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Les femmes diplômées et la prise de décision au Maghreb : le cas du Maroc

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Cahiers du CREAD n°74, 2005, pages 47­59.

ZOHRA LHIOUI

[*]

Les femmes diplômées et la prise de décision au Maghreb : le cas du Maroc

INTRODUCTION

Le  Maroc,  tout  comme  les  autres  pays  du  Maghreb,  est  en  pleine mutation  sociale.  Le  rythme  du  développement  s'accélère  et  ses  acteurs se diversifient. L'implication de plus en plus visible des femmes dans  ce  processus  jusque­là  réservé  aux  hommes  n'est  plus  à démontrer et elles y sont pour beaucoup. Elles ont accédé à l'instruction et investissent progressivement des domaines longtemps réservés aux hommes. Peut­on dire pour autant que tout va bien dans le meilleur des mondes? Malheureusement non car, malgré leur participation à tous les domaines  du  développement,    les  femmes  sont  tenues  à  l'écart  de  la sphère de décision.

Dans cette étude, je tenterai en me limitant à l'exemple du Maroc et en m'appuyant sur quelques statistiques, de répondre à deux interrogations majeures  :  pourquoi  l'accès  à  la  décision  reste­t­il  fermé  aux  femmes diplômées  ?  Je  prendrai  en  premier  lieu  comme  exemple  le  cas  de l'université  marocaine  pour  étendre  ensuite  mon  étude  aux  fonctions politiques. La deuxième question concerne particulièrement le  type  de mesures à prendre (à mettre en place) par les uns et par les autres pour favoriser  une  participation  plus  importante  des  femmes  à  la  prise  de décision au Maroc.

La décennie 1993­2003 est sans conteste la décennie de la femme au Maroc. En effet, une dynamique profonde a secoué la société grâce à l'action et aux revendications acharnées d'associations féminines et de droit  qui  ont  été  à  l'origine  de  changements  juridiques  et  de  mesures politiques  visant  l'amélioration  de  la  condition  des  femmes.  L'année 1993  marque  une  date  hautement  symbolique  dans  le  parcours  du militantisme  féminin,  celle  de  la  désacralisation  du  code  du  statut personnel  qu'on  considérait  jusque­là  comme  intouchable.  L'année 2003­2004 sera couronnée par l'importante réforme de la Moudawana qui,  portant  sa  philosophie  dans  sa  nouvelle  appellation,  deviendra dorénavant "code de la famille".

Il va sans dire que l'approche genre est au coeur de ce travail, elle est incontournable pour mettre en évidence les disparités liées au sexe et mieux comprendre les inégalités et les résistances  face  à  l'accès  des femmes à l'espace politique. Ce qu'il faut également retenir et qui me semble d'une importance majeure c'est qu'elle n'est pas seulement une approche mais "bel et bien une "perspective". Celle­ci n'est ni plus ni

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moins que la promotion d'un projet de démocratie, d'une démocratie qui ne se réduit pas à une régulation électorale du jeu politique mais d'une  démocratie  "substantielle"  qui  vise  à  l'épanouissement  des femmes  et  des  hommes  en  les  impliquant  dans  les  choix fondamentaux de la société et en les faisant participer aux décisions qui engagent leur existence politique et sociale, ce qui renvoie  à  un autre concept tout aussi substantiel, celui de la citoyenneté. Elle  est une  perspective  systémique  et  solidaire  du  développement  dans laquelle les divers aspects de la situation des femmes (le juridique, le politique,  l'économique,  le  social,  le  sanitaire…)  sont  sinon  dans  un ordre d'importance équivalent, du moins dans une vision stratégique intégrée."[1] 

1 ­ FAIBLESSE DE LA REPRÉSENTATIVITÉ FÉMININE DANS LES  STRUCTURES UNIVERSITAIRES

Tous les observateurs (acteurs de la société civile) sont unanimes sur le constat concernant la lenteur qui caractérise le taux de représentativité des femmes dans les institutions législatives et exécutives de l'Etat ainsi que  dans  les  structures  partisanes  et  syndicales  locales  et  nationales alors que paradoxalement leur présence dans les autres domaines de la vie publique est plus que visible. Même au niveau de l'université, lieu où normalement  les  femmes  diplômées  devraient  occuper  des  postes  de décision,  leur  présence  dans  toutes  les  structures  dirigeantes  reste dérisoire.

