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La position de la FGD

CHAPITRE III : LES DIVERGENCES DE LA GAUCHE MAROCAINE

3.3 Divergences autour de la question du Sahara occidental

3.3.1 La position de la FGD

Avant d’aborder les divergences entre les deux groupes sur la question du Sahara occidental, il est essentiel de mentionner que ce conflit alimentait déjà des désaccords au sein du Mouvement marxiste-léniniste marocain depuis l’éclatement du conflit entre le régime marocain et le front Polisario. En dépit de leur référence à la même matrice idéologique et de leur opposition au régime monarchique, le Mouvement 23 mars et l’organisation Ila El Amam ne partageaient pas la même vision sur le conflit du Sahara occidental. Il a alors pris l’initiative de publier un document à Beyrouth au Liban en 1978 sous le titre : Sahara marocain, la position nationale révolutionnaire afin de faire connaître sa position sur la question du Sahara occidental. Le but étant aussi de répondre à ce qu’il appela « la thèse nihiliste » 431 de l’organisation Ila El Amam qui défendait l’idée de l’existence d’un peuple au

Sahara occidental tout en soutenant son droit à l’autodétermination. Le mouvement visait également à faire valoir ses arguments pour le reste des mouvements d’extrême gauche arabe aussi favorable comme Ila El Amam aux thèses du Front Polisario.

430 Dounia HADNI, « Au Maroc, un mouvement islamiste en faveur de la séparation des pouvoirs intrigue », Libération, 13 juillet 2017

[En ligne], https://www.liberation.fr/planete/2017/07/13/au-maroc-un-mouvement-islamiste-en-faveur-de-la-separation-des- pouvoirs-intrigue_1583118

431 Sahara marocain, la position nationale révolutionnaire, organisation 23 mars. Document publié à Beyrouth en 1978 en arabe.

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L’organisation 23 mars jugea la situation inacceptable en réfutant la thèse des marxistes de l’organisation Ila El Amam et en évoquant l’histoire de la lutte anticoloniale menée par des dirigeants sahraouis au début du 20ème

siècle par Cheikh Maa El Ainine et son père Ahmed El Hiba. Ces derniers luttaient pour la libération du territoire du Sahara occidental et du territoire marocain dans son intégralité.432 Le mouvement de lutte anticoloniale qui a

suivi n’est que le prolongement du mouvement de résistance de ces deux dirigeants sahraouis. Le Mouvement 23 mars souligna également que de grandes figures de résistances sahraouies et marocaines se côtoyaient et luttaient côte à côte au sein de l’armée de libération marocaine. Il a alors considéré que la direction du Polisario a trahi l’histoire de la lutte du peuple marocain comme celle de leurs ancêtres sahraouis qui s’identifiaient comme Marocains. Il partage néanmoins la même analyse avec l’organisation Ila El Amam quant à la responsabilité du régime marocain dans l’émergence de ce mouvement indépendantiste au Sahara occidental. En fait, la répression que le régime mena de concert avec les forces coloniales espagnoles et françaises contre les éléments de résistance au sud du pays en 1958 constitue l’un des principaux facteurs de l’émergence du Polisario.

Quant au slogan de l’autodétermination du peuple sahraoui, il a été initié selon le Mouvement 23 mars par le colonisateur espagnol qui a essayé de former un mini-État artificiel et vassal, après avoir découvert de considérables richesses au Sahara occidental. Toutefois, il souligna que l’Espagne s’est rétractée par la suite car elle y était contrainte.433

À propos de cette divergence entre le Mouvement 23 mars et Ila El Amam, Mostafa Bouaziz avance que deux visions du travail révolutionnaire ont fait front sur ce conflit.

La question qui se posait était de savoir s’il faut prendre les textes des maîtres fondateurs, Marx, Engels, Lénine, Moa-Tse-Toung comme des textes immuables et valables dans toute société, ou alors les adapter à une société. Un principe révolutionnaire n’a pas une seule application partout, il faut l’adapter au contexte. Le Mouvement 23 mars disait qu’il faut traiter le problème du Sahara à partir des conditions de la région, et de ce côté, créer un État, un petit État croupion dans la région en le légitimant par l’existence d’un peuple sahraoui ne peut être qu’une aberration du principe d’auto-détermination des peuples. Il ne s’agit pas d’un seul peuple, c’est une région comme toutes les autres. S’il y a des différences avec les autres régions, on peut prendre n’importe laquelle et on peut trouver autant de différences avec le reste des régions. Donc, le problème, c’est comment sortir d’une vision clanique, d’une vision tribale vers la nation, vers une intégration, et dans ce cadre, le seul lien qui est là, c’est le lien de l’unité dans la diversité, et cela se fait avec de la démocratie. Ila El Amam, disait à l’époque non, il y a un peuple, il faut qu’il donne son point de vue, s’il ne veut pas être avec nous, c’est son droit. Il peut faire scission. À partir de là, il y a eu des discussions. On a discuté de tous les cas qui se sont posés aux marxistes dans le monde. Le cas irlandais, le cas tchèque, le cas de la Lettonie, le cas finlandais que Lénine avait accepté, mais il n’avait pas accepté pour d’autres etc. Il devenait évident qu’il n’y avait pas une seule application. Tout est discutable et nous considérions à l’époque qu’il fallait aller vers des cadres plus larges car notre objectif est de construire la Nation marocaine, la Nation Maghrébine, et peut être même la Nation Arabe. Le

