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Le déclin de la gauche au Maghreb : le cas du Maroc

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Academic year: 2021

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© Abdellah El Harchiche, 2020

Le déclin de la gauche au Maghreb: Le cas du Maroc

Mémoire

Abdellah El Harchiche

Maîtrise en science politique - avec mémoire

Maître ès arts (M.A.)

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II RÉSUMÉ

La gauche marocaine a connu le même sort que les autres partis et organisations de gauche dans la majorité des pays arabes. Elle n’a pas su répondre aux aspirations populaires et transformer ses slogans en révolution en vue de conquérir le pouvoir. Après avoir porté le flambeau de l’opposition pendant des décennies, la gauche marocaine a progressivement perdu son ancrage auprès des masses populaires ainsi que son rôle de lutte contre le despotisme et l'oppression. En outre, elle a perdu son rôle social de défenseur des intérêts des travailleurs et des classes défavorisées. D’une force politique redoutable appuyée par des organisations étudiantes et syndicales, la gauche lutte pour sa survie. Elle n’a pas réussi à résister aux stratégies d’usure du régime qui a forcé certains membres des courants de gauche à abandonner leurs principes et à devenir des collaborateurs de l’autoritarisme. L’attitude adoptée par certains partis politiques de gauche durant le soulèvement populaire de 2011 est révélatrice de la fracture qui existe entre ces partis et la société civile. Outre leur rôle marginal et limité dans le Mouvement du 20 février dont le programme et les valeurs s’identifiaient pourtant aux idéaux de la gauche, certains dirigeants de partis ont manifesté de vives critiques et oppositions aux manifestants. Ils ont clairement exprimé leur refus de soutenir les revendications de ce mouvement qu’ils ont qualifié de suspect. Ces soulèvements, à l’instar de ceux qui ont marqué l’histoire politique moderne du Maroc, ont dévoilé au grand jour l’incapacité des partis et des organisations de gauche à avoir une résonance auprès des bases populaires. Ce mémoire consiste à analyser les principaux facteurs qui sont derrière le repli de la gauche marocaine.

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III ABSTRACT

The Moroccan Left has faced the same fate as leftist parties and organizations of other Arab countries. It has failed to respond to the popular aspirations and transform its slogans into a revolution and conquer power. After having been the torchbearer of opposition for decades, the left-wing has gradually lost its anchorage amongst the masses and its role of fighting against despotism and oppression. Moreover, it lost its social role as a representative of the interests of the workers and proletarian class. After being a formidable political force supported by students and union organizations, the left is now fighting for its survival. It failed to resist to the regime wear and tear strategies that forced some members of the current left to abandon their principles and become collaborators of the authoritarianism. The attitude shown by some left-wing political parties during the popular upheaval of 2011 is a signal of the rupture between these left-wing parties and civil society. In addition to its marginal and limited role in the February 20th Movement which claims were close to the program and values

defended by leftists, some leaders of left-wing parties manifested strong criticism and opposition to the protesters. They expressed clearly their rejection to support the movement’s demands and described the February 20th Movement as suspicious. These popular uprisings like those that have marked the modern political

history of Morocco, have revealed the inability of the parties and groups affiliated to the Left to appeal to popular bases. The aim of this thesis is to analyze the objective and subjective causes of the regression of the Left in Morocco.

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IV TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... II ABSTRACT ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV RÉPERTOIRE DES PRINCIPAUX SIGLES ET TERMES ARABES ... VII REMERCIEMENTS ... VIII

INTRODUCTION ... 1

I. PROBLÉMATIQUE ... 3

II. OBJECTIF ET HYPOTHÈSE ... 4

III. CADRE THÉORIQUE ... 4

IV. QUESTION DE RECHERCHE ... 11

V. MÉTHODOLOGIE ... 12

VI. PERTINENCE ... 13

VII. PLAN DU MÉMOIRE ... 15

PREMIÈRE PARTIE : LA GAUCHE MAROCAINE : DÉFINITION, ORIGINE ET PRINCIPALES TENDANCES ... 16

CHAPITRE I : LA GAUCHE MAROCAINE : DÉFINITION ET ORIGINE ... 16

1.1 Définition de la gauche ... 16

1.2 Revue de littérature ... 19

1.3 Origine de la gauche au Maroc... 27

CHAPITRE II : LES TENDANCES DE LA GAUCHE MAROCAINE ... 34

2.1 Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) ... 34

2.2 Le Parti de l’Union Socialiste des Forces populaires (USFP) ... 36

2.3 Le Parti de l’avant-garde démocratique socialiste (PADS) ... 38

2.4 Le Parti socialiste unifié (PSU) ... 40

2.5 Le Parti du Front des forces démocratiques (FFD) ... 43

2.6 Le Parti de la voie démocratique (Annahj Addimocrati) ... 45

2.7 Le Congrès national Ittihadi (CNI) ... 47

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE ... 49

DEUXIÈME PARTIE : LE RÔLE DES FACTEURS EXTERNES ET INTERNES ... 50

CHAPITRE I : LES FACTEURS EXTERNES ... 51

1.1 Le pluralisme contrôlé comme choix stratégique ... 51

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V

1.1.2 La création du FDIC (1963) ... 58

1.1.3 La constitutionnalisation du multipartisme ... 61

1.1.4 Le Parti du rassemblement national des indépendants (RNI) ... 63

1.1.5 Le Parti de l’union constitutionnelle (UC) ... 64

1.1.6 La cooptation de la gauche... 66

1.1.7 Le Parti authenticité et modernité (PAM) : Ultime tentative de récupération de la gauche résistante ... 70

1.2 Le registre religieux et la consolidation de l’autoritarisme ... 73

1.2.1 Le rôle du protectorat français dans le maintien des structures traditionnelles ... 73

1.2.2 Le précédent juridique de l’arrêt de la Cour d’appel de Rabat du 9 février 1960 ... 74

1.2.3 La Constitution de 1962 : Constitution conservatrice octroyée ... 75

1.2.4 La révolte populaire du 23 mars 1965 ... 79

1.2.5 Les conséquences de la révolte ... 81

1.2.5.1 La faible emprise des partis de gauche ... 81

1.2.5.2 La naissance du mouvement marxiste-léniniste marocain ... 82

1.2.5.3 Les réactions du régime ... 85

1.2.5.4 Le sabotage du système éducatif et la retraditionnalisation de la société ... 85

1.2.6 La montée de l’islamisme ... 90

1.2.7 La convergence d’intérêts entre les islamistes et le régime ... 92

1.2.8 Le PJD : « La femme de ménage » du palais ... 93

1.2.9 La difficile cohabitation du conservatisme et de la laïcité ... 94

CHAPITRE II : LES FACTEURS INTERNES ... 98

2.1 Le rôle des élites de gauche ... 98

2.1.1 La perte de la bataille culturelle... 98

2.1.2 Les seuils ... 104

2.1.2.1 Le seuil de la monarchie ... 104

2.1.2.2 Le seuil du panarabisme ... 108

2.1.2.3 Le seuil de la démocratisation ... 110

2.1.3 L’échec de la stratégie de lutte démocratique ... 114

2.1.4 L’échec de l’expérience de l’alternance consensuelle ... 117

2.1.5 Le rôle de la féodalité et le caractère bourgeois du Mouvement national marocain ... 124

CHAPITRE III : LES DIVERGENCES DE LA GAUCHE MAROCAINE ... 126

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VI

3.1.1 La FGD et la participation aux élections ... 126

3.1.2 Le Parti Annahj Addimocrati et la stratégie du boycott ... 129

3.2 Le dialogue et l’alliance avec les islamistes ... 133

3.2.1. Les réticences de la FGD ... 133

3.2.2 Les raisons de la coopération du Parti de la voie démocratique ... 136

3.3 Divergences autour de la question du Sahara occidental ... 139

3.3.1 La position de la FGD ... 139

3.3.2 La position du Parti de la voie démocratique ... 142

3.4 Divergences sur la nature du régime ... 145

3.4.1 La FGD : La monarchie parlementaire comme condition de coordination politique ... 146

3.4.2 La position ambiguë du Parti de la voie démocratique... 147

CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE ... 149

CONCLUSION GÉNÉRALE ... 152

RÉFÉRENCES ... 155

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VII

RÉPERTOIRE DES PRINCIPAUX SIGLES ET TERMES ARABES

Alem: Docteur de la loi coranique ALS: Armée de libération nationale

AMDH : Association marocaine des droits de l’homme Annahj Addimocrati : La Voie démocratique

Bay’a : Serment d’allégeance

CDT : Confédération démocratique du travail CNI : Congrès national Ittihadi

FDIC: Front pour la défense des institutions constitutionnelles FFD : Front des forces démocratiques

FGD : Fédération de la gauche démocratique LI: Libéraux indépendants

Makhzen: Originairement, il désigne le magasin, c’est-à-dire le lieu où étaient gardés les impôts en nature. De

nos jours, le terme est utilisé pour désigner d’une façon péjorative l’organisation administrative et le pouvoir central marocain.

