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À l’échelon de la Congrégation du Saint-Office

CHAPITRE II : MAGISTÈRE CATHOLIQUE CONFRONTÉ À LA CRISE MODERNISTE

SECTION 2 : LES CONGRÉGATIONS ROMAINES ET LA PRISE DE POSITION DE PIE X

A. Procédure de mise à l’Index des œuvres de Alfred Loisy

2. À l’échelon de la Congrégation du Saint-Office

2. À l’échelon de la Congrégation du Saint-Office.

La procédure à l’échelon de la Congrégation du Saint-Office était la plus brève mais déterminante par son enseignement. À la suite d’une dénonciation du dernier livre de Alfred Loisy et de la remise du Syllabus Propositionum des œuvres de Loisy au pape lors d’une audience accordée au Cardinal Richard, archevêque de Paris avec le soutien du Cardinal Perraud, le Pape Pie X exigea le transfert des différents documents du dossier de l’Affaire Loisy à la Congrégation du Saint Office.

Le canoniste Pie de Langogne fût chargé de rédiger la Relatio, datée du 24 novembre 1903. Dans ce document, il présenta l’évolution de l’affaire, puis résuma et compléta les différents votes et reproches sur les cinq œuvres de Alfred Loisy formulés par l’Index. Dans son rapport, Pie de Langogne présenta six propositions possibles pour censurer ces œuvres. Cette Relatio est intéressante parce qu’elle montre l’origine de la double sanction de la mise à l’index des œuvres de Loisy jointe à la publication d’un document condamnant de manière générale les erreurs des modernistes, tels que le directeur des Annales de philosophie chrétienne Charles Denis (1859-1905), l’historien Albert Houtin (1867-1926), l’exégète Joseph Turmel (1859-1943) ou encore le directeur de la Revue du clergé français, Joseph Bricout (1867-1930).342

342 Arnold Claus note qu’« il considérait moins avantageux de confirmer simplement le "Syllabus" présenté par le cardinal Richard et Adolphe Perraud, car celui-ci aurait pu offrir quelques échappatoires par ses inexactitudes dans la reproduction des textes de Loisy. Pie de Langogne avait déjà rendu ces problèmes connaissables par des "Adnotatiunculae" dans le "Syllabus" de Richard (Summarium Num. I). Deuxièmement, il proposa aux cardinaux du Saint Office de décréter la mise à l’Index des œuvres concernées de Loisy. En même temps, Loisy serait contraint par le Cardinal Richard à une professio orthodoxae fidei et à condamner ses propres livres [i.e. à reconnaître les erreurs qui y sont contenues]. En outre, Loisy aurait dû par la suite se soumettre à la censure préventive et n’aurait plus dû donner de conférences exégétiques ou théologiques ; autrement, il serait suspendu. La troisième possibilité, d’après Pie de Langogne, consistait à publier un décret plus solennel, dans le style de la condamnation des propositions de Rosmini (Post obitum, 1887). Il insista alors qu’il fallait de toute façon présenter les propositions en question en français, en respectant le texte de Loisy. La quatrième possibilité évoquée c’était de promulguer un écrit apostolique dans le style de condamnation personnelle de Frohschammer, Günther et Nuytz par Pie IX. Cinquièmement, il proposa un document semblable, dans lequel Loisy ne serait cependant pas nommé personnellement. Cela aurait l’avantage de pouvoir toucher des affaires similaires, comme celles de Denis, Houtin, Turmel et Bricout. Il semble que la meilleure solution aux yeux de Pie de Langogne était cependant la sixième, à savoir une combinaison de la deuxième et de la cinquième variante. Loisy pourrait ainsi être rapidement touché personnellement par une mise à l’Index, et l’on pourrait en même temps mettre en route une condamnation globale des

Les consulteurs de la Congrégation du Saint Office, réunis lors de l’assemblée ordinaire du 14 décembre 1903343, votèrent pour la censure des œuvres de Alfred Loisy lors de l’assemblée des consulteurs de la Congrégation du Saint Office. Ils optèrent pour la proposition 6 que Pie de Langogne, dans sa Relatio, jugeait comme étant la solution la plus efficace et en adéquation.344 Cependant, les sources exploitées par Arnold Claus révèlent qu’il y a eu des divergences de point de vue lors des discussions qui précédaient le vote pendant l’assemblée des consulteurs. Certains consulteurs se sont interrogés sur la nécessité d’une condamnation des œuvres de Alfred Loisy. D’autres jugeaient nécessaire de lire personnellement et entièrement les œuvres incriminées afin de prononcer un jugement équitable.

Mais nous remarquerons aussi qu’à ce stade de la procédure, Alfred Loisy avait perdu le soutien de quelques personnalités qui partageaient une position modérée et qui lui étaient bienveillants dès le départ, à l’instar de David Fleming, le Maître du Sacré Palais ou encore le théologien Lepidi op (1838-1925).345

Le mercredi 16 décembre 1903, lors de la séance ordinaire, les cardinaux inquisiteurs décidèrent collégialement "pro nunc", in colligialiter, à la majorité des

nouvelles erreurs présentes dans l’exégèse et la théologie. »Ibidem, p. 54-55. Voir pour le texte original, P. LANGOGNE « Document 9. Relatio de Langogne sur "La religion d’Israël", "Études évangéliques", "l’Évangile et l’Église", "Autour d’un petit livre", "Le quatrième Évangile". Suprema sacra Congregatio Santii Officii », in Claus ARNOLD, Giacomo LOSITO (éd.), La censure d’Alfred Loisy (1903). Les documents des congrégations de l’Index et du Saint Office, Roma, Libreria Editrice Vaticana, 2009, p. 395-398.