Les statistiques réalisées en 2001­2002 par la Direction de l'Evaluation et  de  la  Prospective  relevant  de  l'ancien  Ministère  de  l'Enseignement Supérieur, de la Formation des Cadres et de la Recherche Scientifique montrent  clairement  que  dans  l'évolution  des  effectifs  des  étudiants  et des  enseignants­chercheurs  le  nombre  des  femmes  a  sensiblement augmenté entre 1996­1997 et 2001­2002.

Evolution des effectifs des nouveaux inscrits

 Evolution des effectifs des étudiants tous cycles

Evolution des effectifs des étudiants du 3ème cycle

Evolution des effectifs des diplômés tous cycles

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Evolution des effectifs des diplômés du 3ème cycle

Une  première  lecture  de  ces  statistiques  que  j'ai  simplifiées  pour  une meilleure  visibilité  à  l'occasion  de  cette  étude  permettent  quelques remarques: les filles représentent en 2001­2002 presque 50% (47,19%

plus  exactement)  des  nouveaux  inscrits  à  l'université  par  rapport  à l'année  1996­97  où  elles  ne  représentent  que  41,44%.  Elles représentent  également  44,91%  du  total  des  inscrits  tous  cycles confondus  en  2001­2002  marquant  une  légère  hausse  par  rapport  à l'année 1996­97 où le pourcentage des filles est de 42,32. Etrangement, le  pourcentage  des  filles  inscrites  en  3ème  cycle  n'a  pas  évolué  d'une façon sensible entre 1997 et 2002, de 31,11%  il est passé tout juste à 31,94%.

Quant  aux  étudiantes  diplômées  tous  cycles  confondus,  elles représentent 42,33% du total des diplômés en 2001­2002 inscrivant une hausse de 2% par rapport à 1996­97 (40,38%). Ce pourcentage baisse sensiblement quand il s'agit des filles diplômées du 3ème cycle, en effet, elles ne représentent que 28,74% du total avec une hausse de presque 5% par rapport à 1996­97.

Ainsi,  le  cursus  universitaire  se  caractérise­t­il  par  une  présence féminine de forme pyramidale. Au départ, elles représentent presque la moitié mais seulement 28% décrochent le diplôme du 3ème cycle. Ceci nous  amène  à  voir  ce  qui  se  passe  du  côté  des  professeurs­

chercheurs.   

Personnel enseignant permanent (2001­2002)

 

Total du personnel

enseignant P.E.S.[2]P.H[3]Prof. Agrégé P.E.S.AssistantMaîtreAssistantAssistant Autres

F+H 9938 2788 925 234 4138 1247 135 426

F. 2374 408 134 62 1181 376 25 188

Ce tableau vient confirmer la lecture précédente ; il apparaît clairement que l'écart se creuse entre les deux sexes au fur et à mesure que les diplômes  deviennent  plus  importants,  les  femmes  professeurs  de l'enseignement  supérieur,  donc  détentrices  d'un  doctorat  d'Etat, représentent seulement 14,63% de l'ensemble de cette catégorie alors que  les  femmes  professeurs­chercheurs  représentent  sur  le  total  des

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enseignants  dans  le  supérieur  23,88%.  Ce  pourcentage  ne  cesse  de baisser  quand  nous  regardons  de  près  la  représentativité  de  ces femmes  universitaires  dans  les  structures  dirigeantes  qu'elles  soient administratives, pédagogiques, scientifiques ou syndicales.

