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Chapitre 3. Privatisation et informalité dans le fonctionnement des camps informels

3.2 Le responsable du camp

3.2.3 Pouvoir du shaweesh et moyens de pression

Possédant une position de « responsable » de camp, le shaweesh se trouve par le même fait en position de pouvoir par rapport aux individus du camp, puisque ceux-ci se trouvent dans une situation irrégulière (pour la majorité) dans un espace privé. En raison de leur statut politique, qui les rend vulnérables devant les autorités, les réfugiés vivent dans la peur d’être

22 Le Cheikh, en raison de son âge et de ses connaissances (religieuses, scientifiques, etc.), est un homme

respecté par la communauté. Il peut également être une figure d’autorité, un chef (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, 2012).

expulsés, détenus ou même déportés. C’est un des facteurs qui consolide le pouvoir du shaweesh, puisqu’en raison de son rôle d’agent de liaison entre le camp et les autorités, il peut induire une certaine crainte et utiliser ses relations pour maintenir son rapport de force ou appliquer son pouvoir. Parmi les témoignages recueillis, la crainte principale chez les réfugiés est l’expulsion. À maintes reprises durant les entretiens, elle est discutée comme étant une menace planant sur tous les individus, particulièrement sur ceux qui n’arrivent pas à payer leur loyer, qui causent des problèmes ou qui ont de mauvaises relations avec le shaweesh. On retrouve la possibilité d’expulsion dans le discours de tous les acteurs, même chez les acteurs humanitaires, ce qui montre qu’il s’agit bel et bien d’un pouvoir du shaweesh ou du propriétaire, tout dépend de l’implication de ce dernier dans la gestion. En effet, plusieurs participants mentionnent que le pouvoir du shaweesh est plus grand que celui des autres habitants du camp, mais moins grand que celui du propriétaire. Ils mentionnent également que c’est le propriétaire qui, à la fin, décide d’expulser une famille ou une organisation du camp. Les extraits suivants sont tirés d’entretiens réalisés avec des participants réfugiés et humanitaires :

Le propriétaire peut faire quelque chose si quelqu’un ne paie pas le loyer, peut-être. Le shaweesh ne peut pas, il n’a pas le pouvoir de le faire. Les shaweesh d’autres camps peuvent, mais pas dans le nôtre.

Nabila, réfugiée syrienne

Q. Est-ce qu’il [propriétaire] vous menace en disant qu’il va contacter les autorités ? Non, il expulse directement les gens. Des membres de sa famille l’aideront à expulser

les gens du camp

Ali, réfugié syrien

Oui, si je fais quelque chose de mal ou que je cause un conflit avec quelqu’un, je recevrai deux avertissements et le troisième je serai expulsé. Il [shaweesh] est autorisé à faire tout ce qu’il veut.

Amin, réfugié syrien

Ici, à côté de notre centre, le shaweesh a été un problème pour la plupart des tentes et ils [les réfugiés] nous ont rapporté qu’il ne permet pas de bouger les tentes à l’intérieur du camp…il y avait une autre femme à qui il a fait ça, elle n’était pas capable de payer le loyer pour une tente et il voulait l’expulser.

Hannah, travailleuse humanitaire

Ils [les personnes responsables du camp] vont les mettre dehors. Si tu ne paies pas le loyer, il va t’expulser. Le shaweesh ou le propriétaire.

En ce qui concerne les participants shaweesh, leur discours sur leur pouvoir par rapport aux autres résidents du camp est assez uniforme. Voici deux extraits qui témoignent de la façon dont ils perçoivent leur autorité sur l’espace du camp et ses habitants :

Il [le shaweesh] est même responsable de votre présence ici, vous ne pouvez pas seulement marcher ici et parler à n’importe qui, vous devez parler avec le shaweesh en premier et ensuite il vous laissera parler avec les gens. Le shaweesh possède toute l’information en ce qui concerne les résidents ici et il connait tous les petits détails.

Elias, shaweesh

Je peux expulser n’importe quel résident causant des problèmes.

Mahmoud, shaweesh

On remarque tout d’abord que selon les relations qu’il entretient, le shaweesh possède plus ou moins de pouvoir sur les habitants du camp. De bonnes relations entrainent une plus grande capacité à appliquer son pouvoir, ce qui entraine en retour une autonomie moins grande chez les réfugiés et une peur induite chez ces derniers. Certains mentionnent clairement que certains shaweesh ont le pouvoir d’expulser quelqu’un, tandis que d’autres ne l’ont pas. Les réseaux familiaux semblent aussi être un facteur déterminant en ce qui concerne le pouvoir du shaweesh. Plusieurs participants à la recherche mentionnent que les membres de sa famille aident à la gestion du camp ainsi qu’à la consolidation de l’autorité du shaweesh. Les expulsions sont donc des mesures réelles pouvant être mises en place par le shaweesh ou le propriétaire de certains camps. De plus, selon les dires de ces derniers, il semble ne faire aucun doute qu’ils possèdent suffisamment d’autorité pour expulser un résident du camp. D’ailleurs, il est nécessaire de s’intéresser à d’autres extraits, puisqu’il semble que les expulsions ne soient pas monnaie courante dans tous les camps. En effet, plusieurs réfugiés interviewés mentionnent le fait qu’ils n’ont jamais vu personne se faire expulser. Ainsi, on voit que les camps possèdent chacun leur dynamique particulière, ce qui fait en sorte que la situation dans un camp par rapport aux expulsions ne sera pas la même que dans un autre.

