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Des oppositions au sein de l’épiscopat français

CLASSIQUES PAÏENS EN FRANCE AU MILIEU

B. Des oppositions au sein de l’épiscopat français

B. Des oppositions au sein de l’épiscopat français

Des évêques ont pris position contre la thèse et à la réforme préconisée par Jean-Joseph Gaume en interdisant formellement la mise en pratique de sa réforme, l’emploi de nouveaux livres contenus dans sa Bibliothèque et l’innovation littéraire au sein des collèges, des maisons d’éducation et des séminaires de leurs diocèses.146

Mgr Dufêtre, évêque de Nevers qui devait donner l’imprimatur à Jean-Joseph Gaume, désapprouvait la réforme de ce dernier. Il reprochait à son vicaire général de mettre en place un système éducatif imprudent dont l’aboutissement serait la proscription des ouvrages classiques païens de l’enseignement littéraire. Toutefois, l’évêque de Nevers était favorable à l’introduction d’une plus large proportion d’auteurs chrétiens conformément aux dispositions contenues dans les actes du synode diocésain de Nevers, tenu en juillet 1852. 147

Mgr Félix Dupanloup, évêque d’Orléans, 148 intervenait sur la question des classiques dans une lettre pastorale du 19 avril 1852, pour répondre aux interrogations et inquiétudes des supérieurs, directeurs et professeurs des petits séminaires et maisons d’éducation de son diocèse à la suite de la publication du

146 Parmi les évêques qui ont demandé de ne rien changer figurent le cardinal de Bonald, archevêque de Lyon, le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, Mgr Félix Dupanloup, etc. Voir Daniel MOULINET, op. cit., p. 131.

147 Voir Ibidem, p. 194. Cf. « Question des auteurs classiques en France. Circulaire de Mgr Dufêtre, évêque de Nevers, au clergé de son diocèse. Refus de soumission de M. Gaume », in Journal historique et littéraire, t. XIX. LIV I., p. 387-390.

148 Voir un ouvrage de référence de Mgr Félix Dupanloup, évêque d’Orléans sur le sujet que nous traitons : Félix DUPANLOUP (Mgr), De l’Éducation, 1850, Paris, J. Lecoffre, 1858 (4e éd.). Dans cet ouvrage divisé en cinq parties, il expose sa pensée sur l’éducation, comme un fruit des années d’expériences au petit séminaire de Paris. Dans la première partie, il développe l’éducation comme une œuvre d’autorité et de respect, une œuvre de développement et de progrès, une œuvre de force et de politesse. Cette première partie s’achève par la distinction entre l’instruction et l’éducation. C’est dans la deuxième partie qu’il présente sa conception de l’enfant et souligne l’importance de respecter sa dignité lors de l’éducation. Si dans la troisième partie l’évêque d’Orléans présente les quatre moyens de l’éducation (la religion, la discipline, l’instruction et les exercices physiques), dans la quatrième partie, il souligne la nécessité de respecter la liberté de l’intelligence, de la volonté et de la vocation de l’enfant, nécessaire pour son développement intégral. La cinquième partie aborde les différentes sortes d’éducation. Au dernier chapitre de cet ouvrage, l’évêque d’Orléans recommande de ne point sacrifier l’éducation essentielle à l’instruction professionnelle mais de les maintenir harmonieusement ensemble.

Ver rongeur des sociétés modernes de Jean-Joseph Gaume. 149 Il déplorait une accusation de paganisme dirigée contre l’Église catholique romaine et toutes ses congrégations religieuses engagées dans l’éducation de la jeunesse ainsi que contre l’enseignement des classiques dispensés par le clergé catholique depuis trois siècles. Une telle accusation, regrettait-il, remettait en cause la mission éducatrice de l’Église catholique romaine. 150

Dans sa lettre pastorale, l’évêque d’Orléans écrit : « L’étude respectueuse des saints livres et l’explication des auteurs chrétiens, grecs et latins, ont dans votre enseignement la place qui leur convient, celle qu’on leur a toujours réservée dans la plupart des petits séminaires et des maisons d’éducation chrétienne. » 151