Sur  14  présidents  d'université,  nous  comptons  une  seule  femme.  Les femmes  doyennes  ou  directrices  des  établissements  supérieurs  qui relèvent de l'université ne dépassent pas six  sur un total de presque 84 postes (à peine 7%). Avant de passer pour le reste des statistiques au cas de l'université Moulay Ismaïl de Meknès pour tout ce qui concerne la représentativité des femmes dans les conseils d'établissements, conseil de  l'université,  commissions  scientifiques  où  les  membres  sont  élus, ainsi que pour leur implication dans la gestion des départements, jetons un coup d'oeil du côté du syndicat national de l'enseignement supérieur qui compte dans sa commission administrative, la  plus  haute  instance de décision au sein du syndicat, 6 femmes sur 51 membres élus, ce qui représente  11,78%.  Notons  cependant  que  c'est  une  femme  qui  se trouve à la tête du SNESUP, elle est d'ailleurs l'unique femme  dans  le bureau national qui est constitué de 9 membres. D'une façon générale, le  militantisme  syndical  en  milieu  universitaire  reste  l'apanage  des hommes  même  au  niveau  local  ;  très  peu  de  femmes  dans  les établissements prennent des responsabilités dans les bureaux locaux ou régionaux, celles qui s'y hasardent sont souvent des militantes dans les partis  politiques  et  possèdent  une  certaine  expérience  dans  l'action politique  qui  exige  une  force  du  caractère,  le  pouvoir  de  conviction  et surtout une disponibilité à toute épreuve.

Le cas de l'université Moulay Ismaïl de Meknès sera considéré comme un  échantillon  susceptible  de  nous  donner  une  idée  sur  l'ensemble  de l'université  marocaine.  Aucune  femme  élue  au  conseil  de  l'université, l'unique femme qui siège dans ce conseil a été désignée par le syndicat pour le représenter dans cette instance conformément à la loi 01 00 qui organise  l'enseignement  supérieur  au  Maroc.  Je  me  permets  ici d'anticiper un peu en soulignant l'initiative du bureau national du Syndicat National  de  l'Enseignement  Supérieur  (le  SNESUP)  qui,  dans  une perspective  progressiste  et  moderne,  a  pris  des  mesures  de discrimination  positive  en  désignant  trois  femmes  en  tant  que représentantes du syndicat dans les conseils d'université, soit 23%.

L'université Moulay Ismaïl compte 703 enseignants­chercheurs dont 116 femmes, autrement dit 16,50% de l'ensemble, sur 191 PES seulement 13  sont  des  femmes  (6,80%).  Le  tableau  ci­dessous  donne  plus  de détails  sur  le  nombre  des  femmes­chercheures  par  disciplines  et  par grades. Les chiffres sont d'une éloquence implacable.

Personnel enseignant selon l'établissement et le grade (2003­

2004) (Université Moulay Ismaïl ­ Meknès)

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Cette université est constituée de six établissements donc six conseils où trois femmes sont élues, deux au conseil de la faculté des lettres et seulement une à celui de l'Ecole Supérieure de Technologie.

Sur  trente  départements,  un  seul  est  dirigé  par  une  femme  (à  l'Ecole Supérieure  de  Technologie,  département  des  Techniques  de Commercialisation  et  de  Communication),  là  aussi  il  s'agit  d'élections (3,33%).  Les  commissions  scientifiques  dans  tous  les  établissements supérieurs restent exclusivement l'apanage des hommes.

Le  constat  n'est  pas  fameux  pour  les  femmes,  nous  sommes  loin  de considérer que la femme universitaire participe réellement à la gestion et  à  la  décision  en  milieu  universitaire.  L'ancien  ministre  chargé  de  la Recherche, M.Omar Fassi Fihri est allé jusqu'à déclarer solennellement qu'il regrettait la faible présence de la femme marocaine dans le monde de  la  recherche  et  du  développement  technologique  et  que  22%

seulement  choisissent  les  filières  scientifiques  et  technologiques.  Il  a également  souligné  que  les  femmes  de  sciences  publient  moins  que leurs  collègues  masculins,  voyagent  moins  et  participent  moins  à  des séminaires scientifiques que leurs collègues hommes.

