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Issiakhem, né en Kabylie, région fortement marquée par la culture berbère, fait apparaitre le signe épisodiquement dans certaines œuvres. Il a le statut de motif principal dans Figures africaines (Fig. 84). On retrouve le point, la croix et les zigzags, comme cela peut être visible dans les poteries ou peintures murales. Réalisée alors qu’il fréquente l’École des Beaux-Arts de Paris226, cette œuvre de 1957 montre de manière

significative la volonté de l’artiste de revendiquer ses origines, ce qui l’inscrit dans le

223 Rappelons-nous de Couple et belle-mère de Mesli faisant apparaitre des signes de la lampe ou du serpent, habituellement représentés dans les poteries ou peintures murales berbères ou de l’œuvre de Martinez intitulée Belle comme la lune avec ses enfants dont la composition est organisée autour du croissant et du point. Le point d’interrogation et le point d’exclamation sont les symboles d’Aouchem, présents sur tous les supports de communications du groupe (invitation au vernissage, affiches, catalogues etc.).

224 Abdallah Benanteur est un peintre et graveur algérien né en 1931 à Mostaganem qui s’installe en France en 1953, en même temps que Khadda avec qui il se lie d’amitié. Il y reste jusqu’à son décès le 31 décembre 2017. Cité comme membre de l’ « École du Noun », il ne sera pas fait d’étude plus poussée de ses œuvres car cette partie de l’étude est consacrée à la création en Algérie.

225 « Étreinte. 9 », in Œuvres poétiques complètes, op. cit., p.525, cité dans Hervé Sanson, « Jean Sénac, citoyen innommé de l’Ailleurs »,op.cit

226 Issiakhem part étudier à l’École des Beaux-Arts de Paris de 1953 à 1958. Il retrouvera dans la capitale française, son ami Kateb Yacine.

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mouvement intellectuel favorable à la décolonisation de l’Algérie227. Plus tard dans sa carrière228, les signes apparaissent de manière plus subtile comme sur les vêtements de La Femme sauvage, de Fayrouz ou de La mariée. Ils sont aussi visibles dans l’arrière- plan du tableau intitulé Les Mendiants (Fig. 85). Dans ce dernier exemple, Issiakhem associe deux types de signes : les images populaires du croissant et de la main (la khemsa ou main de fatma, symbole protecteur contre le mauvais sort dans la culture populaire maghrébine) et les traces des inscriptions politisées figurant sur les murs de l’espace public en Algérie (FLN / OAS barré d’une croix), ici partiellement masquées par le hors champ. Les raisons de la présence du signe sont alors différentes, le contexte de création ayant alors également changé.

Les artistes qui intègrent le plus le signe issu des arts populaires traditionnels restent les membres du groupe Aouchem et en particulier Mesli et Martinez. Mesli intègre des signes des arts populaires dans ses compositions comme Couple et belle-mère où le signe de la lampe est au centre du tableau229. Ils apparaissent aussi dans Kaïs et Layla

(Fig. 86-88), où le signe de la lampe (ou de l’homme) est toujours présent (Fig.89). Le

signe de la mouche (Fig. 90) (croix grecque avec quatre points) qui est visible à la gauche des soldats est utilisé par les femmes berbères dans un but magique, pour éviter que leur mari se désintéressent d’elles. Le motif du soldat laâsker (Fig. 91) se retrouve avec le triangle en damier surmonté de « petits traits ressemblants à des étendards230 » dans le bas de la toile. On peut aussi distinguer le motif du peigne au-dessus des soldats laâsker, le zigzag dans le haut de la composition. Pour sa part, durant la période Aouchem, Martinez intègre le signe dans ses reliefs peints. On y voit le croissant, l’étoile, le point, le zigzag, mais aussi le lézard et la main (deux signes contre le mauvais œil) inspirés par les croyances populaires. La flèche est symbole de mouvement et de transfert d’énergie. Après Aouchem, Mesli se tourne davantage vers la

227 Notamment marqué par le Manifeste des 121.

228 Rappelons que les œuvres d’Issiakhem sont expressionnistes et que la lecture visuelle est parfois brouillée par l’enchevêtrement de lignes et de couleurs.

229 L’analyse de l’œuvre a été réalisée dans le chapitre 1.

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géométrie des arts africains, et Martinez ne fait réapparaitre des signes tirés des arts populaires qu’au moment de la série 7 murs revisités. Cet intérêt pour les signes n’est pas nouveau chez lui mais leur intégration aux œuvres marque sa volonté de représenter un aspect traditionnel de la culture, en cours de disparition à la faveur de l’uniformisation des habitations.

Martinez, pour qui les arts populaires sont l’inspiration principale, use de tous ces signes dans ses tableaux, afin, tout comme les femmes berbères, d’exprimer un sentiment, de conjurer une peur ou d’apporter une puissance protectrice à l’œuvre. La schématisation des motifs fait partie de l’introduction de la magie dans la peinture. Martinez explique qu’il « avait besoin de dessiner à partir de la trame, du point et d’arriver à des figures symboliques. Le point figurait la semence, la pluie, la naissance de toute chose et un ensemble de point formait une énergie.231» Avec ces signes et symboles, Martinez s’invente un langage et crée un lien plastique entre réel et croyance. À partir de l’ouvrage photographique intitulé Axxam de Mohand Abouda232 qui a été le point de départ de la série des 7 murs revisités (Fig. 92-95), l’artiste a été initié à ces symboles grâce à sa collaboration avec les femmes de la tribu des Aït Hichem en Kabylie. Un bestiaire aux vertus magiques apparait alors dans les toiles. Le lézard qui est dans chaque « mur revisité », et accompagne le personnage, est « l’animal totem »233 de l’artiste. Il représente « la lumière d’extase contemplative, […] synonyme d’élévation et d’illumination spirituelle234 ». Animal sacré porte-bonheur235 au

