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3.5 Calculs ab initio et effets anharmoniques

3.5.1 Effets de la température électronique

De façon standard, les calculsab initiosont menés avec une température électronique,Télec, de l’ordre du millier de kelvin, afin de lisser la discontinuité du facteur de Fermi-Dirac dans l’occupation des niveaux électroniques. En effet, à température nulle, ce facteur est une fonction de Heaviside (marche). Une telle discontinuité pose alors des problèmes d’intégration numérique car les grilles utilisées dans l’espace réciproque possèdent un maillage fini.

Mais en introduisant uneTélecsans lien avec la température physique réelle, on devrait normalement réduire artificiellement la susceptibilité électronique χ0(~q) et donc le couplage électron-phonon,

χ0(~q)∝X ~ k f~k+~qf~k ε~kε~k+~q (3.1)

f~k est le facteur de Fermi-Dirac,ε~k est l’énergie des bandes électroniques, et où la somme porte sur la première zone de Brillouin (cf. Chap. 1).

Dans notre cas, la valeur initiale utilisée dans les calculs estTélec= 0.136 eV. Cependant, bien que cela corresponde déjà à une température d’environ 1500 K, « normalement » cela n’a pas d’incidence notable sur les résultats du calcul, car cette température reste de l’ordre de 1% de la température de Fermi [52, 135]. Autrement dit, on profite du fait que la valeur du couplage électron-phonon, ou du moins ses effets, ne varient pas notablement tant queTélec reste négligeable devantTF. Il est certes discutable de qualifier d’ab initio des calculs où un paramètre jouit d’une telle liberté, mais Télec ne peut cependant pas être qualifiée de paramètre totalement ad hoc, puisque le résultat final est donc censé être qualitativement indépendant de la valeur de Télec.

Figure3.13 –Énergies au carré, calculées ab initio, pour les deux branches de phonons mous à 0.8ΓM,

en fonction du lissage du facteur de Fermi via Télec (exprimée en eV et en kelvin).

Or, dans le cas de 2H-NbS2, nous constatons que l’énergie des phonons mous dépend fortement de la valeur deTélec. La Fig.3.13montre queTélec a un effet très important sur la renormalisation de l’énergie des phonons mous au voisinage du point M. Ainsi, en choisissant uneTélecde 0.26 eV, soit environ 3000 K, il est « en apparence » possible de pallier au désaccord des calculsab initioavec l’expérience. En choisissant une telle température, l’intensité du couplage électron-phonon est réduite artificiellement, ce qui, dans les calculs, suffit à stabiliser les phonons mous et faire que leurs énergies calculées à température nulle deviennent réelles et strictement positives. Cette technique a, par exemple, déjà été utilisée dans le cas de 2H-NbSe2 [132].

Le fait que les énergies calculées des deux phonons mous sont très sensibles à la valeur de Télec est un résultat en soit. Ceci met en évidence que la valeur précise du couplage électron-phonon joue un rôle clef pour savoir si l’amollissement des phonons sera total ou non. Notez que cet effet survient uniquement pour les deux phonons mous selon ΓM : selon ΓK les énergies des phonons dépendent effectivement très peu deTélec.

Figure 3.14 – (a)Spectres expérimentaux à (h, k, l) = (3.184,−0.072,0) superposés à leur régression (convolution d’un OHA avec facteur de Bose et de la résolution expérimentale Lorentzienne). Les calculs de phonons ab initio, convolués par la résolution expérimentale, sont en bon accord avec les résultats expérimentaux.

(b) Spectres expérimentaux à(h, k, l) = (3.375,0,0) pour différentes températures, comparés aux calculs ab initio pour différentes Télec. Dans la régression superposée aux spectres expérimentaux, les largeurs et le ratio des amplitudes des deux phonons sont fixés d’après les calculs ab initio (voir texte).

Figure 3.15 – Dispersion expérimentale des phonons dans 2H-NbS2 à température ambiante (disques rouges) et à 2 K (losanges bleus), comparée au calcul ab initio, à température nulle des phonons har-moniques (lignes en traits pointillés). Les deux branches de phonons mous le long de ΓM sont presque dégénérées à température ambiante et s’écartent légèrement quand la température diminue.

Analyse des spectres en fonction de Télec

La Fig.3.14(a) montre que les calculs ab initio avecTélec = 0.136 eV sont déjà en bon accord avec les spectres d’énergie expérimentaux selon ΓK. La Fig. 3.14 (b) présente des spectres IXS calculés à 0.75ΓM, pour des températures électroniques deTélec=0.34 eV et 0.27 eV, et ces spectres sont superposés aux données expérimentales. Je rappelle que, dans ces calculs, la largeur des phonons est seulement due au couplage électron-phonon qui dépend faiblement de Télec, et à la convolution par la résolution expérimentale. Nous constatons que les calculs peuvent ainsi reproduire la dépendance en température des données expérimentales, à condition de choisir une Télec ad hoc, largement supérieure à la température physique réelle. Dans le mécanisme standard, celui présenté par Grüner [147] et repris par Weber et al.[132], l’amollissement des phonons se produit justement à l’échelle de la température de Fermi.