432 Sahara marocain, la position nationale révolutionnaire, organisation 23 mars, op.cit., p.85. 433 Ibid., p.180.

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processus de sortir du tribalisme vers la Nation n’est pas terminé, et dans les revendications sahraouies, il y a plus une dimension tribale qu’une dimension révolutionnaire.434

La position des partis composant la Fédération de la gauche marocaine FGD sur la question du Sahara occidental demeure la même en dépit de certaines différences de vision. La souveraineté du Maroc sur ce territoire fait l’unanimité et ces partis voient même dans ce conflit l’opportunité de conjuguer libération nationale et démocratie. Ainsi, tout en appuyant les initiatives des deux partis alliés à la FGD pour la défense de l’intégrité territoriale du Maroc, le Parti socialiste unifié (PSU) confirme la déclaration prise lors de la deuxième session de son Conseil national en avril 2018 qui a appuyé l’option d’une solution politique dans le cadre de la souveraineté marocaine par l’adoption des mécanismes démocratiques. Celles-ci pourraient à elles seules trouver les conditions d’une solution pacifique et ouvrir les horizons de la coopération dans l’espace maghrébin au profit des peuples et des États. À ce propos, le Bureau politique du parti souligne la nécessité de faire le lien entre la défense de l’intégrité territoriale et la consolidation des bases du régime démocratique.435 Rappelons à cet égard

qu’en octobre 2015, la secrétaire générale du Parti socialiste unifiée, Nabila Mounib, avait été désignée par les autorités marocaines à la tête d’une délégation représentant certains partis de gauche envoyée en Suède pour expliquer la position du régime marocain sur le Sahara occidental. Elle avait rencontré des responsables politiques du Parti social-démocrate (PSD) suédois pour discuter de l’intention du gouvernement de la Suède de reconnaître la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Le gouvernement suédois décida par la suite de renoncer à son projet.

Le Parti de l’avant-garde démocratique socialiste (PADS) maintient sa position de rejet catégorique de la thèse séparatiste en ce qui a trait à la question de l’intégrité territoriale. Il met en cause la classe dirigeante qui s’est accaparée à elle seule ce dossier et qu’il tient historiquement responsable des échecs liés à la gestion de ce conflit. Le parti rappelle le caractère inévitable du lien dialectique entre la consolidation de la démocratie, la défense de la souveraineté nationale et la libération de toutes les parties du territoire sous occupation espagnole (Ceuta et Melilla et les îles Zaffarines).436

De son côté, le Parti du congrès national Ittihadi (CNI) abonde dans le même sens que le PADS. Dans sa déclaration générale lors de son 9ème congrès en octobre 2017, il réaffirme sa position historique à l’égard de

l’intégrité territoriale du pays. Il considère que l’État a commis des erreurs dans la gestion de ce conflit en

434 Entretien avec Mostafa Bouaziz, Casablanca, 2 décembre 2017.

435 Communiqué du Bureau politique du Parti socialiste unifié, Casablanca, le 21 avril 2018, [En ligne], http://www.psu-

casablanca.com/archives/2511

436 Déclaration du 8ème Congrès du Parti socialiste d'avant-garde : Le dialogue civilisé, No 5182, 3 mars 2016, (en arabe). [En ligne] :

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s’appropriant ce dossier national selon des approches qui sont demeurées prisonnières d’une vision étroite imprégnée par l’obsession sécuritaire sans ramener la dimension sociale. Cette dernière doit, selon le parti, être intégrée dans le cadre d’un développement global des provinces du Sud.437

Pour Najib Akesbi, la question du Sahara est fondamentale. Il considère aussi que cette question divise la gauche et met en difficulté toute tentative de rapprochement entre ses composantes. Il mentionne à cet égard que :

L’intégrité territoriale, c’est quelques choses à prendre ou à laisser, ce n’est pas seulement une histoire de nationalisme, de patriotisme, c’est une question de cohérence d’ensemble. Dès le départ, au début des années 70 et même avant, nous avons considéré qu’à partir du moment que l’on estime que le Maroc est un, il faut distinguer entre l’unité nationale, l’intégrité territoriale et ensuite les problèmes internes que nous pouvons avoir. Si on n’est pas d’accord avec le régime, on se bat pour changer le régime, mais on ne se bat pas pour changer la géographie du pays. C’est aussi un débat de fond. Avec les amis d’Annahj Addimocrati, on ne peut pas se rencontrer tant l’ambiguïté n’est pas levée à ce niveau et elle n’est pas levée malheureusement. Nous pouvons donc difficilement nous entendre. Tout le reste peut être surmonté. 438

Ces positions ne font toutefois pas l’unanimité au sein de la gauche car le Parti de la voie démocratique privilégie plutôt la légalité internationale pour trouver une issue à ce conflit. Il campe sur sa position de l’autodétermination de la population du Sahara occidental, tout en soulignant son bien-fondé qui s’appuie sur des faits historiques.