Cahiers du CREAD n°74, 2005, pages 4759.
ZOHRA LHIOUI
[*]Les femmes diplômées et la prise de décision au Maghreb : le cas du Maroc
INTRODUCTION
Le Maroc, tout comme les autres pays du Maghreb, est en pleine mutation sociale. Le rythme du développement s'accélère et ses acteurs se diversifient. L'implication de plus en plus visible des femmes dans ce processus jusquelà réservé aux hommes n'est plus à démontrer et elles y sont pour beaucoup. Elles ont accédé à l'instruction et investissent progressivement des domaines longtemps réservés aux hommes. Peuton dire pour autant que tout va bien dans le meilleur des mondes? Malheureusement non car, malgré leur participation à tous les domaines du développement, les femmes sont tenues à l'écart de la sphère de décision.
Dans cette étude, je tenterai en me limitant à l'exemple du Maroc et en m'appuyant sur quelques statistiques, de répondre à deux interrogations majeures : pourquoi l'accès à la décision restetil fermé aux femmes diplômées ? Je prendrai en premier lieu comme exemple le cas de l'université marocaine pour étendre ensuite mon étude aux fonctions politiques. La deuxième question concerne particulièrement le type de mesures à prendre (à mettre en place) par les uns et par les autres pour favoriser une participation plus importante des femmes à la prise de décision au Maroc.
La décennie 19932003 est sans conteste la décennie de la femme au Maroc. En effet, une dynamique profonde a secoué la société grâce à l'action et aux revendications acharnées d'associations féminines et de droit qui ont été à l'origine de changements juridiques et de mesures politiques visant l'amélioration de la condition des femmes. L'année 1993 marque une date hautement symbolique dans le parcours du militantisme féminin, celle de la désacralisation du code du statut personnel qu'on considérait jusquelà comme intouchable. L'année 20032004 sera couronnée par l'importante réforme de la Moudawana qui, portant sa philosophie dans sa nouvelle appellation, deviendra dorénavant "code de la famille".
Il va sans dire que l'approche genre est au coeur de ce travail, elle est incontournable pour mettre en évidence les disparités liées au sexe et mieux comprendre les inégalités et les résistances face à l'accès des femmes à l'espace politique. Ce qu'il faut également retenir et qui me semble d'une importance majeure c'est qu'elle n'est pas seulement une approche mais "bel et bien une "perspective". Celleci n'est ni plus ni
moins que la promotion d'un projet de démocratie, d'une démocratie qui ne se réduit pas à une régulation électorale du jeu politique mais d'une démocratie "substantielle" qui vise à l'épanouissement des femmes et des hommes en les impliquant dans les choix fondamentaux de la société et en les faisant participer aux décisions qui engagent leur existence politique et sociale, ce qui renvoie à un autre concept tout aussi substantiel, celui de la citoyenneté. Elle est une perspective systémique et solidaire du développement dans laquelle les divers aspects de la situation des femmes (le juridique, le politique, l'économique, le social, le sanitaire…) sont sinon dans un ordre d'importance équivalent, du moins dans une vision stratégique intégrée."[1]
1 FAIBLESSE DE LA REPRÉSENTATIVITÉ FÉMININE DANS LES STRUCTURES UNIVERSITAIRES
Tous les observateurs (acteurs de la société civile) sont unanimes sur le constat concernant la lenteur qui caractérise le taux de représentativité des femmes dans les institutions législatives et exécutives de l'Etat ainsi que dans les structures partisanes et syndicales locales et nationales alors que paradoxalement leur présence dans les autres domaines de la vie publique est plus que visible. Même au niveau de l'université, lieu où normalement les femmes diplômées devraient occuper des postes de décision, leur présence dans toutes les structures dirigeantes reste dérisoire.
Les statistiques réalisées en 20012002 par la Direction de l'Evaluation et de la Prospective relevant de l'ancien Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique montrent clairement que dans l'évolution des effectifs des étudiants et des enseignantschercheurs le nombre des femmes a sensiblement augmenté entre 19961997 et 20012002.
