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Après l’effervescence d’Aouchem, Martinez entreprend progressivement un tournant dans sa façon de créer, tout en maintenant très présentes les préoccupations esthétiques et les grandes lignes de sa conception de l’art contemporain algérien. Le changement

239 Jean-Bernard Moreau, Les grands symboles méditerranéens dans la poterie algérienne, op.

cit., p.14.

240 Ibid., p.85.

241 7 murs revisités Mkerbech be niya safia. Cherche lieux humains, op.cit, p.18.

242 Jean-Bernard Moreau, Les grands symboles méditerranéens dans la poterie algérienne, op.

cit. p.151.

243 7 murs revisités Mkerbech be niya safia. Cherche lieux humains, op.cit, p.12.

244 Rare sont les artistes européens à envisager l’art et l’écriture sous cet angle. On peut tout de même citer Victor Brauner dans cette voie entre 1939 et 1945.

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s’opère dans le traitement des couleurs qui deviennent plus vives ainsi que dans la composition et la facture. L’artiste change également de technique, passant du relief peint à l’huile sur toile, un médium plus classique. Moins préoccupé par la question d’identité nationale, son identité personnelle sera en revanche toujours source de questionnements. Le personnage, reflet de l’artiste dans les œuvres devient récurent, souvent fondu au décor constitué de points et de formes courbes, en contraste avec les angles de la géométrie des motifs traditionnels berbères. Le signe du point, du cercle et de l’arabesque prend le dessus sur le personnage comme dans L’Étoile bleue (Fig. 115) de 1969 ou Tais-toi (Fig. 116) de 1970.

Puis, sa première exposition rétrospective à la Galerie des Quatre Colonnes d’Alger en 1976245, correspond à une remise en question de son travail vers plus de « maturité » picturale. Un article de presse de l’époque considère le travail de Martinez comme étant le reflet de la révolution socialiste en action sous la présidence de Houari Boumediène. L’auteur lui confère aussi une dimension humoristique et dénuée de sentimentalisme. « Mais l’artiste par une telle œuvre puissamment illustrée, au sentimentalisme banni dans ce schéma dramatique n’empêche pas l’humour mais l’humour ou le rire se crispe. […] elle est combat contre la médiocrité, elle est argument pour la connaissance, elle est œuvre d’avant-garde car elle ne s’arrête pas à l’anecdote, à l’esthétique. […] En réalité l’exposition actuelle est un hymne plein d’harmonie au monde du travail, de la lutte, qui agit dans le sens de notre Révolution socialiste, motivation essentielle qui doit guider tout artiste algérien qui en vit en pleine actualité et le dynamisme».

Martinez réalise Fécondité (Fig. 117), qui constitue une sorte de renaissance et un point de départ pour les œuvres suivantes246. Cette toile permet également d’observer une évolution du trait et de la composition plus complexe par l’enchevêtrement des motifs géométriques, placés sur plusieurs lignes souples, verticales et horizontales. Cet

245 Denis Martinez, catalogue de l’exposition, Alger, Galerie des Quatre colonnes, 16-30 mars 1976. Ce catalogue est constitué de poèmes de Tahar Djaout, Hamid Tibouchi et Abdelhamid Laghouati, de la liste des œuvres exposées et d’un recueil poétique de Martinez intitulé « Poèmes ». Il n’y a aucune reproduction d’œuvres.

246 « C’était la confirmation de la naissance de quelque chose. Un embryon », Rétrospective

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enchevêtrement annonce la fin (temporaire) de l’utilisation du signe berbère à la faveur de l’écriture arabe dans les œuvres de Martinez entre 1970 et 1980. L’évolution est remarquable par le personnage clairement détaché du fond et par le contraste de couleur dans Les Trois férocités de l’ancêtre (1972) et Fécondité (1976) où le personnage est fondu dans le décor. Les toiles qui suivent utilisent l’écriture pour diluer le personnage dans le foisonnement de motifs ou l’arrière-plan.

