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Le Parti Annahj Addimocrati et la stratégie du boycott

CHAPITRE III : LES DIVERGENCES DE LA GAUCHE MAROCAINE

3.1 Divergences sur la participation aux élections

3.1.2 Le Parti Annahj Addimocrati et la stratégie du boycott

Depuis sa création, le Parti Annahj Addimocrati privilégie le boycott des élections, et demeure de ce fait le parti le plus radical à ce niveau. Tout en agissant à la marge, le parti campe sur cette position par souci « du puritanisme idéologique »403 et refuse de participer à un jeu politique qu’il considère faussé. Au-delà des

conjonctures, ce parti « choisit d’abord son positionnement stratégique, cherche constamment la cohérence théorique de sa ligne d’action, ne contracte que des alliances stratégiques et n’est à l’aise qu’en agissant à la marge du champ. »404

Les élections ne constituent donc pas un enjeu significatif pour le parti qui avance un certain nombre de raisons qui justifient à ses yeux la stratégie de boycott. Parmi les raisons invoquées, on mentionne que ces élections sont encore loin des exigences des normes internationales, car elles se déroulent dans le cadre d’une constitution octroyée. Les élections sont aussi souvent corrompues, ce qui laisse présager que le régime l’est également.405

Ces différentes positions et déclarations avancent que les partis politiques qui participent aux élections ne visent pas vraiment l’accès au pouvoir car ce dernier est entre les mains du Palais. Par conséquent, les partis de gauche qui optent pour la participation sont loin de représenter la volonté populaire tel qu’ils le prétendent. Il

402 Entretien avec Nabila Mounib, Casablanca, 23 novembre 2017. 403 Mostafa BOUAZIZ, Zamane, op.cit., p. 73.

404 Ibid., p. 73.

405 « La Voie démocratique : Nous boycottons les élections parce qu’elles ne sont pas en adéquation avec les normes internationales

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ressort également des déclarations que les vrais décideurs au pays ne sont pas issus d’élections et en conséquence, le peuple ne dispose d’aucun moyen pour contrôler leurs décisions. Il évoque également le taux élevé d’abstention de la masse électorale malgré les efforts de mobilisation de l’administration marocaine et les moyens de pression qu’elle utilise pour inciter la population à participer aux élections. Cela démontre que la population est consciente que ce processus électoral est faussé. Selon les dirigeants du parti, le taux d’abstention élevé révèle aussi que les élections ne sont qu’une mascarade dont le but principal est d’attribuer au régime une façade démocratique.

Dans un mémorandum intitulé, Pourquoi nous boycottons les élections du 7 octobre 2016, le parti explique que la constitution qui a été adoptée en 2011, consacre comme les précédentes, un régime despotique, de pouvoir personnel absolu et viole le principe de la volonté populaire et de séparation des pouvoirs. Cela se manifeste par un monopole du champ religieux par le chef de l’État à travers le statut de Commandeur des croyants et du pouvoir exécutif par l’appropriation du pouvoir de nomination et de destitution des ministres. Ce monopole s’exerce également au niveau de l’armée et de la sécurité, par la présidence du chef de l’État des forces armées, et du Conseil supérieur de sécurité ainsi qu’au niveau du pouvoir judiciaire par la présidence du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.406

Dans ce cadre, les élections ne peuvent déboucher que sur un parlement illégitime et un gouvernement sans pouvoir réel. Le rôle des élections n’est alors rien d’autre qu’un moyen de consécration et de légitimation de l’autoritarisme, permettant de vernir la façade et de renouveler les élites du régime.407

Le parti persiste dans ses revendications d’éloigner le Ministère de l’intérieur du processus électoral. Il considère qu’il n’est pas raisonnable de parler d'élections libres et équitables supervisées par un ministère qui a joué depuis l’année 1963 un rôle malsain dans la vie politique marocaine. En plus de la corruption et de la création de partis administratifs, ce ministère est responsable du truquage des élections et de la répression de l’opposition.408

L’ensemble de ces raisons justifient la décision du parti de camper sur sa position de boycotter les élections tant que les grandes décisions et orientations ne sont pas prises par ceux qui sont supposés représenter le peuple au sein des institutions politiques.

406 « La Voie démocratique : Nous boycottons les élections parce qu’elles ne sont pas en adéquation avec les normes internationales

et le Ministère de l’intérieur doit s’en tenir loin », [En ligne], https://lakome2.com/politique/51172

407 Ibid. 408 Ibid.

131 Selon Abdellah El Harif :

Le parti tient lors de chaque élection locale ou législative, à signifier sa présence en appelant les militants à manifester dans la rue pour appeler au boycott ainsi qu’à affronter les forces de l’ordre quand ces dernières les empêchent de distribuer des tracts auprès de la population. Les élections sont un indice du désengagement du peuple car seulement 20 % des électeurs voir moins, participent et votent aux élections. La plupart des gens ne sont même pas inscrits sur les listes électorales, il y a donc une désaffection totale. Contrairement à certaines voix de gauche qui parlent uniquement d’abstention, nous considérons qu’il s’agit plutôt de la conscience du peuple qui considère qu’il n’y a rien à attendre de ces élections. Ce n’est pas par ce qu’on parle d’un taux d’analphabétisme élevé au Maroc qu’on peut dire que le peuple n’est pas conscient. Pour preuve, regardons ce qui s’est passé lors du soulèvement du mouvement 20 février, les gens qui sortaient dans la rue pour manifester et revendiquer le changement, n’étaient pas des intellectuels, mais les gens du peuple.