2 ­ DE L'UNIVERSITÉ À LA POLITIQUE

Laissons l'université pour la vie politique, le constat n'est guère meilleur, une femme ministre, une femme secrétaire d'Etat, aucune femme wali ni gouverneur,  une  seule  femme  présidente  d'un  conseil  municipal (Essaouira), 127 femmes seulement sont élues dans les conseils locaux, soit un pourcentage de 0,53%. Et si les femmes sont au nombre de 35 sur  325  au  parlement  (soit  10,6%)  c'est  grâce  à  la  liste  nationale instituée  par  la  loi  et  que  les  partis  politiques  se  sont  engagés moralement  à  consacrer  aux  femmes.  Sur  ces  35  femmes,  il  faut préciser que cinq uniquement ont été élues au suffrage direct, c'est­à­

dire  1,7%  sur  l'ensemble  des  parlementaires.  Cependant  et  selon  le classement réalisé par l'Union interparlementaire, le Maroc est passé de la  118ème  place  à  la  72ème  ;  dans  le  monde  arabe,  le  Maroc  est deuxième après la Tunisie.[4]

3 ­ POURQUOI UNE PARTICIPATION TIMIDE DES FEMMES À LA PRISE DE DÉCISION ?

Il  est  temps  de  se  poser  la  question  du  pourquoi.  Plusieurs  raisons peuvent  être  avancées,  ce  qui  est  sûr  c'est  que  quand  il  s'agit d'élections, il faut avouer que le nombre des femmes qui se présentent

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est  toujours  sensiblement  inférieur  à  celui  des  hommes.  Les  longues années, je dirai même les longs siècles de marginalisation et d'inégalité, d'emprisonnement  des  femmes  dans  des  rôles  ménagers  constituent sans  aucun  doute  un  frein  psychologique  à  leur  participation  à  la décision. Les résistances ne sont pas uniquement du côté des hommes mais aussi de celui des femmes. Un nombre considérable de femmes, même parmi les plus diplômées, préfèrent se tenir à l'écart pour garantir l'équilibre de leur famille en cédant souvent et sans état d'âme la place à leur mari. Elles se trouvent ainsi face au dilemme  vie professionnelle/vie privée. Se sentant seules responsables de la réussite ou de l'échec de leur  vie  familiale,  elles  sacrifient  systématiquement  jusqu'à  leur promotion  professionnelle.  "Même  lorsqu'elles  n'ont  pas  à  consacrer beaucoup de temps aux occupations domestiques parce qu'elles ont du personnel, elles continuent à être considérées comme étant moins disponibles,  et  sont  d'une  certaine  façon  écartées  d'office  de responsabilités élevées."[5]

Houria  Alami  M'Chichi  dans  son  analyse  de  cette  situation  souligne  à quel point le code du statut personnel qui traduit la conception de l'Islam sur  les  relations  hommes­femmes  a  participé  à  l'ancrage  de  ces discriminations que les femmes elles­mêmes ont fini par intégrer dans leurs  rapports  avec  les  hommes  aussi  bien  dans  l'espace  privé  de  la famille que dans l'espace public. Durant toute la décennie 1993­2003, le code  du  statut  personnel,  explique­t­elle,  "consacrait  juridiquement  la subordination  des  femmes  dans  la  famille  et  sur  le  principe  de complémentarité  des  rôles  sociaux  entre  femmes  et  hommes  qui attribue aux hommes un rôle prépondérant dans la gestion des affaires publiques. Les femmes, quant à elles, doivent accorder la priorité à la gestion  de  la  famille.  Ce  qui  veut  dire  qu'elles  peuvent  avoir  des responsabilités publiques, mais que cela ne peut se faire que dans le respect de leur rôle de mères de famille et d'épouses. Les islamistes insistent sur cet aspect, ils soulignent la nécessité pour les femmes de respecter leur rôle conformément à la tradition."[6]

