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La FGD et la participation aux élections

CHAPITRE III : LES DIVERGENCES DE LA GAUCHE MAROCAINE

3.1 Divergences sur la participation aux élections

3.1.1 La FGD et la participation aux élections

Le boycott des élections par certaines formations de gauche au Maroc ne date pas d’hier. Pour certains partis politiques comme le PADS, le boycott faisait partie de sa stratégie depuis sa création en 1991 jusqu’en 2007 où il a décidé d’opter pour la participation. Il a néanmoins décidé au côté du PSU ainsi que du parti d’extrême gauche, la Voie démocratique, de boycotter les élections anticipées de novembre 2011 à la suite de l’adoption par le pouvoir de nouveaux amendements constitutionnels. Le Parti du congrès Ittihadi (CNI) a quant à lui décidé

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d’y participer. Les partis boycottant se savaient dans une situation politique tendue car le régime était sous la pression des manifestations et des soulèvements populaires qui ont secoué la région. Il faut néanmoins préciser que la question de la participation n’a pas fait l’unanimité au niveau de certaines instances ainsi qu’auprès des bases du PADS et du PSU. Ceux qui sont en faveur de la participation aux élections au sein de la FGD la justifiait par le besoin de lutter de l’intérieur des institutions. Pour d’autres, participer aux élections dans un tel contexte de contestation populaire nationale est qualifié de « suicide politique ». Cependant, le PSU et le PADS revirent leur position et décidèrent, avec leur allié le CNI, d’opter pour la participation aux élections locales en 2015 et aux législatives de 2016. Les dirigeants de la FGD ont estimé qu’il s’agissait d’une étape décisive car ils ne supportaient pas de laisser le terrain libre aux autres forces politiques clientélistes. Ils désiraient également rompre avec la politique de la chaise vide tout en souhaitant constituer une alternative aux partis de la gauche gouvernementale (USFP et PPS, FFD). Cette position de la FGD est dictée par la situation d’isolement et de repli que vivent les partis politiques de gauche au Maroc. Elle est aussi commandée par le désir de réhabiliter la gauche qui a été affectée négativement, particulièrement après l’échec de l'expérience gouvernementale dirigée par l'Union socialiste des forces populaires (USFP) et les conséquences qui en ont résulté pour ce parti.

Aussi, cette participation permettrait selon ses leaders de briser l’embargo médiatique et politique imposé à la gauche résistante et ce, particulièrement dans le cas où elle réussirait à former un groupe parlementaire. Sur cette question de la participation et du boycott, Najib Akesbi souligne :

On a épuisé toutes les possibilités, tous les arguments pour le boycott et contre le boycott, on les a déjà pratiqués à plusieurs reprises. Pour ramener à des choses simples, ceux qui sont pour le boycott ont un raisonnement qui se tient : les conditions minimales d’une participation active et qui a du sens ne sont pas réunies. Que ce soit à travers la constitution, les tripatouillages du Makhzen ou encore par la loi électorale, ceux qui sont contre les élections vous disent, on ne peut pas participer à ces élections parce que les conditions ne sont pas réunies. Ceux qui sont pour les élections, je ne parle pas de ceux qui participent pour participer ou ceux qui participent sans se poser de question, je parle de la gauche, c’est-à-dire ceux qui sont à gauche et qui participent et qui disent : même si les conditions ne sont pas idéales, la politique de la chaise vide est contre-productive. Donc, la politique de la chaise vide nous empêche, nous interdit de faire ce que nous sommes en tant que militants de gauche, c’est-à-dire de profiter d’un moment de débat, d’un moment de liberté d’expression pour aller justement contacter des gens, aller les voir, discuter, dénoncer, et témoigner, etc.399

La Fédération de la gauche démocratique (FGD) mise donc sur la possibilité de constituer une alternative à la gauche gouvernementale en renouant les liens avec la population et en faisant connaître son programme et ses choix. Elle estimait également que cette participation pouvait la rapprocher des citoyens et éviter l’isolement et la marginalisation. En revanche, le boycott ne pouvait que creuser le fossé entre ces partis et la population. La gauche serait alors perçue davantage comme un club d’intellectuels que comme un réel parti politique. Bien que la FGD est consciente que cette participation ne mènera pas à une victoire électorale immédiate, elle estimait

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néanmoins qu’il serait désormais utile de bâtir les bases d’une structure qui pourrait résulter en de meilleurs résultats pour les prochaines élections. La participation lui permettra également de s’implanter davantage en mobilisant le soutien de nouveaux groupes, en gagnant la sympathie des réticents et en formant ainsi le noyau d'une base populaire.