Les résultats de ces calculsab initiopeuvent ainsi aider à interpréter les données. Nous avons en effet constaté que le long de ΓM, les deux phonons mous se chevauchent à toute température. Il est donc difficile d’extraire la dépendance en température de chacun à partir des seules données expérimentales, car une régression à deux phonons, où tous les paramètres sont non contraints, donnent des résultats avec des incertitudes de 100% ou plus, et des valeurs parfois nettement non physiques. Ces dépendances en température présentent pourtant un intérêt certain, car elles fournissent des informations supplémentaires sur le mécanisme de la CDW (cf. Chap.1). Nous nous sommes donc appuyés sur les prédictions du calcul

ab initiopour tenter de les extraire des données expérimentales.

Pour cela, j’ai de nouveau effectué une régression des paramètres des phonons sur les spectres expé-rimentaux en utilisant la fonction standard [32] de l’oscillateur harmonique amorti avec facteur de Bose. Mais dans cette seconde régression, j’ai fixé la largeur intrinsèque des phonons à celle calculée ab initio

pour le couplage électron-phonon (Tab.3.1). De plus, j’ai aussi fixé le ratio d’amplitude des deux phonons à celui calculéab initio pour différentes Télec. Cette procédure permet d’extraire la position (probable) des deux phonons avec une incertitude de ±0.6 meV en moyenne, comme le montre la Fig.3.14(b). La Fig.3.15présente la dispersion expérimentale extraite par cette procédure, pour les deux phonons mous le long de ΓM.

Parallèlement, la Fig.3.16présente la dépendance en température des deux phonons mous au point (3.375,0,0). Cette dépendance en température est compatible avec la théorie de champ moyen qui prédit une loi de puissance enT12. Étant donné le caractère hybride de cette analyse, ce résultat est évidemment à considérer avec circonspection. Néanmoins, la même loi de puissance est observée expérimentalement

Figure 3.16 – Énergies au carré en fonction de la température des deux phonons mous au point

(H,K,L)=(3.375,0,0), extraites des données expérimentales grâce au calcul ab initio (voir texte). Les lignes sont des guides pour les yeux. Statistiquement, si le modèle est correct, le résidu de la régression devrait être en moyenne de 45 (ligne rouge pleine) avec un écart type de 9 (lignes rouges pointillées).

dans 2H-NbSe2[132]. De plus, le modèle utilisé pour la régression contient 6 paramètres indépendants, et les spectres contiennent 51 points. Si le modèle est correct, la valeur attendue du résidu de la régression devrait suivre une loiχ2avec une moyenne de 45 et un écart-type de 9 (cf. Chap.2). Bien que je dispose seulement de 14 valeurs de résidus, la distribution des valeurs semble assez cohérente avec une telle loi.

Enfin, à condition de disposer du temps de faisceau pour refaire l’expérience dans des géométries de diffusion qui sélectionnent exclusivement l’un ou l’autre des deux phonons, il serait relativement simple de mesurer indépendamment ces dépendances en température. Mais, quand bien même notre analyse ne conduirait pas à l’exposant correct, le point que nous voulions mettre en évidence ici est qu’il y a une dépendance en température sur la gamme 2–300 K.

Une description incorrecte de l’amollissement

En résumé, lorsqu’on augmente la température électronique dans les calculs, le facteur de Fermi est adouci et l’effet du couplage électron-phonon est réduit. Ceci augmente l’énergie des phonons et stabilise le réseau. Cependant, cette augmentation de Télec est artificielle : nous insistons fortement sur le fait que ceci n’est pas une description correcte du véritable phénomène physique, puisque pour reproduire l’amollissement, observé expérimentalement entre 2 et 300 K, la température électronique doit être aug-mentée d’au moins 0.1 eV (≈1100 K), et encore plus dans le cas de 2H-NbSe2 [132] ou 1T-TiSe2 [131]. Ainsi, même si la température électronique permet de reproduire les données, il ne s’agit pas de l’origine physique de la dépendance en température des phonons.

En revanche, l’anharmonicité (que nous avons amplement évoquée au Chap. 1) est une interaction phonon-phonon. On comprend alors intuitivement que ses effets puissent se manifester dans la gamme 300 – 2 K. À notre connaissance, il n’y a d’ailleurs pas d’autres mécanismes qui puissent expliquer une

telle dépendance en température. Mais les calculsab initione sont pas encore capables d’en tenir compte. Cette explication a déjà été proposée par Varma et Simons [127], qui ont démontré que l’anharmonicité pouvait être responsable d’une réduction d’un ordre de grandeur deTCDW dans 1T-TaS2, et que, de façon plus générale, cela expliquait la valeur anormalement élevée du ratio entre l’amplitude du gap CDW et TCDW, dans les TMD.