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Pendant la période étudiée (1962-1988), Mesli s’intéresse particulièrement à la figure de l’ancêtre (Ancêtre bleu, Ancêtre cavalier, Défilé des ancêtres, Ancêtre, Ancêtre éponyme, Le Retour des ancêtres) puis de la femme (Femme scorpion, Femme, Trois femmes, Femme Tassili, Elles sont là, L’Envoutée, Femme composition, Hommage à Tin Hinan, Femme nuage doré…).

Les personnages de l’ancêtre et de la femme deviennent figures anthropomorphes, simplifiées dans les œuvres de Mesli. Leur corps, dont la ligne tantôt anguleuse comme la statuaire africaine tantôt voluptueuse comme l’arabesque propre aux arts islamiques, sont toujours anonymes et semblent figés dans une image constituée de signes et motifs géométriques et colorés. Certaines œuvres rappellent l’art rupestre préhistorique avec des tons ocres et des traits simplifiés comme Femme Tassili (1983) ou Hommage à Tin Hinan (1986), nom d'une reine berbère de la région de l’Ahaggar. Son nom signifie « celle des campements ». La légende raconte que native du Maroc, elle arrive dans l’Ahaggar avec sa servante à une époque immémoriale, livre bataille aux Isebetten, peuple « d’idôlatres » vivants dans les Mont de l’Atakor, et réussi à les tenir en échec. Elle devient alors la reine de l’Ahaggar et entre dans la légende comme étant la reine guerrière. Son souvenir reste très fort en Algérie, surtout pour la communauté touarègue.178. Le respect de Mesli pour ce personnage179 souligne son intérêt pour

178 En 1925, une campagne de fouilles archéologiques franco-américaine dirigée par Maurice Reygasse et Byron Prorok, mettent au jour une construction aux dimensions monumentales à Abalessa. Plusieurs salles sont découvertes, dont une chambre funéraire contenant le squelette d’une femme parés de bijoux. Il n’est pas attesté avec certitude qu’il s’agit de la dépouille de la reine berbère mais cet édifice de pierres sèches fut à l’époque identifié comme le potentiel

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l’histoire ancestrale de son pays. Pour sa part, Issiakhem traite également largement le thème de la femme et insiste sur la figure maternelle en particulier180 avec Fayrouz (1983). Le champ lexical de la femme est aussi employé : La Femme sauvage (1967), Mère et enfant (1983), Femme sur poème (1985), Femme et mur (n.d.) etc.

Khadda se démarque par la multiplication des titres autour du champ lexical de l’olivier. Cet arbre millénaire au tronc tortueux inspire l’artiste au point de le représenter dans plus d’une douzaine d’œuvres, huiles sur toile, gravures et aquarelles181 entre 1954 et

1986. La nature fait partie des thématiques communes à Khadda, Mesli et Martinez. Le champ lexical est alors vaste allant du végétal (Khadda, L’Iode et le thym ou Chuchotement des fougères, 1986 ; Mesli, Sous-bois, 1964), au minéral (Khadda, À la brisure des roches 1977, Pierres suspendues 1987) en passant par le thème de l’eau et de la mer (Khadda, Mécanisme des vagues, 1967, Comme un bateau épousant la mer, 1982 ; Martinez, Les Deux sources, 1972) ou encore du désert (Khadda, Les Sables n’ont pas de mémoire,1971 ou Sahel sous le vent, 1989).

mausolée de Tin Hinan, Mohand Akli Haddadou, Les berbères célèbres, Alger, Berthi Éditions, 2012, p.13-15.

179 En 1990, Mesli consacre une exposition à Tin Hinan, intitulée Mesli. Palimpsestes de Tin

Hinan, catalogue de l’exposition, dates non mentionnées, Alger, Centre Culturel Français, 1990.

Les trente gouaches présentées ne portent cependant pas de titre mentionnant la reine berbère. La figure féminine est au cœur de toutes les œuvres, accompagnée des signe et motifs géométriques africanisants.