L'héritage socioculturel est trop lourd, avec cette spécificité que dans les pays arabo­musulmans les lois provenant de la Charia représentent un boulet  supplémentaire  aux  pieds  des  femmes.  Malgré  l'émergence  de mouvements de revendication des droits des femmes appuyée par des leaders  politiques  et  même  malgré  la  réforme  des  lois  (code  de  la famille  au  Maroc),  il  reste  difficile  de  changer  tout  un  imaginaire  bien ancré  dans  la  société,  aussi  bien  chez  les  hommes  que  chez  les femmes  et  où  le  féminin  se  trouve  infériorisé,  réduit  à  la  dépendance.

Les  sociétés  arabo­musulmanes    vivent  constamment  un  tiraillement entre le sacré et le temporel même à l'intérieur des partis de gauche au Maroc qui n'encouragent pas les femmes à se présenter aux élections, qui  continuent  à  réserver  la  majorité  des  postes  de  responsabilité  au sein de leurs structures aux hommes, par exemple le bureau politique de l'USFP[7] compte 4 femmes sur 21 de ses membres (soit 19%), il s'agit cependant  de  la  plus  importante  représentativité,  les  autres  partis  en comptent moins.

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Cette  situation  a  donné  naissance  à  un  phénomène  que  les observateurs  n'ont  pas  manqué  de  relever.  Les  femmes  militantes  au sein  des  partis  politiques,  s'étant  heurtées  à  l'attitude  sexiste  des hommes  militant  à  leurs  côtés,  ont  senti  fortement  le  besoin  d'une structure plus autonome pour défendre leur cause en la mettant au coeur même  de  leurs  préoccupations  et  du  débat  politique.  Les  femmes étaient conscientes de la nécessité de l'amélioration de la condition des femmes dans le processus de développement. Ainsi, les années quatre­

vingt vont connaître au Maroc l'émergence d'associations féminines de plus en plus nombreuses qui vont d'abord privilégier le plaidoyer dans le champ politique.

Sur le plan mondial, la situation actuelle est loin d'aider à l'émancipation des  femmes  dans  les  pays  musulmans.  Comme  l'observe  Isabel Taboada Leonetti[8]

"…en ce début du XXIème  siècle, la polarisation du monde que des puissances  cherchent  à  imposer  en  opposant  l'Islam  à  l'Occident, rendent  plus  difficiles  et  plus  ambiguës  les  luttes  des  femmes.  La domination  économique,  militaire  et  culturelle  que  l'Occident  exerce depuis deux siècles ­ naguère  sous la figure de l'Europe colonialiste, aujourd'hui sous celle des Etats­Unis ­ a conduit une partie de l'Islam à se reconstruire en opposition à cet Occident, à sa culture et à ses valeurs.  Le  discours  intégriste  propose  donc  un  retour  à  un  lointain âge  d'or  de  l'islam,  autrement  dit  à  un  ordre  moral  et  patriarcal considéré  comme  le  dernier  rempart  susceptible  de  préserver  la cohésion de la famille et de la société musulmane face aux menaces de l'Occident"[9]

En  effet,  face  à  ces  mouvements  intégristes,  le  militantisme  et  la  lutte des  femmes  pour  leurs  droits  et  pour  la  modernisation  de  la  société deviennent plus difficiles, ce qui explique en grande partie la lenteur qui caractérise  le  processus  de  participation  des  femmes  à  la  prise  de décision.  Comme  le  souligne  Marguerite  Rollinde  "il  existe  un  point commun à tous les pays du Maghreb, c'est que  tout  projet  politique, juridique ou sociétal qui ne prend pas en compte l'islam est considéré comme une atteinte à l'idéologie nationale et au consensus établi par les  institutions  de  ces  pays,  y  compris  dans  une  Tunisie  qui revendique sa laïcité."[10]

Il n'y aucun doute que les conceptions religieuses ont largement favorisé la minorisation de la femme et donc la domination masculine dans tous les  espaces,  privés  et  publics.  Par  conséquent,  les  responsabilités familiales  passent  avant  les  responsabilités  publiques,  les  femmes deviennent  ainsi  d'après  l'appelletion  de  Houria  M'Chichi  "des intervenantes politiques de seconde zone"[11].