MDS : Mouvement démocratique et social MMLM : Mouvement marxiste-léniniste marocain MP: Mouvement populaire

MPDC : Mouvement populaire démocratique et constitutionnel Ms’id: École coranique

OADP : Organisation de l’action démocratique populaire PADS : Parti de l’avant-garde démocratique socialiste PAM : Parti authenticité et modernité

PCM : Parti communiste marocain

PDAM : Parti démocratique amazigh marocain PDC : Parti démocratique constitutionnel PDI: Parti démocratique de l’indépendance PI: Parti de l’Istiqlal

PJD : Parti de la justice et du développement PLS : Parti de la libération et du socialisme PND : Parti national démocrate

PPS : Parti du progrès et du socialisme PSD : Parti socialiste démocratique PSU : Parti socialiste unifié

PVD : Parti de la voie démocratique

RNI : Rassemblement national des indépendants UMT: Union marocaine du travail

UC : Union constitutionnelle

UNEM: Union nationale des étudiants marocains UNFP: Union nationale des forces populaires USFP: Union socialiste des forces populaires

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VIII

REMERCIEMENTS

Ce mémoire est l’aboutissement d’un travail de longue haleine qui a nécessité deux déplacements au Maroc, pays où se sont effectuées les entrevues en vue d’obtenir une partie de l’information qualitative nécessaire pour les fins de cette recherche. Je tiens d’abord à remercier mon directeur de recherche Francesco Cavatorta pour son accompagnement, sa patience et sa grande ouverture. Je remercie également madame Pauline Côté et monsieur Amghar pour leur rigueur et leurs précieux commentaires. Je tiens aussi à remercier tous ceux qui ont contribué par leur soutien et leurs conseils à la réalisation de ce mémoire notamment l’ensemble des représentants des partis politiques marocains interviewés. Un merci plus particulier à l’historien Mostafa Bouaziz pour sa grande disponibilité et ses conseils qui m’ont été d’une grande utilité pour la réalisation de ce mémoire.

Je dédie ce mémoire, particulièrement à mon amour éternel, mon défunt père Akka El Harchiche Ben Driss qui nous a quitté le samedi 26 novembre 2016. Je le remercie infiniment pour ses innombrables sacrifices, sa tendresse et son soutien indéfectible depuis mon enfance afin d’assurer mon instruction. À ma chère mère Fatima pour son immense amour et son soutien moral. À mes défunts grands parents pour leur amour et sincérité, à ma chère femme Mélanie, pour son affection et son soutien dans les moments difficiles.

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1

INTRODUCTION

« Le despotisme, qui, de sa nature, est craintif, voit dans l'isolement des hommes le gage le plus certain de sa propre durée, et il met d'ordinaire tous ses soins à les isoler. (…) Il appelle esprits turbulents et inquiets ceux qui prétendent unir leurs efforts pour créer la prospérité commune, et, changeant le sens naturel des mots, il nomme bons citoyens ceux qui se renferment étroitement en eux-mêmes. »

Alexis de Tocqueville, Tome II, Deuxième partie, Chapitre IV Comment les Américains combattent l'individualisme par des institutions libres, p. 106.

Les partis de gauche marocains, comme la majorité des partis de la gauche arabe, n’ont pu malgré leur popularité historique empêcher leur déclin. Le rôle traditionnel qu’ils ont joué contre l’autoritarisme des systèmes et leurs politiques économiques et sociales antipopulaires n’est aujourd’hui plus le même. Cette gauche, rappelons-le, fut la plus grande force organisationnelle et intellectuelle durant plusieurs décennies.1 Elle a joué

depuis son émergence un rôle considérable contre les dérives autoritaires des régimes en payant le fort prix et en faisant d’importants sacrifices. Elle a grandement marqué l’histoire et la vie militante moderne en faveur de la justice sociale et de la lutte contre l’autoritarisme. D’une force politique redoutable qui fut une menace existentielle pour des régimes, la gauche se retrouve désormais marginalisée et coupée des bases populaires. Les mouvements d’extrême gauche ont connu presque le même sort. Ils croyaient en la nécessité d’une révolution pour se débarrasser des régimes et répétaient que la vérité est révolutionnaire et qu’il ne manquait que le parti de l’avant-garde pour rassembler les conditions nécessaires pour mener la révolution. Tous ces partis et ces mouvements n’ont cependant pas pu résister aux stratégies d’usure des régimes qui les ont forcés à intégrer l’appareil étatique pour devenir de simples partis organiques des pouvoirs en place.

Au Maroc, le rapport de forces au sein de la gauche, a longtemps été dominé par l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Ce parti a connu son plus grand succès en 1997, avec soixante députés lorsqu’il a été appelé par le Palais à diriger un gouvernement dit d’alternance. Il est demeuré le premier parti de gauche au Maroc durant les élections de 2002 où il réussit alors à mobiliser une part non négligeable de l’électorat dans

1 BENDOURO, Omar, Le pouvoir exécutif au Maroc depuis l’indépendance, Publisud, Paris, 1991, 340 pages. MONJIB, Maâti, La

monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir, Éditions L’Harmattan, 1992, 378 pages. PALAZZOLI, Claude, 1973, Le Maroc politique

de l'indépendance à 1973, Paris, Éditions Sindbad, 485 pages. Bouaziz, Mostafa, Introduction à l’étude du mouvement marxiste-léniniste marocain : 1965-1979. Mémoire, École des hautes études en sciences sociales, Paris, 1981. 237 pages. EL BENNA

Abdelkader, 1989, Naissance et développement de la gauche marocaine issue du Mouvement national : le cas de l’Union Socialiste des Forces populaires, Thèse Doctorat en Droit Public, Sciences Politiques, Faculté des Sciences juridique, économique et sociale de Rabat, 407 pages. RESTA, Valeria. 2018. “Leftist Parties in the Arab Region Before and After the Arab Uprisings: ‘Unrequited Love’?” In Political Parties in the Arab World: Continuity and Change, Edited by Francesco Cavatorta and Lise Storm. Edinburgh: Edinburgh University Press, pp. 23-48. WATERBURY John, 1975, Le Commandeur des croyants. La monarchie marocaine et son élite. Paris,

PUF, 399 pages. BENNOUNA, Mehdi, 2002, Héros sans gloire. Échec d’une révolution 1963-1973, Tarik Éditions, 376 pages. BOUAZIZ,

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2

les centres urbains et ruraux. Lors des élections de 2007, le parti connaîtra une débâcle qui s’est manifestée par la perte d’une partie de ses fiefs électoraux dans les grandes villes. Ce lent déclin s’est confirmé lors des élections de 2011, dans un contexte marqué par des soulèvements populaires dans le monde arabe. L’USFP s’est alors à nouveau effondrée dans les grandes villes et n’a pu conserver que certains sièges dans les provinces plus rurales

.

2 Ces élections ont permis au parti conservateur du PJD de dominer largement les

circonscriptions urbaines et rurales et de s’emparer des fiefs historiques longtemps considérés comme la chasse gardée de l’USFP.

