antistitum du 1er

septembre 1910.

379 Lucien CHOUPIN (sj), op. cit., p. 72.

Étant donné que le décret de mise à l’Index et celui de Lamentabili sane exitu n’engagent pas directement l’autorité suprême, quelle réponse les fidèles, notamment les hommes de science, devaient-ils réserver aux décisions de la sacrée Congrégation du Saint-Office ? Pour répondre à cette question, il importe de préciser la statut juridique des documents que nous étudions :

Adolphe cardinal Perraud rappelait aux fidèles du Diocèse d’Autun qu’en réponse aux actes des Congrégations romaines, un silence respectueux ne suffisait pas. Les décisions des Congrégations romaines imposaient aux fidèles catholiques "l’obligation d’une soumission intérieure". 381 Il justifiait cette disposition canonique comme étant une mesure préventive, une précaution canonique pour « arrêter les effets désastreux déjà produits par les ouvrages condamnés ou de prévenir ceux qu’ils pourraient encore produire. » 382

Aussi, le décret Lamentabili sane exitu, parce qu’elle donne une orientation obligatoire à laquelle tous les fidèles doivent se conformer, exigeait une soumission religieuse de la part de tous les fidèles. L’intention du Saint-Siège, comme l’explicite Lucien Choupin (sj), consiste à « pourvoir à la sécurité de la doctrine, prévenir les dangers de perversion de la foi, plutôt que de prononcer directement un jugement sur la vérité ou la fausseté absolue de la proposition elle-même » 383.

Que faut-il entendre par l’obsequium religiosis ou "l’obligation d’une soumission intérieure "384 qui est demandée aux fidèles catholiques ? Exige-t-elle une adhésion d’intelligence et de volonté ou une obéissance dans la foi ? Qu’est-ce qui motive une telle attitude d’adhésion chez le fidèle ? 385

381 Adolphe PERRAUD (card.), op. cit., p. 10-11.

382 Ibidem, p. 12.

383 Lucien CHOUPIN (sj), op. cit., p. 85.

384 La soumission en droit canonique peut désigner le fait de se ranger sous l’autorité de quelqu’un ou d’adhérer à son enseignement ; elle peut également avoir le sens d’une disposition à l’obéissance.

385 Nous reviendrons sur ce sujet dans la deuxième partie de notre étude, en évoquant la question des vérités du magistère scientifique en rapport avec les nouvelles dispositions sur le magistère doctrinal qui s’est récemment exprimé dans la lettre apostolique sous forme de Motu proprio Ad tuendam fidem de Jean-Paul II publiée le 30 juin 1998.

En guise de conclusion, l’analyse de la procédure d’élaboration du décret

Lamentabili sane exitu permet de tirer quelques conclusions avec Claus Arnold : La première conclusion nous amène à reconnaître que le décret Lamentabili qui, dans sa genèse, était inspiré par le mouvement d’intransigeance ne s’est pas transformé en un document libéral, au long de la procédure de son élaboration. Cependant, la longue procédure, les consultations et surtout la volonté de la quête de la justice et de la vérité de certains consulteurs et cardinaux inquisiteurs ont favorisé plusieurs atténuations et corrections des propositions. Parmi les 119 propositions contenues dans l’elenchus unicus, 31 furent supprimées. Le refus de qualifier les propositions dès le départ de la procédure manifestait cette volonté de ne pas interrompre les discussions sur les questions théologiques, exégétiques ou philosophiques, etc. soulevées par les méthodes modernes. Ce qui suit permet de noter que la tradition du dialogue n’est pas une nouveauté au sein des institutions ecclésiastiques.

Certes, la condamnation des œuvres de Loisy est indubitablement l’œuvre des agents antimodernistes dont les interventions ont été décisives. Mais il importe aussi de signaler que dès le départ, la longue durée de la procédure juridique était plutôt en faveur d’une solution positive de « l’Affaire Loisy" et de la nouvelle exégèse, si les publications audacieuses ne donnaient pas une nouvelle orientation à la procédure en cours. Alfred Loisy aurait même bénéficié de la bienveillance et de l’influence des voix les plus modérées au sein de la Curie romaine qui étaient ouvertes à la nouvelle science exégétique. Et comme l’a noté Arnold Claus, « une défense orthodoxe des œuvres de Alfred Loisy était impossible ».386

Par le décret condamnant les cinq œuvres de Alfred Loisy comme à travers le décret Lamentabili sane exitu, le Saint-Siège avait l’intention de combattre « une certaine science empreinte "d’erreurs du rationalisme" ou du "semi-rationalisme" et qui semblait menacer les fondements de la foi et de la religion chrétiennes. L’intervention du Saint-Siège visait à « sauvegarder l’intégrité de la doctrine catholique sur l’autorité historique des Évangiles, sur la Révélation, sur la

386 Claus ARNOLD, « Le cas Alfred Loisy devant les congrégations romaines de l’Index et de l’Inquisition (1893-1903) », loc. cit., p. 10.

