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Portrait de Sénac en critique d’art, galeriste et homme de médias

Parallèlement aux rassemblements officiels de l’UNAP, des débats autour de la question du devenir de l’art se déroulent à l’occasion de tables rondes, d’émissions radiophoniques ou d’articles de presse. Les médias93, et plus particulièrement la presse écrite et la radio permettent d’ouvrir les discussions au public. Sur le sujet précis de la diffusion de la peinture en Algérie, la table-ronde organisée par la revue Révolution Africaine en 1966 rassemble de nombreux peintres94. Les questions de la figuration et de l’abstraction, du rapport au public, de la visibilité des artistes ou encore de la direction que pourrait prendre l’art national sont abordés. Mais plusieurs avis s’opposent sans aboutir à de quelconques accords ou compromis. En dehors des artistes eux même, une personnalité multiplie les initiatives afin de développer et mettre en avant la nouvelle génération d’artistes plasticiens algériens : Jean Sénac.

91 Ibid., p.13.

92 Malika Dorbani-Bouabdellah, « La peinture en Algérie à la recherche de son style », in Le

XXe siècle dans l’art algérien, op.cit, pp.19-30.

93 Sur les médias, voir notamment Christophe Charle et Laurent Jeanpierre, La Vie intellectuelle

en France, Paris, Seuil, 2016.

94 Compte rendu de la table ronde autour de la question picturale, « Les peintres à bâtons rompus », Révolution Africaine, 6 mai 1966, in Le XXe siècle dans l’art algérien, op.cit, pp.164- 168.

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À Alger dès les années 1940, Jean Sénac (1926-1973), poète, journaliste, écrivain et animateur très actif sur la scène culturelle algérienne95 participe activement à la promotion des poètes, écrivains ou artistes algériens. Passionné d’art et autodidacte, Sénac écrit régulièrement, à partir de 1946, sur les expositions et les artistes qui lui sont contemporains dans divers organes de presse tels que L’Africain, Afrique ou Oran républicain. Le premier de ses écrits sur l’art, un article sur l’exposition Jeunes tendances picturales à la galerie Colin d’Alger semble avoir été publié le 12 juin 194696. En décembre 1946, Sénac présente une exposition d’Augustin Ferrando97 dans

le journal L’Africain. L’artiste, sensible à sa critique, lui répond par une lettre98 où il loue ses qualités de critique, alors que Sénac n’a jamais prétendu clairement à cette fonction, « trop conscient d’être pour cela sans matériau théorique ni formation99 ». Avant 1962, Sénac présente et commente la jeune création algérienne à travers la direction de la Revue Soleil et le groupe Terrasses (lequel publie également une revue sous la direction de Sénac) qu’il fonde en 1952. Une exposition des artistes du groupe a

95 L’ouvrage de Hamid Nacer-Khodja, Visages d’Algérie. Regards sur l’art, textes rassemblés par Hamid Nacer-Khodja, Paris, Paris-Méditerranée, Alger, EDIF 2000, 2002, rassemble de nombreux écrits de Sénac sur l’art algérien et les manifestations culturelles organisées avant et après l’indépendance.

96 Cette hypothèse est émise par Guy Dugas, spécialiste des expressions minoritaires dans le monde arabo-musulman, dans la préface de l’ouvrage Jean Sénac Visages d’Algérie. Regards

sur l’art, op.cit, p.7. Cet ouvrage rassemble bons nombres des écrits sur l’art de Sénac dont

certains sont inédits, découverts par Hamid Nacer-Khodja dans certains fonds d’archives institutionnels tels que le Fond Sénac de la Bibliothèque Nationale d’Algérie ou la Bibliothèque Municipale de Marseille.

97 Peintre algérien actif dans la région d’Oran dont Jean Sénac est originaire. Augustin Ferrando peint majoritairement des scènes de genre, des natures mortes et des paysages à l’aide d’une palette riche et chatoyante. Ces odalisques et baigneuses voluptueuses le rapproche du courant orientaliste.

98 « Je reçois ce matin votre article et votre aimable mot. Je suis d’autant plus touché qu’ils émanent d’un confrère qui élève la critique au-dessus du plan banal habituel Il serait souhaitable que vous persistiez à servir doublement notre noble métier, les voix autorisées qui instruiraient le public des choses de l’art n’étant pas très nombreuses, hélas. » Lettre de Ferrando à Sénac, daté du 27 janvier 1947, publiée dans Jean Sénac, Visages d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit, pp.44-45.