D’un autre côté, l’attitude adoptée par certains partis politiques de gauche durant les soulèvements populaires de la fin de l’année 2010 et du début de 2011, témoigne de la profonde fracture qui existe entre ces partis et la société civile. Ces soulèvements ont dévoilé au grand jour l’incapacité de ces formations à avoir une résonance auprès des bases populaires, et ont mis en lumière la déconnection de la gauche vis-à-vis du peuple qu’elle est supposée représenter. Cette grande vague de mobilisation spontanée a aussi démontré que la gauche n’a pas su jouer un rôle déterminant avant comme après les manifestations populaires. Hormis une participation timide et limitée comme ce fut le cas par exemple au Maroc et en Tunisie, ces évènements ont pris au dépourvu l’ensemble des forces de gauche. Cette situation a également révélé la faiblesse structurelle et les incohérences qui caractérisent l’ensemble de ces formations politiques. Le rôle des forces et groupes qui se réclament de la gauche durant ces événements interpelle sérieusement les chercheurs qui se demandent comment ils ont laissé un moment historique révolutionnaire leur échapper. Certaines directions de partis comme le cas du Parti du progrès et du socialisme, l’ancien Parti communiste marocain, se sont particulièrement détournés en se prononçant officiellement contre les manifestations. La direction de ce parti a publié un communiqué pour exprimer clairement son refus de soutenir le mouvement de contestation. D’autres partis comme ceux de la gauche radicale représentée par la Fédération de la gauche démocratique (FGD) ainsi que le parti d’extrême gauche de la Voie démocratique ont certes apporté un certain soutien au mouvement contestataire, mais aucun d’entre eux n’a joué un rôle significatif.

Bien que les revendications et les slogans brandis par les manifestants s’apparentaient aux valeurs de la gauche, ces partis n’ont pas su profiter de cette opportunité pour canaliser les mécontentements populaires au profit de leurs projets politiques. Durant les soulèvements populaires de 2011, les Marocains à la lumière des autres peuples de la région ont manifesté à travers tout le pays et brandi des slogans de justice sociale, d’égalité et de démocratie. Ils ont exigé une série de réformes dont notamment une constitution démocratique issue d’une assemblée constituante ainsi que l’abolition des attributs extra-légaux du chef de l’État tel que l’article 19

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3

qui traite de son statut de Commandeur des croyants et de l’article 23 qui touche à la sacralité et à l’inviolabilité de sa personne. Certaines composantes du mouvement du 20 février marocain revendiquaient une monarchie parlementaire, alors que d’autres laissaient entendre que c’est au peuple à décider de la nature du régime. Les manifestants exigeaient également la réduction des inégalités sociales et économiques, l’accès à la santé, la fin du monopole du Palais sur l’économie et demandaient également le départ de la scène politique d’hommes proches de l’entourage du Palais-Royal.

La situation politique et les indicateurs socio-économiques du pays auraient pourtant pu permettre à cette gauche de mobiliser et orienter les soulèvements en sa faveur et obtenir les réformes exigées. Les partis de gauche n’ont cependant pas profité de ces événements pour se reconstruire ou se restructurer et, n’ayant pas saisi cette occasion, ils ont encore une fois raté un rendez-vous avec l’histoire.

Au même moment, les forces populistes et confessionnelles grâce à leur dynamisme et à leur activisme de proximité ont gagné du terrain et ont réussi à écarter la gauche de ses bastions et de ses principaux fiefs sociologiques.3 Elles ont profité de cette opportunité pour se manifester officiellement et pour gagner les votes

populaires. Il faut dire que les partis traditionnels de gauche ont su profiter de leur position d’élite au sein de la société et de leur proximité avec les autorités dominantes, en jouissant de certains petits privilèges du pouvoir, bien qu’ils n’en fassent pas partie.

Compte tenu des éléments présentés, la situation actuelle de la gauche marocaine nous interpelle sur les causes qui expliquent sa régression et son déclin.

I. PROBLÉMATIQUE

Au cours des décennies 1960 à 1980, les partis de gauche marocains ont su rejoindre un grand nombre de citoyens et ont été porteurs d'espoir pour une grande partie de la population qui voyait en eux un vent de changement important qui viendrait révolutionner le Maroc. Or, cette espérance ne s’est jamais transformée en réalité. La gauche marocaine n’a pas réussi à répondre aux aspirations populaires qui souhaitaient un parti révolutionnaire capable de procéder à un changement profond de la société marocaine afin de conquérir le pouvoir. Les partis de gauche marocains ont alors perdu progressivement leur ancrage dans la société.

3Voir à ce propos : Mouline Nabil (dir.) : Le Maroc vote, Les élections législatives en chiffres (1963 - 2011), Éditions Tel Quel Media,

Tafra : 2016, 52 pages. Salgon, Jean-Michel, « Élections législatives : enjeux et enseignements d’un scrutin », Les Cahiers de l'Orient 2016/4, N° 124 , pp.9-22.

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Aujourd’hui, la gauche marocaine ne jouit plus de la même crédibilité et de la popularité d’antan. Elle connait un déficit énorme et la confiance accordée par les bases populaires à ces leaders est grandement ébranlée. Elle se trouve en situation marginale car très peu représentée au sein des institutions et sa présence au sein de la société est également faible. Aux dernières élections législatives de 2016, les performances électorales de l’USFP et des autres partis de gauche se sont davantage dégradés. Comme en 2011, le scrutin de 2016 consacre une nouvelle fois le PJD qui a gagné un plus grand nombre de voix et de sièges. L’USFP, qui était l’une des principales forces politiques dominante après les législatives de 1997, est arrivée en sixième position se contentant de seulement 20 sièges. Le PPS qui a fait volteface en 2011 en s’alliant avec le PJD pour diriger le gouvernement a également perdu en influence électorale en passant de 18 sièges en 2011 à 12 sièges en 2016.4 La Fédération de la gauche démocratique (FGD), qui a décidé de participer à ces élections après que

deux partis de la coalition aient décidé de les boycotter en 2011, s’est contentée quant à elle de deux sièges. Aucune des figures de proue de cette coalition qui se sont présentées aux élections n’a réussi à se faire élire

au parlement.

Déphasée par rapport aux masses populaires qu’elle souhaitait représenter, éparpillée en plusieurs courants, la gauche lutte pour sa survie car elle risque de disparaitre politiquement. La situation actuelle de la gauche marocaine nécessite une analyse approfondie des principales causes qui expliquent sa précarité actuelle.

II. OBJECTIF ET HYPOTHÈSE

Cette recherche porte sur le déclin de la gauche marocaine dans le but d’en apprendre davantage sur les causes qui expliquent son repli. Nous avançons l’hypothèse selon laquelle le déclin de la gauche au Maroc s’explique par la combinaison d’un ensemble de facteurs externes et internes. Dans ce contexte, nous analyserons les principaux facteurs qui ont mené à cette situation de régression. Il s’agit alors de s’attarder aux principales contraintes internes et externes qui expliquent la position précaire actuelle des partis de gauche au Maroc.

III. CADRE THÉORIQUE

Les recherches sur les partis politiques et les transformations du phénomène partisan dans le contexte autoritaire peuvent être appréhendées selon différentes grilles d’analyse. Cependant, au Maghreb comme dans le reste du monde arabo-musulman, trois principaux paradigmes dominent l’analyse. Le premier s’inspire de la théorie des clivages sociaux. Pierre-Robert Baduel qui a coordonné un ensemble de travaux sur les partis

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5

politiques dans le monde arabe5, proposait d’adapter la théorie des clivages sociaux à la situation des pays

arabes. Il s’appuie principalement sur la typologie élaborée par M. Charlot6 à partir des classifications proposées

par Stein Rokkan et Daniel-Louis Seiler. Cette typologie classe les partis autour de quatre clivages : église-État, centre-périphérie, possédants-travailleurs, État-société civile.7 Pour Baduel, la classification avancée par

Rokkan pourrait s’appliquer dans les pays arabes avec une certaine adaptation à la situation de ces pays. Trois de ces clivages pourraient être présents dans les sociétés arabes. À la place du clivage d'Église/État, Baduel propose de mettre Islam/État, entre partis politiques religieux et partis sécularistes. Pour le clivage centre/périphérie, il s’adapterait selon l’auteur dans le contexte arabe au clivage entre partis « centralistes généralement arabistes », et les partis « ethno-régionalistes ». Ces derniers regroupent d’un côté, les partis qui revendiquent vivement la reconnaissance de plurilinguisme comme dans le cas des berbères par exemple. De l’autre côté, des partis qui réclament une reconnaissance nationaliste comme c’est le cas des Kurdes.8

Finalement, pour ce qui est du clivage État/société civile, il correspondrait dans le contexte arabe au clivage entre « les partis d’élites/les partis populaires. »9

Certains auteurs affirment cependant que la classification avancée par Pierre Robert Baduel ne pourrait s’appliquer dans son intégralité dans le contexte arabe. Les clivages présentés par l’auteur ne peuvent donc pas se concrétiser dans les sociétés arabes, car les scènes partisanes sont particulièrement affectées par une fracture entre les élites et les peuples. Ce constat se dégage de l’analyse de Michel Camau et Vincent Geisser qui ont remis en cause la possibilité de transférer ou d’identifier ces clivages dans le contexte arabe en s’attardant notamment au cas de la Tunisie. Pour les auteurs, ces clivages dans le contexte arabe « représentent l’antithèse du paradigme rokkanien »10. Ceci s’explique par le fait qu’ils « ne remplissent aucune fonction de médiation entre la société civile et la société politique parce que précisément leur rôle n’est pas de convertir les conflits en projets politiques globaux mais de les atténuer à partir de leur position d’éclaireurs, reproduisant ainsi la coupure nukhba/’amma (élite/masse). »11

5 Pierre-Robert BADUEL (dir), « Les partis politiques dans le monde arabe », tome I, « Le Machrek » Revue du monde musulman et de

la Méditerranée , Année 1996, Volume 81-82.