Evolution des effectifs des nouveaux inscrits
Evolution des effectifs des étudiants tous cycles
Evolution des effectifs des étudiants du 3ème cycle
Evolution des effectifs des diplômés tous cycles
Evolution des effectifs des diplômés du 3ème cycle
Une première lecture de ces statistiques que j'ai simplifiées pour une meilleure visibilité à l'occasion de cette étude permettent quelques remarques: les filles représentent en 20012002 presque 50% (47,19%
plus exactement) des nouveaux inscrits à l'université par rapport à l'année 199697 où elles ne représentent que 41,44%. Elles représentent également 44,91% du total des inscrits tous cycles confondus en 20012002 marquant une légère hausse par rapport à l'année 199697 où le pourcentage des filles est de 42,32. Etrangement, le pourcentage des filles inscrites en 3ème cycle n'a pas évolué d'une façon sensible entre 1997 et 2002, de 31,11% il est passé tout juste à 31,94%.
Quant aux étudiantes diplômées tous cycles confondus, elles représentent 42,33% du total des diplômés en 20012002 inscrivant une hausse de 2% par rapport à 199697 (40,38%). Ce pourcentage baisse sensiblement quand il s'agit des filles diplômées du 3ème cycle, en effet, elles ne représentent que 28,74% du total avec une hausse de presque 5% par rapport à 199697.
Ainsi, le cursus universitaire se caractérisetil par une présence féminine de forme pyramidale. Au départ, elles représentent presque la moitié mais seulement 28% décrochent le diplôme du 3ème cycle. Ceci nous amène à voir ce qui se passe du côté des professeurs
chercheurs.
Personnel enseignant permanent (20012002)
Total du personnel
enseignant P.E.S.[2]P.H[3]Prof. Agrégé P.E.S.AssistantMaîtreAssistantAssistant Autres
F+H 9938 2788 925 234 4138 1247 135 426
F. 2374 408 134 62 1181 376 25 188
Ce tableau vient confirmer la lecture précédente ; il apparaît clairement que l'écart se creuse entre les deux sexes au fur et à mesure que les diplômes deviennent plus importants, les femmes professeurs de l'enseignement supérieur, donc détentrices d'un doctorat d'Etat, représentent seulement 14,63% de l'ensemble de cette catégorie alors que les femmes professeurschercheurs représentent sur le total des
enseignants dans le supérieur 23,88%. Ce pourcentage ne cesse de baisser quand nous regardons de près la représentativité de ces femmes universitaires dans les structures dirigeantes qu'elles soient administratives, pédagogiques, scientifiques ou syndicales.
Sur 14 présidents d'université, nous comptons une seule femme. Les femmes doyennes ou directrices des établissements supérieurs qui relèvent de l'université ne dépassent pas six sur un total de presque 84 postes (à peine 7%). Avant de passer pour le reste des statistiques au cas de l'université Moulay Ismaïl de Meknès pour tout ce qui concerne la représentativité des femmes dans les conseils d'établissements, conseil de l'université, commissions scientifiques où les membres sont élus, ainsi que pour leur implication dans la gestion des départements, jetons un coup d'oeil du côté du syndicat national de l'enseignement supérieur qui compte dans sa commission administrative, la plus haute instance de décision au sein du syndicat, 6 femmes sur 51 membres élus, ce qui représente 11,78%. Notons cependant que c'est une femme qui se trouve à la tête du SNESUP, elle est d'ailleurs l'unique femme dans le bureau national qui est constitué de 9 membres. D'une façon générale, le militantisme syndical en milieu universitaire reste l'apanage des hommes même au niveau local ; très peu de femmes dans les établissements prennent des responsabilités dans les bureaux locaux ou régionaux, celles qui s'y hasardent sont souvent des militantes dans les partis politiques et possèdent une certaine expérience dans l'action politique qui exige une force du caractère, le pouvoir de conviction et surtout une disponibilité à toute épreuve.
Le cas de l'université Moulay Ismaïl de Meknès sera considéré comme un échantillon susceptible de nous donner une idée sur l'ensemble de l'université marocaine. Aucune femme élue au conseil de l'université, l'unique femme qui siège dans ce conseil a été désignée par le syndicat pour le représenter dans cette instance conformément à la loi 01 00 qui organise l'enseignement supérieur au Maroc. Je me permets ici d'anticiper un peu en soulignant l'initiative du bureau national du Syndicat National de l'Enseignement Supérieur (le SNESUP) qui, dans une perspective progressiste et moderne, a pris des mesures de discrimination positive en désignant trois femmes en tant que représentantes du syndicat dans les conseils d'université, soit 23%.
L'université Moulay Ismaïl compte 703 enseignantschercheurs dont 116 femmes, autrement dit 16,50% de l'ensemble, sur 191 PES seulement 13 sont des femmes (6,80%). Le tableau cidessous donne plus de détails sur le nombre des femmeschercheures par disciplines et par grades. Les chiffres sont d'une éloquence implacable.
