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Internet : nouveau musée ouvert au monde

En Algérie, les artistes doivent évoluer dans une société où leur statut passe souvent au second plan. Il est alors difficile d’exister sans avoir la possibilité d’exposer et de se faire connaitre. Cependant, le développement considérable des réseaux sociaux permet aux jeunes artistes algériens de se faire connaitre localement et par-delà des frontières nationales. Ils utilisent internet comme moyen de communication mais aussi comme « galerie » en publiant régulièrement leurs œuvres ainsi que les étapes de leur élaboration498.

Douibi utilise régulièrement les réseaux sociaux pour partager son actualité artistique et ses performances. Le projet Cuba con Lait-Che fut publié depuis la réalisation du triptyque et la confection du costume de l’artiste, jusqu’aux deux expositions qui présentèrent son travail et au jour de la performance dans les rues algéroises. Ce projet est réalisé à la suite de sa résidence à Cuba puis présentés lors de l’exposition Tropique du Cancer499. Douibi perçoit certaines similitudes sociales entre les deux pays que sont Cuba et l’Algérie. Elle est aussi marquée par trois mots : le lait, le cigare et le peso500. Le lait pour son importance dans la consommation courante en Algérie, le cigare pour « le symbole de force et de supériorité [qu’il représente]...Un élément indispensable du

498 Sur le rôle d’internet voir : Nicolas Hubé, « Internet : espace de renouvellement et d'élargissement des idées? », dans Christophe Charle, Laurent Jeanpierre, La vie intellectuelle

en France. 1914 à nos jours, Paris, Seuil, 2016, pp.501-506 ; Patrice Flichy, L'imaginaire d'internet, Paris, La Découverte, 2001. Voir aussi les pages Facebook de Souad Douibi :

https://www.facebook.com/PerformerArtisteDZ/; Walid Bouchouchi :

https://www.facebook.com/walid.bouchouchi et L’Homme Jaune :

https://www.facebook.com/lhommejaune/

499 Exposition réalisée à la suite d’une résidence croisée entre Cuba et Alger. Elle présente le travail des artistes algériens partis à Cuba pendant les dix jours de la résidence mais aussi des trois artistes cubains venus travailler à Alger. Tropique du Cancer, Agence Algérienne pour le Rayonnement Culturel (AARC), Alger, Dar AbdelTif, 26.12.2015 au 25.01.2016 puis Alger, Musée Bardo, 15.05-15.06.2016.

500 « C'est un jeu de mot [le titre de l’œuvre] et dans ce travail, je fais référence à trois mots qui m'ont marqué à Cuba : le lait, le cigare et un peso. C'est un travail qui est en relation avec notre société algérienne aussi car je peints une réalité de deux pays, l’Algérie et Cuba. » Entretien écrit avec l’artiste, 13.11.2015, archives Camille Penet-Merahi.

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POUVOIR.501 » Elle s’en inspire pour la réalisation de son œuvre Cuba con Lait-Che502 constitué de trois toiles. Mis en regard des peintures parcourues elles aussi par l’écriture, l’artiste - dont le visage et les mains sont peints en doré – est le reflet du personnage féminin des tableaux. La performance Dinar, 7lib, Cigare503e consiste à déambuler dans les rues du centre d’Alger vêtue de son costume et d’observer grâce à un photographe les réactions des gens. Toutes les étapes du projet sont publiées et permettent de suivre le processus créatif de l’artiste504.

Certains prennent des pseudonymes comme Ameur, plus connu sous le nom de L’Homme Jaune ou Bouchouchi alias Akakir (qui signifie « les épices »). Ces deux artistes utilisent tous deux l’écriture dans leurs œuvres et ont également en commun une formation en Design (design graphique à l’École des Beaux-arts d’Alger pour Bouchouchi et design d’environnement à l’École des Beaux-Arts de Mostaganem pour Ameur). À partir de 2013, les deux artistes publient régulièrement leur production sur leurs pages respectives des réseaux sociaux, sans porter mention de technique ou de dimensions505. Cela permet une diffusion plus large à leurs œuvres et leur offre par la même occasion un espace d’exposition aux « dimensions » potentiellement exponentielles. Bouchouchi réalise des visuels fortement emprunts par sa formation de designer graphique en s’inspirant du pop art américain506, adapté à la culture populaire

501 Commentaire de l’artiste lors de la publication d’une photo sur sa page Facebook.

https://www.facebook.com/PerformerArtisteDZ/photos/a.1416466708597519.1073741828.1416 446588599531/1744332459144274/?type=3&theater, consulté le 26.11.2018.

