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6.3 Micro-sondes Hall

6.3.1 Mesures du premier champ critique

Figure 6.11 – (En haut) Vue en coupe de la répartition des vortex dans un supraconducteur : limites

faibles et fortes de l’ancrage des vortex. (En bas) Profils de champ magnétique correspondants.

Au chapitre précédent, nous avons vu que des vortex pénètrent dans un supraconducteur de type II, lorsque l’excitation magnétique H dépasse le premier champ critique Hc1. Que deviennent ces vortex à l’intérieur du supraconducteur ?

Piégeage des vortex

La force de Lorentz, induite par le supercourant d’écrantage en surface d’un supraconducteur, a tendance à repousser les vortex loin des bords. A contrario, les défauts de l’échantillon ont tendance à piéger les vortex (pinning). Supposons qu’au niveau du défaut, le gain d’énergie libre de la phase supraconductrice est moins favorable que celui de la phase normale. Alors, si un vortex passait par ce défaut, cela permettrait effectivement d’économiser le surcoût de son cœur normal de tailleξ.

L’équilibre entre le piégeage et la force de Lorentz définit le courant critique du supraconducteur, c’est-à-dire la densité de courantJc en dessous de laquelle les vortex ne se déplacent pas, et où il n’y a donc pas de dissipation.

Pour caractériser ce mécanisme microscopique, on utilise le terme piégeage fort lorsqu’il s’agit d’un gros défaut capable de piéger le vortex à lui seul. Au contraire, on utilise le termepiégeage faiblelorsqu’il s’agit de petits défauts de taille environ ξ, et que le vortex n’est piégé que par un grand nombre de ces petits défauts. Les matériaux réels sont presque toujours en piégeage faible mais avec une densité de défauts forte (strong collective pinning) ou faible (weak collective pinning). Examinons ces deux cas limites :

Dans la limite d’une faible densité de défauts, les vortex sont libres de se déplacer. Après leur nucléation sous la surface du supraconducteur, la force de Lorentz les repousse loin des bords, ils viennent donc se placer au centre de l’échantillon.

Dans la limite d’une forte densité de défauts, un supraconducteur de type II se comporte de façon analogue à un conducteur parfait : s’il est refroidi sous champ, il piège et conserve le champ ini-tialement présent. S’il est refroidi en l’absence de champ magnétique (en anglais, zero field cooled, ZFC) les vortex sont repoussés par les bords mais restent piégés en surface. Ils ne peuvent pénétrer plus profondément, sauf si l’excitation magnétique est telle que le supercourant d’écrantage atteint la valeur du courant critique. Dans ce dernier cas la densité de vortex est répartie selon un profil caractéristique en chevrons, ouprofil de Bean : elle est maximale au bord, minimale au centre, et la pente entre les deux est fixée par la valeur du courant critique.

∂B

∂x =µ0Jc (6.49)

Champ de première pénétration Hp

Sur les bords de l’échantillon, l’excitation magnétiqueH est plus grande que l’excitation magnétique imposéeH0, à cause du, bien mal-nommé,champ démagnétisant Hd. Expérimentalement, la pénétration des vortex dans l’échantillon a donc lieu pour une valeur de l’excitation imposée inférieure au premier champ critique : cette valeur est ce qu’on appelle lechamp de première pénétration Hp.

Pour un échantillon ellipsoïdal, l’excitation magnétique totale H =H0+Hd atteint simultanément Hc1 en tout point de la surface.Hp est donc définie de façon univoque par l’équation

Hc1=Hp+Hd (6.50)

En revanche, pour un échantillon de forme quelconque, l’excitation magnétique totale H = H0+Hd n’est pas uniforme en tout point de la surface. Nous définissons donc Hp, de façon plus générale, comme l’excitation magnétique imposéeH0telle que l’excitation magnétique totaleH =H0+Hdsoit égale àHc1

à l’équateur sur le bord de l’échantillon, en considérant que l’axe des pôles de l’échantillon est parallèle à H0.