Même ceux qui participent actuellement au PSU tout comme les autres partis composant la FGD ne peuvent pas se dire qu’ils participent parce qu’ils se font des illusions en se disant que la capacité du système a vraiment évoluée pour une vraie démocratie. Je ne crois pas que beaucoup y croient, mais c’est la plus mauvaise solution. Si on ne participe pas, on sera dans une situation encore plus mauvaise. C’est ce qui explique qu’en 2011, on a boycotté dans la foulée du mouvement 20 février. La rue était encore effervescente, c’était presque indécent de participer à des élections dans le contexte où les jeunes étaient dans la rue. Mais le fait que nous y ayons participé en 2015 et 2016, ne signifie pas que nous pensions que le système est maintenant meilleur qu’avant. Nous savons qu’effectivement nous sommes dans de mauvais systèmes, nous nous questionnons sur ce qui est le moins mauvais. À partir de cette acception des choses, je prends par exemple un militant d’Annahj Addimocrati et un militant de la FGD, ils ne peuvent pas être si différents sur le diagnostic de fond, mais je comprends les deux points de vue.400

Le PSU et les deux partis de coalition de la gauche regroupés au sein de la FGD ont opté pour le choix de participer avec des listes communes aux élections de 2016. En dépit de son discours critique, d’une certaine dynamique sociale et d’un activisme de proximité, la FGD n’a pas réalisé de percée significative lors des récentes élections, se contentant seulement de deux sièges. Nabila Mounib, secrétaire générale du Parti socialiste unifié, pourtant à la tête de la liste nationale des femmes n’a pas été élue, même si on la considérait comme largement favorite. Certains attribuent l’échec de la FGD à son discours élitiste et aux thèmes avancés par ses leaders et ses candidats lors de la campagne électorale, qui sont loin de séduire l’électorat des quartiers et des couches sociales défavorisées. De leur côté, les leaders de la FGD expliquent cet échec par l’ingérence de l’administration via ses agents d’autorité qui ont influencé les électeurs à voter en faveur des partis pro- régime. On déplore également des irrégularités, des malversations et le manque de transparence dans certains villages qui ne disposent pas de superviseurs afin de veiller sur le déroulement des élections.

Les deux sièges remportés furent dans la circonscription Rabat-Océan, et de Casablanca-Anfa sur un total de 395 sièges composant la chambre des représentants. Aux yeux de ses dirigeants, un tel résultat est considéré comme « une avancée spectaculaire »401. Toutefois, en s’appuyant sur l’objectif annoncé, un tel résultat ne peut

pas être considéré comme prometteur. La coalition n’a donc pas atteint l’objectif souhaité lors de la campagne électorale où elle espérait obtenir le nombre de sièges nécessaires pour former son propre groupe parlementaire. Ses dirigeants ont alors tenu à rappeler les nombreuses irrégularités qui ont entaché ces élections ainsi que le rôle joué par les autorités qui ont manipulé les votes en faveur des partis administratifs.

400 Entretien avec Najib Akesbi, 16 mai 2018.

401 Kaouthar OUDRHIRI, « Faut-il se féliciter du score de la FGD aux législatives de 2106? », Telquel, 12 octobre 2016, [En ligne],

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En dépit de ce résultat et du déséquilibre dans le rapport de force, la dirigeante actuelle de la FGD, Nabila Mounib, estime que la situation actuelle permet tout de même de poursuivre le travail pour bâtir une relation de confiance avec les citoyens afin de peser sur le cours des événements et de créer un véritable projet de gauche. L’objectif étant de construire une voix de gauche au sein du parlement et de bien se positionner durablement dans le paysage politique marocain.

On sait que les élections sont truquées, mais on essaie quand même de se frayer un chemin. Si nous maitrisions les élections, nous pouvions peser. Comment les maitriser ? En faisant une opération scientifique avec des objectifs, une stratégie, des outils et des ressources. Je pense que c’est comme cela que nous avons réussi au niveau de Rabat. Ce n’est pas parce que les gens là-bas étaient cultivés. Si nous n’étions pas allés les voir, si nous ne leurs avions pas expliqué, si nous n’étions pas revenus, si nous n’avions pas eu avec eux une relation de confiance, ils ne se seraient pas déplacés pour voter. Aujourd’hui, nous disons qu’il y a 75% de marocains qui ne votent pas, qui sont dans l’abstention et qui ont perdu confiance. C’est dans ce terreau là que nous irons chercher. C’est aussi dans le terreau de certains déçus que ce soit par l’USFP ou que ce soit par le PJD, etc. Donc c’est un discours à mener avec une stratégie offensive, il faut que nous soyons présents partout. (…) Nous tentons de nous moderniser et de préparer les élections adéquatement ainsi que de participer à la conscientisation des masses.402