180 Malika Dorbani-Bouabdellah consacre une large partie de son analyse aux thèmes de la femme et à la figure de la mère dans les œuvres de M’hamed Issiakhem : Djafaâr Inal, Malika Dorbani-Bouabdellah, M’hamed Issiakhem A la mémoire de…, Alger, MAMA, 2010, p. 65-82. 181 Couple et olivier (linogravure, 1956), Olivier dans le vent (aquarelle, 1969), Olivier nerfs (huile sur toile, 1969), Olivier blanc (huile sur toile, 1970), Olivier foudroyé (huile sur toile, 1970), Anatomie d’un olivier (huile sur toile, 1974), Olivier aube (huile sur toile, 1976), Olivier

ronce (huile sur toile, 1976), Anatomie d’un olivier (encre, 1978), Sur l’olivier (huile sur toile,

1980), Olivier calciné (technique inconnue, 1981), Olivier écorché (huile sur toile, 1986),

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De l’écriture à la pratique poétique

Enfin le thème de l’écriture est présent dans les titres des trois artistes de notre corpus. A nouveau, Khadda se démarque par la diversité de titres évoquant l’écriture :

Alphabet libre (1964)

Écrits sur la buée (1962) Collier de signes (1979) La Lettre et le chant (1980) Signe bleu (1981) Lettre du rivage, (1984) Écrire l’écume (1985) Écrit au jour (1986)

Calligraphie des algues (1988)

Durant la période Aouchem, Martinez réalise la sculpture Point d’exclamation (1967), une œuvre qui reprend le nom d’un des signes symbole du groupe182. Mesli intitule une

toile Magie du signe en 1985, presque vingt ans après Aouchem.

Mais d’autres titres, plus évocateurs, presque poétiques peuvent être remarqués chez Khadda et Martinez. Ainsi Khadda choisit des titres tels que :

Comme un bateau épousant la mer Les Sables n’ont pas de mémoire

182 Le point d’interrogation et le point d’exclamation sont les signes totem du groupe Aouchem. On les voit sur les couvertures des catalogues d’expositions ainsi que peints sur le front et les joues de Martinez, Ben Baghdad et Abdoun sur les photographies d’archives.

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À la brisure des roches La Terre s’offre aux semailles L’Enclos des cigales

Oiseau minéral

Martinez lui intitule ses œuvres Belle comme la lune avec ses enfants, Du haut de sa misère, Quand le ciel s’en va, Les Trois férocités de l’ancêtre, Le Regard de la patience etc. L’écriture poétique n’est pas nouvelle chez Martinez. Jean Sénac l’encourage à écrire dès ses débuts et les archives de l’artistes183 montrent qu’art et poésie ne sont

jamais loin dans sa pratique artistique. En revanche, il ne semble pas que Khadda ait recours à ce type d’écrits dans sa pratique quotidienne c’est pourquoi il est particulièrement intéressant de l’observer dans sa manière d’intituler les œuvres. Seul Martinez se démarque avec des titres constitués de phrases :

Belle comme la lune avec ses enfants (1964)

À l’année prochaine si nous sommes toujours vivants (1966 J’ai quelques dents contre vous (1967)

Tu peux vas-y ! (1969),

Ne t’inquiète pas pour moi (1970) Je viens d’une blessure (1982) Non ce n’est pas un obstacle (1984) Bonjour Monsieur Gaudi ! (1985)

Je prends, je donne, j’envoie, je reçois – série (1986)

183 Coll. Denis Martinez, Marseille.

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Dans tous ses titres, l’artiste s’adresse à quelqu’un et il utilise souvent la première personne du singulier. Les titres de ses recueils poétiques ou publications graphique sont également construits de cette manière (Cinq dans tes yeux !, 1977 ; Non je ne veux pas dire ,1977, C’est peut-être comme ça, 1988).

3.

Redécouverte du tifinagh

Le tamazight est la langue du peuple berbère originellement présent sur le territoire de l’actuelle Algérie. Après l’indépendance, les algériens plurilingues développent ce que Ibtissem Chachou qualifie de « polyglossie ». Le tamazight, matérialisé par l’alphabet tifinagh (Fig. 73) serait alors la langue de la sphère intime. Cela explique en partie pourquoi le français est plus régulièrement utilisé dans les textes théoriques. Khadda écrit Éléments pour une art nouveau184 en 1972, puis Feuillets épars liés qui rassemble bon nombre de ses articles et textes en 1983, Le Manifeste Aouchem est publié dans le catalogue185 de la seconde exposition Aouchem en juin 1967), poétiques (Martinez publie collectivement Cinq dans tes Yeux !186 en 1977 et C’est peut-être comme ça187 en 1988).

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