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Calculs phénoménologiques

Des calculs phénoménologiques [86] ont prédit l’existence de deux modes de phonons mous dans le composé 2H-NbS2. Dans ce calcul, les constantes de force entre atomes sont ajustées afin de reproduire correctement l’énergie des phonons en centre de zone de Brillouin (~q=~0), ces énergies ayant été mesurées à l’époque par des mesures optiques de diffusion Raman (petits triangles en Γ sur la Fig.3.11a).

(a) (b)

Figure3.11 –Dispersion des phonons de 2H-NbS2calculée dans le cadre de l’approximation harmonique. (a) Calculs phénoménologiques prédisant un mode de phonon mou sans instabilité à T=0 K, d’après [86]. (b) Calculs ab initio effectués par Matteo Calandra, prédisant une structure instable à T=0 K. Pour sim-plifier la représentation, une valeur imaginaire pure de l’énergie est représentée par une valeur négative.

Calculs ab initio

Matteo Calandra, de l’IMPMC à Paris, a calculé quasimentab initio l’énergie des phonons de 2H-NbS2à température nulle. Le seul paramètre phénoménologique qu’il a utilisé est la valeur du paramètre de maille c, car sa valeur exacte dépend des forces de Van der Waals entre les plans, qui sont difficiles et coûteuses en temps à reproduire numériquement. Son algorithme utilise la théorie de la fonctionelle de la densité (DFT) en réponse linéaire [37], dans l’approximation de densité locale (LDA) et dans l’approximation des phonons harmoniques. La matrice dynamique des phonons a été calculée sur une grille d’impulsions 10×10×1 dans l’espace réciproque, et interpolée dans toute la zone de Brillouin. L’intégration électronique a été faite sur une grille d’impulsion 20×20×6 avec un lissage de Hermite-Gauss (température électronique) Telec= 0.136 eV.

D’autre part, Matteo Calandra a aussi calculéab initio la largeur des phonons (inverse du temps de vie) induit par le couplage électron-phonon. La technique utilisée est celle de Allen [1]. Cette quantité ne dépend pas de la nature réelle ou imaginaire de l’énergie du phonon.

3.4.1 Résultats des calculs et comparaison avec l’expérience

Le résultat des calculsab initio est présenté Fig.3.11b où ils sont comparés avec les calculs phéno-ménologiques. Les valeurs calculéesab initio des demi-largeurs à mi-hauteur (HWHM) des phonons sont présentées dans la Tab.3.1.

Comme on peut le constater à l’abscisse Γ sur la Fig. 3.11a, les calculs phénoménologiques ont été calibrés de façon ad hoc pour reproduire l’énergie des phonons Raman. La comparaison pourrait alors sembler indûment défavorable aux calculsab initio: mais ceux-ci prédisent tout de même les énergies des phonons Raman à haute énergie (entre 30 et 50 meV) à quelques meV près.

Ligne ΓK

Le long de ΓK, les deux types de calculs donnent des résultats similaires en dessous de 30 meV, et différents au-dessus de 30 meV. Les calculs ab initio sont en bon accord avec les spectres d’énergie expérimentaux à environ 1 meV près, pour toute la partie du spectre en dessous de 30 meV (Fig.3.12).

x·ΓM γ1 γ2 γ3 γ4 γ5 γ6 0.2 <0.01 0.01 0.01 <0.01 0.04 0.03 0.4 0.01 <0.01 0.06 0.05 0.36 0.35 0.6 1.17 0.89 0.04 0.03 0.18 0.12 0.8 1.52 1.04 0.07 0.06 0.19 0.15 1.0 1.36 1.14 0.03 0.08 0.12 0.09 x·ΓK γ1 γ2 γ3 γ4 γ5 γ6 1/6 <0.01 <0.01 <0.01 <0.01 <0.01 <0.01 2/6 <0.01 <0.01 0.02 0.01 0.03 0.03 3/6 0.02 0.01 0.04 0.04 0.04 0.05 4/6 0.02 0.02 0.06 0.06 0.05 0.06 5/6 0.03 0.03 0.07 0.07 0.06 0.06 6/6 0.04 0.03 0.08 0.08 0.06 0.06

Table3.1 –Largeursγen meV (demi-largeur à mi-hauteur, HWHM) des six premiers modes de phonons,

calculés ab initio pour plusieurs positions selon ΓM (haut) et ΓK (bas). Les positions sont exprimées comme une fraction x deΓM (respectivement de ΓK). À chaque position x, les γ sont triées par ordre croissant de l’énergie du phonon correspondant.