La  lenteur  accusée  dans  l'accès  des  femmes  au  champ  politique  est également  une  conséquence  des  programmes  scolaires  que  les associations  féminines  ne  cessent  de  décrier.  Ils  donnent  lieu  à  une lecture  de  la  répartition  des  rôles  hommes­femmes  qui  consacre

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dangereusement les inégalités et les discriminations déjà visibles dans la structure familiale où évolue l'élève.

4 ­ QUE FAIRE ?

Que  faire  alors  devant  cette  situation  qui  est  loin  d'être  propice  à l'émancipation  des  femmes  ?  Faut­il  laisser  faire  le  temps  et  attendre que le changement des mentalités s'effectue normalement, c'est­à­dire selon  un  rythme  désespérément  lent  ?  Faut­il  recourir,  dans  un  souci d'activer  le  processus,  à  des  mesures  de  discrimination  positives  en faveur des femmes ?

Au Maroc actuellement, le débat bat son plein à ce sujet. Il y a le pour et le contre.

Le principe qui préside à la proposition des mesures de discrimination positive peut être résumé dans l'argument suivant: puisque l'état actuel des  relations  hommes­femmes  dans  la  société  ne  permet  pas  à  ces dernières  de  disposer  pleinement  de  leurs  droits  politiques,  il  est déplacé de parler d'égalité devant la loi. Une égalité des chances doit passer  dans  ce  cas  par  l'instauration  provisoire  de  mesures  qui favorisent  les  femmes  au  moyen    du  quota.  Le  recours  à  l'approche genre dans ce cas met fin à la répartition traditionnelle et classique de l'autorité  dans  la  société  en  encourageant  les  femmes  à  s'impliquer dans  la  prise  de  décision  politique  et  à  occuper  des  postes  de responsabilité dans tous les domaines.

Ceux  qui  s'y  opposent  avancent  l'argument  de  l'égalité  et  de  la citoyenneté qui selon eux ne sont pas respectées dans le cas de toute mesure de discrimination qui favorise un sexe au détriment de l'autre et qui  est  selon  eux  contraire  à  la  démocratie.  Elle  oriente  les  électeurs dans leur choix et range les femmes dans une même catégorie que les minorités  ethniques,  linguistiques  et  raciales.  Ils  expriment  également leur  crainte  de  voir  les  partis  politiques  présenter  aux  élections  des femmes  incompétentes,  tout  particulièrement  dans  les  sociétés  où  les femmes sont peu présentes dans les structures partisanes comme c'est le cas au Maroc. Ils vont jusqu'à considérer ces mesures indignes pour les femmes parce qu'elles les confinent  dans leur statut de mineures et confirment leur impuissance à s'intégrer sans aucun autre soutien dans le  monde  politique.  Il  y  a  également  le  fait  que  dans  les  pays  arabo­

musulmans le principe même de l'approche genre est  rejeté.

Il  faut  cependant  souligner  qu'au  Maroc,  le  principe  du  quota  dans  les dernières élections législatives (2002) a été bien accepté par tous les partis politiques même par celui de la Justice et du Développement.

Les  organisations  féminines  revendiquent  l'instauration  du  quota  au moyen d'une législation nationale qui obligerait les partis à réserver un certain  pourcentage  de  leurs  candidatures  aux  élections  et  de  leurs postes  de  responsabilité  au  sein  de  ses  structures  aux  femmes.  Le projet de loi des partis politiques, actuellement  soumis à la discussion dans  les  partis  et  les  associations  féminines,  est  l'occasion  idéale d'imposer  aux  partis  de  respecter  le  principe  du  quota  sous  peine  de

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sanctions  qui  restent  à  déterminer:  payement  d'indemnités  à  l'Etat  ou carrément se voir privés de financements de l'Etat.

