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Les raisons de la coopération du Parti de la voie démocratique

CHAPITRE III : LES DIVERGENCES DE LA GAUCHE MAROCAINE

3.2 Le dialogue et l’alliance avec les islamistes

3.2.2 Les raisons de la coopération du Parti de la voie démocratique

Pour les dirigeants du Parti de la voie démocratique, ce rapprochement qui est plutôt de nature politique, est dicté par une réalité que l’on ne pourrait occulter, à savoir la nécessité de construire « un front populaire

422 Entretien avec Nabila Mounib, Casablanca, 23 novembre 2017. 423 Entretien avec Najib Akesbi, 16 mai 2018.

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commun » contre l’adversaire principal qui est le régime et ses politiques impopulaires.425 Aussi, la question

pour eux est de savoir comment se positionner par rapport à une force politique et sociale redoutable au pays qui, même s’ils nous partage pas avec elle son projet, demeure néanmoins une véritable force d’opposition au régime soutenue par une présence importante des masses sur le terrain.

Pour l’historien marocain Maâti Monjib: « La gauche marxiste orthodoxe pro-démocratique […] qui, tout en reconnaissant que le référentiel d’Al Adel reste fondamentalement islamique, juge nécessaire de s’allier à lui pour changer le rapport de force avec le régime, dans la même ligne que les catholiques et le Parti communiste en France après la Seconde Guerre mondiale. »426

Sur cette décision du Parti de la voix démocratique de nouer des relations avec l’association Al Adel Wal Ihsane, Abdellah El Harif explique les raisons qui ont conduit à ce rapprochement:

Pour nous, on a d’abord proposé cette idée à cause de notre expérience avec les islamistes dans les prisons. Nous avons commencé à discuter avec eux et à s’écouter mutuellement. Il n’y a jamais eu de pensée éradicatrice dans notre ligne militante. Comme nous sommes forts au sein de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), nous nous sommes plutôt dit que l’association doit militer pour tout opprimé, ce qui a suscité du respect de leur part. Les gens honnêtes quand ils se font arrêter, voient comment vous les défendez même si vous êtes différents d’eux. Même s’ils ne nous défendent pas, on les soutient quand même. Puis, avec le Mouvement du 20 février, il s’est avéré que la gauche n’avait ni stratégie ni tactique de changement. Elle gérait et défendait l’existant, sans avoir de vision sur la façon dont le changement doit s’effectuer. Lorsque l’idée de la stratégie s’est posée, il a été question d’alliances. On ne peut pas bâtir une stratégie sans alliance. Qui est sur le terrain ? Un peu de gauche, Al Adel Wal Ihsane est forte, le PJD s’est rangé du côté du Makhzen, l’USFP aussi et enfin le Parti de l’Istiqlal. En analysant la situation, la nécessité de conclure une alliance d’une façon ou d’une autre devient évidente. En ce moment, on ne l’appelle pas alliance, parce qu’il n’y a rien d’écrit, on ne dispose pas de documents, mais on se dit qu’il nous faut un front sur le terrain, c’est-à-dire que nous devons tous lutter en attendant une vague de changement. C’est une question de processus historique. Il se peut que l’étincelle soit une erreur du Makhzen comme cela été le cas de la grâce royale accordée au pédophile espagnol Galvani, ou la mort de Mohcine Fikri dans le Rif par exemple. Cela pourrait être une autre erreur ou un événement qui pourra être une étincelle et déclencher un soulèvement. C’est pour cela qu’on parle de processus historique427

Aux yeux d’Abdellah El Harif, les soulèvements de 2011 ont joué un rôle significatif dans cette proximité entre les deux formations. Durant ces soulèvements, le mouvement 20 février, qui rassemblait en outre les activistes de la gauche résistante et les militants de l’association Al Adel Wal Ihsane, a permis aux deux groupes de se rapprocher et coordonner les manifestations dans les grandes villes du Maroc. Mais il y a aussi selon lui

425 Mohammed JIK, « Le Parti de la voie démocratique et le boycott des élections », Dialogue civilisationnel, No 5669, 14 octobre 2017,

[En ligne], http://www.ahewar.org/debat/show.art.asp?aid=575650

426 Dounia HADNI, « Au Maroc, un mouvement islamiste en faveur de la séparation des pouvoirs intrigue », Libération, 13 juillet 2017

[En ligne] : https://www.liberation.fr/planete/2017/07/13/au-maroc-un-mouvement-islamiste-en-faveur-de-la-separation-des- pouvoirs-intrigue_1583118

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l’expérience et l’exemple du Parti islamiste Ennahda tunisien, qui a incité les dirigeants du parti à créer des liens avec l’association.