Divinité, la Science, la Résurrection de Jésus-Christ, sur l’institution divine de l’Église et des Sacrements. » 387 Mais, au jugement des autorités ecclésiastiques, cette intervention ne semblait pas suffisante pour contenir la menace. D’où l’intervention du pape Pie X avec la publication de l’encyclique Pascendi dominici

gregris.

§ 2. L’intervention de Pie X et à propos de ses suites.

Le pape Pie X intervint à travers l’Encyclique Pascendi dominici gregis qui fût

promulguée le 8 septembre 1907.388 Dans ce document, il s’adresse à tous les fidèles de l’Église catholique romaine par le biais des prélats, des Ordinaires qui sont en communion avec la hiérarchie suprême de l’Église catholique romaine.

Intéressons-nous à la genèse de ce document magistériel dont l’analyse est considérée par des historiens, notamment Maurilio Guasco, comme une "véritable pierre tombale" posée sur la science catholique,389 afin de déterminer le degré d’engagement de l’autorité suprême de l’Église catholique romaine.

387 Adolphe PERRAUD (card.), op. cit., p. 59-60.

388 PIUS PP X, « Litterae encyclicae Pascendi dominici gregis. De modernistarum doctrinis », in A.S.S., 40, 1907, p. 593-650 ; Pie X, Acta, 4, 50-88 ; Denzinger n. 3475-3500 ; Le texte intégral en langue française est également disponible sur le site officiel du Vatican. Dans la suite de cette étude, toute référence à l’encyclique Pascendi dominici gregis accompagnée d’un numéro renverra à ce document que nous avons consulté et téléchargé le 26 juin 2013 à 9h 55 mn à l’adresse officielle suivante : http://www.vatican.va/holy_father/pius_x/encyclicals/documents/hf_p-x_enc_19070908_pascendi-dominici-gregis_fr.html

A. Genèse de l’encyclique "Pascendi dominici gregris"

Au sujet de l’origine de l’encyclique, plusieurs hypothèses ont été avancées concernant des personnalités ayant coopéré à l’ébauche du projet de l’encyclique

Pascendi dominici gregris. Denzinger assurait à tort que le P. Johannes Baptista Lemius (1851-1938),390 aurait rédigé la partie doctrinale tandis que le cardinal Louis Billot se serait chargé de la partie pratique et disciplinaire.391 Si le soupçon portait principalement sur le jésuite Louis Billot (1846-1931) comme étant l’auteur principal de cette encyclique, il est quasiment certain, d’après R. Vilder, que le cardinal Merry del Val, Secrétaire d’État du Vatican, aurait confié la tâche à l’un de ses conseillers préférés,392 le père Joseph Lemius (1860-1923)393, théologien et procurateur romain de la Congrégation des oblats de Sainte Marie Immaculée (Omi). Ce dernier (et non son frère Jean-Baptiste Lemius) aurait élaboré l’ébauche du projet de la partie doctrinale retenue lors de la rédaction de l’encyclique par le Pape Pie X. 394

Une étude relativement récente de Arnold Claus confirme le rôle déterminant de Joseph Lemius (omi) dans la rédaction de cette encyclique, par ordre et sous l’autorité du pape Pie X. Il élabora non seulement la partie doctrinale, mais aussi les parties centrale et disciplinaire de l’encyclique. Mais auparavant, deux projets de Albert Maria Weiss et Giuseppe Toniolo lui auraient

390 P. Johannes Baptista Lemius est le frère de Joseph Lemius (omi) et l’auteur du Catéchisme sur le modernisme d’après l’encyclique Pascendi Dominici gregis de S.S. Pie X, Paris, Saint-Remi, 1907, document traduit en plusieurs langues notamment en anglais, italien, espagnol, néerlandais. Son frère Joseph Lemius (omi) avait probablement rédigé la partie dogmatique tandis que la partie pratique et disciplinaire aurait été l’œuvre du jésuite, le cardinal Louis Billot.

391 Voir la note introductive in Denzinger, n. 3475-3500, p. 749.

392 Selon Émile POULAT, Intégrisme et catholicisme intégral. Un réseau international antimoderniste : "La Sapinière" (1909-1921), Paris, Casterman, 1969, p. 390.

393 Joseph Lemius était consulteur à la Congrégation des Études depuis 1894. Il est présenté par notre source comme un néo-scolastique certes antimoderniste, mais modérées au moins dans ses expressions. Dans ses archives, se trouve par exemple le terme "innovateurs" en contraste avec les termes "modernistes" et "modernisme" qui seront adoptés dans la version finale de l’encyclique. Le caractère hérésiarque et diabolique contenu dans les expressions virulentes, et dans un style polémique que nous retrouvons dans l’encyclique Pascendi serait l’œuvre de Vincent Sardi inspiré des orientations données par le Pape Pie X. Voir Claus ARNOLD, « Antimodernismo e magistero romano : La redazione della Pascendi », in RSCr, 2008, 5/2, p. 360-361.

fourni des idées de base et la conception du modernisme en tant que "nouvelle hérésie universelle", des matériaux qui apparaîtront dans la première partie de l’Encyclique pontificale. 395

