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La carrière de Bethune entravée par son soutien au communisme

CHAPITRE 1 CONTEXTE POLITIQUE ET MÉDICAL DES ANNÉES 1930 : UNE ÉPOQUE

1.2 Norman Bethune : un médecin à contre-courant

1.2.2 La carrière de Bethune entravée par son soutien au communisme

Bien qu’il ne soit pas question ici d’analyser la pensée de Bethune, nous tenterons d’éclaircir les raisons qui l’ont poussé à se joindre au Parti communiste canadien, lui fermant ainsi de nombreuses portes dans sa carrière médicale au Canada. Plusieurs raisons sont avancées par les historiens pour expliquer ce fait. Les sources de première main nous permettront également d’analyser et de comprendre plus en profondeur comment et pour quelles raisons un médecin respectable des années 1920 et 1930 en est venu à se convertir au communisme et à aller travailler dans des guerres étrangères à sa patrie.

Sa conversion au communisme serait simplement l’aboutissement d’une série d’évènements auxquels Bethune doit faire face durant sa vie. Il a d’abord toujours été attiré par l’aspect social de la médecine. Bien que, jusqu’en 1935, il se qualifie lui-même comme un bourgeois et qu’il aime être peint de cette façon, Bethune ne s’intéresse pas particulièrement à l’argent et est très concerné par le bien-être et la santé de ses patients. Il dépense d’ailleurs beaucoup pour le bien des autres et cela explique en partie pourquoi il a de nombreux problèmes financiers au cours de sa vie. Durant les premières années de sa carrière, certains auteurs le décrivent comme très émotif et radical sur le plan social et disent de lui qu’il « pouvait se mettre en quatre pour aider les opprimés et ceux qui étaient moins favorisés que lui121 ». Il est par

contre, durant la première partie de sa carrière, conservateur sur le plan politique et il s’oppose aux syndicats ainsi qu’au socialisme122. Il aime également donner une image soignée de lui,

notamment lorsqu’il dirige un service de chirurgie à Sacré-Cœur et travaille à McGill, afin de montrer sa réussite. Jusqu’en 1935, il aime être décrit et présenté comme un bourgeois malgré sa grande dévotion envers ses patients. Bref, il est encore loin d’être converti à l’idéologie communiste bien que son discours commence à changer progressivement123.

En 1935, Bethune se rend à un congrès de physionomie en URSS où il est invité à voir le fonctionnement de leur système de santé et leurs hôpitaux. Il a plus spécifiquement reçu une

120 Molly Pulver Ungar, « The Last Ulysseans : Culture and Modernization in Montreal, 1930-1939 », thèse de

doctorat, Toronto, Université York, 2003, p. 43.

121 Ibid., p. 98. 122 Ibid.

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invitation et l’autorisation de se rendre en URSS afin d’étudier leurs méthodes de traitement et leur approche face à la tuberculose. Il constate que ce pays a reconstruit son économie ruinée et que cela a contribué à réduire, toujours selon lui, le taux de tuberculose d’environ 50 %. Il est également impressionné par la gratuité des soins de santé qu’il a pu observer sur place ainsi que par la priorité donnée aux travailleurs dans les institutions tels les sanatoriums et par la générosité dont les gens font preuve entre eux. Même les soins de longue durée sont gratuits dans les dispensaires et les sanatoriums. Les soins de santé universels sont donc reconnus comme un droit constitutionnel dans ce pays communiste et cela inclut même les tests préventifs comme la tuberculine permettant de diagnostiquer prématurément la tuberculose chez les enfants, un combat qu’il a longtemps mené au Canada124. Bethune revient donc au Canada particulièrement

impressionné du système de santé qu’il a observé en URSS et avec une perspective plus socialiste tant au plan politique que social125.

Comme le Canada n’a alors aucune relation diplomatique avec l’URSS, Bethune est amené à prononcer de nombreuses conférences sur le système soviétique126. Il affirme qu’il a été

impressionné par leur système de santé et que les Soviétiques ont de l’avance sur le Canada dans certains domaines médicaux. Lors de ce voyage, il participe également à différents groupes d’études sur la pensée marxiste. Il attire, grâce à ses discours, l’attention des membres de la branche montréalaise des amis de l’URSS qui lui offrent de devenir président de leur organisation. Il refuse cette proposition et se justifie en affirmant qu’il croit en la démocratie et en la liberté d’expression. Il affirme d’ailleurs ceci dans une lettre écrite à son ex-femme le 8 octobre 1935 :

[…] that I did not believe that communism as practised in Russia today was a suitable technique for the Anglo-Saxons (pronominally Anglo-Saxons, at

124 Ted Allan et Sydney Gordon, op. cit., p. 82.

125 Il est ici permis de se questionner sur la véracité du système qui lui a été présenté en tant qu’étranger dans ce

pays où le contrôle gouvernemental était omniprésent. À ce sujet, consulter : Robert Service, A History of

Twentheth-Century Russia, Cambridge, Harvard University Press, 1998, p. 210-234.