Personnel enseignant selon l'établissement et le grade (2003
2004) (Université Moulay Ismaïl Meknès)
Cette université est constituée de six établissements donc six conseils où trois femmes sont élues, deux au conseil de la faculté des lettres et seulement une à celui de l'Ecole Supérieure de Technologie.
Sur trente départements, un seul est dirigé par une femme (à l'Ecole Supérieure de Technologie, département des Techniques de Commercialisation et de Communication), là aussi il s'agit d'élections (3,33%). Les commissions scientifiques dans tous les établissements supérieurs restent exclusivement l'apanage des hommes.
Le constat n'est pas fameux pour les femmes, nous sommes loin de considérer que la femme universitaire participe réellement à la gestion et à la décision en milieu universitaire. L'ancien ministre chargé de la Recherche, M.Omar Fassi Fihri est allé jusqu'à déclarer solennellement qu'il regrettait la faible présence de la femme marocaine dans le monde de la recherche et du développement technologique et que 22%
seulement choisissent les filières scientifiques et technologiques. Il a également souligné que les femmes de sciences publient moins que leurs collègues masculins, voyagent moins et participent moins à des séminaires scientifiques que leurs collègues hommes.
2 DE L'UNIVERSITÉ À LA POLITIQUE
Laissons l'université pour la vie politique, le constat n'est guère meilleur, une femme ministre, une femme secrétaire d'Etat, aucune femme wali ni gouverneur, une seule femme présidente d'un conseil municipal (Essaouira), 127 femmes seulement sont élues dans les conseils locaux, soit un pourcentage de 0,53%. Et si les femmes sont au nombre de 35 sur 325 au parlement (soit 10,6%) c'est grâce à la liste nationale instituée par la loi et que les partis politiques se sont engagés moralement à consacrer aux femmes. Sur ces 35 femmes, il faut préciser que cinq uniquement ont été élues au suffrage direct, c'està
dire 1,7% sur l'ensemble des parlementaires. Cependant et selon le classement réalisé par l'Union interparlementaire, le Maroc est passé de la 118ème place à la 72ème ; dans le monde arabe, le Maroc est deuxième après la Tunisie.[4]
3 POURQUOI UNE PARTICIPATION TIMIDE DES FEMMES À LA PRISE DE DÉCISION ?
Il est temps de se poser la question du pourquoi. Plusieurs raisons peuvent être avancées, ce qui est sûr c'est que quand il s'agit d'élections, il faut avouer que le nombre des femmes qui se présentent
est toujours sensiblement inférieur à celui des hommes. Les longues années, je dirai même les longs siècles de marginalisation et d'inégalité, d'emprisonnement des femmes dans des rôles ménagers constituent sans aucun doute un frein psychologique à leur participation à la décision. Les résistances ne sont pas uniquement du côté des hommes mais aussi de celui des femmes. Un nombre considérable de femmes, même parmi les plus diplômées, préfèrent se tenir à l'écart pour garantir l'équilibre de leur famille en cédant souvent et sans état d'âme la place à leur mari. Elles se trouvent ainsi face au dilemme vie professionnelle/vie privée. Se sentant seules responsables de la réussite ou de l'échec de leur vie familiale, elles sacrifient systématiquement jusqu'à leur promotion professionnelle. "Même lorsqu'elles n'ont pas à consacrer beaucoup de temps aux occupations domestiques parce qu'elles ont du personnel, elles continuent à être considérées comme étant moins disponibles, et sont d'une certaine façon écartées d'office de responsabilités élevées."[5]
Houria Alami M'Chichi dans son analyse de cette situation souligne à quel point le code du statut personnel qui traduit la conception de l'Islam sur les relations hommesfemmes a participé à l'ancrage de ces discriminations que les femmes ellesmêmes ont fini par intégrer dans leurs rapports avec les hommes aussi bien dans l'espace privé de la famille que dans l'espace public. Durant toute la décennie 19932003, le code du statut personnel, expliquetelle, "consacrait juridiquement la subordination des femmes dans la famille et sur le principe de complémentarité des rôles sociaux entre femmes et hommes qui attribue aux hommes un rôle prépondérant dans la gestion des affaires publiques. Les femmes, quant à elles, doivent accorder la priorité à la gestion de la famille. Ce qui veut dire qu'elles peuvent avoir des responsabilités publiques, mais que cela ne peut se faire que dans le respect de leur rôle de mères de famille et d'épouses. Les islamistes insistent sur cet aspect, ils soulignent la nécessité pour les femmes de respecter leur rôle conformément à la tradition."[6]
L'héritage socioculturel est trop lourd, avec cette spécificité que dans les pays arabomusulmans les lois provenant de la Charia représentent un boulet supplémentaire aux pieds des femmes. Malgré l'émergence de mouvements de revendication des droits des femmes appuyée par des leaders politiques et même malgré la réforme des lois (code de la famille au Maroc), il reste difficile de changer tout un imaginaire bien ancré dans la société, aussi bien chez les hommes que chez les femmes et où le féminin se trouve infériorisé, réduit à la dépendance.
