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CHAPITRE 3 RÔLE MÉDICAL DE NORMAN BETHUNE EN CHINE

3.3 La gestion difficile des activités médicales de Bethune dans le Jin-Cha-Ji

3.3.1 Un médecin étranger au front

Lorsque Bethune arrive à Yan’an, il est d’abord assigné à l’hôpital central de la ville durant 30 jours. Il est cependant frustré de se voir assigné à un poste sédentaire; il tient à se déplacer sur le terrain afin de pouvoir analyser la situation générale et d’améliorer toute l’organisation médicale du Jin-Cha-Ji plutôt que celle d’un seul établissement. Chaque fois qu’il arrive dans une nouvelle région, il prend des notes sur les atrocités japonaises, l’organisation

417 Lettre de Kathleen Hall, Collection Norman-Bethune, Osler Library of the History of Medicine, McGill, P156

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militaire et les conditions médicales418. Bien que son travail sur le terrain soit vu d’un très bon

œil, tant par les soldats que par l’administration militaire, on fait tout pour le protéger et on tente de le tenir éloigné le plus possible des zones les plus à risque de bombardement. Un médecin de la 8e armée, le Dr Ch’en, est rapidement chargé par le général Nie d’assurer la sécurité de

Bethune.

La première rencontre entre Bethune et le Dr Ch’en a lieu dans une salle où se trouvent également plusieurs officiels Chinois dont le chef du service médical du département de la santé de la région du Jin-Cha-Ji, le vice-directeur de ce même département ainsi qu’un interprète qui lui est assigné puisque Bethune ne parle pas chinois419. Lors de cette rencontre, qui a lieu au

début de 1939, Bethune demande rapidement à voir les blessés, mais le Dr Ch’en lui fait part des risques pour lui de se rendre sur le champ de bataille et dans les zones à risque. Ce « garde du corps » imposé soumet alors comme argument que Bethune est l’un des seuls étrangers de la région et qu’il ressemble physiquement à un Européen en plus d’être habillé comme tel, d’autant plus qu’il monte un cheval blanc qui lui a été offert à son arrivée dans la région. Toutes ces caractéristiques font donc de lui une cible particulièrement facile pour les soldats japonais puisqu’il est aisément repérable. Ses déplacements dans la région compromettraient ainsi non seulement sa sécurité, mais également celle des troupes qui l’accompagneraient. Bethune proteste et critique fermement cette mise en garde affirmant qu’il est venu pour aider les blessés. Il tient à aller directement sur les champs de bataille et devient particulièrement impatient devant l’hésitation du personnel médical qui lui demande alors de prendre un jour de repos, mais deux jours plus tard il exige de nouveau d’être conduit au front. Ch’en doit même appeler le quartier général afin de prévenir le général Nie que, si Bethune se rend au front malgré ses réticences, il ne pourrait plus le protéger. Bethune est alors prévenu que les ordres du haut gradé sont de rester à l’hôpital, qui ne se trouve d’ailleurs qu’a 1 li du front, et de ne pas se rendre plus près des zones de combat. Le médecin accepte de suivre les ordres puisque celles-ci viennent du haut commandement militaire, mais il exige plus de lits afin de recevoir le plus de blessés possible. Il est d’ailleurs nommé conseiller médical et tous les employés de l’établissement doivent suivre

418 Entrevue avec le Dr Chang, op. cit.

419 Certaines sources tendent cependant à montrer qu’à la fin de sa mission Bethune était capable de s’adresser aux

109 ses ordres.420. Bien que Bethune jouisse d’une grande latitude dans son travail, il est restreint

dans sa capacité à se déplacer sur le terrain et à sortir de la zone où il est affecté.

Lorsqu’il met sur pied son unité mobile, il obtient l’autorisation de se déplacer d’un hôpital à l’autre et d’un village à l’autre afin d’opérer les blessés, de soigner les malades et de former le plus de personnel médical possible. Mais, en raison de l’avancée japonaise et de leurs opérations de balayage territorial, Bethune tient à ce que son unité mobile puisse se rendre au front afin de soigner des soldats blessés sans avoir à les déplacer sur de grandes distances421. Le

temps ainsi sauvé permettrait d’éviter les infections postopératoires et plusieurs soldats pourraient être sauvés d’une amputation ou même de la mort grâce à cette réduction des délais d’intervention. Mais, une fois de plus, sa demande de constituer une équipe pour aller au front est rejetée par les instances supérieures de l’armée. Ceux-ci invoquent alors son âge avancé comme justification. Pourtant, l’unité mobile se rend bel et bien tant en zone de combat que dans les villages dévastés après le passage de l’armée japonaise. Selon un article écrit en 1964 par un membre de la 8e armée, il n’aurait pas, cette fois, accepté ce refus. Il aurait alors répondu à ses

supérieurs qui considèrent comme risqué d’envoyer au front un Occidental dans la quarantaine ceci : « Though I am old, I am stronger than you. Taking part in rescue work on the front is a duty a medical worker should discharge422. » Il est par la suite autorisé à se déplacer

dans les zones plus risquées malgré la réticence dont font preuve les autorités militaires depuis son arrivée. Bethune affirme également ceci : « Revolutionary friendship makes no distinctions between Chinese and foreigners423. » Cela démontre bien à quel point Bethune se soucie

beaucoup plus des besoins médicaux de première ligne que de sa sécurité personnelle lors de sa mission en Chine, bien que cet avis ne soit pas toujours partagé par les hauts gradés qui ont tout intérêt à le protéger. Lorsqu’il se rend au front, il doit néanmoins constamment être accompagné par une escorte comprenant un garde et des membres du service médical de l’armée afin d’assurer sa sécurité et de pouvoir s’adapter à la situation locale le plus rapidement possible424.

420Roderick Stewart, Account of Dr Ch’en, op. cit.

421 Les forces communistes et leurs milices armées locales tentaient de repousser ces attaques japonaises avec des

techniques de guérilla, mais de nombreux soldats étaient blessés au combat. Pour en connaître plus sur les

techniques de guérilla des forces communistes dans le Jin-Cha-Ji, consulter : Long-Hsuen Hsu et Ming-Kai Chang,

History of the Sino-Japanese War (1937-1945), Taipei, Chung Wu Pub Co., 1972, p. 469-473. 422 Liu Hsiao-K’ang, op. cit., p. 2.

423 Ibid., p. 5.

424 Roderick Stewart, China Diary: interview with 4 comrades of Bethune, Fonds Roderick-Stewart, Osler Library of

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On peut donc constater que l’action de Bethune dans la région du Jin-Cha-Ji est non seulement compliquée par l’éloignement et la vétusté du matériel dont il dispose, mais également par le danger que représentent ses déplacements en raison des combats et des bombardements par l’armée japonaise. Malgré la réticence, voire le refus des autorités militaires à laisser Bethune se rendre au front afin de le protéger, il s’y rend tout de même, ou le plus proche possible, à de nombreuses reprises au risque de sa vie. Cela permet aux médecins de sauver la vie de nombreux soldats dans les meilleurs délais possible. Ce courage, dont fait preuve Bethune, contribue largement à l’admiration que lui vouent les Chinois de la région du Jin-Cha-Ji.