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La situation politique et militaire en Chine en 1937

CHAPITRE 1 CONTEXTE POLITIQUE ET MÉDICAL DES ANNÉES 1930 : UNE ÉPOQUE

1.4 La Chine en guerre : front commun contre un ennemi extérieur

1.4.1 La situation politique et militaire en Chine en 1937

Dans les années 1930, la Chine est dirigée par un gouvernement nationaliste dont le chef est Chiang Kai-Shek. La mission de ce gouvernement est de bâtir un État basé sur les trois principes du peuple de Sun Yat-Sen177. Bien qu’au cours des années 1920 il y ait un certain front

unifié entre les communistes et les nationalistes, la révolution de 1927 remportée par les seconds met fin à cette relative entente. Cette victoire mène à l’inauguration du gouvernement nationaliste à Nankin. Son principal défi est la réunification de la Chine puisque, depuis plusieurs décennies, il n’y a plus de réel gouvernement central, mais plutôt différentes factions à l’intérieur du pays. Pour de nombreux Chinois, leur victoire crée l’espoir de voir leur pays unifié et la fin des luttes entre seigneurs de guerre. Mais, cette unification semble être une utopie étant donné que, même au sein des nationalistes, il y a des luttes de pouvoir depuis 1925 pour savoir qui succédera à Sun Yat-Sen. De plus, durant les mêmes années, entre 1927 et 1937, les communistes prennent de plus en plus d’importance sur les plans politique et militaire. Ces derniers veulent construire une Chine basée sur les principes marxistes et léninistes. Ce parti n’hésite donc pas à combattre les nationalistes178.

Le gouvernement nationaliste maintient, dans la première partie des années 1930, une politique de « non-résistance » face au Japon dans le but de mettre fin rapidement aux hostilités avec ce pays étranger et de concentrer ses forces à combattre les communistes179. Ces tensions

entre les forces de Mao Zedong et celles de Chiang sont lourdes de conséquences puisque les combats entre les deux camps sont d’une rare violence et font de très nombreux morts180. Bien

que le Japon occupe déjà la région de la Mandchourie depuis 1931, il attaque tout de même la capitale nationaliste alors située dans la ville de Nankin en 1937, causant de nouvelles victimes. Cet évènement est surnommé le « massacre de Nankin181 ». Le nombre de Japonais augmente

alors considérablement en Chine, passant de 185 000 à 548 000 entre 1931 et 1937 pour la seule

177 Nationalisme du peuple, souveraineté du peuple (démocratie) et bien-être du peuple. Pour en savoir plus sur les

trois principes du peuple aussi appelés « le triple démisme », consulter : Marie-Claire Bergère, Sun Yat-Sen, Paris, Fayard, 1994, p. 174-195.

178 Lloyd E. Eastman et al., The Nationalist Era in China, 1927-1949, Cambridge, Cambridge University Press,

1991, p. IX-2.

179 Sarah C. Paine, The Wars for Asia, 1911-1949, New York, Cambridge University Press, 2012, p. 126.

180 Marie-Claire Bergère et al., La Chine au XXe siècle : D’une révolution à l’autre 1895-1949, Paris, Fayard, 1989,

p. 201-202.

43 région de la Mandchourie182. Pour Mao et son armée, la 8e armée de route communiste, alors

intégrée dans la nomenclature des armées nationalistes en raison du Second Front uni183, il faut à

tout prix défendre la patrie contre ces envahisseurs impérialistes184. Malgré un rapprochement

entre les deux partis, de nombreux conflits subsistent entre eux, d’autant plus que les nationalistes mettent en place une politique d’apaisement envers le Japon185.

Lorsque les Japonais attaquent la Chine en juillet 1937, il devient, pour plusieurs chefs du gouvernement nationaliste, indéniable que le but est de placer la Chine du Nord sous contrôle japonais total même si cette région est déjà semi-autonome en raison d’un arrangement précédent entre les gouvernements chinois et japonais186. Le gouvernement nationaliste veut alors se

garantir, avec l’envoi d’un émissaire à Pékin, que la détermination de résistance des troupes locales est à son plus fort. En agissant ainsi, Chiang Kai-Shek veut s’assurer que les troupes chinoises ne font aucune concession envers les envahisseurs puisqu’il affirme que « […] any more concessions to the japanese would only lead to total surrender187 […] »

C’est également la façon de penser des dirigeants communistes et c’est l’armée rouge de Mao, 8e armée de route communiste, qui doit, en 1937, prendre le contrôle des régions lointaines

du nord-est de la Chine. Il s’agit alors de quelques districts arides où ne vivent qu’environ 1,5 million de paysans, mais au cours du conflit sino-japonais, les troupes communistes prennent de l’expansion et le territoire qu’elles contrôlent s’élargit considérablement188. Selon l’entente

conclue lors du Second Front uni entre les nationalistes et les communistes, les deux principales armées communistes sont la 8e armée de route communiste, à laquelle Bethune se joint, et la 4e

182 Serge Granger, Le Lys et le Lotus : Les relations du Québec avec la Chine de 1650 à 1950, Montréal, VLB

éditeur, 2005, p. 72.