Les sociétés arabomusulmanes vivent constamment un tiraillement entre le sacré et le temporel même à l'intérieur des partis de gauche au Maroc qui n'encouragent pas les femmes à se présenter aux élections, qui continuent à réserver la majorité des postes de responsabilité au sein de leurs structures aux hommes, par exemple le bureau politique de l'USFP[7] compte 4 femmes sur 21 de ses membres (soit 19%), il s'agit cependant de la plus importante représentativité, les autres partis en comptent moins.
Cette situation a donné naissance à un phénomène que les observateurs n'ont pas manqué de relever. Les femmes militantes au sein des partis politiques, s'étant heurtées à l'attitude sexiste des hommes militant à leurs côtés, ont senti fortement le besoin d'une structure plus autonome pour défendre leur cause en la mettant au coeur même de leurs préoccupations et du débat politique. Les femmes étaient conscientes de la nécessité de l'amélioration de la condition des femmes dans le processus de développement. Ainsi, les années quatre
vingt vont connaître au Maroc l'émergence d'associations féminines de plus en plus nombreuses qui vont d'abord privilégier le plaidoyer dans le champ politique.
Sur le plan mondial, la situation actuelle est loin d'aider à l'émancipation des femmes dans les pays musulmans. Comme l'observe Isabel Taboada Leonetti[8]
"…en ce début du XXIème siècle, la polarisation du monde que des puissances cherchent à imposer en opposant l'Islam à l'Occident, rendent plus difficiles et plus ambiguës les luttes des femmes. La domination économique, militaire et culturelle que l'Occident exerce depuis deux siècles naguère sous la figure de l'Europe colonialiste, aujourd'hui sous celle des EtatsUnis a conduit une partie de l'Islam à se reconstruire en opposition à cet Occident, à sa culture et à ses valeurs. Le discours intégriste propose donc un retour à un lointain âge d'or de l'islam, autrement dit à un ordre moral et patriarcal considéré comme le dernier rempart susceptible de préserver la cohésion de la famille et de la société musulmane face aux menaces de l'Occident"[9]
En effet, face à ces mouvements intégristes, le militantisme et la lutte des femmes pour leurs droits et pour la modernisation de la société deviennent plus difficiles, ce qui explique en grande partie la lenteur qui caractérise le processus de participation des femmes à la prise de décision. Comme le souligne Marguerite Rollinde "il existe un point commun à tous les pays du Maghreb, c'est que tout projet politique, juridique ou sociétal qui ne prend pas en compte l'islam est considéré comme une atteinte à l'idéologie nationale et au consensus établi par les institutions de ces pays, y compris dans une Tunisie qui revendique sa laïcité."[10]
Il n'y aucun doute que les conceptions religieuses ont largement favorisé la minorisation de la femme et donc la domination masculine dans tous les espaces, privés et publics. Par conséquent, les responsabilités familiales passent avant les responsabilités publiques, les femmes deviennent ainsi d'après l'appelletion de Houria M'Chichi "des intervenantes politiques de seconde zone"[11].
La lenteur accusée dans l'accès des femmes au champ politique est également une conséquence des programmes scolaires que les associations féminines ne cessent de décrier. Ils donnent lieu à une lecture de la répartition des rôles hommesfemmes qui consacre
dangereusement les inégalités et les discriminations déjà visibles dans la structure familiale où évolue l'élève.
4 QUE FAIRE ?
Que faire alors devant cette situation qui est loin d'être propice à l'émancipation des femmes ? Fautil laisser faire le temps et attendre que le changement des mentalités s'effectue normalement, c'estàdire selon un rythme désespérément lent ? Fautil recourir, dans un souci d'activer le processus, à des mesures de discrimination positives en faveur des femmes ?
