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Chapitre 1. Revue de littérature et mise en contexte

1.5 Gestion des réfugiés syriens au Liban

1.5.1 Cadre légal libanais et HCR

Tout d’abord, il faut mentionner que le Liban n’est pas signataire de la Convention relative

au statut des réfugiés de 1951, mais qu’il est en revanche signataire de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 (Rahme,

2020). Ainsi, le gouvernement du Liban n’est pas légalement tenu de garantir aux réfugiés présents sur son territoire les droits inscrits dans la convention de 1951. Cependant, il doit en temps normal respecter le principe de non-refoulement inscrit dans la Convention de 1984, puisque le Liban en est signataire (Rahme, 2020). Dès lors, il est nécessaire de se demander comment s’articule le cadre légal libanais qui entoure et régit la présence des réfugiés sur son territoire. Comme il sera décrit dans la prochaine section, la gestion des réfugiés au Liban est très ambiguë et fut sujette à plusieurs changements depuis l’arrivée des premiers réfugiés syriens en 2011.

Il est nécessaire de savoir que la frontière entre le Liban et la Syrie était, avant l’établissement de la Politique sur le déplacement syrien de 2015, une frontière poreuse favorisant le déplacement des biens et des personnes (L. Kabbanji et Kabbanji, 2018). Comme l’explique Janmyr, « au début du conflit en Syrie, le Liban appliquait largement une politique de "porte ouverte" envers les ressortissants syriens souhaitant entrer au pays, et les Syriens étaient généralement sujets aux mêmes dispositions du droit interne qui s’appliquent aux autres étrangers » [Traduction libre] (Janmyr, 2016b, p. 11). Ainsi, les réfugiés en provenance de la Syrie étaient traités selon les accords déjà en place entre les deux pays, notamment l’Accord bilatéral de 1993 sur la coopération et la coordination économiques et sociales entre le Liban et la Syrie (L. Kabbanji et Kabbanji, 2018). Toujours selon Janmyr, « cet accord énonce les principes de la libre circulation des biens et des personnes, et accorde la liberté de travail, de résidence et d'activité économique pour les ressortissants des deux pays. Depuis le début du conflit syrien, il a également régi l'entrée des réfugiés syriens au Liban via les passages frontaliers officiels » [Traduction libre] (Janmyr, 2016b, p. 11). Finalement, la résidence était gratuite et renouvelable une fois (après six mois, pour un total d’un an) pour les Syriens présentant une carte d’identité syrienne ou un passeport (Janmyr, 2016b). Ainsi, on peut voir que la situation frontalière au début du conflit syrien facilitait les déplacements entre les deux pays, ce qui a permis à plus d’un million de réfugiés syriens d’accéder au territoire libanais avant 2015 et de se prévaloir de la protection offerte par le HCR (UNHCR, 2020e).

Les migrations de travail pré-2011 sont un autre élément clé pour comprendre la gestion des réfugiés syriens au Liban. En effet, dès l’indépendance du pays dans les années 1940, un grand nombre de Syriens en quête de travail ont migré vers le Liban, si bien que ces derniers représentaient environ le tiers de la main-d’œuvre au Liban en 1970 (Chalcraft, 2009; Winckler, 2010). Bien qu’ayant fortement diminué durant la guerre civile libanaise (1975-1990), le nombre de travailleurs syriens augmente à nouveau fortement après 1990, dont la présence au Liban est régie par l’Accord bilatéral sur le travail de 1994 (Chalcraft, 2009; Winckler, 2010). À ce sujet, Chalcraft souligne que :

L’ouverture de la frontière a été renforcée par l'Accord bilatéral sur le travail de 1994, qui a établi des bureaux frontaliers communs octroyant des permis d'entrée et de travail temporaires aux travailleurs saisonniers, qui étaient censés obtenir un contrat de travail écrit précisant entre autres la durée, les salaires, les heures et les vacances. Le contrat

de travail n'était pas une condition du permis de travail à la frontière et, par conséquent, la disposition contractuelle était lettre morte, un point qui devait être clair pour les rédacteurs. Dans la pratique, à la frontière, les travailleurs devaient simplement affirmer (quand ce n'était pas automatiquement supposé) qu'ils étaient des travailleurs saisonniers temporaires. Une carte leur serait alors délivrée et tamponnée. Techniquement, les travailleurs syriens sans contrat contrevenaient à l’accord et étaient donc dans un certain sens illégal, mais dans la pratique, cette illégalité était rarement invoquée, sauf dans les écrits de ceux qui protestaient contre la présence des travailleurs [Traduction libre] (Chalcraft, 2009, p. 141).