Non, cela [expulsion] n’est jamais arrivé. Q. Même pas une seule fois ? Au contraire, le propriétaire est vraiment bon envers nous et envers notre communauté.

Maisha, réfugiée syrienne

Personne n’a encore été expulsé, mais si ça arrive ça serait en raison d’un problème que la personne a causé. S’ils causent des problèmes, alors ils sont expulsés.

Ces extraits montrent que la situation change d’un camp à l’autre. Une des variables soulevées par les participants à la recherche est l’autorité du shaweesh. Celui-ci peut avoir une gestion plus humanitaire ou plus autoritaire selon le camp. Ce ne sont donc pas tous les shaweesh qui possèdent la même autorité ou la même façon de « gouverner » le camp. Il y a un facteur « personnalité » ou « autorité » qui influence les pratiques du shaweesh, facteur qui sera analysé plus en détail dans la section Implantation de projets et négociations de ce chapitre.

Le pouvoir du shaweesh se décompose aussi en plusieurs autres leviers qui peuvent être utilisés pour augmenter son rapport de force. Ce pouvoir est omniprésent dans toutes les sphères de la vie en camp, notamment en ce qui a trait à l’accès aux ressources. On remarque que les conditions de vie du shaweesh sont en général meilleures que celles des réfugiés. Sa position lui permet de jouir d’une plus grande autonomie financière, qui est entre autres liée au fait que le shaweesh possède parfois un magasin, un supermarché ou autres types d’entreprises. Il s’agit en général de la seule personne (avec le propriétaire) autorisée à posséder un magasin, les réfugiés étant pour leur part autorisés à tenir seulement de petits commerces informels à l’intérieur de leur tente, par exemple la réparation de vêtements ou la vente de pièces électroniques. Cette économie informelle omniprésente dans les camps sera présentée plus en détail dans le chapitre 5. On peut donc dire que la position du shaweesh vient avec plusieurs avantages, économiques notamment. Cela fait en sorte que, comme le montrent plusieurs discours des travailleurs humanitaires rencontrés, les shaweesh ont intérêt à conserver cette position.

Même avec l’électricité, la division entre les deux côtés du camp n’est pas équitable. Le shaweesh possède une ligne directe fournie par le gouvernement, mais il la partage seulement avec les membres de sa famille et le Cheikh, et tous les autres doivent s’arranger avec ça.

Amin, réfugié syrien

Le shaweesh et le propriétaire sont les seuls autorisés à avoir des magasins. […]. Nous sommes autorisés à acheter des trucs au marché, qui appartient au shaweesh et au propriétaire. Personne d’autre n’est autorité à ouvrir une entreprise.

Ali, réfugié syrien

Ils sont en général des personnes qui aiment le pouvoir qu’ils possèdent et qui tirent avantage de l’argent qu’ils font. J’ai entendu parler de shaweesh qui ont des Ranger

Rovers stationnés à côté des tentes, des télévisions et toutes sortes de luxes…de

bénéfices. C’est l’image que j’ai des shaweesh et c’est de cela qu’on m’informe.

Parfois je paie, parfois pas. Même si je suis le shaweesh, je dois payer le loyer. Parfois je travaille un peu pour le propriétaire et en retour, il ne me demande pas de loyer pour un ou deux mois. Parfois, il ne me demande pas de payer l’électricité et me demande seulement le loyer. Ça dépend, mais normalement je paie le loyer.

Moutaz, shaweesh

En analysant les extraits concernant les conditions de vie de certains shaweesh, on comprend qu’un plus grand contrôle du camp par cet acteur est synonyme de plus grands bénéfices économiques pour celui-ci. Comme le décrivent plusieurs acteurs humanitaires, qui ont des liens avec plusieurs camps sur une base régulière, la situation économique des shaweesh peut différer considérablement de celle des réfugiés. La possibilité pour le shaweesh d’accumuler de la richesse semble dépendre de la taille du camp et de la méthode de gestion du camp. Comme mentionné par Nasir, le shaweesh est parfois la personne qui loue l’entièreté de la terre avant de la subdiviser en différents lots pour les réfugiés. Ce cas particulier de gestion permet au shaweesh de s’occuper de la collecte des loyers, ce qui fait en sorte qu’il peut terminer l’année avec un surplus en poche, en fonction du montant déterminé pour le loyer. Il s’agit donc d’un type de gestion discuté lors des entretiens, qui démontre le fait que plusieurs shaweesh ont la possibilité d’accumuler beaucoup de richesses. Il ne faut également pas oublier le fait que les shaweesh possèdent plusieurs avantages économiques, comme le fait qu’ils ne paient pas toujours de loyer ou d’électricité, qu’ils peuvent posséder plusieurs tentes à l’intérieur d’un camp et qu’ils peuvent posséder un magasin dans le camp qui rapporte de l’argent.