Au Maroc actuellement, le débat bat son plein à ce sujet. Il y a le pour et le contre.
Le principe qui préside à la proposition des mesures de discrimination positive peut être résumé dans l'argument suivant: puisque l'état actuel des relations hommesfemmes dans la société ne permet pas à ces dernières de disposer pleinement de leurs droits politiques, il est déplacé de parler d'égalité devant la loi. Une égalité des chances doit passer dans ce cas par l'instauration provisoire de mesures qui favorisent les femmes au moyen du quota. Le recours à l'approche genre dans ce cas met fin à la répartition traditionnelle et classique de l'autorité dans la société en encourageant les femmes à s'impliquer dans la prise de décision politique et à occuper des postes de responsabilité dans tous les domaines.
Ceux qui s'y opposent avancent l'argument de l'égalité et de la citoyenneté qui selon eux ne sont pas respectées dans le cas de toute mesure de discrimination qui favorise un sexe au détriment de l'autre et qui est selon eux contraire à la démocratie. Elle oriente les électeurs dans leur choix et range les femmes dans une même catégorie que les minorités ethniques, linguistiques et raciales. Ils expriment également leur crainte de voir les partis politiques présenter aux élections des femmes incompétentes, tout particulièrement dans les sociétés où les femmes sont peu présentes dans les structures partisanes comme c'est le cas au Maroc. Ils vont jusqu'à considérer ces mesures indignes pour les femmes parce qu'elles les confinent dans leur statut de mineures et confirment leur impuissance à s'intégrer sans aucun autre soutien dans le monde politique. Il y a également le fait que dans les pays arabo
musulmans le principe même de l'approche genre est rejeté.
Il faut cependant souligner qu'au Maroc, le principe du quota dans les dernières élections législatives (2002) a été bien accepté par tous les partis politiques même par celui de la Justice et du Développement.
Les organisations féminines revendiquent l'instauration du quota au moyen d'une législation nationale qui obligerait les partis à réserver un certain pourcentage de leurs candidatures aux élections et de leurs postes de responsabilité au sein de ses structures aux femmes. Le projet de loi des partis politiques, actuellement soumis à la discussion dans les partis et les associations féminines, est l'occasion idéale d'imposer aux partis de respecter le principe du quota sous peine de
sanctions qui restent à déterminer: payement d'indemnités à l'Etat ou carrément se voir privés de financements de l'Etat.
Au milieu de ce contexte assez mouvant et paradoxalement divisé (femmes visibles dans le processus du développement et presque absentes de la sphère de décision), notons cependant qu'une évolution suit son chemin, des mutations sont en cours dont la plus importante reste celle du "statut des femmes qui se déplace d'une identité définie par les fonctions domestiques et familiales vers un statut de sujet politique qui s'engage dans l'espace public et investit progressivement tous les secteurs."[12]
Les idées sur l'égalité femmes/hommes circulent plus facilement et se trouvent au centre même des discussions aussi bien au sein des familles que sur les lieux de travail, nous assistons à une véritable dynamique qui traverse la société marocaine et qui ébranle progressivement les résistances et les mentalités que des siècles de domination masculine ont rendues impénétrables pendant longtemps à tout changement.
Il est sans doute vrai que chez les femmes diplômées du supérieur l'intérêt pour la politique est plus important que chez les femmes qui ont un niveau scolaire moins élevé ou chez les femmes analphabètes.
Cependant les différences de genre persistent, les hommes ont la conviction qu'ils sont plus concernés que les femmes par la politique qui occupe une place prépondérante dans leur vie ; ils consacrent du temps à la lecture des journaux, discutent entre eux politique aussi bien au travail que dans les espaces publics. "Seul le niveau d'instruction acquis par les femmes, essentiellement celles qui exercent une activité professionnelle, rapproche véritablement hommes et femmes autour de l'intérêt politique: en particulier, les hommes et les femmes appartenant à la catégorie socioprofessionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique."[13]
5 FEMMES ET PRISE DE DÉCISION: QUEL AVENIR AU MAROC
?
Le fait qu'au Maroc le pourcentage des filles qui obtiennent des diplômes supérieurs est appelé à augmenter encore plus dans l'avenir (il est passé de 23,98% en 19961997 à 28,74% en 20012002) est à même de présager d'une plus importante implication des femmes dans la sphère politique. En outre, les dernières réformes de la Moudawana qui inscrivent dans leur essence même le concept d'égalité sont susceptibles avec le temps de repenser la conception traditionnelle des rôles des femmes et des hommes dans la société et de donner plus de confiance aux femmes dans leurs compétences et leur intelligence.