6 Jean et Monica CHARLOT, 1985, « Les groupes politiques dans leur environnement » et « L'interaction des groupes politiques », in

Madeleine Grawitz et Jean Leca (dir.), tome III, pp. 429-495 et 497-536.

7 Pierre-Robert BADUEL, « Les partis politiques dans la gouvernementalisation de l’État des pays arabes. Introduction », REMMM,

numéros 81-82, 1998, pp. 28-31.

8 Pierre-Robert BADUEL, op, cit., p. 28. 9 Ibid., p. 28.

10 Michel CAMAU et Vincent GEISSER, Le syndrome autoritaire : politique en Tunisie de Bourguiba à Ben Ali., Presses de Sciences

Po, Paris, 2003, p. 249.

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Le deuxième paradigme interprète le fonctionnement du phénomène partisan en recourant au paradigme segmentaire. Soulignons à prime abord que cette approche a largement dominé les analyses de l’anthropologie et la sociologie anglo-saxonne sur le Maghreb. Le cadre d’analyse segmentaire a d’abord été utilisé par un certain nombre de chercheurs anglo-saxons pour expliquer les faits de vie tribale dans des contextes de sociétés dépourvues de pouvoir centralisé. S’inspirant principalement des réflexions développées par E. Durkheim sur l’évolution des sociétés et des travaux d’Evans-Pritchard, des auteurs comme Ernest Gellner et David. M. Hart12

se sont penchés sur l’étude des sociétés du Maghreb et particulièrement les faits de la vie tribale dans les tribus marocaines du Haut-Atlas ainsi que du Rif. Le postulat principal de la grille d’analyse segmentaire réside dans le fait qu’il « voit un système politique comme un ensemble de relations au sein des communautés de base, cet ensemble pouvant se transposer au sein d'un système national dont la compréhension n'est possible qu'à partir de l'analyse des modèles des sociétés de base. » 13

En 1968, le chercheur américain John Waterbury14 adopte cette théorie pour expliquer le comportement politique

des élites au Maroc. Ce qui est nouveau dans cette analyse est son application à la vie politique ainsi que le comportement politique de la monarchie et des élites marocaines. Les thèses développées par Ernest Gellner et David. M. Hart, se penchaient quant à elles principalement sur l’équilibre structural et la concurrence entre tribus. Dans le contexte marocain, cette grille d’analyse peut s’interpréter ainsi : dans son comportement politique, l’élite dirigeante marocaine recours aux traditions culturelles tout en exploitant habilement à son profit les outils des régimes politiques modernes pour asseoir sa domination. En fait, les arguments avancés par John Waterbury ont permis de démontrer que les comportements de la classe dirigeante et de l’élite politique sont largement influencés par la tradition et le tribalisme. Il a en outre constaté que la « vie politique au Maroc consiste (...) dans une fronde permanente entre les unités politiques, dans une atmosphère de criseet de tension qui contribue en fait à maintenir l’équilibre de la société et à le restaurer le caséchéant. »15

En ce qui concerne les structures partisanes marocaines, cette grille d’analyse démontre que « la formation ou l’éclatement des partis politiques fait « ressortir la dynamique du processus segmentaire. »16 Il existe une

structure politique spécifique aux formations politiques marocaines. En ce sens, un parti politique « ne

12 Ernest GELLNER,(1969), Saints of the Atlas, London, Weidenfeld and Nicholson Editors. HART D. (1970), « Conflicting Models of a

Berber Tribal Structure in the Moroccan Rif: the Segmentary and Alliance Systems of the Ait Waryaghel », Revue de l'Occident et de la Méditerranée, vol. VII, n° 1, pp. 93-99.

13 Jean LECA, « Pour une analyse comparative des systèmes politiques méditerranéens », Revue française de science politique,

27ᵉ année, n°4-5, 1977, p. 572.

14 John WATERBURY, The Commander of the Faithful: The Moroccan Political Elite. A study in segmented politics, New York

Columbia University Press, 1970, 368 pages.

15 John WATERBURY, Le commandeur des croyants. La monarchie marocaine et son élite, édition, Presses universitaires de France,

Paris, 1975, p. 24.

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représentait pas un ensemble d’individus unis par un consensus sur une ligne politique mais (…) un agrégat de groupes, entrés au parti en tant que groupes avec des objectifs essentiellement défensifs. » 17 L’éclatement

des partis est lié à leur structure car, étant divisés en groupes « eux-mêmes divisés en clans qui constituaient la clientèle personnelle d’un leader ».18 Cette grille fait également ressortir que les rivalités entre « les chefs de

factions » ont provoqué des ruptures qui ont contribué aux scissions et à la création de nouvelles formations politiques.19 Dans ce contexte, pendant que les partis politiques se livrent à des luttes, « la monarchie attise et

arbitre leurs oppositions. La tension entre ces groupes est maintenue à un niveau assez élevé pour qu’ils n’aient pas la mauvaise idée de se coaliser contre le palais, mais elle est aussi contenue dans des limites qui assurent la survie du système. »20

Le troisième paradigme, celui de l’école « des consolidologues », qui s’inscrit en faux contre le paradigme de transition s’attarde sur les grandes capacités de l’autoritarisme à conserver le pouvoir, à survivre et à se perpétuer. Contrairement aux analyses politiques des « transitologues », cette thèse de « la fin du paradigme de la transition » soutenue par Thomas Carothers soutient que la plupart des pays de la troisième vague de démocratisation des années 1980-1990, n’ont pas réussi à se transformer en véritables démocraties. Selon les constats de l’auteur, la plupart de ces États en transition se retrouvent dans ce qu’il a appelé une zone grise car ils ne peuvent être catégorisés de régimes autoritaires ni de régimes démocratiques.21 Seule une faible

proportion de ces États a mis de l’avant une vraie démarche démocratique. Les ouvertures politiques initiées pendant cette période se sont donc soldées par des échecs dans la plupart des cas, ce qui a mené à la consolidation des régimes autoritaires.

La science politique comparée a alors tenté d’opérer une certaine classification de ce type de régimes où l’autoritarisme coexiste avec certaines pratiques démocratiques. Aussi, dépendamment de la classification selon qu’il s’agit de l’autoritarisme compétitif, de régimes hybrides ou d’autoritarisme électoral, Michel Camau souligne que ces appellations ont « le mérite de souligner les limites du paradigme de la transition et de la troisième vague de démocratisation, et témoignent du fait que le syndrome autoritaire perdure dans le cadre de formules politiques renouvelées. »22

17 John WATERBURY, op.cit., p. 219. 18 Ibid., p. 219.

19 Ibid., p. 195.

20 Rémy LEVEAU, Le Fellah marocain défenseur du trône, Presse de Science Po, Paris, 1985, p. 239.

21 Thomas CAROTHERS, « The end of the transition paradigm », Journal of Democracy, vol. 13, n°1, janvier 2002, p. 9. 22 Michel CAMAU, 2006, « Globalisation démocratique et exception autoritaire arabe », Critique Internationale, Volume 30, p. 75.

