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1 « L’École du Noûn » : le signe pour motif

Le terme d’« École du Noûn » est utilisé pour la première fois par Sénac dans le catalogue de l’exposition de Mohammed Khadda à la Galerie L’œil écoute de Lyon en 1964216. Si le terme « Noûn » désigne une lettre arabe correspondant au son « na », l’« École du Noûn » est traditionnellement traduite comme « École du signe ». Cette école se situe, selon Sénac217, dans la continuité du mouvement de la Nahda. Le terme « Nahda », que l’on peut traduire par éveil ou renaissance, désigne un mouvement intellectuel et culturel actif dans le monde arabe et musulman principalement au XIXe siècle218, caractérisé par un retour à la tradition des textes anciens associés au mythe de

216 Jean Sénac, préface du catalogue de l’exposition de Mohammed Khadda, Lyon, Galerie L’Œil écoute, in Jean Sénac, Visages d’Algérie. Regards sur l’art, Textes rassemblés par Hamid Nacer-Khodja, Paris, Paris-Méditerranée, Alger, EDIF 2000, 2002, p.180.

217 Jean Sénac, texte de l’inauguration de la Galerie 54 à Alger, 1964, dans Jean Sénac, Visages

d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit, p.166.

218 « Il [le terme Nahda] désigne par extension et plus précisément sous le vocable devenu courant de ‘asr al--nahda une période d’effervescence liée notamment au développement de centres d’édition dans la région. Cette période s’étend du début du XIXe siècle a la fin de la Première Guerre mondiale. Ses bornes chronologiques ne sont pas fixes et varient selon les auteurs, et selon qu’ils incluent le ≪moment national ≫ dans la Nahda. La nahda se définit tout au long du XIXe siècle autour de deux polarités : d’un côté, l’essor de la puissance européenne, sa présence de plus en plus forte et marquée, notamment dans le bassin méditerranéen : expédition d’Egypte, conquête de l’Algérie, intervention européenne en Crimée, au Liban, etc. et, en retour, le déclin de l’Empire ottoman ; de l’autre, la (re)découverte des textes anciens, la constitution d’un imaginaire de l’Age d’or du monde arabe autour des empires omeyyades, abbassides et de l’Andalousie perdue. Ainsi, la modernité que les Nahdaoui projettent se définit par une conciliation entre la science moderne et le retour à la tradition de l’ijtihad classique, auquel les développements politiques et la décadence culturelle avaient mis un frein. » Leyla Dakhli. La Nahda (Notice pour le dictionnaire de l'Humanisme arabe). 2012. <halshs- 00747086>

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l’Age d’or arabe. Dès lors, il s’agirait de « la nécessité d’une réforme de fond du monde islamique pour résister aux pressions colonisatrices occidentales 219».

Concernant l’« École du Noûn », Sénac parle clairement de l’inspiration du signe millénaire qui a perduré jusqu’au XXe siècle : « Le Signe, remontant les siècles, des douars reculés, du chant des meddahs témoigne de la permanence au Maghreb de ce qu’on pourrait appeler l’ « École du Noûn ». 220 » Sénac, toujours proche de la jeune

création artistique algérienne, est inspiré par la production de cette « École du Noûn » dans sa pratique littéraire221. Il évoque à la fois le Noûn et l’« École du signe » dans un

texte222 de 1970, nommant alors Benanteur, Khadda, Aksouh, Akmoun comme faisant

partie de cette tendance. Puis dans une version augmentée publiée en 1971, il ajoute les noms de Baya, Martinez, Issiakhem et Zerarti. Sur les huit artistes sus mentionnés, cinq font partie du groupe Aouchem, mais Benanteur (Fig. 82) et Khadda (Fig. 83) sont considérés comme les figures tutélaires de cette « école » qui n’est pas régie par un texte théorique indiquant une ligne directrice à suivre et ne constitue pas de regroupement formel d’artistes travaillant ensemble. Il s’agit plutôt d’une idée commune entre plusieurs plasticiens, singuliers et indépendants dans leur point de vue, mais qui articulent leur pratique artistique autour du signe, à la fois présent dans les arts populaires (comme pour Aouchem) et les arts islamiques dont fait partie la calligraphie arabe (comme Khadda par exemple). Les membres d’Aouchem envisagent le signe comme référence iconographique, historique et esthétique (en le faisant apparaitre

219 Nicolas Delalande, Thomas Grillot, Pouvoir et passions en terre d’Islam. Entretien avec

Jocelyne Dakhlia, publié dans www.laviedesidees.fr, le 28 février 2014.

220 Jean Sénac, catalogue de l’exposition de Mohamed Khadda, Lyon, Galerie L’œil écoute, dans Jean Sénac, Visages d’Algérie. Regards sur l’art, op.cit, p.180.

221 Le Noûn est la lettre arabe qui engage mystérieusement une sourate du Coran et dont la

forme mythique, ouvre sur le Signe des Deux terres. « Diwan du Noûn », in Avant-Corps, précédé de Poèmes iliaques et suivi de Diwan du Noûn, [Paris], Gallimard, 1968, repris in Œuvres poétiques complètes, [Arles], Actes Sud, 1998, pp.505-536, cité dans Hervé Sanson,

« Jean Sénac, citoyen innommé de l’Ailleurs », Insaniyat, 32-33 | 2006, p.127-139.

222 Jean Sénac, « Abdallah Benanteur et la peinture algérienne », Visages d'Algérie, op.cit, p.189-191.

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parfois clairement dans les œuvres223) mais l’écriture reste concrète et lisible lorsqu’elle intègre la composition. En revanche, Aksouh ou Khadda sont inspirés par les lignes et courbes de l’écriture, travaillées et modelées sous leur pinceau, ce qui génère des signes. Benanteur224 réalise des œuvres abstraites où le signe est fin et subtil. Sénac parle de ces deux amis en ces termes : Khadda engage le Noûn dans son dépassement lyrique, Benanteur le ramène à son point de minutie. Avec eux l’Ecole du Noûn débouche sur une métaphysique »225.

Malgré des divergences stylistiques, les artistes de l’« École du Noûn » maintiennent vivante la tradition du signe dans leurs créations contemporaines.

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