En somme, le parti explique la décision de boycotter les élections car elles se déroulent « dans le cadre d’une constitution octroyée ne respectant pas la volonté populaire des masses à travers des élections libres et honnêtes. »409 Aussi, la nature antidémocratique des lois en vigueur dans le pays ne fait « qu’engendrer une carte électorale dont les résultats sont prédéterminés. »410

Pour conclure à propos de cette divergence, il faut dire que tant les participationnistes que les non- participationnistes n’ont pu provoquer le changement désiré. Ils n’ont pas réussi à influencer ou à mettre de la pression sur le régime pour le pousser à une vraie réforme démocratique. Les arguments des non- participationnistes visent juste en parlant de la stérilité du système politique marocain et de l’inefficacité de ses institutions. Cependant, paradoxalement, la stratégie de boycott des élections n’influence pas suffisamment la capacité d’infléchir le régime afin de se démocratiser et se moderniser. Toutefois, le même dilemme se manifeste au regard de l’expérience de la participation de l’opposition de gauche au sein des institutions politiques marocaines. On constate que la participation n’a pas le poids souhaité par les forces de gauche qui ont plutôt tendance à faire des compromis et à modérer leur rhétorique politique.

Il faut dire que la participation aux élections dans le système politique marocain implique impérativement l’acceptation de règles du jeu définies par le régime. Il est ainsi nécessaire de rappeler à cet égard qu’il existe un certain accord implicite, voire même explicite, obligeant les représentants au sein des institutions à ne jamais dépasser certaines « lignes rouges »411 notamment celles ayant trait au pouvoir royal et à tout ce qui touche aux

attributions exorbitantes de ce dernier. Cela signifie que les partis politiques doivent accepter la prédominance du véritable détenteur de l’autorité au pays sur les questions de politique générale et s’incliner devant la nature

409 La Voix démocratique, Secrétariat national. Communique de la Commission nationale publié sur le site du parti en date du

7 septembre 2016, [En ligne], http://www.annahjaddimocrati.org/ar/746/

410 Ibid.

411 Francesco CAVATORTA, 2015, « Authoritarian Stability through Perpetual Democratisation », Instituto Affari Internazionali,

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de son pouvoir exécutif.412 Par conséquent, les moyens et les attributions limités dont disposent les élus

deviennent inutiles car ils ne peuvent influencer les centres de décisions qui ne sont pas soumis au contrôle populaire.

Cependant, au-delà des justifications idéologiques des partisans de la participation, la situation actuelle de la gauche et son faible poids électoral ne lui permettent pas de se positionner comme une alternative sur l’échiquier politique. Aussi, l’état de dépression et d’atomisation actuelle de la gauche rendent difficile les ambitions de ces leaders qui désirent se distinguer du parti conservateur du PJD et de certains partis administratifs dont le PAM. Les partis réunis au sein de la FGD ne constituent pas, du moins pour le moment, une véritable force politique pouvant contrecarrer les islamistes du PJD qui bénéficient d’une force organisationnelle considérable, de même que les autres partis qui profitent d’un appui notable du Palais.

Néanmoins, la FGD garde espoir et aspire à ce que l’USFP et le PPS fassent partie d’une plus large coalition comprenant l’ensemble des partis et ayant comme objectif important la reconstruction de la gauche. Elle vise donc à coordonner les différentes composantes de la gauche, encore dispersées et oscillantes entre opposition et participation au gouvernement. Comme le souligne Nabila Mounib :

Nous misons sur un grand projet de reconstruction de la gauche. Bien sûr cette reconstruction, nous la voyons avec toutes les autres gauches, à condition que ces gauches soient prêtes à faire une autocritique. Tout le mouvement de gauche doit revoir son expérience. Que ce soit la gauche qui participe au gouvernement ou celle qui reste en dehors, elle doit arriver à faire la révision et à reconnaître ses erreurs et sa part de responsabilités. On ne peut pas dire que c’est le Makhzen qui a la plus grande part de responsabilités, les partis aussi n’étaient pas à la hauteur au moment opportun pour faire ce qu’il fallait faire, pour avoir le courage du moment413

Or, au regard de certaines initiatives lancées dans le passé par certains partis de gauche, il va de soi que tout projet de reconstruction ou d’union entre la gauche se heurte au silence des protagonistes concernés. Une telle attitude s’explique, selon l’ancien dirigeant du PPS Ismaël Alaoui, par l’existence d’une culture qui a longtemps régné au sein des formations politiques au pays.

Je crois qu'il y a certainement des rancœurs qui sont dues à des erreurs politiques et tactiques essentiellement. Il y a aussi le fait que nous procédons d'une culture qui veut que je sois contre mon frère et que mon frère et moi soyons contre le cousin et que le cousin, mon frère et moi soyons contre le voisin, etc. Cela peut paraître caricatural, mais il y a un peu de cela. Certains comptes n'ont jamais été réglés et ne le seront jamais sur le plan historique. Certaines personnes pensent qu'il faille les régler. Par conséquent, on se retrouve dans des impasses qui aboutissent parfois à des catastrophes.414

412 Francesco CAVATORTA, 2015, op.cit., p.11

413 Entretien avec Nabila Mounib, Casablanca, 23 novembre 2017.

414 Narjis RERHAYE, « Alors que l’atomisation politique continue, la gauche marocaine a-t-elle encore un avenir ? », Le Matin,

07/06/2004, [En ligne], https://lematin.ma/journal/2004/Alors-que-l-atomisation-politique-continue--la-gauche-marocaine-a-t-elle- encore-un-avenir-/41415.html#

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Pour conclure, on peut dire qu’à la lumière des points de discordes entre les différents protagonistes de gauche, la participation aux élections ne sert que le régime qui en profite pour renouveler ses élites et lui conférer une certaine légitimité, contribuant ainsi à perpétuer son autoritarisme et à masquer sa nature antidémocratique.