Au  milieu  de  ce  contexte  assez  mouvant  et  paradoxalement  divisé (femmes  visibles  dans  le  processus  du  développement  et  presque absentes de la sphère de décision), notons cependant qu'une évolution suit  son  chemin,  des  mutations  sont  en  cours  dont  la  plus  importante reste celle du "statut des femmes qui se déplace d'une identité définie par  les  fonctions  domestiques  et  familiales  vers  un  statut  de  sujet politique qui s'engage dans l'espace public et investit progressivement tous les secteurs."[12]

Les idées sur l'égalité femmes/hommes circulent plus  facilement  et  se trouvent  au  centre  même  des  discussions  aussi  bien  au  sein  des familles  que  sur  les  lieux  de  travail,  nous  assistons  à  une  véritable dynamique  qui  traverse  la  société  marocaine  et  qui  ébranle progressivement  les  résistances  et  les  mentalités  que  des  siècles  de domination masculine ont rendues impénétrables pendant longtemps à tout changement.

Il  est  sans  doute  vrai  que  chez  les  femmes  diplômées  du  supérieur l'intérêt pour la politique est plus important que chez les femmes qui ont un  niveau  scolaire  moins  élevé  ou  chez  les  femmes  analphabètes.

Cependant  les  différences  de  genre  persistent,  les  hommes  ont  la conviction qu'ils sont plus concernés que les femmes par la politique qui occupe une place prépondérante dans leur vie ; ils consacrent du temps à  la  lecture  des  journaux,  discutent  entre  eux  politique  aussi  bien  au travail  que  dans  les  espaces  publics.  "Seul  le  niveau  d'instruction acquis  par  les  femmes,  essentiellement  celles  qui  exercent  une activité professionnelle, rapproche véritablement hommes et femmes autour de l'intérêt politique: en particulier, les hommes et les femmes appartenant à la catégorie socioprofessionnelle des cadres supérieurs de la fonction publique."[13]

5 ­ FEMMES ET PRISE DE DÉCISION: QUEL AVENIR AU MAROC

?

Le  fait  qu'au  Maroc  le  pourcentage  des  filles  qui  obtiennent  des diplômes supérieurs est appelé à augmenter encore plus dans l'avenir (il est  passé  de  23,98%  en  1996­1997  à  28,74%  en  2001­2002)  est  à même de présager d'une plus importante implication des femmes dans la sphère politique. En outre, les dernières réformes de la Moudawana qui  inscrivent  dans  leur  essence  même  le  concept  d'égalité  sont susceptibles avec le temps de repenser la conception traditionnelle des  rôles des femmes et des hommes dans la société et de donner plus de confiance aux femmes dans leurs compétences et  leur intelligence.

N'oublions  pas  aussi  que  le  mouvement  associatif,  fort  de  plusieurs années  de  revendications  et  de  présence  à  tous  les  niveaux,  s'est sensiblement  consolidé  et  n'arrêtera  pas  d'exercer  les  pressions  qui s'imposent  pour  permettre  aux  femmes  d'occuper  la  place  qu'elles méritent  dans  tous  les  secteurs  vivants  de  la  société  et  de  participer réellement à la prise de décision.

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Reste  un  domaine  qui  mérite  une  réflexion  profonde  susceptible d'apporter des changements positifs dans la mentalités des Marocaines et des Marocains : c'est celui des médias. Nous savons que les moyens d'information  et  de  communication  ont  un  impact  considérable  sur  la société, sur la construction de l'image de la femme et de ses rôles. Or, malgré les avancées sensibles que connaît actuellement la condition des femmes  au  Maroc,  les  représentations  véhiculées  par  les  médias marocains participent largement au conditionnement des mentalités qui cherchent à maintenir les femmes dans des rôles circonscrits, presque toujours subalternes.