À la fin des années 1970, Martinez entreprend une réflexion sur ses origines et effectue un voyage en Andalousie, sur la trace de ses ancêtres : « D’où je viens en peinture ? »247. Après avoir largement utilisé les signes berbères comme source d’inspiration, il

choisit l’écriture arabe et l’art de la calligraphie pour structurer ses motifs. Le signe se métamorphose en écriture, liée à ses questionnements identitaires. « C’est d’abord intime, personnel, une pierre sur mon chemin, une balise. Une période de ma vie où j’ai voulu me réapproprier le patrimoine de mes origines.248»

Entre 1979 et 1982, quelques œuvres se démarquent par la prégnance de la calligraphie arabe. Il s’agit de la série Douloureuse identification (1979-1980), des dessins préparatoires L’Alphabet du cri (1979), et de Je viens d’une blessure (1982). Martinez amorce la première série de cinq huiles sur toile, avec l’œuvre Douloureuse identification N°1 (Fig. 118). Un certain nombre d’éléments nouveaux caractérisent ce tableau. Les couleurs sont plus vives, l’utilisation du bleu touareg apporte une profondeur à l’ensemble, tout en mettant en avant la figure du personnage par le contraste du jaune et du rouge. La composition est construite sur deux fortes diagonales dirigeant l’œil au centre du tableau. La grande rosace, inspirée des décors des édifices andalous, est soutenue par deux lignes horizontales (représentant une frise végétale, elle aussi issue du répertoire architectural andalou) et la verticalité du personnage. La calligraphie arabe est visible sur son buste, le faisant alors disparaitre à la faveur de l’écrit. Placées au milieu d’un foisonnement d’éléments graphiques, les inscriptions sont

247 Nourredine Saadi évoque le journal de bord D’où je viens en peinture ? dans son ouvrage :

Denis Martinez, peintre algérien, op. cit. p.55, mais nous n’avons pas réussi à trouver ce

document dans les archives de l’artiste.

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cependant difficiles à lire. Créer un personnage au moyen de l’écriture s’impose alors un choix cohérent de la part de Martinez.

L’évolution du signe vers l’écriture peut se percevoir également dans la pratique artistique de Khadda. Mais contrairement à Martinez, on ne peut presque jamais lire clairement des caractères d’écriture. Si l’on effectue un panorama des œuvres de cet artiste très prolifique, on peut observer une évolution des motifs partant de signes et compositions déstructurées des années 1960 pour tendre vers des motifs plus proches des arabesques de l’écriture arabe dans les années 1980. Des œuvres telles qu’Alphabet libre (Fig. 119) ou Bivouac de 1961, présentent des signes non-identifiables comme un système graphique conventionnel, plus ou moins fondu dans l’arrière-plan. Ils parcourent aléatoirement l’espace de la toile sans que le regardant puisse en déchiffrer le sens. Chez Khadda, dans les années 1970, le signe s’individualise et se détache plus clairement du fond comme dans les œuvres J’ai pour totem la paix (Fig. 120), Au terme de la moisson ou Tendre et féconde comme l’humus des plaines. Il est parfois accumulé de façon linéaire, telle une phrase courant sur la toile dans Diwan pour El Wasiti (Fig.

121), ou Reflet des ronces, ce qui annonce la dernière phase d’évolution. À la fin de sa

carrière, Khadda rend l’écriture arabe presque lisible. Les signes sont tantôt regroupés (comme peut l’être parfois la calligraphie figurative) et clairement détachés du fond par contraste coloré comme dans La Lettre et le chant (Fig. 122), tantôt liés linéairement, formant une ligne continue comme en témoigne Sahel sous le vent ou Remparts de Koufa (Fig. 123), tous deux de 1989. Le chef-d’œuvre Les Casbahs ne s’assiègent pas est la synthèse de l’évolution du style de Khadda. Débuté en 1960, ce tableau aux dimensions monumentales ne fut achevé qu’en 1982. On peut y voir à la fois la déconstruction du motif dans l’arrière-plan représentant la casbah d’Alger, et la synthèse qu’il fait de l’écriture arabe dans le motif qui pourrait être un navire au premier plan.

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2.

Détourner l’écriture arabe pour atteindre l’abstraction

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