Dans les échantillons de sections rectangulaires, en tenant aussi compte des barrières géométriques, la relation entre Hpet Hc1 peut être calculée [9,70,142]

Hc1≈ Hp tanh q αd 2w (6.51)

dest l’épaisseur, 2wun diamètre effectif, et oùαvarie de 0.36 pour une bande, à 0.67 pour un disque. Le champ de première pénétration est schématisé sur la Fig.6.12. Cette figure représente l’aimantation moyenne d’un supraconducteur de type II avec une forte densité de défauts, refroidi en champ nul, en fonction de l’excitation magnétique imposée. Le diamagnétisme est parfait jusqu’à H = Hp, au-delà, les vortex commencent à pénétrer ce qui produit un comportement hystérétique à cause du piégeage. Pour de plus grandes valeurs de l’excitation magnétique, l’aimantation diminue. Enfin pour H = Hc2 l’aimantation est nulle et l’état supraconducteur disparaît.

L’apparition d’une hystérèse est caractéristique deHp, c’est le phénomène que nous tentons de détecter pour mesurerH =Hp.

6.3.2 Dispositif expérimental

Nous utilisons des micro-sondes Hall qui permettent de mesurer la valeur moyenne locale du champ magnétique, à l’échelle de la taille de la sonde. Elles sont constituées d’une hétérostructure AsGa/AsGaAl, formant un gaz d’électron 2D en forme une croix de Hall (Fig. 6.13). Ces sondes sont fabriquées par Vincent Mosser, de l’ITRON à Montrouge, et Martin Konczykowski, du Laboratoire des Solides Irradiés à Palaiseau.

La tension de Hall est proportionnelle au champ magnétique moyen sur la partie active de la sonde, au centre de la croix

VH=khBiI (6.52)

Figure 6.12 – (Courbe rouge) Aimantation moyenne en fonction de l’excitation magnétique imposée,

pour un supraconducteur de type II, en piégeage faible avec une forte densité de défauts et refroidi en champ nul (ZFC).

(Doubles flèches sur pointillés et point bleu) Si H0 est ramenée à zéro juste après avoir dépassé Hp, le champ magnétique rémanent Brem(Ha) est quasiment égal àµ0(hMi+H0) pourH0 =Ha, à cause du piégeage. hBi= RR B.dS~ S = φ S (6.53) ainsi VH I =k φ S (6.54)

Pour mesurer la résistance de Hall VH

I on utilise un pont LR-700 de marque Linear Research. La résistance de Hall est de l’ordre de quelques milliohm, tandis que la résistance longitudinale est d’environ 1 kΩ pour une sonde unique et 10 kΩ pour un réseau. Cette résistance longitudinale agit comme une résistance de contact. Or, le pont tolère des résistances de contact plus grandes d’un ordre de grandeur que le calibre de résistance choisi. C’est pourquoi, le pont est utilisé sur le calibre 200 Ω pour une sonde unique, et 2 kΩ pour un réseau.

La gamme de tension est réglée sur le calibre 20 mV pour le calibre 2 kΩ et sur le calibre 2 mV pour le calibre 200 Ω. Dans les deux cas cela correspond à un courant imposé de 10µA. Dans ces conditions la précision du pont est de 10 mΩ sur le calibre 2 kΩ et 1 mΩ sur le calibre 200 Ω.

Avec une précision de 1 mΩ, la précision en champ magnétique est de l’ordre de 1µT. Cette haute précision est due à la constante de Hall élevéek=n e1 ≈700 Ω/T, qui provient de la très faible épaisseur ainsi que de la faible densité de porteurs du gaz d’électrons 2Dn≈1016m2.

Par ailleurs, la précision en flux magnétique est renforcée grâce à la petite surface active des sondes. La taille des différents modèles de sondes varie de quelques micromètres à quelques dizaines de micromètres : j’ai utilisé un réseau de 11 sondes espacées de 20µm (Fig.6.14), avec une surface active sur chaque sonde de S = 8×8µm2, et j’ai aussi utilisé une sonde unique de surface active S = 16×16µm2. Pour une précision de 1 mΩ et une sonde de surfaceS = 8×8µm2, la précision en flux magnétique est de l’ordre de 1016Wb.

On constate que cette précision est meilleure qu’un quantum de flux magnétique φ0 ≈2.1015Wb. Cependant, nous affirmons explicitement que ce système ne prétend pas mesurer des vortex uniques. La comparaison au flux magnétique d’un vortex φ0 est cependant utile pour donner un ordre de grandeur de la très grande sensibilité du dispositif. L’équivalent du flux magnétique d’unφ0, réparti uniformément

Figure6.13 –Schéma d’une micro-sonde Hall insolée dans un gaz d’électrons 2D.