Les mouvements migratoires dans l’espace syro-libanais prennent donc racine dans les accords politiques d’après-guerre mis en place entre les deux pays. Chalcraft (2009) nous apprend que l’Accord bilatéral sur le travail de 1994 a grandement facilité l’accès au territoire libanais pour les Syriens désirant travailler. Bien que de nombreux syriens quittèrent le Liban après le retrait des troupes syriennes en 2005, les zones frontalières syro-libanaises n’ont été contrôlées que très récemment (Mouawad, 2018). Kabbanji et Drapeau (2017) notent que le total des entrées et sorties de ressortissants syriens s’établissait à 300 000 mensuellement pour la période 2011 à 2014 (L. Kabbanji et Drapeau, 2017). Les zones frontalières entre les deux pays furent en effet sujettes à des dynamiques politiques particulières et changeantes depuis la création de l’État libanais (Mouawad, 2018). Ces zones, qui comprennent Wadi Khaled, Aarsal, el-Qaa, Chebaa et Barr Elias, ne faisaient pas partie du Mont-Liban6 et furent intégrées au début des années

1920 à l’intérieur des frontières libanaises que l’on connait actuellement (Mouawad, 2018). À ce sujet, Mouawad souligne que :

Au même moment [1920], cependant, ces zones n’étaient pas intégrées économiquement, politiquement et socialement dans l’État libanais et étaient gouvernées à distance. Cette marginalisation et cet abandon par l’État libanais ont pris plusieurs formes. Par exemple, les frontières avec la Syrie n’étaient pas délimitées. En fait, les relevés frontaliers et cadastraux n’ont pas été réalisés, laissant certaines zones sous contestations avec la Syrie (Hamadé et al, 2016). En conséquence, les frontières étaient unilatéralement contrôlées par la Syrie, en particulier lorsque l’armée syrienne était présente au Liban (1976-2005) [Traduction libre] (Mouawad, 2018, p. 5).

Le contrôle des frontières, en l’occurrence par les Forces Armées Libanaises et le Hezbollah, est un phénomène récent (Mouawad, 2018). Le même auteur mentionne

6 Le Mont-Liban est, avant 1920, une « entité politique autonome dominée par les Maronites » [Traduction

libre] (Picard et Ramsbotham, 2012, p. 91). En 1920, lorsque débute le mandat français au levant, l’État du Grand-Liban est créé (Picard et Ramsbotham, 2012). Il inclut le Mont-Liban, le Liban-Nord, le Liban-Sud et la vallée de la Bekaa et d’Hermel, territoires faisant anciennement partie de la province ottomane de Syrie (Picard et Ramsbotham, 2012).

également que ces zones ont subi deux transformations principales depuis 2011, soit l’émergence de « différents degrés de confrontations militaires » et le développement d’un flux de réfugiés pesant sur des infrastructures déjà précaires (Mouawad, 2018). Il s’agit entre autres de deux facteurs ayant mené à la consolidation des frontières libanaises via leur fermeture par les Forces Armées Libanaises, qui dépendent du consensus parmi les dirigeants politiques, et le Hezbollah, qui correspond à un acteur majeur dans le contrôle des zones situées de part et d’autre de la frontière (Mouawad, 2018). Finalement, ces zones peuvent être vues comme un espace syro-libanais dont le contrôle a varié depuis la création de l’État libanais et qui « défie le concept de frontière » [Traduction libre] (Mouawad, 2018, p. 16). Ce territoire est ainsi géographiquement lié à la Syrie, mais marginalisé au sein d’un Liban qui a mis de l’avant le contrôle de ses frontières (Mouawad, 2018). Compte tenu du Memorandum of Understanding (MoU) signé en 2003 entre le Liban et le UNHCR, ce dernier est chargé de traiter les cas de demandeurs d’asile appliquant pour le statut de réfugié (Janmyr, 2018). Cet accord assigne l’enregistrement des demandeurs d’asile au HCR, de même que la détermination du statut de réfugié dans des cas spécifiques (Janmyr, 2018). Le MoU désigne le HCR comme étant l’organisme responsable d’organiser la réinstallation des demandeurs d’asile dans un délai de 12 mois, après quoi les personnes en question ne peuvent plus rester légalement au Liban (Frontiers Center, 2003). Fait pertinent, cet accord ne fait pas mention du principe de non-refoulement qui se doit d’être respecté par le Liban, comme celui-ci est signataire de la convention de 1987 (Frontiers Center, 2003). De plus, l’accord n’adresse pas directement l’enjeu des détentions arbitraires, ce qui fait en sorte que les demandeurs d’asile ne sont pas protégés contre de possibles arrestations ou détentions (Frontiers Center, 2003). Finalement, le HCR est tenu d’envoyer les applications au GSO7, ce qui fait en sorte que les demandeurs d’asile

pourraient faire face à une enquête approfondie et par le même fait, être découragés de s’enregistrer auprès du HCR (Frontiers Center, 2003). Cet accord, bien que le HCR ait tenté vainement de faire accepter une nouvelle version en 2011, est le document régissant les demandeurs d’asile en sol libanais lorsque les premiers réfugiés syriens arrivèrent au Liban à la suite de l’éclatement du conflit en Syrie (Janmyr, 2018). Il est à noter que le

HCR n’offre pas de reconnaissance prima facie du statut de réfugié au Liban, une des raisons étant la réticence du gouvernement à reconnaître officiellement les Syriens s’étant établis au Liban comme « réfugiés » (Janmyr, 2016a, 2018). Plutôt, le gouvernement libanais utilise une autre terminologie pour éviter toutes obligations internationales liées à la reconnaissance du statut de réfugié (Janmyr, 2016a). Dans les LCRP8, les réfugiés syriens sont qualifiés de « personnes déplacées » (Gouvernement du Liban et Nations unies, 2015, 2020).