183 Le premier front uni avait eu lieu dans les années 1920 entre les communistes et les nationalistes mais s’est

terminé en 1927.

184 Selon certains historiens, Mao aurait également voulu engager le Parti communiste chinois dans le combat

antijaponais pour lui donner une légitimité nationale.

Alain Roux, La Chine contemporaine, Paris, Armand Collin, 2010, 5e édition, p. 73.

185 Pour en connaître davantage sur les raisons qui ont poussé les nationalistes chinois à mettre de l’avant leur

politique d’apaisement face au Japon, consulter : Marie-Claire Bergère et al., op. cit., p. 201-202

186 Cet arrangement fait référence au pacte Ho-Umezu signé en 1935 et qui avait pour but de stabiliser les relations

tendues entre les différentes factions politiques et les Japonais dans le nord de la Chine. Ce pacte contenait cependant de nombreuses clauses ayant contribué à affaiblir le pouvoir du gouvernement de Nankin. Cela contribuera plus tard à renforcer l’influence des communistes dans la région du Wutaishan. L’une de ces clauses controversées stipulait par exemple que toute personne accusée de participer à un acte antijaponais serait punie. George F. Botjer, A Short History of Nationalist China, 1919-1949, New York, Putnam, 1979, p. 169.

187 Ji Xisheng, Nationalist China at War: Military Defeats and Political Collapse 1937-45, Ann Arbor, University of

Michigan Press, 1982, p. 40-41.

188 En 1945, les communistes contrôlaient un territoire qui englobait environ 100 millions de personnes

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armée nouvelle189. La premièreest, au début du conflit, intégrée à la « 2e zone de guerre » dans la

province du Shanxi et est placée sous le contrôle du gouverneur de celle-ci, le général Yan Xishan. La 115e division de cette armée, sous le commandement du général Nie Rongzhen,

reçoit l’ordre de s’installer dans la région montagneuse du Wutaishan190 comprise entre quatre

voies ferrées névralgiques : le Kinhan, le Chengtai, le Tungpu et le Pingsui. Cette division comporte alors des effectifs réduits comprenant un régiment indépendant, quelques escadrons de cavalerie et deux compagnies en formation, ce qui représente un total de 10 000 hommes. Mais une région administrative, dont la capitale est établit à Yan’an, comprenant trois provinces, le Shanxi, le Chahar et le Hebei, est créée en novembre 1937 puis officiellement entérinée le 10 janvier 1938. Le comité administratif de cette région, surnommée Jin-Cha-Ji, est confié au général Nie. Malgré certaines résistances locales et d’un gouverneur provincial, le pouvoir des communistes s’étend rapidement dans la région et ce sont les troupes de la 8e armée qui sont

désormais chargées de défendre ce territoire de 800 000 kilomètres carrés contre les Japonais191.

Cette expansion des pouvoirs politiques et militaires communistes dans le nord de la Chine inquiète cependant énormément le pouvoir central nationaliste et les affrontements armés sont fréquents entre les deux camps dans la région du Jin-Cha-Ji. Les communistes établissent tout de même leur pouvoir et leur contrôle total sur cette partie du pays en éliminant leurs rivaux nationalistes de la région tout entière. Les communistes installent ensuite des administrations locales et régionales fidèles à leur cause192. Le Parti communiste chinois et sa 8e armée de route

communiste ont donc établi leur contrôle dans la région nordique du Jin-Cha-Ji et ce sont eux qui ont la tâche de combattre les Japonais dans cette région.

Ce vaste territoire sur lequel ont lieu les opérations militaires et la complexité de la guerre menée contre les Japonais qui attaquent surtout les zones où se trouvent les grands axes de communications, tels les chemins de fer, va permettre aux troupes communistes de poursuivre cette guerre pour leur propre compte et indépendamment du pouvoir central. L’administration centrale communiste n’a alors plus qu’un contrôle très limité dans le Jin-Cha-Ji193. La situation

189Le nom de ces armées est accordé par le gouvernement nationaliste en vertu du système militaire alors en vigueur

en Chine

Ibid., p. 206

190 Le Wutaishan est une région à l’intérieur du Jin-Cha-Ji. 191 Michaël Prazan, op. cit., p. 468-475.

192 Ibid., p. 476-477.

193 Jacques Guillermaz, Histoire du parti communiste chinois : Des origines à la conquête du pouvoir 1921-1949,

45 est donc très tendue politiquement dans le nord entre l’armée rouge et le gouvernement nationaliste. De plus, la 8e armée doit combattre les Japonais dans des conditions extrêmement

difficiles sans compter que ses membres doivent régulièrement faire face aux attaques des troupes nationalistes malgré le désir des deux partis de faire front commun contre l’ennemi. Des conseils intergouvernementaux sont bien créés afin de faciliter la gestion et les communications entre le gouvernement central et les communistes. On tente notamment d’y définir les domaines de juridiction de chacun194. Une réelle neutralité entre les deux reste cependant pratiquement

impossible puisque les buts idéologiques des nationalistes et des communistes sont irréconciliables195. Lorsque Bethune s’enrôle dans la 8e armée, leurs infrastructures militaires et

médicales sont très déficientes et l’aide provenant de l’étranger est pratiquement inexistante.