126 Les relations diplomatiques entre le Canada et l’Union soviétique ont été rompues en 1927 à la suite de la

cessation des relations britanno-soviétiques. Un embargo sur les importations soviétiques a par la suite été mis en place par le Premier ministre canadien Richard Bedford Bennett et a duré de 1931 à 1936. Les Canadiens français, les catholiques et les conservateurs s’opposaient, à l’époque, à tout rapprochement avec les autorités soviétiques. Pour en savoir plus sur la rupture des relations entre le Canada et l’URSS, consulter : Aloysius Balawyder,

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heart) of this country in their attempt to discover some method of herd living suitable for their new concepts of equality and justice in a machine age127.

Il a certes été impressionné par de nombreux aspects du communisme soviétique comme la médecine, mais beaucoup moins par d’autres aspects tel le manque de démocratie puisqu’il s’agit d’un parti unique. Bethune croit aussi qu’il serait irresponsable de risquer sa carrière médicale en se joignant à une organisation communiste dénoncée par l’Église catholique puisque c’est cette dernière qui l’emploie en tant que gestionnaire de l’hôpital du Sacré-Cœur. Il croit donc qu’il est plus prudent de protéger sa position professionnelle ainsi que son style de vie. Mais Bethune a, dès 1935, des idées plus radicales. La même année, il éprouve des difficultés personnelles, notamment sur le plan amoureux. Ses problèmes dans sa vie amoureuse combinés à ceux dans sa carrière l’auraient persuadé de suivre ses convictions. Il se joint donc au Parti communiste du Canada en novembre 1935128.

Bethune commence alors à s’intéresser sérieusement à l’idéologie et aux écrits marxistes. Il considère même cette idéologie comme une « religion moderne » et va jusqu’à comparer les chefs marxistes au Christ. Bethune croit que cette doctrine doit contribuer à lutter pour une plus grande justice dans le monde129. Le Parti communiste devient par contre illégal à cette époque130.

Bethune commence à faire des discours aux États-Unis afin de promouvoir les soins de santé universels. Il veut ainsi éliminer la tuberculose et permettre à toutes les couches socio- économiques de la société de recevoir des soins de qualité, mais aussi aux médecins de toucher un salaire décent. Il commence par la suite à promouvoir cette idée de soins accessibles à tous au Canada à l’occasion d’un congrès de l’Association médico-chirurgicale de Montréal le 17 avril 1936, puis à différents congrès médicaux au Canada. Bethune utilise donc la médecine pour faire passer son message socialiste, car pour lui la médecine et la politique sont indissociables131.

Mais, à une époque où les communistes et les tenants d’une idéologie d’extrême-gauche en général sont très mal perçus, il devient de plus en plus difficile pour lui de garder ses fonctions sans créer de tensions. Les difficultés dans sa vie personnelle et professionnelle se font alors de plus en plus sentir. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi il cache le plus possible son

127 Norman Bethune, op. cit., p. 82.

128 Roderick Stewart et Sharon Stewart, op. cit., p. 123-126. 129 Ibid., p. 127.

130 Ibid.

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appartenance au Parti communiste dans ses discours et qu’il n’essaie pas de convaincre directement les gens qui assistent à ses conférences de se joindre au Parti ou d’adhérer à cette idéologie. Il les fait plutôt réfléchir sur de nombreux problèmes, surtout sur le plan médical, qui peuvent être résolus par le communisme. Il propose également plusieurs réformes médicales dans ses discours prétendant régulièrement que le système de santé doit être réformé. Il affirme, par exemple, que plusieurs médecins n’acceptent d’opérer que les patients chez qui les chances de survie sont élevées, alors qu’ils devraient plutôt opérer tous les malades puisqu’ils sont de toute manière condamnés à mourir132. Il propose notamment un système de santé municipale,

l’assurance-maladie obligatoire, l’assurance-maladie volontaire ainsi que les soins aux chômeurs. Mais, bien que de nombreux médecins soutiennent les idées de Bethune en général, très peu acceptent de s’y associer ou d’agir en conséquence afin de modifier le système de santé canadien. Cela le déçoit énormément, créant davantage de tensions avec ses collègues et la gent médicale en général133.