99 Guy Dugas, « Monsieur Sénac peintre et critique d’art », préface de l’ouvrage Jean Sénac,

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lieu en 1953100, et le nom des participants à la fois d’origine européenne et algérienne montre l’ouverture et la pluralité de l’Algérie voulue par Sénac101. Le texte pour le catalogue de l’exposition débutant ainsi : « La complaisance et l’orientalisme ont fait plus de ravages en Algérie que les invasions de sauterelles. ». Il annonce clairement l’orientation nouvelle des artistes, conscients de la rupture qu’ils provoquent vis-à-vis des productions habituellement présentées en Algérie, sans pour autant les déclarer comme membre « d’une École d’Alger ». Cette exposition reçoit un accueil mitigé102

notamment à l’encontre d’œuvres abstraites de Maisonseul ou Nallard tant du point de vue de l’hebdomadaire Liberté (organe du Parti Communiste Algérien) que de La République algérienne (hebdomadaire de l’Union Démocratique du Manifeste algérien présidé par Ferhat Abbas). En revanche, Le Journal d’Alger lui consacre un article plus favorable, vantant « l’appel du pied à la contradiction103 » lancé par Sénac avec l’organisation de cet événement ainsi que l’intérêt des œuvres présentées (abstraites comme figuratives). À partir de cette exposition, Sénac associe écrits critiques et organisation d’événements artistiques, grâce à l’ouverture d’une galerie.

100 Du 21 au 31 octobre 1953, l’exposition collective du groupe Terrasse à la Galerie Le Nombre

d’or à Alger présente les œuvres de Marcel Bouqueton, Hacène Benaboura, Baya, Louis

Nallard, Maria Manton, Henry Caillet, Jean de Maisonseul, Jean Simian et Sauveur Galliero. Voir « Présentation par Jean Sénac de l’unique exposition collective » dans Jean Sénac, Visages

d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit, pp.120-121.

101 Il se définit lui-même ainsi « Je suis de ce pays. Je suis né arabe, espagnol, berbère, juif, français. Je suis né mozabite et bâtisseur de minarets, fils de grande tente et gazelle des steppes. Soldat dans son treillis sur la crête la plus haute à l’affût des envahisseurs. Je suis né algérien, Comme Jugurtha dans son délit, comme Damya la Juive – la Kahéna ! – comme Abd-el-Kader ou Ben-M’hidi, algérien comme Ben Badis, comme Mokrani ou Yveton [Iveton], comme Bouhired ou Maillot. », Jean Sénac, L’Ébauche du père, Paris, Gallimard, 1989, p.20.

102 Serge Michel, « L’exposition Terrasses à la recherche d’une peinture algérienne », La

République Algérienne, Alger, 10 octobre 1953 / René Duvalet, « Encore la peinture

abstraite ! », Liberté, Alger, 29 octobre 1953 / L.B., « Sélection du "Groupe Terrasses" à la galerie du "Nombre d’Or" », Le journal d’Alger, 28 octobre 1953 in Jean Sénac, Visages

d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit pp.121-126.

103 L.B., « Sélection du "Groupe Terrasses" à la galerie du "Nombre d’Or" », Le journal

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Sénac inaugure la Galerie 54 en avril 1964, à l’angle de la Rue Larbi Ben M’hidi et de la Rue Pasteur à Alger. Malgré la courte durée de son activité104, la Galerie 54 abrite bon nombre d’expositions individuelles et collectives, majoritairement d’artistes en faveur de la « modernité » et du renouvellement artistique en Algérie. La présentation de l’exposition collective inaugurale affirme les objectifs de la galerie : « une galerie de recherche et d’essai en contact permanent avec le peuple. [… dont les artistes] n’exhument pas seulement le visage saccagé de la Mère, mais, dans le plein feu de la Renaissance (La Nahda105), façonnent une nouvelle image de l’Homme dont ils scrutent

inlassablement le Nouveau Regard. 106».