Sonde R Courant Tension Calibre Précision RH(1 vortex) unique 1 kΩ 10µA 20 mV 200 Ω 1 mΩ 5 mΩ réseau 10 kΩ 10µA 20 mV 2 kΩ 10 mΩ 20 mΩ

Table 6.1 – Configuration du pont LR-700 pour mesurer la résistance transverse des sondes Hall. R

correspond à la résistance longitudinale. RH(1 vortex)correspond à la résistance Hall équivalente au flux d’un vortex réparti uniformément sur la surface active de la sonde.

sur la surface active de la sonde, conduit en effet à une variation de résistance Hall tout à fait détectable RH(1 vortex) =VH

I =khBi=kφ0

S (6.55)

soit 5 mΩ pour une sonde de 8×8µm2 et 20 mΩ pour une sonde de 16×16µm2. Cela correspond respectivement à cinq fois et à deux fois la précision expérimentale. La Tab. 6.1 résume ces différentes caractéristiques du dispositif expérimental.

Bobine et champ rémanent

Afin d’éviter toute contribution magnétique due aux vortex piégés, l’échantillon est systématiquement refroidi en champ nul (ZFC). L’excitation magnétique est appliquée avec une bobine 4T NbTi horizontale. Le champ rémanent de cette bobine peut atteindre une dizaine de Gauss9, cela est suffisant pour que des vortex soit piégés dans l’échantillon lors du refroidissement. Aussi, avant chaque campagne de mesure de Hc1, le champ rémanent est supprimé en réchauffant la bobine au-dessus de sa température de transition supraconductrice.

En outre, à chaque mesure deHc1, l’application d’un champ d’une centaine de Gauss est suffisante pour faire apparaître une aimantation rémanente de 2 ou 3 Gauss. Cette aimantation rémanente induit un comportement dissymétrique du supraconducteur, en fonction du signe de l’excitation magnétique,

i.e.entre +H et−H. En raison du temps et du coût de refroidissement, il n’est pas possible de réchauffer la bobine à chaque fois. Avant chaque mesure de Hc1, j’ai donc systématiquement compensé le champ rémanent. Pour cela j’impose un faible courant dans la bobine, avec pour critère que le champ mesuré par les sondes de Hall, au niveau de l’échantillon, soit nul à 0.2 G près. Pour s’affranchir des problèmes d’offset sur la sonde Hall, on retient la demi-somme des mesures effectuées en permutant les contacts courants et tensions [149,71]10. Cette permutation est effectuée en interne par le pont LR-700.

9. 1 G = 10−4T. Cette valeur est bien supérieure au champ magnétique terrestre, qui est de l’ordre de 0.4 G.

10. « spinning current » : ceci est normalement équivalent à inverser le champ magnétique d’après les relations de réci-procité.

Figure6.14 –Réseau de onze sondes Hall, sur gaz d’électron 2D en AsGa. Surface active d’une sonde :

8×8µm2. Distance entre deux sondes :20µm de centre à centre.

En suivant cette procédure, les mesures présentent une meilleure reproductibilité et sont moins bruitées pour H < Hp.

Cryogénie

J’ai utilisé deux dispositifs cryogéniques, pour le refroidissement du système de mesure complet : échantillon et sonde de Hall.

Le premier est un anticryostat : il s’agit d’une cloche adiabatique à double paroi de quartz. Elle permet d’effectuer des mesures jusqu’à 4.2K lorsqu’elle est plongée dans un bain d’hélium 4. Il est possible de descendre jusqu’à environ 1.5K en pompant sur le bain d’hélium 4. Un chauffage situé à la base de la cloche, permet de réguler sa température interne. Entre 1.5 et 40K, la stabilité en température est d’environ 50 mK.

Le second dispositif est une canne à hélium 3 pompé, de température de base 0.28 K. Le système ne peut fonctionner en continu car le pompage est assuré par une pompe à charbon actif11. L’autonomie du système est d’environ 1 à 2 journée, pour des températures comprises entre 0.28 et 10 K (stabilité

∼1 mK).