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Steven Levitsky et Lucan Way ont pu identifier certains États qu’ils qualifient de régimes pouvant entrer dans la catégorie d’ « autoritarisme compétitif ». Dans de tels systèmes, les institutions prennent la forme apparente d’une démocratie combinée avec des formes et des pratiques autoritaires. Les deux auteurs avancent que les quatre critères minimums23 que l’on retrouve dans les régimes démocratiques modernes ne sont pas respectés

dans les régimes autoritaires compétitifs. Ils constatent que les dirigeants de ces régimes, bien qu’ils recourent sur une base régulière aux élections, « abusent systématiquement des ressources de l’État, refusent toute couverture médiatique à l'opposition, harcèlent les candidats de l'opposition et leurs partisans et, dans certains cas, manipulent les résultats des élections. »24 Ils peuvent également recourir à d’autres méthodes de répression telles que la menace, le harcèlement, l’espionnage et l’intimidation contre les journalistes et les membres d’opposition qui critiquent le gouvernement.25 Larry Diamond, quant à lui, considère que la principale

caractéristique des régimes autoritaires compétitifs réside dans le fait que « les élections sont en grande partie une façade », à travers lesquelles, « le parti au pouvoir ou le parti dominant remporte presque tous les sièges. »26

Andreas Schedler, se penche de son côté sur la distinction entre démocratie électorale et autoritarisme électoral. Cette distinction s'appuie selon l’auteur sur l'affirmation commune selon laquelle la démocratie nécessite des élections, mais pas n'importe quel type d’élections. Il avança à cet effet que « dans une description commune, les élections doivent être « libres et équitables » pour être qualifiées de démocratiques. »27 Tout comme Steven

Levitsky et Lucan Way, il affirme que dans les démocraties électorales, les compétitions sont conformes aux normes démocratiques minimales, tandis que dans les cas des régimes d'autoritarisme électoral, ces normes sont violées28. Aussi, même si la plupart des régimes autoritaires organisent des élections, Andreas Schedler

estime toutefois que la distinction entre la démocratie électorale et l’autoritarisme électoral dépend essentiellement du degré de liberté et d’équité dans ces élections. Ces deux critères font défaut dans les régimes d’autoritarisme électoral, car on assiste plutôt à des systèmes où les votes sont manipulés de façon systématique, ce qui enlève toute chance de succès aux partis d'opposition. Larry Diamond n’exclut toutefois pas l’idée d’une victoire de l’opposition dans de tels systèmes. Il indique ainsi que « bien qu’une victoire de l’opposition ne soit pas impossible, elle requiert un degré de mobilisation, d’unité, de compétence et d’héroïsme qui surpasse de loin ce qui serait normalement nécessaire dans une démocratie. »29 Ce constat rejoint celui de

Steven Levitsky et Lucan Way qui soutiennent que « les systèmes politiques sombrent dans l'autoritarisme

23 Steven LEVITSKY, Lucan WAY , « The Rise of Competitive Authoritarianism » , Journal of Democracy, The Johns Hopkins

University Press, Baltimore, volume XIII, Number 2, April 2002 , p. 53.

24 Steven LEVITSKY, Lucan WAY, op.cit., p.53. 25 Ibid., p.53.

26 Larry Jay DIAMOND, « Thinking About Hybrid Regimes », Journal of Democracy, Johns Hopkins University Press, Volume 13,

Number 2, April 2002, p. 29.

27 Andreas SCHEDLER, 2002. "The Menu of Manipulation." Journal of Democracy, Johns Hopkins University Press, Volume 13,

Number 2, April 2002, pp. 37-38.

28 Andreas SCHEDLER, op.cit., pp. 37-38. 29 Larry DIAMOND, op.cit., p. 24.

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électoral lorsque les violations des critères minimaux de la démocratie sont si graves qu'elles créent un terrain de jeu inégal entre le gouvernement et l'opposition. »30

Dans un tel contexte, le recours des dirigeants autoritaires aux partis politiques et la tenue des élections servent à élargir leurs bases de soutien et à assurer la survie de leurs régimes. C’est la raison pour laquelle les partis politiques sont non seulement tolérés, mais aussi encouragés afin de renforcer la légitimité de leur pouvoir. Aussi, lorsque ces dirigeants se trouvent exposés à d’importants défis ou contraintes, ils tentent de solliciter la coopération des partis politiques d’opposition, alors qu’en cas d’échec, ils jettent le blâme sur eux. Dans cette perspective, la présence des partis politiques offre l’avantage de créer des contacts avec la population, de sonder l’opinion publique, les réactions des citoyens et permet d’informer les régimes sur de potentielles menaces, pour éventuellement les contrôler ou les réprimer. Les contacts des partis politiques avec la population peuvent aussi être utiles au régime en tant qu'outil de mobilisation populaire autour « d'une cause particulière ou en réaction à une menace perçue. »31 L’exemple parfait de cette situation est la forte implication des partis

politiques de gauche au Maroc après l’appel lancé par le régime marocain à ces derniers pour défendre sa thèse sur la marocanité de l’ancien Sahara espagnol au milieu des années 1970.32

Pour Barbara Geddes, les raisons qui poussent les régimes autoritaires à investir dans les partis et à recourir aux élections s’expliquent par les avantages qu’ils procurent à leurs dirigeants. Un tel recours contribue à résoudre les conflits auxquels ils font face et qui sont susceptibles de les déstabiliser ou de mettre fin à leur pouvoir. Ces deux outils sont donc des éléments essentiels de leur stratégie de survie personnelle et de prolongement de leur régime.33

Les élections servent aussi les intérêts des régimes car ils fournissent aux détenteurs du pouvoir des informations sur l'ampleur de l'opposition au sein du pays. Les élections remportées contre les partis d’opposition sont bien entendu plus convaincantes que les élections plébiscitaires. Cela peut expliquer pourquoi un si grand nombre de régimes autoritaires établis permettent aux partis d’opposition et à leurs membres de se porter candidats aux élections. Permettre à l’opposition de remporter quelques sièges est généralement interprété comme une soupape de sécurité pour l’opposition, mais l’existence d’une opposition rend également plus

30 Voir Levitsky, op.cit., p.53 et Diamond Larry, op.cit., p. 28.

31 Michael J. WILLIS, ‘’Political parties in the Maghrib: The Illusion of significance?’’ The Journal of North African Studies, 7:2, 2002,

pp. 3-4.

32 Ibid., p. 4.

33 Barbara GEDDES, “Why Parties and Elections in Authoritarian Regimes?”, revised version of paper prepared for presentation at the

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crédibles les victoires électorales en tant que signes de l’assentiment du public.34 Les élections permettent

également d’assouvir les ambitions personnelles des membres de l’élite qui désirent faire carrière en politique. Certains bénéfices découlent de l’obtention d’un mandat politique et cela permet aux détenteurs du pouvoir de répartir le butin entre les membres de l'élite.35 Elles servent en plus à coopter les partis d’opposition qui,

incapables d’infléchir les régimes qu’ils sont supposés combattre, se trouvent alors obligés « de cogérer la crise sociale et politique et, donc, d’extraire de leur inclusion de précieuses ressources pour la consolidation autoritaire. »36

À la lumière de ce qui précède, nous pouvons alors situer le système politique marocain dans la catégorie des régimes « d’autoritarisme électoral ». Le régime marocain se caractérise par l’existence d’un système de pluripartisme, certes réel, mais contrôlé, et d’un jeu politique plus au moins compétitif qui permet à des partis d’opposition de s’organiser et de participer aux élections.

Toutefois, ce régime demeure largement affecté par le syndrome répandu dans les régimes de la « zone grise » que Thomas Carothers qualifie « de syndrome du pluralisme irresponsable (feckless pluralism). Dans les régimes imprégnés par ce syndrome, on observe notamment une rupture entre les citoyens et les élites politiques et un mécontentement du public vis-à-vis de la vie politique.37 Dans un tel contexte, les élites

politiques représentées au sein des partis politiques « sont largement perçues comme étant corrompues, défendant leurs intérêts personnels, malhonnêtes et peu soucieuses de travailler pour leur pays. »38

D’autre part, le régime marocain est également imprégné par le « syndrome de pouvoir politique dominant (dominant-power politics). »39 Pour Thomas Carothers, « les pays qui sont affectés par ce syndrome ont un

espace politique restreint mais réel, autorisant dans une certaine mesure la contestation de groupes d’opposition, et possèdent des institutions démocratiques élémentaires. »40 Toutefois, la particularité de ces

régimes affectés par un tel syndrome réside selon Thomas Carothers dans leur configuration politique.