Fervent défenseur du renouveau de l’art en Algérie107, Sénac n’hésite pas à exposer, parfois pour la première fois, de jeunes artistes tels que Martinez108ou Aksouh109. Tous deux loin du réalisme socialiste ou des idées de l’UNAP, n’hésitent pas à produire un art loin de toute instrumentalisation et parfois proche de ce qui peut se faire en Europe. Lors de son exposition personnelle, Martinez propose une série de reliefs peints constitués de matériaux de récupérations (bois, clous, ficelle, grillage, fil barbelé…). Il désacralise l’œuvre d’art en tant qu’objet traditionnellement sur toile en employant des matériaux modestes. À travers des images, voir des signes tirés du répertoire berbère et arabe, les matériaux lui permettent d’évoquer la culture et les croyances populaires

104 La Galerie 54 qui ouvre en avril 1964 est « récupérée » par l’UNAP dès le début de l’année 1965.

105 Nahda signifie « renaissance » en arabe. La Nahda désigne un mouvement intellectuel et culturel actif du début du XIXème siècle au milieu des années 1920 dans le monde arabe et musulman. Il est souvent considéré comme une période de Renaissance de la pensée humaniste (politique, religion, arts…) et de la langue arabe. Sur le sujet voir Leyla Dakhli. La Nahda

(Notice pour le dictionnaire de l'Humanisme arabe), 2012. <halshs-00747086>

106 Jean Sénac, présentation de la Galerie 54, catalogue de l’exposition collective inaugurale, Alger, Galerie 54, 28 avril au 13 mai 1964, in Jean Sénac, Visages d’Algérie. Regards sur l’art,

op.cit, p.164.

107 Ibid.

108 Denis Martinez, catalogue de l’exposition, Alger, Galerie 54, 15-28 mai 1964, Alger, Galerie 54, 1964.

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algériennes et ainsi de redéfinir à sa manière les bases de l’art national en pleine « régénération » depuis l’indépendance. L’usage de matériaux pauvres pour créer des œuvres d’art n’est pas nouveau dans l’histoire de l’art110 mais cet usage connait une

certaine actualité avec le Pop Art et les Nouveaux réalistes qui ont également utilisés des objets de rebus (carcasses de voitures pour César ou contenus de poubelles pour Arman) afin de dénoncer la société de consommation, renouveler la notion d’art et la perception d’« objets » du quotidien. La démarche de Martinez s’inscrit dans la continuité de ces artistes européens célèbres, de même que Aksouh dont les œuvres peintes et sculptures poursuivent le sillon de l’abstraction. L’étude de la ligne et de ses fonctions prédomine dans les œuvres présentées lors de son exposition individuelle à la Galerie 54111. À la recherche de nouveaux talents dont la Galerie 54 serait le « laboratoire d’expérience », Sénac multiplie les opportunités d’exposer pour permettre à cette génération de plasticiens à se faire connaitre112.

La radio algérienne indépendante apparait le 16 décembre 1956, en pleine guerre de libération. « La voix de l’Algérie combattante » (en arabe Sawt al Djazaïr al moukafiha) est transmise depuis la frontière marocaine. Lorsque l’Algérie acquiert son indépendance, l’équipe de « La voix de l’Algérie combattante » s’installe sur le territoire national et crée la première radio officielle algérienne : « Radiodiffusion Télévision Algérienne » (RTA), inaugurée le 28 octobre 1962. Placées sous l’autorité

110 Duchamp et Man Ray utilisent l’accumulation de poussière dans Élevage de poussière (1919), Max Ernst l’assemblage d’objets de bois en pièces détachées dans Fruit d’une longue

expérience (1919) et Kurt Schwitters réalise des assemblages d’objets de récupération comme Merzbild Rossfett (1919) ou l’œuvre réalisée durant son exil en Norvège Bild mit Raumgewächsen ou Bild mit zwei kleinen Hunden en (1920).

111 Aksouh, catalogue de l’exposition, op.cit

112 Sénac décrit le renouvellement artistique en Algérie dès 1963, dans le texte « La peinture algérienne en hélicoptère », Atlas, Alger, N°2, 12 avril 1963, repris dans Le peuple, Alger, 11 janvier 1965, dans Jean Sénac, Pour une terre possible, poèmes et autres textes inédits, Paris, Marsa, 1999, p.317-320 dans Visages d’Algérie, Regards sur l’art, op.cit, pp.153-157 ainsi que dans la préface de l’exposition de la Fête du 1er novembre 1963, Artistes algériens, catalogue de l’exposition, Alger, Salle Ibn Exposition, du 31 octobre au 10 novembre 1963, Alger, Ministère de l’Orientation, Musée National des Beaux-Arts, 1963.

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du Ministère de l’information sur la base du décret du 1er aout 1963, la radio et la

télévision se sont vues assignées une mission de service public113.