L’évêque d’Orléans mettait plutôt l’accent sur l’important rôle des enseignants et sur les précautions que ces derniers devraient prendre pour adapter l’enseignement des auteurs chrétiens et païens dans chaque classe.Il considère également que des auteurs chrétiens n’avaient jamais été bannis de l’enseignement de la littérature dans les maisons d’éducation chrétienne et que des auteurs profanes y ont toujours été enseignés chrétiennement.152

Néanmoins, il reconnaît des excès ridicules dans le mélange du sacré et du profane.Il avait déjà exprimé une grande défiance à l’égard de la morale véhiculée par l’Université dans son ouvrage sur l’éducation. Mais ce constat ne devait pas conclure à la prise de position exagérée de Jean-Joseph Gaume qui réclamerait la proscription des auteurs païens. 153

Il accorde aussi une place importante aux instituteurs religieux et aux chrétiens qui œuvrent dans l’éducation chrétienne. 154 Car, selon lui, le projet

149 Félix DUPANLOUP (Mgr), « Lettre de Mgr l’évêque d’Orléans à MM. les supérieurs, directeurs et professeurs de ses petits séminaires, et aux autres ecclésiastiques chargés, dans son diocèse, de l’éducation de la jeunesse, par l’emploi des auteurs profanes grecs et latins dans l’enseignement classique », in Landriot, Examen critique, des lettres de M. l’abbé Gaume sur le paganisme dans l’éducation. Annexe n. 1, Paris, Charles Douniol (libraire-éditeur), p. i-xvi. [Cette lettre est également publiée dans le Journal historique et littéraire, t. XIX. LIV. I., Liège, chez P. Kersten, (1er juin 1852), n. 218, p. 54-65. Document en annexe n. 3 de cette étude]

150 Ibidem, p. xiii-xiv.

151 Ibidem, p. ii. C’est ce statu quo que Jean-Joseph Gaume reproche et objecte contre Mgr Félix Dupanloup.

152 Ibidem, p. ii.

153 Ibidem, p. ix.

principal de l’éducation chrétienne vise la formation humaine intégrale de la personne dans toutes les dimensions physique, psychique, intellectuelle et spirituelle. 155

Mgr Félix Dupanloup est favorable à l’introduction des auteurs chrétiens, notamment des Pères de l’Église latine et grecque ainsi qu’au maintien des auteurs antiques. Mais une telle initiative relève de la compétence de chaque évêque dans son diocèse. Selon lui, l’enseignement des littératures latines et grecques est avant tout un support à la tradition chrétienne avant d’être une richesse culturelle. 156

Mgr Félix Dupanloup souligne également la nécessité de promouvoir des écoles spéciales, toutes ecclésiastiques, qui proposeraient une éducation chrétienne à la jeunesse dès les premières classes. D’après Mgr Félix Dupanloup, la réforme devait surtout être centrée sur la formation des élèves des petits séminaires destinés à la cléricature.157 Il partage la conviction selon laquelle la promotion harmonieuse des sciences humaines et des dogmes chrétiens peut être d’une grande utilité pour la religion catholique.158

À partir de cette intervention de l’évêque d’Orléans sur la question éducative surgit une autre question causée par la médiatisation de la querelle des classiques. Elle soulève le problème de la présence de la culture médiatique au sein de l’Église catholique romaine. La querelle des classiques entrait ainsi dans sa seconde phase avec le conflit qui opposait Mgr Félix Dupanloup à Louis Veuillot, le rédacteur en chef du journal catholique l’Univers. Cette nouvelle crise révèle des divergences d’opinions au sein de l’épiscopat français.

155 Ibidem, p. xi. Comme le souligne Daniel Moulinet, Mgr Dupanloup dans sa vision éducative encourageait le respect de la liberté de l’enfant et le discernement pour qu’il découvre sa vocation propre. Daniel MOULINET, op. cit., p. 133.

156 Ibidem, p. 132.

157 Félix DUPANLOUP (Mgr), De l’Éducation, op. cit., p. 369.

158 Idem, « Lettre de Mgr l’évêque d’Orléans à MM. les supérieurs, directeurs et professeurs de ses petits séminaires, et aux autres ecclésiastiques chargés, dans son diocèse, de l’éducation de la jeunesse, par l’emploi des auteurs profanes grecs et latins dans l’enseignement classique », loc. cit., p. vii.

SECTION 2 : DISSENSIONS AU SEIN DE L’ÉPISCOPAT