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Les causes du départ de Bethune vers la Chine

CHAPITRE 3 RÔLE MÉDICAL DE NORMAN BETHUNE EN CHINE

3.1 L’intégration de Bethune en Chine

3.1.1 Les causes du départ de Bethune vers la Chine

Afin de bien comprendre les raisons qui ont amené Bethune à partir pour la Chine, il est indispensable d’étudier sa perception de la situation. D’abord, Bethune est conscient que sa mission en Chine serait de loin plus difficile que celle qu’il a menée en Espagne. Il sait notamment que les conditions sanitaires et médicales seraient beaucoup plus rudimentaires dans le nord de la Chine que ce qu’il avait connu jusqu’à présent, y compris à Madrid qui reste une

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capitale européenne malgré la guerre qui y fait rage. Sise parle ainsi de la perception que peut avoir Bethune de la situation dans laquelle il se dirige :

[…] he jumped at the opportunity of action again in a situation I think he thought was going to be a little more clear cut though far, far more difficult because the situation he went to in China, the Chinese northwest was far, far more primitive and difficult and even bitterer bloodthirsty war than had been going on in Spain322.

Cela nous montre que Bethune est conscient de ce qui l’attend en Chine tant sur le plan des conditions de vie que de la médecine. Il ne décide cependant pas de se rendre en Chine de sa propre initiative puisque c’est plutôt le Comité d’aide à la Chine (CAC)323 basé à New York qui

lui fait cette proposition à la fin de l’été 1937. L’unité médicale canado-américaine est alors créée par cette organisation avec la collaboration du Parti communiste canadien324. Bien que

Bethune avait joint le Parti communiste beaucoup plus pour son aspect social et médical que politique, il est fortement critiqué pour son adhésion à ce parti dans son propre pays et plusieurs fonctionnaires lui rendent alors la vie particulièrement compliquée. Bethune est alors incapable de se retrouver du travail au Canada, ni même à l’hôpital Sacré-Cœur, malgré une certaine notoriété acquise grâce à sa tournée de financement pour l’Espagne325. Bethune est alors dans un

très mauvais état d’esprit et il accepte la proposition du CAC de partir en Chine. Il désire donc se rendre en Chine pour échapper à une réalité professionnelle et personnelle qui lui rend la vie difficile. L’unité canado-américaine est, au moment de sa mise sur pied, composée de Bethune, du Dr Charles H. Parsons326 et d’une infirmière, Jean Ewen327. Parsons retourne cependant au

Canada avant même le début de la mission en Chine.

322 Roderick Stewart, Entrevue avec Hazen Sise, op. cit., p. 82-83. 323 Le nom original était China Aid Council

324 Certaines sources nomment d’ailleurs cette organisation le American Canadian China Relief Comittee. Le

véritable nom de l’organisation new-yorkaise était en fait China Aid Council et cette dernière a créé une unité médicale canado-américaine.

Ibid., p. 64.

325 Ibid., p. 82.

326 Le Dr Parsons est rapidement revenu au Canada à la demande de Bethune et de Jean Ewen puisqu’il avait de

nombreux problèmes personnels. Selon les dires de Ewen, il dépensait des sommes importantes, réservées aux médicaments, pour acheter de l’alcool sur le bateau les conduisant de Vancouver à Hong Kong.

83 Bethune est également très déçu d’apprendre que l’unité mobile de transfusion sanguine qu’il a créée en Espagne est désormais empêtrée dans la bureaucratie. Il déteste cette situation, car il considère la bureaucratie comme une perte de temps. Le Dr Lewis Fraad, qui a connu Bethune au Canada, affirme d’ailleurs ceci dans une lettre envoyée à Stewart le 9 décembre 1970 : « […] He was very impatient with bureaucracy. He mentioned several times that the transfusion service that he had set up in Spain was hampered by bureaucracy328. » Ces faits

démontrent que même si Bethune avait auparavant tenté, sans succès, de retourner par deux fois en Espagne, il finit par en arriver à un point où il veut passer à autre chose et se trouver une nouvelle mission afin de mener son combat contre le capitalisme et le fascisme.

Il est possible de dater le moment où Bethune commence à parler de la Chine dans ses discours et à envisager une éventuelle mission dans cette contrée lointaine où la guerre fait rage et où les besoins médicaux sont particulièrement criants, plus encore qu’en Espagne. C’est à partir du mois de juillet 1937 que Bethune commence donc à s’intéresser à cette situation de plus près et à en parler publiquement. C’est à ce moment, plus précisément le 7 juillet 1937, que se produit l’accident du pont Marco Polo329 qui est l’un des déclencheurs du conflit sino-japonais,

faisant ainsi entrer l’Asie de l’Est dans une nouvelle ère de son histoire330. C’est à partir de cet

évènement qu’il commence à mentionner la Chine dans ses discours331. L’analyse de nombreux

témoignages confirme que c’est à cette période que Bethune commence non seulement à référer à la Chine dans ses discours, mais qu’il parle beaucoup plus souvent et avec plus de conviction du communisme. Le médecin affirme notamment en août 1937, lors d’une conférence donnée à Salmon Art en Colombie-Britannique, que les récents évènements s’étant produits en Asie l’ont convaincu qu’il devait se rendre en Chine plutôt que de retourner en Espagne. Il affirme

328 Lewis Fraad, Lettre à Roderick Stewart, Fonds Roderick-Stewart, Osler Library of the History of Medicine,

Université McGill, P89 637/1/80, 9 décembre 1970.

329 L’incident du pont de Marco Polo, situé près de Pékin, est un évènement relativement mineur qui s’est produit

lorsque des troupes chinoises et japonaises se sont affrontées sur ce pont. Cet accrochage a néanmoins entraîné une série d’autres évènements qui ont propulsé le Japon dans les hostilités dans toute la partie continentale de la Chine. Ce fut donc officiellement le début de la guerre sino-japonaise.

James B. Crowley, « A Reconsideration of the Marco Polo Bridge Incident », The Journal of Asian Studies, 3 (1963), p. 277-291.

330 Aron Shai, Origins of the War in the East: Britain, China and Japan 1937-39, London, Croom Helm, 1976,

p. 20.

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également à des personnes présentes qu’il craint que, de toute manière, la situation ne soit désespérée dans le pays européen332.

Bien que Bethune soit membre du Parti communiste du Canada et qu’il parle de plus en plus de cette idéologie dans ses discours, il se rend d’abord en Chine afin de venir en aide à ce pays lointain qui doit faire face aux Japonais, alors qualifiés de fascistes. La question de l’antifascisme, plus encore que ses tendances communistes, revient à l’avant-plan dans les projets de Bethune tout comme cela était le cas avant son départ pour l’Espagne. Un médecin missionnaire, Robert McClure, ayant été en contact avec Bethune en Chine et également diplômé de l’Université de Toronto, résume d’ailleurs la situation comme suit : « Il combattait dans la révolution mondiale. Le front espagnol fermé, il s’en allait au front chinois333. » C’est donc le

27 janvier 1938 que l’unité médicale canado-américaine arrive à Hong Kong. Les membres de l’unité se rendent alors directement à Wuhan, la capitale temporaire334. Ils reçoivent alors l’ordre,

du Parti communiste canadien, de se mettre à l’entière disposition du gouvernement chinois335.