N'oublions pas aussi que le mouvement associatif, fort de plusieurs années de revendications et de présence à tous les niveaux, s'est sensiblement consolidé et n'arrêtera pas d'exercer les pressions qui s'imposent pour permettre aux femmes d'occuper la place qu'elles méritent dans tous les secteurs vivants de la société et de participer réellement à la prise de décision.
Reste un domaine qui mérite une réflexion profonde susceptible d'apporter des changements positifs dans la mentalités des Marocaines et des Marocains : c'est celui des médias. Nous savons que les moyens d'information et de communication ont un impact considérable sur la société, sur la construction de l'image de la femme et de ses rôles. Or, malgré les avancées sensibles que connaît actuellement la condition des femmes au Maroc, les représentations véhiculées par les médias marocains participent largement au conditionnement des mentalités qui cherchent à maintenir les femmes dans des rôles circonscrits, presque toujours subalternes.
Les associations féminines en partenariat avec les secteurs gouvernementaux concernés par la question sont appelées à réfléchir sur les mesures et les stratégies à même d'opérer un changement et de porter un nouveau regard sur les rapports hommes/femmes, loin des schémas traditionnels qui relèguent souvent les femmes aux rôles domestiques et éducatifs.
A l'orée du XXIème siècle, la femme marocaine est indiscutablement une composante essentielle dans le développement du pays et commence à investir le champ politique. Une conviction se trouve partagée par tous les acteurs dans la société et que Chami Anissa exprime de la façon suivante: "Aguerris par la crise socioéconomique, les Marocains tentent d'écarter deux périls redoutables : la pauvreté et l'intégrisme.
En ce sens, le rôle des femmes ne pouvait plus être négligé.
Actuellement le travail des femmes a non seulement des retombées directes sur leur entourage immédiat et sur leur environnement, mais il est reconnu. Les attitudes et les mentalités changent progressivement."[14]
Fautil insister pour le mot de la fin sur la nécessité de continuer à oeuvrer au sein même de cette dynamique ? C'est incontestablement la voie royale vers une réelle répartition entre femmes et hommes des rôles et des responsabilités à tous les niveaux.
Références bibliographiques
ACTES DU COLLOQUE Les femmes dans le débat générationnel: continuité ou rupture. Méditerranée/Maghreb et Europe, Publication de l'Institut MaghrebEurope, Février 2002
DIRECTION DE L'EVALUATION ET DE LA PROSPECTIVE relevant de l'ancien Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique (20012002)
FÉMININMASCULIN. La marche vers l'égalité au Maroc 19932003, ouvrage collectif, Publication de la Fondation Friedrich Ebert Stiftung, Fès Maroc, 2004
HISTOIRE ET PATRIMOINE, n° 9, consacré à l'Islam ; 2004.
Notes
[*] Professeur à l'Université Moulay Ismaïl, Meknès, Maroc.
[1] Mohamed Mouaqit, "Introduction générale", Féminin
Masculin. La marche vers l'égalité au Maroc 19932003, ouvrage collectif, Publication de la Fondation Friedrich Ebert Stiftung, Fès Maroc, 2004, p. 12.
[2] Professeur de l'enseignement supérieur.
[3] Professeur habilité.
[4] Selon Houria Alami M'Chichi, "Genre et participation politique" in FémininMasculi., La marche vers l'égalité au Maroc, op. cit., p. 103.
[5] Ibid., p. 127.
[6] Ibid., p. 117.
[7] Union Socialiste des Forces Populaires.
[8] Chercheur au CNRS.
[9] In la revue Histoire et Patrimoine, n° 9 consacré à l'Islam.
[10] "La présence des femmes dans l'espace public au Maghreb. Un enjeu politique et sociétal" in Actes du colloque Les femmes dans le débat générationnel : continuité ou rupture. Méditerranée/Maghreb et Europe, Publication de l'Institut MaghrebEurope, Février 2002, p.
51.
[11] Op. cit., p. 118.
[12] Houria Alami M'Chichi, "Genre et participation politique" in FémininMasculi., La marche vers l'égalité au Maroc, op. cit., p. 93.
[13] Ibid. p. 125.
[14] "Femmes, développement et démocratie au Maroc.
Enjeu politique ou réalité ?" in Actes du colloque Les femmes dans le débat générationnel : continuité ou rupture, op. cit., p. 86.