502 Souad Douibi, Cuba con Lait-Che, triptyque, 2014.

503 Le dinar est la monnaie algérienne, 7lib signifie « lait » et cigare est la reprise de cet objet emblème de Cuba.

504 Voir page Facebook de Souad Douibi :

https://www.facebook.com/PerformerArtisteDZ/photos/a.1416466708597519/16727961296312 41/?type=3&theater, consulté le 26.11.2018.

505 On considère qu’au vu de leur formation, lorsque ces informations ne sont pas mentionnées, il s’agit probablement d’images réalisées numériquement et non d’œuvres dessinées ou peintes sur un support indépendant.

506 Il participe à l’exposition Pop Art from North Africa, 21.09-03.11.2017, Londres, P21 Gallery.

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algérienne. Il définit son travail ainsi : « Akakir n’est pas forcément un concept dans le sens où ce n’est pas un style graphique seulement. Je dirais que c’est un travail qui renvoie à une certaine fibre identitaire quasi-nécessaire l’approchant d’une vision plutôt nostalgique, et ce, à travers des images iconiques507 ».

L’écriture intègre la dimension visuelle pour faire référence à des formules populaires comme Digage ! (Fig.319) ou Normal. Il reprend des images religieuses populaires qu’il détourne508 telle que l’enfant en prière ou une sourate du coran qui accompagne

des mains en orante. Certaines images ne sont constituées que de textes en lien avec un fond graphique dont un élément est reproduit à l’infini. Il y a alors un lien étroit entre le texte et l’image. On peut citer les œuvres où l’on peut lire Fakhamatouhou (Les sous son excellence) (Fig. 320), sur fond de liasses de billets pour critiquer la société de consommation et la corruption, Nike libess takhlidi (Nike habit traditionnel) (Fig. 321) écrit sur le logo de la célèbre marque de chaussure de sport pour dénoncer la pratique fréquente de la contrefaçon en Algérie par l’image d’une sandale, Agu’od (Assis) (Fig.

322) qui reprend le visuel du petit tabouret utilisé par les algériens pour s’assoir dans la

rue ou le mot Harraga (voyageur clandestin) (Fig. 323) accompagné de bateaux de papier sur fond bleu, qui désigne les candidats à l’exil par la mer. L’écriture est donc un moyen de dénoncer certaines caractéristiques sociétales en langue arabe dialectal propre à la culture populaire. En revanche, Ameur est aussi influencé par le Pop Art américain dans son travail critique autour de l’Homme Jaune mais il réalise aussi des œuvres signées de son vrai patronyme où l’écriture tient une place importante comme élément graphique. Dans Les Affamés (2014) un court texte en français est inscrit aux côtés des personnages à la bouche béante. Il utilise l’arabe dans L’Art du peuple pour le peuple (2015) les personnages sont « noyés » au milieu de l’écriture arabe linéaire et dense. Le changement de langue est peut-être favorisé par le sujet traité. La dernière œuvre, collée

507 Entretien de Walid Bouchouchi alias Akakir avec Yasmine Zidane pour Vinyculture : https://www.vinyculture.com/a-la-decouverte-de-akakir-par-walid-bouchouchi/, publié le 05/08/2013, consulté le 23.02.2015.

508 « Dans mon travail, je cherche à m'approprier le message véhiculé par ces images, de profiter de leur célébrité pour les détourner en isolant l'iconographie populaire qu'elles constituent. » Djawed Belkhodja, « Walid Bouchouchi Invasion », Quotidien El Watan,:

https://www.djazairess.com/fr/elwatan/476814 mis en ligne le 06.11.2014, consulté le 23 février 2015.

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dans l’espace public est signée L’Homme Jaune avec un hashtag pour sa page Facebook, ce qui montre qu’il souhaite explicitement sa faire connaitre par l’intermédiaire de ce nouveau média.

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