D’autre part, les largeurs de phonons calculées le long de ΓK sont inférieures à la résolution expérimen-tale (1.3 meV HWHM). Expérimenexpérimen-talement, je constate certes que la HWHM déconvoluée peut atteindre 1 meV au milieu de ΓK. Mais cette valeur présente une grande incertitude liée au chevauchement des deux phonons en milieu de zone. J’attribue donc cette différence à la difficulté de la régression plutôt qu’à un phénomène physique. De plus, dans les mesures IXS en bord et centre de zone selon ΓK, on constate effectivement que les largeurs des phonons sont limitées par la résolution.

Ligne ΓM

Le long de ΓM, les deux types de calculs prédisent la présence de phonons mous. Les calculs ab initio prédisent une valeur imaginaire pure2 de l’énergie des deux modes de phonons les plus bas en énergie. Je rappelle que cette énergie est celle de l’état fondamental à température nulle. Cette situation correspond donc à une instabilité structurale : la structure cristallographique observée habituellement à haute température devrait être instable en dessous d’une certaine température. Une CDW devrait alors apparaître en dessous de cette température, avec un vecteur d’onde proche de ~q= ΓM = 0.5a~ car le « maximum » de la valeur imaginaire pure est prédit au point M. Les résultats des calculsab initio ne s’accordent donc pas avec ceux de l’expérience. Expérimentalement, nous avons vu que l’on observe un amollissement marqué d’un pic de phonons mais qui reste toujours à une énergie positive et non nulle (Fig. 3.9a).

« Ironie de la nature », les calculs phénoménologiques reproduisent bien la présence d’un amollisse-ment qui reste à énergie non nulle. Ceci montre que les constantes de force jouent un rôle important, car en choisissant une valeur ad hoc on arrive à bien reproduire la physique du mode mou. En particulier les auteurs constatent que la constante de force de la liaison S-S, au sein d’un feuillet S-Nb-S, est dé-terminante. Plus la valeur de cette constante de force augmente, plus l’énergie du mode de phonon mou augmente [86, p. 162]. Notez que la masse des atomes joue le rôle inverse de la constante de force sur l’énergie d’un phonon (ω pk/m), et comme le soufre est deux fois plus léger que le sélénium, cela suggère intuitivement que l’amollissement est réduit par rapport à 2H-NbSe2 car le soufre est trop léger. Mais, si l’on poursuit ce raisonnement jusqu’au bout [39] : pour que la transition CDW n’ait pas lieu dans 2H-NbS2, il faudrait que l’énergie de point zéro soit suffisante pour empêcher le système de s’ordonner même à température nulle, à la manière du paramagnétisme quantique ou du paraélectrique quantique.

Nous avons effectué l’expérience la plus précise possible avec les meilleurs échantillons dont nous disposions, mais à la décharge des calculsab initio, il faut noter que la pureté du polytype des échantillons n’est pas parfaite. Comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, la synthèse de 2H-NbS2 est particulièrement délicate, et à cette occasion je montrerai d’ailleurs des soupçons de traces d’instabilité au point M (section4.3).

Figure3.12 –Dispersions expérimentales des phonons selonΓKdans 2H-NbS2, à température ambiante (carrés rouges) et à 2 K (disques bleus), comparées aux calculs ab initio des phonons harmoniques à température nulle (lignes en traits pointillés).

Par ailleurs, d’après les calculsab initio, le couplage électron-phonon est responsable d’un fort élargis-sement des deux modes de phonons mous, sur une vaste gamme de vecteurs d’onde : de 0.6 à 1.0 ΓM dans la Tab.3.1. Ceci est en bon accord avec l’expérience : nous avons observé un pic limité par la résolution au début de la branche ΓM, et dont la largeur est de deux à trois fois la résolution expérimentale au voisinage de 0.75 ΓM (i.e.(3.375,0,0)).

3.4.2 Conclusion

Nous constatons que les calculsab initiosont en bon accord avec l’expérience selon ΓK et qu’ils pré-disent une instabilité qui n’est pas observée expérimentalement selon ΓM : quelle que soit la température, les phonons mous restent toujours à énergie non nulle et la structure reste donc « dynamiquement » stable. Les calculs phénoménologiques semblent mieux reproduire les données expérimentales ce qui suggère que la liaison S-S d’un feuillet S-Nb-S joue un rôle important.

La question se pose alors de savoir pourquoi les calculsab initiosont en désaccord avec l’expérience. Du fait de la dépendance en température des phonons mous, nous proposons que les effets anharmoniques en soient responsables.