Dans le Parti d’Annahj, nous avons vécu l’expérience avec ce mouvement durant le soulèvement du Mouvement 20 février. Il faut dire que ces militants avaient des positions correctes, ils étaient aussi engagés avec nous, même s’ils ont décidé à un moment donné de se retirer du mouvement pour des raisons qui leur sont propres. Nous avons également vu qu’ils veulent entamer un dialogue avec toutes les parties. Plus important encore, ils se sont engagés à conclure un consensus avec les forces du changement au Maroc comme ce fut le cas en Tunisie à la lumière de ce qu’a fait le Parti Ennahda. Donc, l’idée est que lorsque viendra le temps de recourir à une assemblée constituante pour établir une constitution, l’association s’engagera à trouver un consensus et des arrangements avec nous, même s’ils deviennent majoritaires. On sait aussi, qu’évidemment l’association devra défendre la place de l’Islam dans l’espace public, mais nous pouvons l’obliger à ce qu’elle fasse des compromis. Donc, nous nous inspirons du modèle tunisien tout en les poussant à améliorer leur position comme les nôtres aussi428

La direction d’Annahj Addimocrati désire donc travailler sur deux fronts avec l’ensemble des forces, y compris les islamistes qui sont prêts à s’engager sur le terrain. Elle exige que ce travail puisse être associé au débat public afin de permettre aux différents protagonistes de s’exprimer librement et de s’engager publiquement plutôt que de débattre dans un cercle fermé. L’objectif primordial étant d’arriver à un pacte. Une telle position est justifiée selon Abdellah El Harif par les bienfaits de l’expérience du Mouvement 20 février où les revendications visaient plutôt l’accès au pouvoir et non l’obtention de simples avantages sociaux. Toutefois, il nous explique les raisons qui poussent une partie de la direction de la FGD à refuser le rapprochement avec l’association Al Adel Wal Ihsane.

En ce qui me concerne, les directions de la FGD ne veulent pas de changement au Maroc, parce que pour eux, le changement équivaut à l’instabilité. Certains dirigeants, pas tous, mais surtout certains membres influents de la FGD qui sont au centre des décisions, ne veulent pas de réel changement. Clausewitz disait qu’on ne peut pas combattre deux ennemis en même temps. Si on veut vaincre le Makhzen, il faut se rassembler y compris avec les islamistes modérés. Sinon, il n’y aura pas de changement, le régime demeurera fort et ce sera encore le statuquo. Donc, c’est quoi la solution si on rejette Al Adel Wal Ihsane et on la combat ? Certains dirigeants de la FGD avancent qu’ils combattent Al Adel Wal Ihsane et le Makhzen. Cela est impossible, car dans le fond, ils combattent Al Adel Wal Ihsane.429

En ce qui concerne cette divergence, et au regard des points de vue exprimés par les interlocuteurs, force est de constater qu’il s’agit d’un vrai débat. Pour le Parti de la voie démocratique, ce rapprochement s’inscrit en adéquation avec son appel à mettre en place un large front populaire associant l’ensemble des courants opposés au régime y compris les islamistes. L’objectif primordial de ce front consiste à isoler l’adversaire déclaré qui est le Makhzen et à œuvrer à sa chute. Pour la FGD, sa position officielle s’oppose à tout rapprochement ou alliance avec l’association Al Adel Wal Ihsane. Bien que certains écrits de l’association parlent d’un projet qui peut d’une certaine façon évoluer vers un État civil tout en affirmant « que le pouvoir doit être confié aux élus

428 Entretien avec Abdellah El Harif, Casablanca, 21 novembre 2017. 429 Entretien avec Abdellah El Harif, Casablanca, 21 novembre 2017.

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et non aux religieux »430, les dirigeants de la FGD considèrent qu’une telle alliance serait contre nature, voire

dangereuse. On reproche à l’association d’entretenir la confusion dans ses positions afin de contourner les conditions exigées à l’établissement de toute alliance. Le risque est donc élevé et toute alliance ne pourrait être que dangereuse. Ils référent notamment à l’expérience de l’Iran et avancent que l’association croit encore au Califat. Toutefois, en dépit de cette position, le débat sur la question du dialogue et de l’alliance se poursuit encore au sein des partis composant la FGD. Aussi, il y a dans la FGD une partie qui croit à la première thèse et une autre qui croit à la deuxième. La divergence se situant à la fois dans l’appréciation de la situation et dans l’appréciation de la nature du partenaire et de sa capacité de transformation.