Celle-34 Barbara GEDDES, op.cit., p. 21.

35 Jennifer GANDHI and Ellen LUST-OKAR, « Elections Under Authoritarianism », Annual Review of Political Science, Volume 12,

2009, p. 405.

36 Abderrahim EL MASLOUHI, « La gauche marocaine, défenseure du trône. Sur les métamorphoses d’une opposition

institutionnelle », L’Année du Maghreb [En ligne], V | 2009, mis en ligne le 01 novembre 2012, consulté le 30 octobre 2018. URL: http://journals.openedition.org/anneemaghreb/ 485; DOI: 10.4000/anneemaghreb.485

37 Thomas CAROTHERS, op.cit., p.10. 38 Ibid., p. 10.

39 Ibid., p. 11. 40 Ibid., p. 11.

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ci étant organisée « autour d’un mouvement, d’un parti, d’une famille ou d’un leader seul, se présente de telle sorte qu’il n’existe pour ainsi dire pas de perspective d’alternance au pouvoir dans un avenir envisageable. »41

Partant de ces constats et à la lumière des éléments présentés, on peut affirmer que « Les deux cas de figure se combinent dans la société politique marocaine, toute dominée qu’elle est par le Palais et son administration. »42 Le régime marocain pourrait de ce fait se situer dans cette configuration avancée par Thomas

Carothers, Diamond Larry, et Andreas Schedler dans laquelle coexistent les attributs propres au régime d’autoritarisme électoral. Le régime est à la fois autoritaire et compétitif car il s’accommode de certaines règles démocratiques. Dans le système politique marocain, la monarchie dispose de la totalité des pouvoirs en plus d’avoir la main haute sur certains secteurs économiques et ministères stratégiques qui font partie de « son domaine réservé ». Cependant, en dépit de son hégémonisme, elle tolère un jeu électoral plus au moins compétitif et constat. Elle recourt en fonction de ses besoins à des changements des lois électorales et intervient via ses agents d’administration pour orienter subtilement les résultats des élections. Le but étant de s’assurer qu’aucun parti ne dispose de la majorité des sièges. Elle n’hésite pas à recourir à l’intimidation, à l’exclusion, et le cas échéant, à la répression contre les éléments d’opposition jugés récalcitrants, de même que contre les journalistes indépendants. Tout en exhibant « une vitrine démocratique », le régime continue toujours de fonctionner sensiblement comme par le passé.43 La tendance générale est marquée par une coexistence entre

l’autoritarisme et un pluralisme contrôlé.

Pour l’ensemble de ces raisons évoquées, nous nous appuyons sur cette approche de l’autoritarisme électoral car nous estimons que cette grille s’impose à l’analyse et demeure incontournable pour mieux comprendre le fonctionnement du système partisan marocain.

IV. QUESTION DE RECHERCHE

La question de recherche soulevée dans le cadre de ce mémoire peut être énoncée comme suit :

Qu’est ce qui explique le recul et l’échec de la gauche marocaine, pourtant bien positionnée il y a quelques décennies sur le terrain politique? Comment a-t-elle basculé vers le compromis avec le régime en acceptant de jouer le jeu de la cooptation et de la consolidation de l’autoritarisme?

41 Thomas CAROTHERS, op.cit., pp.10-11.

42 Myriam CATUSSE, « Les coups de force » de la représentation. In Scènes et coulisses de l’élection au Maroc p. 69-104, Mounia

Bennani-Chraïbi, Myriam Catusse, Jean-Claude Santucci (dir.) Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, 2005.

43 Khadija MOHSEN FINAN, Malika ZEGHAL, « Maroc, un régime hybride », Libération, 27 septembre 2007, [En ligne],

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V. MÉTHODOLOGIE

Cette recherche procède à une analyse de la littérature sur la gauche marocaine. Elle intègre aussi des données qualitatives recueillies dans le cadre d'entrevues avec certains idéologues et cadres des partis de gauche au Maroc, de même que dans le dépouillement et l'examen de documents internes des partis étudiés. Le volet qualitatif de cette recherche a été élaboré en recourant aux entretiens ainsi qu’à l'analyse de contenu. Des entretiens avec des cadres des partis politiques de gauche marocain ont été réalisés afin d’alimenter la réflexion et de réaliser une analyse complète sur le sujet étudié. Nous avons ciblé des dirigeants et idéologues qui sont des témoins clés et disposant d’un accès privilégié à l’information et à la prise de décision. Le moyen d’investigation sélectionné fut l’entretien non-directif. Ce choix était justifié par le fait qu’il permet de bien éclairer la réflexion en confrontant, puis en analysant l’ensemble des interprétations et explications avancées par les différents protagonistes interviewés. Il permet également « d’enrichir le matériel d’analyse et le contenu de la recherche. »44 L’un des plus grands avantages de l’entretien non-directif, est qu’il « est réalisé sans grille

d’enquête préalable. L’enquêté(e) jouit donc d’une grande liberté pour orienter les échanges. Mais l’enquêteur ne s’efface pas complètement. Il pose le cadre initial de l’échange et peut réagir ponctuellement pour relancer, voire pour recentrer la discussion. » 45 Ce type d’entretien offre également « la possibilité de permettre

d’explorer plus en profondeur les différentes facettes de l’expérience de l’interviewé. » 46

Jean Poupart considère l'interviewé dans le cadre de de l’entretien non-directif : « comme un informateur clef susceptible précisément « d’informer » non seulement sur ses propres pratiques et ses propres façons de penser, mais aussi, dans la mesure où il est considéré comme représentatif de son groupe ou d'une fraction de son groupe, (…) et sur ses divers milieux d'appartenance. » 47 Dans ce contexte, l’informateur est perçu

« comme un témoin privilégié, un observateur, en quelque sorte, de sa société, sur la foi de qui un autre observateur, le chercheur peut tenter de voir et de chercher la réalité. » 48

Nous avons réalisé des entretiens individuels auprès de six cadres de partis de gauche qui connaissent bien l’histoire de leurs formations respectives et les enjeux et défis auxquels ils font face. Dans ce cadre, notre stratégie en tant qu’intervieweur a consisté à laisser une grande marge de liberté à nos interviewés afin qu’ils puissent s'exprimer ouvertement sur les questions abordées. Nous avons considéré certains de nos

44 Jean POUPART, « L’entretien de type qualitatif : considérations épistémologiques, théoriques et méthodologiques ». In Poupart,

Jean (dir). La recherche qualitative : enjeux épistémologiques et méthodologiques. Boucherville, Gaétan Morin, 1997, p. 208.

45 Coman RAMONA et al. Méthodes de la science politique : De la question de départ à l'analyse des données, Éditions Deboeck,

2016, p. 112.

46 Jean POUPART, op.cit., p.209. 47 Ibid., p. 206.

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interlocuteurs, notamment Mohammed Sassi, Mostafa Bouaziz et Abdellah El Harif comme étant « des informateurs clefs ». L'expérience personnelle de chacun d'entre eux reflète celle de leur parti, de leur communauté et de leur génération. Ils sont des témoins et des observateurs privilégiés des contextes entourant la naissance et la transformation des forces de gauche qui sont passées de l’option révolutionnaire au réformisme, au compromis, et à la restructuration récente de certaines de ces forces.

Nous tenons à souligner que les sujets interviewés se sont montrés fortement engagés dans les différentes questions entourant l’objet de cette recherche. Un autre aspect remarquable, est le fait que nos interlocuteurs se sont montrés ouverts et critiques à l’égard de leurs formations respectives. Cette ouverture nous a permis d’explorer davantage les différentes opinions formulées et d’alimenter la réflexion sur le sujet. Les entrevues ont été réalisées au Maroc lors d’un séjour effectué en novembre et décembre 2017. Une deuxième partie d’entrevues a été réalisée à partir du Canada durant les mois d’avril, mai et juin 2018. Elles ont été d'une durée approximative de 60 minutes et certains se sont répétés jusqu'à 3 reprises.