Dans ce contexte particulier des années 1960, on peut se demander quel rôle joue la radiodiffusion dans la promotion de la culture en général et des arts plastiques en particulier. Il semble que Sénac encourage artistes et écrivains non seulement en leur proposant des lieux d’exposition mais aussi en présentant leurs textes dans l’émission radiophonique « Poésie sur tous les fronts »114 dont il est l’animateur sur la chaine III de la RTA. D’après les transcriptions réalisées à partir des documents dactylographiés qui constitue le fonds Jean Sénac de la Bibliothèque Nationale d’Algérie, Sénac et ses co- animateurs commentent et réalisent des lectures de textes de poètes et parfois artiste- poètes comme Martinez ou Laghouati (1967)115. Ses lectures sont entrecoupées de pièces musicales éclectiques allant d’Éric Satie aux chants sahariens.

Les textes diffusés dans l’émission de Sénac font partie de la littérature algérienne d’expression française. Malgré la politique d’arabisation mise en place dans les

113 La RTA assure des programmes dans les deux langues nationales que sont l’arabe et le tamazight mais aussi dans des langues étrangères comme le français. Elle est restructurée en 1986, par la création de quatre entreprises indépendantes gérant la radiodiffusion sonore (ENRS), la télévision (ENTV), la production audiovisuelle (ENPA) et la télédiffusion (ENTD). C’est ce système qui prévaut toujours aujourd’hui. L’ENRS jouie d’une autonomie organisationnelle et financière qui lui permet d’améliorer la qualité de la mission de service publique. La Radio Algérienne passe alors du statut d’organisme étatique à celui d’Entreprise publique industrielle et commerciale (EPIC) par décret exécutif n° 91-102 du 20 avril 1991. Sa mission reste « d’informer par la diffusion ou la retransmission de programmes radiophoniques

se rapportant à la vie nationale, régionale, locale ou internationale, la radio Algérienne est chargée également de promouvoir la communication sociale et la protection de l’identité nationale dans toute sa diversité. » Son plan de diversification des programmes lui permet en

2012 de totaliser cinquante-cinq chaînes radiophoniques, dont trois chaînes nationales diffusant en trois langues : la Chaîne 1 en Arabe, la Chaîne 2 en Tamazight et la Chaîne 3 en Français, quatre chaînes thématiques (internationale, musicale tournée vers les jeunes, religieuse, culturelle) ainsi que quarante-huit radios locales. Voir site internet officiel de la Radio Algérienne : http://www.radioalgerie.dz/news/fr/about, consulté le 14 avril 2017.

114 Pour exemples, l’émission consacrée au poète Blas de Otero diffusée le 15 août 1967 retranscrite dans le catalogue de l’exposition Pour Jean Sénac, Alger CCF, 2003, p.385-393, celle sur les poètes et artistes du Groupe Aouchem diffusée le 22 janvier 1968 publiée dans

Visages d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit, p.183-185 ou encore celle dédiée au peintre Angel

Diaz-Ojeda diffusée le 12 août 1968 transcrite dans Visages d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit, pp.195-197.

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premières années de l’indépendance, la littérature algérienne d’expression française est soutenue par Sénac qui estime qu’est « écrivain algérien tout écrivain ayant définitivement opté pour la nation algérienne116 », ce qui n’exclut aucune langue d’expression, y compris le français. A cette époque, la langue française est considérée par certains comme une passerelle vers l’universalité117. Quelle que soit la langue

« choisie », la poésie fait partie de la culture algérienne. Issue de la tradition orale, elle tient une place importante dans les sociétés et l’histoire culturelle du Maghreb. Très présente dans les régions berbérophones et les régions où domine la langue arabe, le poète-conteur (guwwalin) est, à l’origine, celui qui transmet les traditions et l’histoire des tribus. A partir des années 1950-1960, les circonstances historiques font émerger la poésie algérienne de langue française118. Dans le contexte de la Guerre de Libération, les textes (chants, poèmes ou textes plus « historiques ») s’emploient à exalter les vertus des grandes figures de l’histoire antique algérienne tels que Jugurtha, Massinissa ou encore la Kahina119, tous vainqueurs de leur lutte respective, afin de « galvaniser les jeunes, à ressusciter la mythologie du passé et à donner confiance en l’avenir120 ». Certains journaux politiques, tel que le bulletin intérieur de la Jeunesse de l’Union démocratique de Manifeste algérien, publient des poèmes en français qui encouragent le peuple à se soulever121. Mais ce qui caractérise la poésie de cette période c’est son caractère engagé qui en fait presque un genre poétique à part entière. La « Nouvelle

116 Citation publiée dans Abdelmadjid Kaouah, Quand la nuit se brise : anthologie de poésie

algérienne, Paris, Points, 2012, p.13.

