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1.3 Les Dichalcogénures MX 2

1.3.3 NbSe 2 : supraconductivité

2H-NbSe2 est supraconducteur en dessous deTC= 7.1 K. Depuis les années 70, on le suspecte d’être un supraconducteur à gap anisotrope ou multigap. De plus la supraconductivité et l’onde de densité de charge coexistent à l’échelle microscopique [48] ce qui suscite naturellement la question du lien entre les deux phénomènes. Malgré les nombreuses études la controverse n’est toujours pas résolue.

Différentes techniques expérimentales ont permis d’observer au moins deux échelles d’énergies dans le gap supraconducteur : chaleur spécifique, conductivité thermique, STS, oscillateur à diode tunnel, oscillations quantiques dans l’état mixte, ARPES.

Sondes thermodynamiques

Dès 1975, Kobayashiet al.[61] analysent les mesures de chaleur spécifique dans le cadre d’un modèle de supraconductivité en couplage fort avec gap anisotrope et surface de Fermi anisotrope. Ils en déduisent la présence d’un gap anisotrope de 0.6 meV selon l’axe~c et 1.5 meV dans le plan.

Simultanément, Garoche et al. [36] évoquent la présence d’un gap anisotrope, totalement ouvert sur la surface de Fermi, dont les valeurs extrêmes seraient ∆max 1.1 meV et ∆min 0.1 meV. Ils sont les premiers à mesurer la dépendance de la chaleur spécifique à basse température, qui montre la prédominance successive des deux échelles d’énergie mentionnées ci-dessus.

Les mesures de chaleur spécifique sous fort champ magnétique de Sanchezet al. [105] confirment le modèle anisotrope de Kobayashiet al.Ils observent une dépendance non linéaire du terme résiduel de la chaleur spécifique sous champ magnétique. Ils suggèrent que cela est dû à une anomalie Schottky,i.e.à la contribution d’un système de niveaux énergétiques discrets, par effet Zeeman sur les états liés dans les cœurs de vortex. Mais un effet similaire apparaît dans MgB2 à cause de la contribution des deux gaps supraconducteurs [92].

Hanaguri et al. [42] étudient la chaleur spécifique sous champ en fonction des défauts colonnaires et du ratio de résistivité résiduelle (RRR : entre la résistivité à température ambiante et la résistivité résiduelle à basse température). Ils concluent que des quasi-particules sont présentes à l’extérieur des cœurs de vortex, phénomène que l’on retrouve dans les gaps avec nœuds. Mais ils observent aussi un gap totalement ouvert, ils l’attribuent donc à la présence d’un gap anisotrope et à l’effet Doppler des supercourants autour des vortex (effet Volovik), ce qui ramènerait la petite échelle d’énergie au niveau de Fermi.

Mesures de transport

Les mesures de conductivité thermique de Boakninet al.[7] sont en accord avec la présence de deux gaps supraconducteurs ou d’un gap fortement anisotrope. La dépendance en champ magnétique de la conductivité thermique est très semblable à MgB2. En revanche, ces mesures excluent la présence de nœuds dans le gap supraconducteur : dans la conductivité thermique en champ nul, l’absence de terme électronique résiduel quandT →0 signe la présence d’un gap supraconducteur ouvert sur toute la surface de Fermi.

Sondes magnétiques

Les mesures de susceptibilité magnétique sous pression de Suderow et al. montrent que la TC croît jusqu’à 10.5 GPa, et redescend ensuite (au moins jusqu’à 19 GPa). En revanche la CDW disparaît autour de 5 GPa ce qui ne coïncide pas avec le maximum deTC. D’autre part les dépendances en pression et en température du second champ critique présentent des écarts importants à la théorie BCS. Ces résultats sont interprétés avec un modèle effectif à deux gaps.

Corcoranet al.observent la trace d’une petite échelle d’énergie, 0.6 meV, en réalisant des mesures de Haas-van Alphen dans l’état mixte, qu’ils attribuent au gap supraconducteur sur l’ellipsoïde.

Les mesures de rotation du spin des muons (µSR) de Callaghan et al. [16], montrent que la taille des cœurs de vortex se réduit rapidement quand le champ magnétique augmente. Ils observent aussi une dépendance en champ magnétique de la longueur de pénétration magnétique. ÀT = 20 mK, ils excluent l’effet Volovik. Ils proposent plutôt la présence de deux gaps : sous champ magnétique, les quasi-particules correspondant au petit gap sont rapidement délocalisées en dehors des vortex.