343 Y étaient présents : l’assesseur Lugari, les consulteurs Luigi Avella (OFMConv), Leone Bracco (osb), Cormier, Giovanni De Montel, David Fleming (sj), Andreas Frühwirth (op), Pietro Gasparri, Alberto Lepidi (op), Pie de Langogne, Domenico Pasqualigo (op), Willem van Rossum (cssr), Antonio Savelli Spinola, Pellegrino Stagni (osm), Dionisio Alfonso Steyaert (ocd), Franz Xaver Wern (sj), et l’Advocatus fiscalis Giuseppe Latini. Cf. Claus ARNOLD « Le cas Loisy devant les congrégations romaines de l’Index et de l’Inquisition (1893-1903) », loc. cit., p. 55.

344 Telle est la proposition formulée : « Melior fortasse et adæquatior esset solutio bipartita, quae nempe copularet num II (cum mente vel absque mente) et num. V, quaeque sequenti similive formula posset exprimi : Damnentur quam citissime per S.C. Indicis (ex decreto S.O.) opera sacerdotis Alfridi Loisy (ut in num. II) et ad mentem. Mens autem, ut in numero V. Sic, ni fallor aliqualiter satisfieret E.morum Oratorum (imocommendationibus Sanctissimi Domini Nostri) qui citissimam expetunt reprobationem, simulque providentur, inquantum fieri potest, temeritatibus praedictorum Scriptorum aliorumque loysiana labe plus minusve infectorum. » Voir le document 9 de P. LANGOGNE, « Relatio de Langogne sur "La religion d’Israël", "Études évangéliques", "L’Évangile et l’Église", "Autour d’un petit livre", "Le quatrième Évangile"», loc. cit., p. 397-398.

345 Alberto Lépidi (op) était membre ex officio des assemblées des consulteurs des Congrégations de l’Index et du Saint Office, considéré comme modéré dans sa position à l’égard des modernistes.

voix, de la mise à l’Index des cinq œuvres de Alfred Loisy.346 Le Saint-Père approuva la condamnation le lendemain, lors de l’audience du 17 décembre 1903. Les cardinaux demandèrent également au Secrétaire d’État de communiquer la condamnation à l’Archevêque de Paris. 347 Le motif principal de cette condamnation est l’inadéquation des hypothèses doctrinales d’Alfred Loisy avec l’enseignement de la foi de l’Église catholique. 348 Par ailleurs, les cardinaux exigèrent d’élaboration un document plus général qui contiendrait les erreurs condamnables. Cette tâche fut confiée, le 22 décembre 1905, aux deux consulteurs Pie de Langogne et Palmieri qui devaient préparer un "Elenchus errorum".349

Claus Arnold note que la mesure plus sévère que réclamaient le cardinal secrétaire Vannutelli et le cardinal Vives y Tutó, qui consistait à prononcer le jugement par un bref rappelant les prescriptions pénales de la constitution

Apostolicae sedis (1869) ne fut pas adoptée par la majorité des cardinaux. De même fut rejeté la demande de Pie de Langogne de sanctionner avec la plus grande précision possible les textes de Loisy.350

Le pape Pie X approuva in forma communi la décision issue du vote des cardinaux inquisiteurs le lendemain lors d’une audience spéciale accordée à l’assesseur Lugari. Cependant, il demeure que les questions exégétiques qu’il avait soulevées nécessitaient une réflexion plus approfondie.

346 En effet, la Congrégation du Saint Office jouissait par ses compétences du pouvoir à connaître et à condamner les livres qui mettent la foi en péril. Une fois la sentence de la condamnation prononcée, la sacrée Congrégation de l’Index avait la charge de l’enregistrer et de la publier. Plus tard, dans le canon 247 § 1 du CIC/17, avec la disparition de la Congrégation de l’Index cette compétence releva exclusivement de la Congrégation du Saint-Office, qui instituera une section pour traiter des livres jugés dangereux.

347 La lettre que le Cardinal Merry del Val, secrétaire d’État du pape Pie X, adressait au cardinal Richard, archevêque de Paris en date du 19 décembre 1903. Elle évoque les différentes erreurs condamnées. Celles-ci se rapportent principalement à : la Révélation primitive, à l’authenticité des faits et des enseignements évangéliques ; à la divinité et à la science du Christ ; à la Résurrection ; à la divine institution de l’Église ; enfin aux Sacrements. Voir Adolphe PERRAUD (card.), Les erreurs de M. l’abbé Loisy condamnées par le Saint-Siège. Instruction adressée au clergé du Diocèse d’Autun. Le 16 janvier 1904, Paris, P. Téqui, 1904, p. 6-7.

348 Ibidem, p. 9.

349 Claus ARNOLD, «Lamentabili sane exitu (1907). Le magistère romain et l’exégèse d’Alfred Loisy », in Claus ARNOLD, Giacomo LOSITO (éd.), "LAMENTABILI SANE EXITU" (1907). Les documents préparatoires du Saint Office, Roma, Libreria editrice Vaticana, 2011 (coll. "Fontes Archivi Sancti Officii Romani"), p. 7.

B. Le décret "Lamentabili sane exitu" du Saint-Office