117 Abdelmadjid Kaouah, Quand la nuit se brise : anthologie de poésie algérienne, op.cit, p.15.

118 Albert Memmi, « La poésie algérienne d’expression française depuis 1945 », La poésie

algérienne de 1830 à nos jours, Paris, Mouton & Co, 1963, pp.63-85.

119 Massinissa (240-148 avt JC), premier roi de la Numidie unifiée et Jugurtha (154-104 avt JC) son petit-fils illégitime, sont deux rois berbères qui ont lutté tantôt aux côtés, tantôt contre les romains. La Kahina est la reine berbère qui combattit l’invasion arabe. Ces trois personnages tiennent une place importante dans l’imagerie et les différents récits diffusés en Algérie.

120 Albert Memmi, « La poésie algérienne d’expression française depuis 1945 », op.cit, p.55.

121 Le poète Souk Ahras écrit : « Debout jeunes Algériens ! / Esclaves d’aujourd’hui, libres de

demain, / Les destinées de l’Algérie sont entre vos mains. / A l’horizon le soleil se lève, / La République algérienne n’est pas un rêve… » dans Albert Memmi, « La poésie algérienne

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Littérature algérienne » ou la « génération de 1954 » est évoquée par Henri Kréa et exalté par Mohammed Dib122. Le rôle de Sénac dans la promotion des jeunes artistes et écrivains est décisif et de nombreux artistes lui en sont reconnaissants123. Comme Sénac en est l’exemple, les moyens mis en place pour développer le secteur culturel semble davantage résulter des protagonistes (écrivains, comédiens, musiciens, artistes plasticiens...) que des structures artistiques124. Sénac fut entre autres, le parrain du Groupe Aouchem, un des premiers groupes d’artistes qui revendiquèrent un détachement des orientations plastiques instaurées par l’UNAP.

Face aux représentations de soldats héroïques et aux scènes de bataille, des artistes se détachent peu à peu de l’UNAP pour poursuivre leur propre voie picturale. La volonté commune de la plupart de ces artistes est de produire un art algérien à part entière, justifiée par la tendance nationaliste du contexte de la fin de « Guerre de libération nationale125 ». Mais le manque d’ouverture de la toute relative « révolution culturelle » pousse certains artistes à refuser une vision de l’art trop anecdotique, commémorative ou paradoxalement tournée vers l’orientalisme, alors que la tendance depuis l’indépendance est au refus de tout apport européen. En Algérie, un débat apparait au

122 « Toutes les forces de création de nos écrivains et artistes, mises au service de leurs frères

opprimés, feront de la culture et des œuvres qu’ils produiront autant d’armes de combat. Armes qui serviront à conquérir la liberté » citation de Mohammed Dib citée par Jean Sénac dans Entretiens (sur les lettres et les arts), février 1957, p.65, référencé dans Albert Memmi, « La

poésie d’expression française », op.cit, p.63.

123 « Un certain nombre d’écrivains et de peintres doivent tout à Jean Sénac : leur vie, leur

talent, et leur courage. » Rachid Boudjedra, « Jean Sénac, une poésie debout », in Révolution Africaine, N°1282, Alger, 23 septembre 1988, p.62, repris, avec des variantes in Lettres algériennes, Paris, Grasset, collection « L’autre regard », 1995, p.73.

124 Mohammed Khadda évoque ce phénomène dans un entretien publié dans Grand Maghreb, n°46, 03 février 1986 : « […] on a voulu une révolution industrielle, une révolution agraire et une révolution culturelle. […]il y a eu un développement extraordinaire du point de vue de l’industrie, puis […] de l’agriculture et nous, nous avons été un peu les parents pauvres. En fait tout le bouillonnement culturel qu’il y a eu venait des producteurs de cultures eux même, aussi bien des écrivains que des peintres, des musiciens, des comédiens. »

125 Entre 1954 et 1962, le conflit qui opposa l’administration française coloniale aux partisans de l’Algérie indépendante est, dans un premier temps, qualifié « d’événements d’Algérie » par l’administration française puis, plus tard, de « Guerre d’Algérie » par les historiens français. Mais du côté algérien, on parle plus largement de « Guerre de Révolution », de « Révolution nationale » ou de « Guerre de libération nationale ».

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sein du milieu artistique sur la nature même de l’art, notamment à travers la forme qu’il peut prendre126. Tant en France qu’en Algérie, les années 1960 marquent une rupture entre les médiums traditionnels et les nouveaux modes d’expression que sont les créations utilisant des matériaux divers, insolites et souvent étrangers au champ

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