Maghreb, il représente aussi la quête de la sagesse et de la spiritualité lorsqu’il est peint

231 Nourredine Saadi, Denis Martinez, peintre algérien, op. cit. p.70.

232 Mohand Abouda, AXXAM, maisons kabyles, espaces et fresques murales, Paris, 1985.

233 Nourredine Saadi, Denis Martinez, peintre algérien, op. cit. p.71. et 7 murs revisités

Mkerbech be niya safia. Cherche lieux humains, op.cit, p.7.

234 7 murs revisités Mkerbech be niya safia. Cherche lieux humains, op.cit, p.7. Ali Silem écrit qu’il est lié aux forces primitives : ce « reptile inoffensif et familier tracé d’un seul trait ininterrompu, s’incruste comme en filigrane dans les couleurs du fond qui apparaissent en transparence.» Ali Silem, « Martinez le Reggam », Denis Martinez, Désorientalisme, catalogue de l’exposition, Pau, Musée des Beaux-arts, Pau, Éditions Sagace, 2003, p.13.

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dans la poterie traditionnelle.236 Dans les tableaux de Martinez, il a des vertus prophylactiques pour le personnage représenté sur l’œuvre. Au fil des murs revisités, le traitement graphique du lézard évolue (Fig. 96-102). Dans Mur revisité n° 1, n° 2, n°4et n°7il est assez simple, dessiné au moyen d’un trait continu qui s’enchevêtre. Mais dans Mur revisité n°3, il est formé par deux formes triangulaires et il semble se camoufler dans Mur revisité n°5. Martinez le représente même en accouplement dans Mur revisité n°6 en entremêlant deux lézards. Ce signe est donc porteur d’une symbolique, tant pour Martinez que pour les femmes berbères qui décorent leurs objets de la vie quotidienne. Dans les peintures murales kabyles, certains animaux sont représentés par des figures géométriques comme la perdrix qui symbolise la beauté d’une femme, le serpent, l’agar-aoual : une sorte d’orvet, le crapaud, le crabe ou encore les insectes présents dans de très nombreux rituels comme le scorpion ou l’araignée. Martinez s’inspire de ces motifs dans ses tableaux de la série des murs revisités. La symbolique de chaque animal est fondamentale et dirige le choix de l’artiste comme pour l’abeille, le papillon, le serpent, le scorpion et l’escargot qui sont présents dans Mur revisité N°1 (Fig. 103). Inspiré par les interprétations de Moreau et Devulder, Martinez développe son bestiaire autour des signes présentés dans leurs ouvrages (Fig. 104-114). L’araignée, parfois représentée dans les poteries berbères de la tribu des Maâtkas, est maîtresse du destin, crachant et avalant son fil, elle le tisse et le connaît. Elle symbolise également l’unification cosmique par les liens établis entre les quatre points cardinaux237. Le

papillon, appelé ahellellu (ahellellou) en tamachek, symbolise l’âme des morts dans la maison238. Le motif du papillon par l’association de deux triangles joints à leurs sommets est très ancien. D’après Jean-Bernard Moreau, il est présent dans le décor des poteries, les tatouages berbères de la tribu des Maâtkas, tout comme dans les

236 Jean-Bernard Moreau, Les grands symboles méditerranéens dans la poterie algérienne, Alger, Société nationale d'édition et de diffusion, 1976, p.113.

237 Jean-Bernard Moreau, Les grands symboles méditerranéens dans la poterie algérienne, op.

cit., p.79.

238 Denis Martinez, Musée des Tapisseries, Aix-en-Provence, Impression : Gutenberg on line Régions, 2000.

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hiéroglyphes préhistoriques crétois239. Lorsqu’il est pourvu de hachures décoratives dans les deux ailes, il s’agit du motif du papillon dans les poteries traditionnelles d’Afrique du Nord.240 L’abeille est également présente dans le tableau Mur revisité N°2.

Désignée comme « un être de feu » 241 (ehenkêker en tamachek), l’abeille représente la résurrection initiatique, l’âme pure des initiés, l’esprit et la parole. C’est également une image de fécondité et d’abondance. Son miel est nourriture d’immortalité. Dans la poterie traditionnelle l’abeille est associée à l’ordre, la sagesse et le renouveau des saisons ou la résurrection242. La tortue (eferghes), est l’animal ancestral par excellence.

Elle représente l’univers, la concentration et de retour à l’état primordial. La tortue aurait un rôle stabilisateur.243 Tous ces signes composent un répertoire non-normé et dont le sens précis peut-être aléatoire en fonction de la personne qui les représente. Cependant, il constitue un véritable langage pour celui qui en connait le vocabulaire iconographique. Puisqu’il peut transmettre un message, le signe utilisé par Martinez évolue entre sémiotique et écriture. Si du point de vue artistique cela reste assez scolaire malgré l’aspect imaginaire du bestiaire qu’il développe, la question de la magie permet plus concrètement de s’émanciper du modèle européen244.

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