La partie centrale de l’encyclique portant sur les causes morales et intellectuelles du modernisme est une œuvre originale de Joseph Lemius qu’il bâtît à partir des éléments que Vivez y Tutó aurait fournis pour la partie disciplinaire. 396

La partie disciplinaire de l’encyclique qui mît en place un système de surveillance drastique fût l’œuvre du capucin, le cardinal José Calasanz Vivez y Tutó que Joseph Lemius reprît quasi-textuellement. Elle présente d’une part les mesures disciplinaires concrètes qui combattent le modernisme puis offre une série des mesures marquées du caractère traditionnel de l’action antimoderniste. Arnold Claus souligne la volonté du cardinal Vivez y Tuto d’interpréter le pontificat de Léon XIII exclusivement dans la perspective anti-libérale. Non seulement, il établit une continuité doctrinale entre l’anti-libéralisme de Pie IX et l’anti-modernisme de Pie X, en faisant assumer à Léon XIII le programme théologique et politique de Pie IX et Pie X, mais il met aussi l’accent sur la mesure pro-scolastique et anti-réformiste de Léon XIII tout en ignorant son attitude favorable à l’égard des sciences, notamment des sciences historiques. 397

Le secrétaire de la "Epistulae ad Principes", Mgr Vincenzo Sardi quant à lui, se chargea seulement de la rédaction finale, en élaborant l’introduction et la conclusion, en retravaillant le style puis en procédant à la traduction latine de l’encyclique.398

De cette analyse, il en résulte que la rédaction de l’encyclique est le produit d’un compromis institutionnel entre des représentants d’un intégrisme hostile au modernisme et ceux prônant une attitude d’ouverture et de dialogue avec les modernistes.

395 Claus ARNOLD, « Antimodernismo e magistero romano : La redazione della Pascendi », loc. cit., p. 353.

396 Ibidem, p. 362.

397 Ibidem, p. 361-362.

B. Présentation et analyse de l’encyclique "Pascendi dominici gregris"

La structure de l’encyclique s’articule autour de trois parties inégales. Dès l’introduction de l’encyclique, le pape rappelait le devoir de vigilance qui incombe au pasteur suprême et au Magistère ecclésial de garder jalousement le dépôt traditionnel de la foi contre le danger que présentent les nouveautés de langage et les contradictions de la fausse science. L’encyclique vise ceux que le pape nommait les "artisans d’erreurs", "les rénovateurs de l’Église", un grand nombre de catholiques laïques et prêtres qui sous prétexte d’aimer l’Église sont « imprégnées au contraire jusqu’aux moelles d’un venin d’erreur puisé chez les adversaires de la foi catholique (…)»399.

La première partie expose les principes et les doctrines des modernistes. La deuxième présente les causes morales et intellectuelles du modernisme. Enfin, la troisième est une série de prescriptions pratiques et disciplinaires présentées comme des remèdes pour extirper le mal. La méthode de l’encyclique consiste à exposer les principes qui fondent les doctrines modernistes et à en déduire les conséquences pour la foi et les fondements doctrinaux de l’Église. Intéressons à ces différentes parties et au processus d’élaboration :

Dans la partie doctrinale, Pie X commence par décrire le prototype du moderniste qui, selon lui, peut incarner un ou plusieurs de ces sept personnages : le philosophe, le croyant, le théologien, l’historien, le critique, l’apologiste et le réformateur. Quels sont les principes fondateurs de la pensée moderniste ?

Le pape dénonce les deux principes philosophiques qui gouvernent tout le système de la pensée moderniste à savoir l’agnosticisme puis l’immanence vitale et religieuse. Selon le pape toutes la doctrines des modernistes se déploient à partir de ces deux principes philosophiques.

399 PIE X, Pascendi domici gregis, n. 2. [en ligne], document consulté le 26 juin 2013 à 9h 55 mn sur le site officiel du Vatican à l’adresse électronique :

Il comprend l’agnosticisme comme l’ignorance de tout ce qui se trouve hors des frontières de la raison humaine, autrement dit, en dehors du monde visible et de la conscience. Ainsi, le centre d’intérêt de la raison se rapporte aux phénomènes qui relèvent du monde visible et de la conscience. Tout ce qui ne s’intègre pas dans ce champ épistémologique est de l’ordre de l’inconnaissable et ne peut être l’objet d’étude de la science ni de l’histoire. Tout ce qui relève de la foi est du domaine de l’inconnaissable. Ainsi, Dieu ne peut être l’objet direct de la science (Deum scientiae objectum directe nullatenus esse posse), ni un personnage historique (subjectum historicum). Ce principe d’agnosticisme conduit à la distinction entre « le Christ historique et le Christ de la foi, l’Église de l’histoire et l’Église de la foi, les sacrements de l’histoire et les sacrements de la foi, etc. »400.

L’application de l’agnosticisme a comme conséquence la suppression de la théologie naturelle, le refus de toutes preuves crédibles. Elle rend impossible l’accès à la révélation extérieure et favoriserait le passage à l’athéisme scientifique