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Le seuil du panarabisme

CHAPITRE II : LES FACTEURS INTERNES

2.1 Le rôle des élites de gauche

2.1.2 Les seuils

2.1.2.2 Le seuil du panarabisme

Le deuxième seuil qui bloquait plus ou moins l’évolution, et qui était aussi important, était le panarabisme que l’on peut traduire en arabe par El Qawmia El Arabia.

En évoquant les dimensions identitaires du Maroc, le discours du leader de la gauche marocaine, Mehdi Ben Barka fut davantage focalisé sur l’unité du Maghreb arabe et sur l’unité africaine. Il mettait en garde contre les conflits entre « les entités », en mentionnant qu’ils ne servaient que les intérêts du colonialisme. Il militait donc activement en vue d’une unification de l’ensemble des forces de résistance contre le colonialisme et le néo- colonialisme. Il voulait donc transformer le slogan de l’unité en actions concrètes, ce qui explique sa position

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de soutien à « la révolution algérienne » durant la guerre des sables entre le Maroc et l’Algérie en 1963 sans se soucier de l’appartenance au Maroc comme patrie, contrairement à ses camarades au sein de l’UNFP.354

Lorsque l’on s’attarde aux communistes, on constate qu’ils évoluent dans un environnement large avec un penchant vers les tendances nationalistes, ce qui leur a créé des problématiques d’ordre conceptuel par rapport à leur visée internationaliste. En se référèrent à la conception avancée par la Révolution nationaliste démocratique, on constate qu’elle accorde une place centrale à la lutte nationale, alors que l’unité arabe n’est qu’un idéal bourgeois. Il est plutôt question du monde arabe et non de la Nation arabe quand il s’agit de parler d’une véritable unité arabe.355 Il s’agit donc d’une question stratégique à long terme. Cette situation explique

l’embarras des communistes marocains durant les années 70 qui ont réagi par rapport à certains événements au Moyen-Orient en prenant des positions qui allaient à l’encontre des aspirations populaires et les mouvements de libération qui luttent contre l’impérialisme et ses alliés locaux. Il apparaitra par la suite que la dimension nationale primera la dimension internationaliste à tel point que les positions du PPS et de son leader Ali Yata conduiront à de vives querelles avec le parti mère, le Parti communiste français PCF.356

La situation est différente pour le mouvement marxiste-léniniste marocain. L’organisation Ila El Amam, qui a fait scission du Parti communiste marocain, privilégiera l’approche des luttes de classes au détriment de l’approche nationaliste. Sur le plan arabe et international, elle s’identifiera aux mouvements de lutte contre le réactionnisme arabe et l’impérialisme mondial. De l’autre côté, le mouvement du 23 mars qui deviendra par la suite, l’Organisation de l’action démocratique populaire (OADP), a cherché une conciliation entre le nationalisme, le panarabisme et l’internationalisme due à son essence panarabiste. S’appuyant sur la littérature maoïste, il considère qu’aucune unité entre les peuples arabes ni ceux des peuples du monde ne sera construite sans libération nationale de chaque peuple à la fois.357

À ce sujet, Mostafa Bouaziz estime que la difficulté à bien définir le nationalisme arabe représente en soi une barrière et amène la division. Il reste donc du travail à faire afin de s’entendre sur certains concepts de base.

Quand on parle Qawmia Arabia, panarabisme, je ne traduis pas par nationalisme arabe, parce que là aussi, il y a une confusion, et même en arabe, il y a deux mots, il y a El Qawmia et El Watania, c’est une confusion qui n’a pas été clarifiée par la mouvance nationale démocratique. Ce qui fait qu’en fin de compte alors, c’est un peuple arabe, ou des peuples arabes ? Le Parti baâth, on connait sa devise : Une seule Nation arabe, une seule mission éternelle, un seul peuple, une seule armée, une seule langue, etc. Il s’agit du penchant baâthiste, le penchant marxisant, que ce soit le Parti communiste ou le mouvement marxiste- léniniste, ils parlaient des peuples arabes et disaient qu’entre ceux-ci, il doit y avoir une certaine unité, mais

354 Mostafa BOUAZIZ, 2010, op.cit., p. 401. 355 Ibid., p. 401.

356 Ibid., p. 402. 357 Ibid., p. 402.

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sans préciser quelle unité. Est-ce que cette unité ira dans la fusion des peuples dans un seul peuple arabe, ou est-ce que ce sera une fédération ? on n’en a pas parlé.358

Il s’agit alors d’une confusion de taille à ne pas sous-estimer. On constate que la même confusion s’est posée dans le cas du Maghreb, à savoir s’il devait-être un seul pays, ou une seule fédération de pays. Le concept développé par les nationalistes maghrébins en France diffère de celui avancé par leurs homologues au Caire au sein de la Ligue Arabe. L’ambiguïté touche donc les deux concepts.

On n’aimait pas dans cette Ligue surtout avec le Nassérisme le suffixe Maghreb, parce qu’on parlait d’unité du monde arabe, de la Oumma El Arabia, donc les maghrébins ont dit, on va ajouter l’adjectif arabe, le Maghreb Arabe avec même la bénédiction de Mohammed Ben Abdelkrim El Khettabi. On a ajouté le Maghreb Arabe pour dire que cette coalition, que cette unité maghrébine n’est qu’une étape vers l’unité arabe. Mais le fond culturel n’a pas été discuté. Est-ce que c’est une unité fusionnelle qui donnera demain un seul pays, un seul peuple, etc. ? Ou est-ce que c’est une unité fédérale où chaque pays gardera quand même une certaine identité, mais cette identité s’articule à une identité collective qui est l’identité arabe sous forme fédérale. Ce passage à ce jour, n’a pas été fait.359

Sous l’influence des propositions nationalistes, la gauche marocaine comme l’ensemble de la gauche arabe, n’a pas réussi à s’entendre ni à mettre en place un véritable projet émancipateur qui tient compte des autres composantes des sociétés arabes à savoir les minorités ethniques.360 Cette logique d’analyse, explique donc

l’apparition de certains problèmes comme c’est le cas pour les Kurdes et les Berbères. Ce fut aussi le cas par exemple pour le conflit du Sahara occidental. Chaque fois qu’il y a une tendance dans un pays qui demande une certaine spécificité, on la réprime car on n’accepte pas une forme d’unité dans la diversité. L’unité est donc fusionnelle car il y a une seule unité.