Les  associations  féminines  en  partenariat  avec  les  secteurs gouvernementaux  concernés  par  la  question  sont  appelées  à  réfléchir sur les mesures et les stratégies à même d'opérer un changement et de porter  un  nouveau  regard  sur  les  rapports  hommes/femmes,  loin  des schémas  traditionnels  qui  relèguent  souvent  les  femmes  aux  rôles domestiques et éducatifs.

A l'orée du XXIème siècle, la femme marocaine est indiscutablement une composante essentielle dans le développement du pays et commence à investir le champ politique. Une conviction se trouve partagée par tous les acteurs dans la société et  que  Chami  Anissa  exprime  de  la  façon suivante:  "Aguerris  par  la  crise  socio­économique,  les  Marocains tentent d'écarter deux périls redoutables : la pauvreté et l'intégrisme.

En  ce  sens,  le  rôle  des  femmes  ne  pouvait  plus  être  négligé.

Actuellement le travail des femmes a non seulement des retombées directes sur leur entourage immédiat et sur leur environnement, mais il est  reconnu.  Les  attitudes  et  les  mentalités  changent progressivement."[14]

Faut­il  insister  pour  le  mot  de  la  fin  sur  la  nécessité  de  continuer  à oeuvrer au sein même de cette dynamique ? C'est incontestablement la voie  royale  vers  une  réelle  répartition  entre  femmes  et  hommes  des rôles et des responsabilités à tous les niveaux.

Références bibliographiques

ACTES  DU  COLLOQUE Les  femmes  dans  le  débat  générationnel:  continuité  ou rupture.  Méditerranée/Maghreb  et  Europe,  Publication  de  l'Institut  Maghreb­Europe, Février 2002

DIRECTION  DE  L'EVALUATION  ET  DE  LA  PROSPECTIVE relevant  de  l'ancien Ministère  de  l'Enseignement  Supérieur,  de  la  Formation  des  Cadres  et  de  la Recherche Scientifique (2001­2002)

FÉMININ­MASCULIN. La marche vers l'égalité au Maroc 1993­2003, ouvrage collectif, Publication de la Fondation Friedrich Ebert Stiftung, Fès Maroc, 2004

HISTOIRE ET PATRIMOINE, n° 9,  consacré à l'Islam ; 2004.

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Notes

[*]  Professeur  à  l'Université  Moulay  Ismaïl,  Meknès,  Maroc.

[1]  Mohamed  Mouaqit,  "Introduction  générale",  Féminin­

Masculin.  La  marche  vers  l'égalité  au  Maroc  1993­2003, ouvrage  collectif,  Publication  de  la  Fondation  Friedrich Ebert Stiftung, Fès Maroc, 2004, p. 12.

[2] Professeur de l'enseignement supérieur.

[3] Professeur habilité.

[4]  Selon  Houria  Alami  M'Chichi,  "Genre  et  participation politique" in Féminin­Masculi.,  La  marche  vers  l'égalité  au Maroc, op. cit., p. 103.

[5] Ibid., p. 127.

[6] Ibid., p. 117.

[7] Union Socialiste des Forces Populaires.

[8] Chercheur au CNRS.

[9]  In  la  revue  Histoire  et  Patrimoine,  n°  9  consacré  à l'Islam.

[10]  "La  présence  des  femmes  dans  l'espace  public  au Maghreb.  Un  enjeu  politique  et  sociétal"  in  Actes  du colloque  Les  femmes  dans  le  débat  générationnel  : continuité  ou  rupture.  Méditerranée/Maghreb  et  Europe, Publication  de  l'Institut  Maghreb­Europe,  Février  2002,  p.

51.

[11] Op. cit., p. 118.

[12]  Houria  Alami  M'Chichi,  "Genre  et  participation politique" in Féminin­Masculi.,  La  marche  vers  l'égalité  au Maroc, op. cit., p. 93.

[13] Ibid. p. 125.

[14] "Femmes,  développement  et  démocratie  au  Maroc.

Enjeu  politique  ou  réalité  ?"  in  Actes  du  colloque  Les femmes  dans  le  débat  générationnel  :  continuité  ou rupture, op. cit., p. 86.

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