La comparaison entre des mesures de longueur de pénétration magnétique et des calculs de bandes, permet de montrer que le petit gap supraconducteur est présent non seulement sur le pancake de la

surface de Fermi, mais aussi sur les tubes qui ont une constante de couplage modérée à fort. La valeur minimale du gap supraconducteur dans le plan (~a, ~b), donc sur les tubes, est de 0.67±0.06 meV. Selon l’axe ~c, la valeur minimale du gap sur le pancake est de 0.73±0.1 meV. Les auteurs suggèrent que la CDW pourrait influer sur la valeur du gap supraconducteur [26,33].

Sondes spectroscopiques

2H-NbSe2 est le premier composé où des vortex ont été observés par la technique STM, cf. Hess et al. [46]. Ces vortex sont très singuliers : ils ont une forme d’étoile à 6 branches au niveau de Fermi, lorsque le champ est perpendiculaire au plan (~a,~b). Cette forme change selon la différence d’énergie avec le niveau de Fermi. Une analyse ultérieure par Hayashi et al. [45] montre que des effets d’interférences entre vortex ou d’anisotropie de la surface de Fermi ne sont pas suffisants pour reproduire l’ensemble des motifs observés, contrairement au modèle de gap anisotrope. De plus, en STS, Hesset al. mesurent une distribution de gaps supraconducteurs comprise entre 0.7 et 1.4 meV, cf. Fig.1.17. Mais au voisinage d’un vortex, cette distribution de gaps est modifiée. Notamment, une de ces deux échelles d’énergie s’annule lorsqu’ils scannent selon la direction ΓM. Plus récemment, l’étude STS de Guillamon et al.[40] conclut que le gap supraconducteur a une symétrie d’ordre 6 dans le plan (~a,~b) avec pour valeurs extrêmes : 0.75 meV et 1.2 meV.

Les mesures d’ARPES apportent une information nouvelle avec la possibilité de mesurer le gap supra-conducteur en différents points de l’espace réciproque. Les valeurs de gap ainsi obtenues sont cependant sujettes à caution, car la résolution en énergie est encore limitée (quelques meV, mais le pointage de la position des gaps est meilleur). De plus l’échauffement de l’échantillon est non négligeable sous l’effet du faisceau, or l’ARPES sonde essentiellement la surface. Enfin, l’intensité du signal varie en fonction de la dispersion de la surface de Fermi (élément de matrice). Mais contrairement aux propriétés de nesting, toutes les expériences d’ARPES concordent sur les propriétés supraconductrices.

La première cartographie complète du gap supraconducteur (Fig. 1.22) a été obtenue par Kiss et al.[58]. Elle suggère que le gap supraconducteur est anisotrope sur chacun des feuillets :

maximum sur les tubes le long de l’axe ΓK

minimum sur le pancake (inférieure à la résolution annoncée de 0.2 meV), et sur les tubes le long des axes MK et ΓM

Figure1.22 –Cartographie du gap supraconducteur de 2H-NbSe2 dans l’espace réciproque, d’après [58].

Les premières expériences d’ARPES ne disposaient pas d’une cartographie complète de tous les feuillets, mais elles sont toutes en accord avec les mesures de Kisset al.:

Le même groupe avait déjà publié une cartographie partielle du gap supraconducteur (Fig. 1.23, Yokoyaet al.[141]) compatible avec ces derniers résultats, bien qu’il semble aussi avoir publié un résultat contradictoire(Kisset al.[59]) : gap de 0.65 meV le long de ΓK, sur un tube centré en Γ.

Vallaet al.[124] mesurent une amplitude de gap supraconducteur identique le long de l’axe ΓK sur les deux tubes centrés en K.

Borisenkoet al. [8], Fig. 1.23, confirment l’anisotropie du gap supraconducteur observée par Kiss

et al.

En conclusion, les sondes thermodynamiques ne peuvent discriminer entre gap anisotrope et deux gaps. Certaines sondes directionnelles sont en faveur d’un mécanisme à deux gaps, tandis que les techniques spectroscopiques montrent un gap anisotrope. La topologie du gap supraconducteur de 2H-NbSe2 n’est donc pas encore clairement établie.

Une objection fondamentale reste encore à résoudre : Fletcher et al. remarquent que la pureté du système doit être suffisamment importante pour observer un gap anisotrope ou deux gaps,i.e.le taux de diffusion électronique devrait respecter :~ <> δ∆, oùδE=~ est l’élargissement énergétique des niveaux électroniques,τ est le temps moyen entre deux collisions, < >est la valeur moyenne du gap supraconducteur sur la surface de Fermi et δ∆ est la différence entre ses valeurs extrêmes. Or ce critère n’est apparemment pas satisfait dans 2H-NbSe2.

