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Chapitre 3. Privatisation et informalité dans le fonctionnement des camps informels

3.2 Le responsable du camp

3.2.2 Shaweesh et propriétaire terrien : partage de la gestion

Le shaweesh et le propriétaire sont deux acteurs qui occupent un rôle de « responsable » et qui ont un degré plus ou moins grand d’implication dans la gestion des camps. Le propriétaire est l’acteur qui possède généralement le dernier mot sur les décisions prises par rapport au camp, puisque ce dernier est établi sur sa terre privée. Il s’agit donc de l’acteur privé possédant le plus grand pouvoir, puisqu’au final la gestion du camp peut dépendre entièrement de lui. Il peut par exemple nommer le shaweesh, procéder à des expulsions et augmenter le loyer. Voici quelques extraits provenant de l’entretien réalisé avec Nasir, un travailleur humanitaire :

Le propriétaire fait la gestion du camp, puisque l’autre gars est parti.

Maisha, réfugiée syrienne

Oui, si c’est le propriétaire tu ne peux rien faire. Tu ne peux pas, s’il dit « non tu ne peux pas travailler ici », pars. Tu peux essayer de négocier avec lui ou quelque chose du genre, mais il est le propriétaire à la fin. En revanche, le shaweesh tu peux lui imposer plus de stress, tu peux, par l’entremise d’une autre personne, lui mettre de la pression. Mais le propriétaire, c’est très difficile en fait, s’il dit non c’est fini.

Entre 30 et 100 [tentes], le camp est géré par le shaweesh et moins que ça peut-être que le propriétaire aura l’accès ou le temps de faire la gestion.

Nasir, travailleur humanitaire

Cependant, un vide est souvent créé par le fait que le propriétaire n’habite pas toujours à l’intérieur même du camp. Par exemple, un propriétaire peut reléguer plusieurs aspects de la gestion au shaweesh et ne s’occuper finalement que de recevoir les loyers, de fournir des services et de gérer les changements structurels dans le camp. Le propriétaire semble souvent être la personne qui prend les décisions finales en ce qui a trait aux expulsions, au loyer et à l’aménagement du camp. De son côté, le shaweesh est bien placé pour gérer les aspects du camp qui nécessitent une présence permanente sur place, ce qui fait en sorte que cette personne (le shaweesh) se retrouve de facto en position de pouvoir par rapport aux résidents. Dans plusieurs cas, le shaweesh occupe un rôle d’agent de liaison entre différents acteurs (propriétaire, ONG, autorités, etc.). En représentant le propriétaire et étant considéré comme « près » des autorités, il devient associé à ces acteurs et bien qu’il ne possède pas les mêmes

pouvoirs, il se retrouve en position d’autorité à l’intérieur du camp. Ainsi, il possède de plus grands moyens d’action que la plupart des réfugiés. C’est de cette capacité à agir, par exemple en contactant les personnes possédant le pouvoir « réel », que le shaweesh construit un rapport de force lui étant favorable.

Le shaweesh a une autorité virtuelle. C’est une autorité informelle qu’il possède parce qu’il est un homme important, parce que les gens à l’intérieur du camp ont peur de lui. C’est une peur qu’ils ont parce que le shaweesh est en relation avec l’intelligence [agence(s) de renseignement]. C’est la seule raison pourquoi le shaweesh est fort. Le moment où une autre personne aura une relation avec l’intelligence, le shaweesh ne sera plus présent.

Oliver, travailleur humanitaire

Parce qu’ils ont peur de lui, je pense, et parce qu’ils ont créé ce shaweesh. Ils l’ont déjà accepté comme patron, ils ne peuvent pas changer.

Nasir, travailleur humanitaire

On comprend donc qu’il tire son pouvoir du fait qu’il entretient des relations privilégiées avec les acteurs pouvant réellement avoir un impact sur la vie des réfugiés. S’il entretenait seulement des relations avec les ONG, le rapport de force entre le shaweesh et les réfugiés serait beaucoup moins grand (ce qui est le cas lorsque le camp est géré par une ONG). Le fait qu’il communique avec le propriétaire et les autorités, deux acteurs étant en mesure de mettre en application leur pouvoir, augmente ce rapport de force. Le pouvoir du shaweesh dépend donc de son réseau et des relations qu’il entretient avec les autres acteurs, puisque c’est grâce à cela qu’il réussit à augmenter sa capacité d’action. Point important, tous les participants rencontrés ont mentionné la présence d’au moins un shaweesh dans leur camp, ce qui montre qu’il s’agit d’un acteur présent dans une grande proportion de camps. Certains participants ont également mentionné que les camps peuvent être divisés en différentes sections possédant leur propre responsable. Pour terminer, les résidents de ces camps peuvent provenir du même village en Syrie, ce qui fait en sorte que le responsable du camp peut correspondre au chef ou au maire de ce village lorsque les personnes se trouvaient toujours en Syrie. Il peut donc y avoir des similitudes dans la structure de gouvernance des camps informels et celle des communautés syriennes prémigratoires, si les individus ont migré suivant des lignes communautaires.

Un autre acteur étant parfois impliqué dans la gestion des camps est le Cheikh22. Certains

Cheikhs semblent aider financièrement un camp, tandis que d’autres semblent plutôt être une figure d’autorité morale ou religieuse, ce qui leur confère un certain pouvoir dans la résolution des conflits communautaires. Fait intéressant, dans l’un des camps visités dans la région d’Akkar, c’est un Cheikh d’Arabie saoudite qui fixe le prix annuel du loyer pour les résidents. Il s’agit d’un exemple où la gestion du camp ne dépend pas totalement du shaweesh ni du propriétaire, mais d’un tiers acteur. Voici quelques extraits recueillis à ce sujet :

Oui, bien sûr. Il est comme le shaweesh, en fait il possède encore plus d’autorité que le shaweesh. Le Cheikh n’est pas constamment là, mais il est impliqué lorsqu’il y a un conflit.

Le Cheikh est le propriétaire des tentes. Il est un membre de la communauté islamique qui a construit la mosquée. Cette communauté a construit la mosquée et choisi le Cheikh.

Ali, réfugié syrien

Il y a un bon Cheikh, mais le problème est que le shaweesh prie dans la mosquée et qu’il est assez proche de lui, puisqu’ils se voient tout le temps. Alors il suit ce que le shaweesh dit et aussi quand il voit que la majorité appuie le shaweesh.

Farid, réfugié syrien

Oui je ne sais pas si je dirais qu’il gère, mais il [le Cheikh] paie le loyer. Avant il était impliqué dans la gestion et apparemment il avait certaines règles. Je ne sais pas tout à propos de cela, mais c’est pourquoi j’étais là-bas, apparemment il était impliqué, mais maintenant il ne l’est plus, il paie seulement le loyer et l’électricité. Les gens s’organisent un peu par eux-mêmes.

Rafael, travailleur humanitaire

Nous ne payons pas le loyer mensuellement, mais annuellement. Nous payons USD5300 annuellement en loyer pour la terre et le Cheikh est la personne qui décide du loyer. Il paie le loyer pour la terre. […]. Il est en Arabie saoudite.

Mahmoud, shaweesh