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Chapitre 1. Revue de littérature et mise en contexte

1.7 Contexte libanais

1.7.1 Fondements de la politique libanaise et démographie

Pour comprendre les enjeux liés à la présence des réfugiés syriens au Liban, il est nécessaire d’étudier attentivement son contexte sociopolitique. En effet, le Liban est un pays où de nombreux groupes confessionnels se partagent le pouvoir selon un système politique très particulier fondé sur le partage proportionnel des sièges au parlement. Le Liban, lors de l’acquisition de son indépendance de la France au début des années 1940, rédigea le Pacte

National de 1943 qui jeta les bases d’une démocratie confessionnelle prévalant toujours à l’heure actuelle (Rigby, 2000). Ce système politique fut cependant modifié dans l’accord de Taëf14 et contesté à diverses périodes, notamment depuis le début du soulèvement de la

population en octobre 2019 (J. Kabbanji, 2019; Rigby, 2000). Ainsi, les sièges du gouvernement furent distribués proportionnellement à la taille de chaque groupe confessionnel selon le recensement de 1932 (Rigby, 2000). À cette date, le recensement montre que 52% de la population est chrétienne (ou confession affiliée) et que 48% est musulmane (Rigby, 2000). En ce qui concerne la taille des différents groupes confessionnels, les Maronites étaient les plus nombreux avec 28,7% de la population libanaise, suivis des Sunnites (22,4%), des Chiites (19,5%), des Grecques orthodoxes (9,7%), des Druzes (6,7%), des Grecques catholiques (5,9%) et des autres confessions (6,9%) (Maktabi, 1999). La division du parlement d’avant-guerre est basée sur ce recensement (six sièges chrétiens pour chaque cinq sièges musulmans) et est représentée par la figure 6.

Figure 5: Résultats du recensement de 1932 montrant le nombre d'individus recensés selon la confession religieuse

Source : (Maktabi, 1999)

14 L’Accord de Taëf fut signé en 1989 dans la ville du même nom, en Arabie saoudite, et fut destiné à mettre

fin à la guerre civile libanaise par l’entremise de la reconfiguration du système politique (Picard et Ramsbotham, 2012).

Figure 6 : Distribution des sièges du parlement libanais entre 1943 et 1960

Source : (Crow, 1962)

En ce qui concerne les changements apportés par l’accord de Taëf sur l’équilibre politique entre les groupes confessionnels, il fixe à 50% la part des sièges dédiés aux élus musulmans et transfert certains pouvoirs du Président de la République (maronite) vers le premier ministre (sunnite) (Picard et Ramsbotham, 2012). Les pouvoirs du Président de la chambre (chiite) sont aussi renforcés. L’accord de Taëf modifie donc le nombre de sièges parlementaires accordés aux groupes confessionnels pour que le système politique soit entre autres plus représentatif de la nouvelle réalité démographique d’après-guerre (Picard et Ramsbotham, 2012). La figure 24, placée dans l’annexe B, montre la répartition des sièges à l’intérieur du parlement selon la confession religieuse. En 2018, on estimait que les musulmans représentaient approximativement 61,1% (30,6% pour les Sunnites, 30,5% pour les Chiites), les Chrétiens 33,7% et les Druzes 5,2% (Central Intelligence Agency, 2020a). Finalement, cet accord accorde à la Syrie la tâche d’assister politiquement et militairement le Liban, ce qui a conduit à plus de 15 ans d’occupation syrienne (Picard et Ramsbotham, 2012). Chalcraft (2009) souligne que :

Ainsi, au Liban, la République arabe syrienne est devenue le gardien incontesté de l'accord de Taif, avec les bénédictions américaines et saoudiennes. Les accords de Taëf ont permis le déploiement de troupes syriennes au Liban pendant une période limitée mais non précisée, et ont rendu obligatoire le désarmement des milices à l'exception du Hezbollah, chargé de la libération du sud de l'ennemi. Les accords ont conservé la structure politique fondamentalement sectaire du Liban, mais ont donné plus de pouvoir aux dirigeants politiques sunnites et chiites, historiquement plus favorables au monde arabe et islamique, en diminuant le mandat présidentiel et en renforçant les pouvoirs du premier ministre sunnite et du Président du parlement chiite [Traduction libre] (Chalcraft, 2009, p. 137).

Le Liban est un pays où la politique et la démographie sont intrinsèquement liées. Comme le mentionnent Kabbanji et Kabbanji, la décision de ne pas créer des camps de réfugiés est « motivée par la peur de voir cette population, à très large majorité sunnite, s’installer de façon permanente et ainsi modifier profondément l’équilibre confessionnel du pays » [Traduction libre] (L. Kabbanji et Kabbanji, 2018, p. 15). Selon un rapport publié par l’International Crisis Group en 2013, 95 % des réfugiés syriens installés au Liban sont musulmans sunnites (International Crisis Group, 2013). Ainsi, cet équilibre, qui d’ailleurs est très différent de celui qui prévalait durant le recensement de 1932 selon les estimations du CIA World Factbook, est donc très fragile. L’arrivée d’une large population palestinienne est un exemple concret des remous politiques qui peuvent être causés par un débalancement du système politique libanais (Turbay, 2015). Comme le note Turbay (2015), il est nécessaire de comprendre l’importance de la dissociation politique des élites du pays en lien avec l’arrivée des réfugiés syriens. En effet, « l’arrivée d’un grand nombre de musulmans réintroduit les préoccupations qui découlent de l’histoire sectaire libanaise » [Traduction libre] (Turbay, 2015, p. 20). De plus, pour Fakhoury, le Liban est un pays où les décisions ont souvent été prises par l’entremise de négociations entre les élites et par des ententes informelles (Fakhoury, 2017). En temps de crise, le système politique est propice à la discordance entre les parties, ce qui mène souvent à une gestion informelle des conflits et à l’immobilisme politique (Fakhoury, 2017). Il est possible ici de faire un lien avec les propos de Janmyr, qui relève que « la crise de réfugiés syriens n’est pas gouvernée par les lois, mais par des décisions gouvernementales » et qu’ainsi, « les lois nationales et les accords bilatéraux ont été continuellement évités » (Janmyr, 2016a, p. 66). Ces concepts sont d’une grande importance pour être en mesure de comprendre la nature de la politique libanaise et de quelle façon cette nature particulière influence la gestion des réfugiés sur le territoire du pays. Bien que la décision de ne pas établir de camps ne relève pas uniquement de la nature de la politique libanaise, il s’agit d’un des facteurs expliquant la « no-policy policy » ainsi que l’apparition de camps « informels ».