Comme nos interlocuteurs sont des personnalités publiques, leurs coordonnées ont été obtenues par le biais de recherches sur le web et de contacts sur le terrain. Les convocations aux entrevues ont été effectuées par courriel et par téléphone. Les entretiens ont débuté par un bref résumé de l’objet de la recherche auquel se sont ajouté trois questions ouvertes tel que présenté à l’annexe 1.

En plus de ces entretiens, une synthèse des principales références issues d’archives, d’articles, d’études et de documents internes des partis a été produite. À ce propos, nous avons sélectionné les documents ayant une valeur significative pour la compréhension des différentes positions et des débats au sein de ces partis. Nous avons également eu recours aux études théoriques effectuées sur certains partis de gauche et le phénomène partisan marocain, sur la monarchie ainsi que sur les élections et les ouvrages traitant de la vie politique marocaine.

VI. PERTINENCE

Nous considérons que certaines études sur la gauche marocaineont été plutôt limitatives car davantage centrées sur un ou quelques partis alors que nous proposons de faire une étude englobant l’ensemble des formations qui se réclament de la gauche dans son acception universelle. De plus, certaines études, comme celles mentionnées dans la revue de littérature ont porté leur analyse sur la période de 1960 à 1980. Or, le paysage politique marocain actuel est parsemé de plusieurs groupes et partis de gauche plus récents dont certains ont vu le jour dans les années 1990 et 2000, ce qui mérite une analyse approfondie sur le sujet. Il est

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aussi essentiel de mentionner que l’étude se fait dans un contexte particulier qui a suscité beaucoup d’interrogations sur la position de la gauche par rapport aux soulèvements populaires de 2011 au Maroc ainsi que le soulèvement dans la région du Rif qui a perduré d’octobre 2016 jusqu’à l’automne 2017. La recherche tentera d'apporter un nouvel éclairage et des éléments de réflexion sur le déclin de la gauche marocaine ainsi que sur ses difficultés à constituer une alternative politique. À ce propos, nous espérons contribuer à travers l’analyse de la situation actuelle de la gauche marocaine à l'élaboration d'une nouvelle littérature sur le phénomène partisan au Maroc.

Cette recherche sur le de déclin de la gauche marocaine pourrait être employée pour analyser le déclin de la gauche dans le monde arabe. Aussi, certaines explications présentées sont également valables pour expliquer le déclin de la gauche dans l’espace arabo-musulman. Dans les pays arabes, les partis de gauche ainsi que les mouvements d’extrême gauche ont connu pratiquement le même sort que la gauche marocaine. Que ce soit la gauche algérienne, tunisienne, égyptienne, yéménite, libanaise, syrienne, irakienne, les mouvements ont été presque identiques. Ils étaient sous une vision que tous les régimes arabes sont des régimes croulants dont on devait se débarrasser par une révolution. Ils croyaient alors que les conditions à la révolution étaient prêtes, les peuple étant exaspérés et révolutionnaires par essence. On répétait aussi que la vérité est révolutionnaire et qu’il ne manquait qu’un parti de l’avant-garde, pour rassembler ce qu’on appelait à l’époque les conditions objectives et les conditions subjectives nécessaires pour mener la révolution. Le déclin de ces partis et des mouvementsde gauche était quasi inscrit dans l’évolution globale de ces sociétés, car elles sont demeurées profondément conservatrices.

Des similitudes quant à la trajectoire subie par les partis communistes dans de nombreux pays du Maghreb comme dans le monde arabe sont également manifestes. Les partis se réclamant du communisme ont fait l’objet d’interdiction et de répressions continues et n’ont été autorisés à agir dans la légalité qu’après avoir abandonné leur idéologie et s’être adapté aux spécificités locales. On constate aussi une certaine similitude quant aux stratégies adoptées par certains régimes en Afrique du Nord dans les années 1970 et 1980 pour faire face à la montée de la gauche et de l’extrême gauche. Aussi, que ce soit en Égypte, en Tunisie, en Algérie ou au Maroc, les régimes ont courtisé avec des mouvements d’inspiration religieuse pour contrer l’influence grandissante des courants de gauche notamment dans les universités. L’étude présente également une similitude quant à l’échec de la majorité des partis de gauche arabe toutes tendances confondues à mener la bataille culturelle. Ils ont donc échoué sur ce terrain.

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VII. PLAN DU MÉMOIRE

Ce mémoire divisé en deux parties, présente dans un premier temps la clarification conceptuelle de la gauche dans le contexte arabe et marocain, les origines de la gauche marocaine ainsi que ses principales tendances. La deuxième partie sera consacrée aux principaux facteurs externes et internes qui ont fortement affaibli les partis de gauche au Maroc.

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PREMIÈRE PARTIE : LA GAUCHE MAROCAINE : DÉFINITION, ORIGINE ET PRINCIPALES

TENDANCES

CHAPITRE I : LA GAUCHE MAROCAINE : DÉFINITION ET ORIGINE

Que signifie être de gauche aujourd’hui au Maroc ? Comment définir la gauche au Maroc et dans le contexte arabe ? Et d’où tire-t-elle sa légitimité ?

1.1 Définition de la gauche

Face à une hétérogénéité de discours et de pratiques, « être de gauche » occupe depuis plusieurs années le centre de discussions et de débats au sein des cercles et milieux intellectuels arabes de gauche. Nous avons alors jugé nécessaire de s’attarder sur la définition de la gauche dans le contexte arabe et marocain afin d’en déterminer et redéfinir les contours et la signification précise. Cela nous aidera à bien saisir les orientations que les courants se réclamant de la gauche ont empruntées en fonction des changements et des mutations survenues dans le monde particulièrement depuis l’éclatement de l’URSS et l’effondrement du bloc socialiste.

Certaines études universitaires du domaine des sciences politiques s’accordent pour dire, qu’historiquement, la gauche est liée principalement aux théories développées par Karl Marx et Frédéric Engels. Le socialisme scientifique notamment inspirera les partis de gauche dans le monde arabe et cette idéologie deviendra l’une des plus influentes au sein des courants se réclamant de la gauche.

Certains auteurs comme Mohammed Hanafi perçoivent la gauche comme l’ensemble des partis et courants qui se réclament du socialisme scientifique comme idéologie et méthode d’analyse. La gauche peut être ainsi définie sur le plan idéologique comme l’ensemble des courants qui s’inspirent du socialisme scientifique pour analyser les réalités économiques, sociales, culturelles et politiques.49 Dans la sphère politique, la gauche est vue comme

le parti politique révolutionnaire dont le rôle consiste à défendre la classe ouvrière, et une fois au pouvoir, assurera le transfert de la propriété des moyens de production matérielle au profit du peuple.50

Mais cette définition qui semble correspondre à un contexte où les partis de gauche s’affirmaient révolutionnaires et visaient la conquête du pouvoir par la révolution est-elle valable encore aujourd’hui ?

49 Mohamed HANAFI, « Autour de la conception de la gauche et son contexte… », Revue du dialogue civilisé, (en Arabe), Numéro 1282,

août, 2005, p. 1.

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Il faut dire que la gauche marocaine tout comme la gauche arabe a subie des mutations à la suite des répressions, des scissions et pressions importantes qui l’ont forcée à modérer son discours et à procéder à des réajustements sur les plans idéologique et politique. De plus, les transformations survenues depuis l’effondrement du mur de Berlin, l’éclatement de l’ex-URSS et la dislocation du bloc socialiste ont porté un coup dur aux prévisions révolutionnaires qui s’inspirent de l’idéologie marxiste-léniniste et du socialisme scientifique. Cette situation a obligé la gauche arabe à chercher à se réinventer tout en tentant de garder ses affinités idéologiques avec le socialisme. La plupart des partis de gauche arabe ont alors remis en question le socialisme scientifique comme principale référence. Au Maroc, bien que les statuts de certains partis se réfèrent encore à cette idéologique en tant que méthode d’analyse, il n’empêche, qu’elle a été vidée de son contenu révolutionnaire afin de s’adapter aux spécificités de la société marocaine. L’option révolutionnaire et la culture de confrontation ont été abandonnées au profit d’un discours de compromis et de démocratisation du régime. Cette solution devint la référence et la principale alternative de la plupart des partis de gauche pour réaliser le changement souhaité. Il ne s’agit alors plus de confrontation avec le régime, mais plutôt d’une adhésion totale au jeu politique et institutionnel mis en place par le pouvoir et « la réconciliation du socialisme et du libéralisme dans le cadre d’une démocratie sociale. » 51

Certains partis de l’extrême gauche tel que le Parti de la voie démocratique et certaines petites factions de gauche actives au sein des universités continuent de se réclamer d’un socialisme révolutionnaire. Il faut néanmoins dire que des forces de gauche continuent toujours de croire que le socialisme demeure la meilleure solution car il mobilise les ressources vers l'amélioration des conditions de l'humanité dans son ensemble. Ces forces s’unissent contre le capitalisme qu’elles considèrent la principale source d’inégalités, d’exploitation et de destruction. Pour cela, il n’est pas logique selon ces forces, « d'être gauchiste et de croire, en même temps, que le capitalisme est l’étape la plus culminante du développement humain. » 52 Pour ces forces, le socialisme est

au cœur d’une vision à long terme afin de réaliser la justice sociale et la libération sans recourir à la violence. Pour cela, la gauche arabe privilégie l’atteinte de certains objectifs prioritaires à court et moyen terme tels que l’indépendance de la mainmise étrangère et impérialiste, la justice sociale, l’égalité et la démocratie.