À partir de la résistivité résiduelle, ils estiment δE ≈27 K = 2 meV, alors que les modèles de gaps anisotropes ou deux gaps prédisent√

<> δ∆≈7 K = 0.6 meV. Ils notent qu’il faudrait une diffusion très anisotrope pour expliquer la persistance d’un gap anisotrope. Ils suggèrent plutôt, de façon analogue à MgB2, que la diffusion inter-bande, entre les tubes associés à chaque bande, est réduite. Cela permettrait à deux gaps d’amplitude différente de coexister sur chacun des types de tube.

Des mesures d’ARPES montrant l’évolution du gap supraconducteur en fonction du RRR, dans la gamme 0–50, pourraient peut être apporter une réponse à cette controverse. En effet, l’étude de Hanaguri

et al. [42] montre que l’on retrouve un comportement BCS isotrope standard pour les faibles RRR. En revanche, les écarts à ce comportement sont maximaux pour un RRR de 50, et ne changent plus au-delà de cette valeur.

Supraconductivité et CDW

L’origine des propriétés supraconductrices particulières de 2H-NbSe2est controversée. Dans le modèle BCS, la température critique s’exprime

TC=TDeN01V (1.55)

deux effets opposés de la CDW sont envisageables

la CDW est normalement accompagnée de l’ouverture d’un gap, ce qui réduit la densité d’état au niveau de FermiN0, et devrait donc diminuerTC

la CDW est favorisée par un fort couplage électron-phonon, ce qui devrait conduire à unV impor-tant, et donc à une augmentation deTC

Il n’est donc pas clair si la CDW est en compétition ou au contraire favorise la supraconductivité. La présence d’un mode mou dans 2H-NbSe2 est en faveur de la seconde hypothèse, car cela rappelle les supraconducteurs A15. Dans ces composés les températures critiques élevées sont associées au fort couplage électron-phonon, induit par la présence d’un phonon mou lié à une transition structurale [133]. Au contraire, Friedel [34] suggère que l’augmentation deTCsous pression témoigne d’une augmentation de la densité électronique au niveau de Fermi, au fur et à mesure que la CDW s’affaiblit. Mais les mesures récentes de Suderow et al. à haute pression, montrent que la TC continue d’augmenter même après la disparition complète de la CDW.

Mais ces deux explications ne sont pas mutuellement exclusives : les effets de densité d’état et de couplage électron-phonon pourraient jouer simultanément un rôle. D’autres modèles sont aussi proposés (voir par exemple [17]).

Valla et al.ont mesuré la constante de couplage électron-phonon le long de ΓK. Ils obtiennent λ

0.85±0.15 sur le tube externe centré en K, et λ 1.9±0.2 sur le tube interne. Mais ils constatent que les valeurs des gaps supraconducteurs semblent similaires en ces deux points, contrairement à ce qui serait attendu dans un scénario dû au couplage électron-phonon. En revanche la faiblesse du gap supraconducteur sur le pancake laissait possible un effet de couplage électron-phonon sur cette bande 3D. Mais Fletcheret al. montrent la présence d’un petit gap supraconducteur à la fois sur le pancake et sur les tubes.

Les mesures d’ARPES ultérieures apportent une information plus fine sur les variations dans l’espace réciproque. Pour Kisset al.les endroits où le gap supraconducteur mesuré est le plus grand correspondent aux hot spots et aux endroits où le couplage électron-phonon est le plus fort. Les hot spots semblant provenir de la CDW, les auteurs en concluent que la supraconductivité et la CDW collaborent.

Mais Borisenko et al. sont en désaccord sur la position des hot spots. Ils les situent sur les tubes internes centrés en K, le long de la ligne MK (point n˚3 sur la Fig.1.23), donc tournés de 60˚par rapport à Kiss et al. En conséquence, ces hot spots correspondent à l’endroit où le gap supraconducteur est le plus faible, ce qui leur fait conclure que la CDW et la supraconductivité sont en compétition.

La question du lien entre la CDW et la supraconductivité n’est toujours pas résolue. Pour tenter d’y répondre, nous avons étudié un composé très proche de 2H-NbSe2, mais qui ne présente pas de CDW, à savoir : 2H-NbS2.

Figure 1.23 – En haut, premières mesures du gap supraconducteur de 2H-NbSe2, d’après Yokoya et al. [141]. En bas, mesures du gap de 2H-NbSe2, d’après Borisenko et al. [8]