À la lumière des éléments précédents, il importe de se questionner sur la signification « d’être de gauche » dans le contexte arabe et marocain actuel. Dans le but d’enrichir la réflexion sur le sujet et contribuer aux débats sur la question, il est intéressant d’exposer les avis d’un certain nombre d’acteurs politiques interviewés dans le cadre de cette étude.

51 Abdelkebir KHATIBI, 1998, L’alternance et les partis politiques, Essai, Casablanca, Éditions Eddif, p. 52.

52 Jamil HILAL, 2014, ‘’Introduction: On the Self-Definition of the Left in the Arab State.” In Mapping of the Arab Left: Contemporary Leftist

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Pour Abdellah El Harif : « sont de gauche les forces qui luttent pour la libération nationale et la démocratie et défendent les valeurs du progrès, de liberté, de laïcité, d’égalité et de dignité humaine ».53

De son côté, Nabila Mounib estime qu’être de gauche :

C’est mettre en place un projet de développement économique, qui s’appuie sur des réformes politiques, pour assurer un développement social pour la justice sociale. C’est pouvoir initier une révolution culturelle émancipatrice de l’être humain et favorable au développement d’un État démocratique moderne. C’est aussi promouvoir la valeur « liberté » en tant que valeur des valeurs et garantir le vivre ensemble et la dignité humaine et convaincre que la réponse politique de gauche est la solution pour mieux faire entendre la voix des mouvements sociaux qui se développent. 54

Pour Saïd Saadi:

Être de gauche, c’est d’abord refuser l’ordre établi aux niveaux mondial, national et local. C’est se révolter contre la domination du capital et de la concurrence effrénée et généralisée qui broie l’être humain et la nature. C’est refuser que le capitalisme soit l’horizon indépassable de l’humanité alors que c’est une construction sociohistorique et non une donnée naturelle. C’est défendre des valeurs de liberté, de démocratie, de justice sociale et environnementale et d’égalité des sexes (…)55

Quant à Mostafa Bouaziz, il avance que les gens de gauche aujourd’hui au Maroc, sont « ceux qui développent un argumentaire fondé sur un système de valeurs comportant citoyenneté, lien de droit, égalité des chances, séparation des pouvoirs, sécularisation, souveraineté du peuple, État de droit, etc. »56

Ainsi, ces définitions rejoignent celles que l’on retrouve dans les recherches académiques de même que dans les programmes de certains partis politiques de gauche au Maroc et dans le monde arabe. Il s’avère que la lutte pour la justice sociale occupe une place prépondérante et demeure la principale raison d’être de la gauche. On pourrait dès lors dire que « le concept de justice sociale est devenu le déterminant le plus répandu de la gauche dans le monde arabe ».57 Selon Nayef Hawatmeh, la gauche doit en plus de mener sa lutte pour « la justice

sociale et la répartition des revenus de l’État et de la société pour un nombre maximum de personnes »,58viser

l’atteinte des objectifs suivants : « la souveraineté panarabe, la libération de la dépendance et un développement humain durable dans toutes ses dimensions. » 59 En somme, pour lui, « la gauche est l'acteur

capable, de combiner à la fois la question nationale et les deux questions de démocratie et de justice sociale ».60

53 Abdellah EL HARIF, « Être de gauche de gauche aujourd’hui au Maroc », Majallat Ar-rabii, No 4, 2016, publiée par le Centre d’études

et de recherches M. Bensaïd Ait Idder (CERM), p. 149.

54 Nabila MOUNIB, « Être de gauche aujourd’hui au Maroc », Majallat Ar-rabii, No 4, 2016, publiée par le Centre d’études et de

recherches M. Bensaïd Ait Idder (CERM), pp. 141-142.

55 Saïd SAADI, « Être de gauche aujourd’hui au Maroc », Majallat Ar-rabii, No 4, 2016, publiée par le Centre d’études et de recherches

M. Bensaïd Ait Idder (CERM), pp. 135-136.

56 Mostafa BOUAZIZ: « Chronique d’une gauche éparpillée », Zamane, février 2013, p. 73.

57 Hilal JAMIL, “On the Meaning of the Left in the Current Arab Reality”, in Mapping of the Arab Left. Contemporary Leftist Politics in the

Arab East, p. 14.

58 Hawatmeh NAYEF cité par Hilal Jamil op. cit., p. 14. 59 Ibid., p. 14.

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La lutte pour la justice sociale doit donc amener la gauche à accorder une attention particulière aux secteurs qu’elle prétend habituellement protéger à savoir les travailleurs, les femmes, les démunis et les communautés marginalisées. C’est pour cela que la plupart des recherches et des articles liés à la littérature sur la gauche ont soutenu que sa signification fondamentale « se réfère à la question sociale. »61

En guise de conclusion, on constate que la signification de la gauche dans le contexte arabe et marocain tourne généralement autour de valeurs particulières telles que la justice sociale, l’égalité, la démocratie et l’indépendance.

1.2 Revue de littérature

Il est nécessaire de rappeler que plusieurs travaux, thèses et mémoires se sont penchés sur les partis de gauche au Maroc et sur les difficultés et obstacles ayant entravé les projets de ces formations à se transformer en véritable alternative. Ces études à travers différentes approches notamment historique et sociologique ont contribué à la compréhension des stratégies adoptées par le pouvoir afin de faire face aux courants modernistes et progressistes de gauche. Nous présenterons ici certaines études pertinentes sur le sujet.

Pour l’historien marocain Maâti Monjib62, la décennie 1955-1965 est d’une importance cruciale car tout a été

joué contre la gauche marocaine durant cette période. Selon lui, le fait historique le plus significatif de cette décennie est l’échec du mouvement national, d’essence citadine et anti-absolutiste, à imposer une réelle modernisation du pouvoir et de la société marocaine.63 Il explique cet échec par la réponse du Palais envers

les revendications de la gauche ; et ensuite s’attarde aux schismes et divergences qui éclatent au sein de ses rangs. Ainsi, face aux revendications de la gauche qui réclame l’élection d’une assemblée constituante, le régime décide de recourir à la répression et à l’intimidation. La répression s’adapte alors en fonction de la position des acteurs. Le régime n’hésite pas à recourir à l’assassinat de ceux qu’il considère irrécupérables, aux arrestations et à la torture des activistes, et à des pressions pour les hésitants. Selon l’auteur, le but « étant de précipiter la division du camp de l’opposition et de créer en son sein un climat de suspicion, de peur et de « sauve-qui-peut ».64 Son étude s’attarde ensuite sur les schismes au sein de la gauche. Ces divisions

s’expliquent notamment par les positions différentes de la gauche à l’égard du référendum constitutionnel. Ces schismes « permettent au Palais de mener à bien son plan de constitutionnaliser à sa guise le régime. »65

61 Hawatmeh NAYEF cité par Hilal Jamil op. cit., p. 16.

62 Maâti MONJIB, La monarchie marocaine et la lutte pour le pouvoir, Éditions L’Harmattan, 1992, 378 pages. 63 Ibid., p. 357.

64 Maâti MONJIB, op.cit., p. 266. 65 Ibid., p. 266.

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